ADDITION.

I’adjouteray icy ce que quelques autres m’ont proposé, afin de n’auoir pas besoin d’y répondre separement, car leur sujet est presque semblable.

Des personnes de tres-bon esprit, et de rare doctrine, m’ont fait les trois questions suiuantes.

La premiere est, comment nous pouuons estre assurez que nous auons l’idée claire et distincte de nostre ame.

La seconde, comment nous pouuons estre assurez que cette jdée est tout affait differente des autres choses.

La trosiéme ; comment nous pouuons estre assurez qu’elle n’a rien en soy de ce qui apartient au corps.

Ce qui suit m’a aussi esté enuoyé auec ce titre.

Camusat – Le Petit, p. 353
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Des Philosophes, et Geometres, à Monsieur Des-Cartes.

MONSIEVR,
Quelque soin que nous prenions à examiner si l’jdée que nous auons de nostre esprit, c’est à dire si la notion, ou le concept de l’esprit AT IX-1, 224 humain ne contient rien en soy de corporel, nous n’osons pas neantmoins assurer que la pensée ne puisse en aucune façon conuenir au corps agité par de secrets mouuemens. Car voyant qu’il y a certains corps qui ne pensent point, et d’autres qui pensent, comme ceux des hommes, et peut estre des bestes, ne passerions nous pas auprés de vous pour des sophistes, et ne nous accuseriez vous pas de trop de temerité, si nonobstant cela nous voulions conclure qu’il n’y a aucun corps qui pense ? nous auons mesme de la peine à ne pas croire que vous auriez eu raison de vous moquer de nous, si nous eussions les premiers forgé cet argument qui parle des jdées, et dont vous vous seruez pour la preuue d’vn Dieu, et de la distinction réelle de l’esprit d’auec le corps, et que vous l’eussiez en suite fait passer par l’examen Camusat – Le Petit, p. 354
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de vostre analyse. Il est vray que vous paroissez en estre si fort preuenu, et preoccupé, qu’il semble que vous vous soyez vous mesme mis vn voile deuant l’esprit, qui vous empesche de voir que toutes les operations, et proprietez de l’ame, que vous remarquez estre en vous, dependent purement des mouuemens du corps : ou bien défaites le nœud qui selon vostre iugement tient nos esprits enchainez, et les empéche de s’éleuer au dessus du corps.

Le nœud que nous trouuons en cecy est que nous comprenons fort bien que 2. et 3. ioins ensemble font le nombre de 5. Et que si de choses égales on oste choses égales les restes seront égaux : nous sommes conuaincus par ces veritez, et par mille autres aussi bien que vous ; pourquoy donc ne sommes nous pas pareillement conuaincus par le moyen de vos idées, ou mesme par les nostres, que l’ame de l’homme est réellement distincte du corps, et que Dieu existe ? Vous direz peut-estre que vous ne pouuez pas nous mettre cette verité dans l’esprit, si nous ne meditons auec vous ; Mais nous auons à vous répondre, que nous auons leu plus de sept fois vos meditations auec vn attention d’esprit presque semblable à celle des Anges, et que neantmoins nous ne sommes pas encore persuadez. Nous ne pouuons pas toutesfois nous persuader que vous veuilliez dire, que tous tant que nous sommes, nous auons l’esprit stupide et grossier comme des bestes, et du tout inhabile pour les choses metaphysiques, Camusat – Le Petit, p. 355
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ausquelles il y a trente ans que nous nous exerçons, plutost que de confesser que les raisons que vous auez tirées des jdées de Dieu, et de l’esprit, ne sont pas d’vn si grand poids, et d’vne telle autorité, que les hommes sçauans, qui tâchent autant qu’ils peuuent d’éleuer leur esprit au dessus de la matiere, s’y puissent, et s’y doiuent entierement soumettre.

Au contraire nous estimons que vous confesserez le mesme auec nous, si vous voulez vous donner la peine de relire vos meditations AT IX-1, 225 auec le mesme esprit, et les passer par le mesme examen que vous feriez si elles vous auoyent esté proposées par vne personne ennemie. En fin puis que nous ne connoissons point iusqu’ou se peut étendre la vertu des corps, et de leurs mouuemens, veu que vous confessez vous mesme qu’il n’y a personne qui puisse sçauoir tout ce que Dieu a mis, ou peut mettre dans vn sujet, sans vne reuelation particuliere de sa part, d’où pouuez vous auoir apris que Dieu n’ait point mis cette vertu, et proprieté dans quelques corps, que de penser, de douter, etc.

Ce sont là, Monsieur, nos argumens, ou si vous aymés mieux nos préiugez, ausquels si vous aportez le remede necessaire, nous ne sçaurions vous exprimer de combien de graces nous vous serons redeuables, ny quelle sera l’obligation que nous vous aurons, d’auoir tellement défriché nostre esprit, que de l’auoir rendu capable de receuoir auec Camusat – Le Petit, p. 356
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fruict la semence de vostre doctrine. Dieu veüille que vous en puissiez venir heureusement à bout ; et nous le prions qu’il luy plaise donner cette recompense à vostre pieté, qui ne vous permet pas de rien entreprendre que vous ne sacrifyiez entierement à sa gloire.

Camusat – Le Petit, p. 357
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RÉPONSES DE L’AVTEVR
Aux sixiémes Objections faites par diuers Theologiens, Philosophes, et Geometres.

1. C’est vne chose tres-assurée que personne ne peut estre certain s’il pense, et s’il existe, si premierement il ne connoist la nature de la pensée, et de l’existence, non que pour cela il soit besoin d’vne science reflechie, ou acquise par vne démonstration, et beaucoup moins de la science de cette science, par laquelle il connoisse qu’il sçait, et derechef qu’il sçait qu’il sçait, et ainsi iusqu’à l’infini, estant impossible qu’on en puisse iamais auoir vne telle d’aucune chose que ce soit ; mais il suffit qu’il sçache cela par cette sorte de connoissance interieure, qui precede tousiours l’acquise, et qui est si naturelle à tous les hommes, en ce qui regarde la pensée, et l’existence, que bien que peut-estre estant aueuglez par Camusat – Le Petit, p. 358
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quelques prejugez, et plus attentifs au son des paroles, qu’à leur veritable signification, nous puissions feindre que nous ne l’auons point, il est neantmoins impossible qu’en effect nous ne l’ayons. Ainsi donc, lors que quelqu’vn aperçoit qu’il AT IX-1, 226 pense, et que de là il suit tres-euidemment qu’il existe, encore qu’il ne se soit peut-estre iamais auparauant mis en peine de sçauoir ce que c’est que la pensée, et que l’existence, il ne se peut faire neantmoins qu’il ne les connoisse assez l’vne et l’autre, et pour estre en cela pleinement satisfait.

2. Il est aussi du tout impossible que celuy qui d’vn costé sçait qu’il pense, et qui d’ailleurs connoist ce que c’est que d’estre agité par des mouuemens, puisse iamais croire qu’il se trompe, et qu’en effet il ne pense point, mais qu’il est seulement remué : Car ayant vne idée, ou notion, toute autre de la pensée que du mouuement corporel, il faut de necessité qu’il conçoiue l’vn comme different de l’autre ; quoy que pour s’estre trop accoustumé à attribuer à vn mesme sujet plusieurs proprietez diferentes, et qui n’ont entr’elles aucune affinité, il se puisse faire qu’il reuoque en doute, ou mesme qu’il assure, que c’est en luy la mesme chose de penser, et d’estre meu. Or il faut remarquer que les choses dont nous auons differentes idées, peuuent estre prises en deux façons pour vne seule et mesme chose ; c’est à sçauoir, ou en vnité et identité de nature, ou seulement en vnité de composition. Ainsi, par exemple, il est bien vray Camusat – Le Petit, p. 359
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que l’idée de la figure n’est pas la mesme que celle dû mouuement ; que l’action par laquelle i’entens est conceuë sous vne autre idée que celle par laquelle ie veux ; que la chair et les os ont des idées differentes ; et que l’idée de la pensée est toute autre que celle de l’extension : Et neantmoins nous conceuons fort bien que la mesme substance à qui la figure conuient, est aussi capable de mouuement, de sorte qu’estre figuré, et estre mobile, n’est qu’vne mesme chose en vnité de nature ; comme aussi n’est-ce qu’vne mesme chose en vnité de nature qui veut, et qui entend, mais il n’en est pas ainsi de la substance que nous considerons sous la forme d’vn os, et de celle que nous considerons sous la forme de chair, ce qui fait que nous ne pouuons pas les prendre pour vne mesme chose en vnité de nature, mais seulement en vnité de composition, entant que c’est vn mesme animal qui a de la chair, et des os. Maintenant la question est de sçauoir si nous conceuons que la chose qui pense, et celle qui est étenduë, soient vne mesme chose en vnité de nature, en sorte que nous trouuions qu’entre la pensée et l’extension, il y ait vne pareille connexion et affinité que nous remarquons entre le mouuement et la figure, l’action de l’entendement et celle de la volonté ; ou plutost si elles ne sont pas apelées vne en vnité de composisitioncomposition, entant qu’elles se rencontrent toutes deux en vn mesme homme, comme des os et de la chair en vn mesme animal : et pour moy c’est-là mon Camusat – Le Petit, p. 360
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sentiment ; car la distinction AT IX-1, 227 ou diuersité que ie remarque entre la nature d’vne chose étenduë, et celle d’vne chose qui pense, ne me paroist pas moindre que celle qui est entre des os, et de la chair.

Mais pource qu’en cét endroit on se sert d’autoritez pour me combattre, ie me trouue obligé pour empécher qu’elles ne portent aucun prejudice à la verité, de répondre à ce qu’on m’objecte (que personne n’a encore pû comprendre ma démonstration) qu’encore bien qu’il y en ait fort peu qui l’ayent soigneusement examinée, il s’en trouue neantmoins quelques-vns qui se persuadent de l’entendre, et qui s’en tiennent entierement conuaincus ; Et comme on doit adjouter plus de foy à vn seul témoin, qui aprés auoir voyagé en Amerique, nous dit qu’il a veu des Antipodes, qu’à mille autres qui ont nié cy-deuant qu’il y en eust, sans en auoir aucune raison, sinon qu’ils ne le sçauoient pas. De mesme ceux qui pezent comme il faut la valeur des raisons, doiuent faire plus d’estat de l’autorité d’vn seul homme, qui dit entendre fort bien vne démonstration, que de celle de mille autres, qui disent sans raison qu’elle n’a pû encore estre comprise de personne : Car bien qu’ils ne l’entendent point, cela ne fait pas que d’autres ne la puissent entendre ; et pource qu’en inferant l’vn de l’autre ils font voir qu’ils ne sont pas assez exacts dans leurs raisonnemens, il semble que leur autorité ne doiue pas estré beaucoup considerée.

Camusat – Le Petit, p. 361
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Enfin à la question qu’on me propose en cet endroit, sçauoir si i’ay tellement coupé et diuisé par le moyen de mon analyse tous les mouuemens de ma matiere subtile ; que non seulement ie sois asseuré, mais mesme que ie puisse faire connoistre à des personnes tres-attentiues, et qui pensent estre assez clairuoyantes, qu’il y a de la repugnance que nos pensées soyent repanduës dans des mouuemens corporels, c’est à dire, comme ie l’estime, que nos pensées soyent vne mesme chose auec des mouuemens corporels ; ie répons que pour mon particulier i’en suis tres-certain, mais que ie ne me promets par pour cela de le pouuoir persuader aux autres, quelque attention qu’ils y aportent, et quelque capacité qu’ils pensent auoir, au moins tandis qu’ils n’apliqueront leur esprit qu’aux choses qui sont seulement imaginables, et non point à celles qui sont purement intelligibles, comme il est aisé de voir que ceux-là font, qui s’imaginent que toute la distinction et difference qui est entre la pensée, et le mouuement, se doit entendre par la dissection de quelque matiere subtile : Car cela ne se peut entendre sinon lors qu’on considere que les jdées d’vne chose qui pense, et d’vne chose étenduë ou mobile, sont entierement diuerses et indépendantes l’vne de l’autre : et qu’il répugne AT IX-1, 228 que des choses que nous conceuons clairement et distinctement estre diuerses, et indépendantes, ne puissent pas estre separées au moins par la toute puissance de Dieu : de sorte que tout autant de fois que nous les Camusat – Le Petit, p. 362
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rencontrons ensemble dans vn mesme suiet, comme la pensée et le mouuement corporel dans vn mesme homme, nous ne deuons pas pour cela estimer qu’elles soyent vne mesme chose en vnité de nature, mais seulement en vnité de composition.

3. Ce qui est icy raporté des Platoniciens, et de leurs sectateurs, est auiourdhuy tellement decrié par toute l’Eglise Catholique, et communement par tous les philosophes, qu’on ne doit plus s’y arester. D’ailleurs il est bien vray que le Concile de Latran a conclu qu’on pouuoit peindre les Anges, mais il n’a pas conclu pour cela qu’ils fussent corporels. Et quand en effect on les croiroit estre tels, on n’auroit pas raison pour cela de penser que leurs espris fussent plus inseparables de leurs corps, que ceux des hommes : Et quand on voudroit aussi feindre que l’ame humaine viendroit de pere à fils, on ne pouroit pas pour cela conclure qu’elle fust corporelle, mais seulement que comme nos corps prennent leur naissance de ceux de nos parens, de mesme nos ames procederoient des leurs. Pour ce qui est des chiens, et des singes, quand ie leur attribuerois la pensée, il ne s’ensuiuroit pas de là que l’ame humaine n’est point distincte du corps, mais plutost que dans les autres animaux les espris et les corps sont aussi distinguez ; ce que les mesmes Platoniciens, dont on nous vantoit tout maintenant l’autorité, ont estimé auec Pythagore Pythagore, comme leur Metempsycose fait assez connoistre. Mais pour Camusat – Le Petit, p. 363
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moy ie n’ay pas seulement dit que dans les bestes il n’y auoit point de pensée, ainsi qu’on me veut faire acroire, mais outre cela ie l’ay prouué par des raisons qui sont si fortes, que iusques à present ie n’ay veu personne qui ait rien opposé de considerable à l’encontre : et ce sont plutost ceux qui assurent que les chiens sçauent en veillant qu’ils courent, et mesme en dormant qu’ils aboyent, et qui en parlent comme s’ils estoyent d’intelligence auec eux, et qu’ils vissent tout ce qui se passe dans leurs cœurs, lesquels ne prouuent rien de ce qu’ils disent. Car bien qu’ils adioutent qu’ils ne peuuent pas se persuader que les operations des bestes puissent estre sufisamment expliquées par le moyen de la mechanique, sans leur atribuer ny sens, ny ame, ny vie ; (c’est à dire selon que ie l’explique sans la pensée ; car ie ne leur ay iamais denié ce que vulgairement on apelle vie, ame corporelle, et sens organique) qu’au contraire ils veulent soutenir au dedit de ce que l’on voudra, que c’est vne chose tout affait impossible, et mesme ridicule, cela neantmoins ne doit pas estre pris pour vne preuue : car il AT IX-1, 229 n’y a point de proposition si veritable dont on ne puisse dire en mesme façon qu’on ne se la sçauroit persuader, et mesme ce n’est point la coutume d’en venir aux gajeures, que lors que les preuues nous manquent ; et puis qu’on a veu autres-fois de grans hommes qui se sont moquez d’vne façon presque pareille, de ceux qui soutenoyent qu’il y auoit des antipodes, i’estime qu’il ne faut pas legerement tenir pour faux, Camusat – Le Petit, p. 364
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tout ce qui semble ridicule à quelques autres.

Enfin ce qu’on adioute en suite qu’il s’en trouuera plusieurs qui diront que toutes les actions de l’homme sont semblables à celles des machines, et qui ne voudront plus admettre en luy de sens, ny d’entendement, s’il est vray que les singes, les chiens, et les Elephans agissent aussi comme des machines en toutes leurs operations, n’est pas aussi vne raison qui prouue rien, si ce n’est peut-estre qu’il y a des hommes qui conçoiuent les choses si confusément, et qui s’atachent auec tant d’opiniâtreté aux premieres opinions qu’ils ont vne fois conceuës, sans les auoir iamais bien examinées, que plutost que de s’en départir, ils nieront qu’ils ayent en eux mesmes les choses qu’ils experimentent y estre. Car de vray il ne se peut pas faire que nous n’experimentions tous les iours en nous mesmes que nous pensons, et partant, quoy qu’on nous fasse voir qu’il n’y a point d’operations dans les bestes qui ne se puissent faire sans la pensée, personne ne poura de là raisonnablement inferer qu’il ne pense donc point, si ce n’est celuy qui ayant tousiours suposé que les bestes pensent comme nous, et pour ce suiet s’estant persuadé qu’il n’agit point autrement qu’elles, se voudra tellement opiniastrer à maintenir cette proposition, l’homme et la beste operent d’vne mesme façon, que lors qu’on viendra à luy montrer que les bestes ne pensent point, il aimera mieux se dépouiller de sa propre pensée (laquelle il ne peut toutesfois ne pas connoistre en soy-mesme Camusat – Le Petit, p. 365
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par vne experience continuelle, et infaillible) que de changer cette opinion, qu’il agit de mesme façon que les bestes. Ie ne puis pas neantmoins me persuader qu’il y ait beaucoup de ces espris ; mais ie m’asseure qu’il sen trouuera bien d’auantage, qui, si on leur accorde que la pensée n’est point distinguée du mouuement corporel, soutiendront (et certes auec plus de raison) qu’elle se rencontre dans les bestes aussi bien que dans les hommes, puis qu’ils verront en elles les mesmes mouuemens corporels que dans nous ; et adioutant à cela que la difference qui n’est que selon le plus ou le moins, ne change point la nature des choses, bien que peut-estre ils ne fassent pas les bestes si raisonnables que les hommes, ils auront neantmoins occasion de croire qu’il y a en elles des espris de semblable espece que les nostres.

AT IX-1, 230

4. Pour ce qui regarde la science d’vn athée, il est aisé de montrer qu’il ne peut rien sçauoir auec certitude, et assurance ; car comme i’ay desia dit cy-deuant, d’autant moins puissant sera celuy qu’il reconnoistra pour l’auteur de son estre, d’autant plus aura t-il occasion de douter, si sa nature n’est point tellement imparfaite qu’il se trompe, mesme dans les choses qui luy semblent tres-euidentes : et iamais il ne poura estre deliuré de ce doute, si premierement il ne reconnoist qu’il a esté creé par vn vray Dieu, principe de toute verité, et qui ne peut estre trompeur.

Camusat – Le Petit, p. 366
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5. Et on peut voir clairement qu’il est impossible que Dieu soit trompeur, pourueu qu’on veuille considerer que la forme, ou l’essence de la tromperie est vn non estre, vers lequel iamais le souuerain estre ne se peut porter. Aussi tous les Theologiens sont ils d’accord de cette verité, qu’on peut dire estre la baze, et le fondement de la religion Chrestienne, puis que toute la certitude de sa foy en depend. Car comment pourions nous adiouter foy aux choses que Dieu nous a reuelées, si nous pensions qu’il nous trompe quelquefois ? Et bien que la commune opinion des Theologiens soit que les damnez sont tourmentez par le feu des enfers, neantmoins leur sentiment n’est pas pour cela, qu’ils sont deceus par vne fausse jdée que Dieu leur a Imprimée d’vn feu qui les consomme, mais plutost qu’ils sont veritablement tourmentez par le feu ; parce que comme l’esprit d’vn homme viuant, bien qu’il ne soit pas corporel, est neantmoins detenu dans le corps ; ainsi Dieu par sa toute puissance peut aisement faire qu’il soufre les attaintes du feu corporel aprés sa mort etc. Voyez le maistre des sentencesLombard, Pierrelib. 4. Dist. 44. Pour ce qui est des lieux de l’escriture, ie ne iuge pas que ie sois obligé d’y répondre, si ce n’est qu’ils semblent contraires à quelque opinion qui me soit particuliere ; car lors qu’ils ne s’ataquent pas à moy seul, mais qu’on les propose contre les opinions qui sont communement receuës de tous les Chrestiens, comme sont celles que l’on impugne en ce lieu-cy ; par Camusat – Le Petit, p. 367
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exemple, que nous pouuons sçauoir quelque chose, et que l’ame de l’homme n’est pas semblable à celle des animaux, ie craindrois de passer pour presomptueux, si ie n’aimois pas mieux me contenter des réponses qui ont desia esté faites par d’autres, que d’en rechercher de nouuelles ; veu que ie n’ay iamais fait profession de l’étude de la Theologie, et que ie ne m’y suis apliqué qu’autant que i’ay creu qu’elle estoit necessaire pour ma propre instruction, et en fin que ie ne sens point en moy d’inspiration diuine, qui me fasse iuger capable de l’enseigner. C’est pourquoy ie fais icy ma declaration, que desormais ie ne répondray plus à de pareilles obiections.

AT IX-1, 231 Mais ie ne lairray pas d’y répondre encore pour cette fois, de peur que mon silence ne donnast occasion à quelques vns de croire que ie m’en abstiens faute de pouuoir donner des explications assez commodes aux lieux de l’escriture que vous proposez. Ie dis donc premierement que le passage de Saint PaulPaul (saint) de la premiere aux Corinth. Chap. 8. ver. 2. se doit seulement entendre de la sçience qui n’est pas iointe auec la charité, c’est à dire de la sçience des Athées : parce que quiconque connoist Dieu comme il faut, ne peut pas estre sans amour pour luy, et n’auoir point de charité. Ce qui se prouue tant par ces paroles qui precedent immediatement, la science enfle, mais la charité edifie, que par celles qui suiuent vn peu aprés, que si quelqu’vn aime Dieu, iceluyCamusat – Le Petit, p. 368
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sçauoir Dieu) est connu de luy
. Car ainsi l’ApostrePaul (saint) ne dit pas qu’on ne puisse auoir aucune science, puis qu’il confesse que ceux qui aiment Dieu, le connoissent, c’est à dire, qu’ils ont de luy quelque science ; mais il dit seulement que ceux qui n’ont point de charité, et qui par consequent n’ont pas vne connoissance de Dieu suffisante, encore que peut-estre ils s’estiment sçauants en d’autres choses, ils ne connoissent pas neantmoins encore ce qu’ils doiuent sçauoir, ny comment ils le doiuent sçauoir, d’autant qu’il faut commencer par la connoissance de Dieu, et aprés faire dépendre d’elle toute la connoissance que nous pouuons auoir des autres choses, ce que i’ay aussi expliqué dans mes meditations. Et partant ce mesme texte, qui estoit allegué contre moy, confirme si ouuertement mon opinion touchant cela, que ie ne pense pas qu’il puisse estre bien expliqué par ceux qui sont d’vn contraire aduis. Car si on vouloit pretendre que le sens que i’ay donné à ces paroles (que si quelqu’vn aime Dieu iceluy) à sçauoir Dieu, est connu de luy, n’est pas celuy de l’ecriture ; et que ce pronom, iceluy, ne se refere pas à Dieu, mais à l’homme qui est connu et aprouué par luy, l’Apostre Saint IeanJean (saint) en sa premiere Epistre Chapitre 2. vers. 2. fauorise entierement mon expliquation, par ces paroles, en cela nous sçauons que nous l’auons connu si nous obseruons ses commandemens, et au Chap. 4. vers. 7.Celuy qui aime est enfant de Dieu, et le connoist.

Les lieux que vous alleguez de l’Ecclesiaste ne Camusat – Le Petit, p. 369
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sont point aussi contre moy : car il faut remarquer que Salomon dans ce liure ne parle pas en la personne des impies, mais en la sienne propre, en ce qu’ayant esté auparauant pecheur et ennemy de Dieu, il se repent pour lors de ses fautes, et confesse que tant qu’il s’estoit seulement voulu seruir pour la conduite de ses actions des lumieres de la sagesse humaine, sans la referer à Dieu, ny la regarder comme vn bienfait de sa main, iamais il n’auoit rien peu trouuer qui le satisfist AT IX-1, 232 entierement, ou qu’il ne vist remply de vanité. C’est pourquoy en diuers lieux il exhorte et sollicite les hommes de se conuertir à Dieu, et de faire penitence. Et notamment au Chap. 11. vers. 9. par ces paroles, Et scache, dit-il, que Dieu te fera rendre compte de toutes tes actions, ce qu’il continuë dans les autres suiuans iusqu’à la fin du liure. Et ces paroles du Chapitre 8. vers. 17.Et i’ay reconnu que de tous les ouurages de Dieu qui se font sous le Soleil, l’homme n’en peut rendre aucune raison, etc. ne doiuent pas estre entenduës de toutes sortes de personnes, mais seulement de celuy qu’il a décrit au verset precedent, Il y a tel homme qui passe les iours et les nuits sans dormir : comme si le prophete vouloit en ce lieu-là nous auertir, que le trop grand trauail, et la trop grande assiduité à l’estude des lettres, empesche qu’on ne paruienne à la connoissance de la verité, ce que ie ne croy pas que ceux qui me connoissent particulierement, iugent pouuoir estre appliqué à moy. Mais sur tout il faut prendre Camusat – Le Petit, p. 370
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garde à ces paroles, qui se font souz le Soleil, car elles sont souuent repetées dans tout ce liure, et dénotent tousiours les choses naturelles, à l’exclusion de la subordination et dépendance qu’elles ont à Dieu ; parce que Dieu estant éleué au dessus de toutes choses, on ne peut pas dire qu’il soit contenu entre celles qui ne sont que souz le Soleil : De sorte que le vray sens de ce passage est que l’homme ne sçauroit auoir vne connoissance parfaite des choses naturelles, tandis qu’il ne connoistra point Dieu, en quoy ie conuiens aussi auec le prophete. Enfin au Chap. 3. vers. 19. où il est dit que l’homme et la jument passent de mesme façon, et aussi que l’homme n’a rien de plus que la jument, il est manifeste que cela ne se dit qu’à raison du corps ; car en cet endroit il n’est fait mention que des choses qui apartiennent au corps ; et incontinent aprés il adioute en parlant séparement de l’ame, qui sçait si l’esprit des enfans d’Adam monte en haut, et si l’esprit des animaux descend en bas ? C’est à dire, qui peut connoistre par la force de la raison humaine, et à moins que de se tenir à ce que Dieu nous en a reuelé, si les ames des hommes ioüiront de la beatitude eternelle ? certes i’ay bien taché de prouuer par raison naturelle que l’ame de l’homme n’est point corporelle ; mais de sçauoir si elle montera en haut, c’est à dire si elle ioüira de la gloire de Dieu, i’auoüe qu’il n’y a que la seule foy qui nous le puisse aprendre.

Camusat – Le Petit, p. 371
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6. Quant à la liberté du franc-arbitre, il est certain que celle qui se retrouue en Dieu est bien differente de celle qui est en nous ; d’autant qu’il repugne que la volonté de Dieu n’ait pas esté de toute eternité indifferente à toutes les choses qui ont esté faites, ou qui se feront AT IX-1, 233 iamais ; n’y ayant aucune idée qui represente le bien ou le vray, ce qu’il faut croire, ce qu’il faut faire, ou ce qu’il faut obmettre, qu’on puisse feindre auoir esté l’objet de l’entendement diuin, auant que sa nature ait esté constituée telle par la determination de sa volonté : Et ie ne parle pas icy d’vne simple priorité de temps, mais bien dauantage ie dis qu’il a esté impossible qu’vne telle idée ait precedé la determination de la volonté de Dieu par vne priorité d’ordre, ou de nature, ou de raison raisonnée, ainsi qu’on la nomme dans l’escole ; en sorte que cette idée du bien ait porté Dieu à élire l’vn, plutost que l’autre. Par exemple, ce n’est pas pour auoir veu qu’il estoit meilleur que le monde fust creé dans le temps, que dés l’eternité, qu’il a voulu le créer dans le temps ; et il n’a pas voulu que les trois angles d’vn triangle fussent égaux à deux droits, parce qu’il a connu que cela ne se pouuoit faire autrement etc. Mais au contraire parce qu’il a voulu créer le monde dans le temps, pour cela il est ainsi meilleur, que s’il eust esté creé dés l’eternité : et d’autant qu’il a voulu que les trois angles d’vn triangle fussent necessairement égaux à deux droits, il est maintenant vray que cela Camusat – Le Petit, p. 372
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est ainsi, et il ne peut pas estre autrement, et ainsi de toutes les autres choses : Et cela n’empesche pas qu’on ne puisse dire que les merites des Saints sont la cause de leur beatitude eternelle : Car ils n’en sont pas tellement la cause qu’ils determinent Dieu à ne rien vouloir, mais ils sont seulement la cause d’vn effet, dont Dieu à voulu de toute eternité qu’ils fussent la cause. Et ainsi vne entiere indifference en Dieu, est vne preuue tres-grande de sa toute-puissance. Mais il n’en est pas ainsi de l’homme, lequel trouuant des-ja la nature de la bonté, et de la verité establie et determinée de Dieu, et sa volonté estant telle, qu’elle ne se peut naturellement porter que vers ce qui est bon, il est manifeste qu’il embrasse d’autant plus volontiers, et par consequent d’autant plus librement, le bon, et le vray, qu’il les connoist plus euidemment ; et que iamais il n’est indifferent, que lors qu’il ignore ce qui est de mieux, ou de plus veritable, ou du moins lors que cela ne luy paroist pas si clairement qu’il n’en puisse aucunement douter : Et ainsi l’indifference qui conuient à la liberté de l’homme est fort differente de celle qui conuient à la liberté de Dieu. Et il ne sert icy de rien d’alleguer que les essences des choses sont indiuisibles ; car premierement il n’y en a point qui puisse conuenir d’vne mesme façon à Dieu, et à la creature ; Et enfin l’indifference n’est point de l’essence de la liberté humaine, veu que nous ne sommes pas seulement libres quand l’ignorance du bien, et du vray, Camusat – Le Petit, p. 373
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nous rend indifferens, mais principalement aussi lors que AT IX-1, 234 la claire et distincte connoissance d’vne chose nous pousse, et nous engage à sa recherche.

7. Ie ne conçoy point la superficie, par laquelle i’estime que nos sens sont touchez, autrement que les Mathematiciens, ou Philosophes conçoiuent ordinairement, ou du moins doiuent conceuoir, celle qu’ils distinguent du corps, et qu’ils supposent n’auoir point de profondeur. Mais le nom de superficie se prend en deux façons par les Mathematiciens, à sçauoir, ou pour le corps dont on ne considere que la seule longueur, et largeur, sans s’arrester du tout à la profondeur, quoy qu’on ne nie pas qu’il en ait quelqu’vne : ou il est pris seulement pour vn mode du corps, et pour lors toute profondeur luy est deniée. C’est pourquoy pour euiter toute sorte d’ambiguité, i’ay dit que ie parlois de cette superficie, laquelle estant seulement vn mode, ne peut pas estre partie du corps : Car le corps est vne substance, dont le mode ne peut estre partie. Mais ie n’ay iamais nié qu’elle fust le terme du corps, au contraire, ie croy qu’elle peut fort proprement estre apelée l’extremité tant du corps contenu, que de celuy qui contient, au sens que l’on dit que les corps contigus sont ceux dont les extremitez sont ensemble. Car de vray quand deux corps se touchent mutuellement, ils n’ont ensemble qu’vne mesme extremité, qui n’est point partie de l’vn ny de l’autre, mais qui est le mesme mode de tous les deux, Camusat – Le Petit, p. 374
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et qui demeurera tousiours le mesme, quoy que ces deux corps soient ostez, pourueu seulement qu’on en substituë d’autres en leur place qui soient precisement de la mesme grandeur, et figure. Et mesme ce lieu, qui est apellé par les Peripateticiens la superficie du corps qui enuironne, ne peut estre conceu estre vne autre superficie, que celle qui n’est point vne substance, mais vn mode. Car on ne dit point que le lieu d’vne tour soit changé, quoy que l’air qui l’enuironne le soit, ou qu’on substituë vn autre corps en la place de la tour ; Et partant la superficie, qui est icy prise pour le lieu, n’est point partie de la tour, ny de l’air qui l’enuironne. Mais pour refuter entierement l’opinion de ceux qui admettent des accidens réels, il me semble qu’il n’est pas besoin que ie produise d’autres raisons que celles que i’ay des-ja auancées. Car, premierement, puis que nul sentiment ne se fait sans contact, rien ne peut estre senty que la superficie des corps. Or s’il y a des accidens réels, ils doiuent estre quelque chose de different de cette superficie, qui n’est autre chose qu’vn mode ; Doncques s’il y en a, ils ne peuuent estre sentis. Mais qui a iamais pensé qu’il y en eust, que parce qu’il a crû qu’ils estoient sentis ? De plus c’est vne chose entierement impossible, et qui AT IX-1, 235 ne se peut conceuoir sans repugnance, et contradiction, qu’il y ait des accidens réels ; pource que tout ce qui est réel peut exister separement de tout autre sujet : Or ce qui peut ainsi exister separement est vne substance, Camusat – Le Petit, p. 375
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et non point vn accident. Et il ne sert de rien de dire que les accidens réels ne peuuent pas naturellement estre separez de leurs sujets, mais seulement par la toute-puissance de Dieu : Car estre fait naturellement n’est rien autre chose, qu’estre fait par la puissance ordinaire de Dieu, laquelle ne differe en rien de sa puissance extraordinaire : et laquelle ne mettant rien de nouueau dans les choses, n’en change point aussi la nature : de sorte que si tout ce qui peut estre naturellement sans sujet est vne substance, tout ce qui peut aussi estre sans sujet par la puissance de Dieu, tant extraordinaire qu’elle puisse estre, doit aussi estre apelé du nom de substance. I’auouë bien à la verité qu’vne substance peut estre apliquée à vne autre substance, mais quand cela arriue, ce n’est pas la substance qui prend la forme d’vn accident, c’est le seul mode, ou la façon dont cela arriue ; par exemple, quand vn habit est apliqué sur vn homme, ce n’est pas l’habit, mais estre habillé qui est vn accident. Et pource que la principale raison qui a meu les Philosophes à établir des accidens réels, a esté qu’ils ont crû que sans eux on ne pouuoit pas expliquer comment se font les perceptions de nos sens, i’ay promis d’expliquer par le menu en écriuant de la Physique, la façon dont chacun de nos sens est touché par ses objets ; non que ie veüille qu’en cela, ny en aucune autre chose on s’en raporte à mes paroles, mais parce que i’ay crû que ce que i’auois expliqué de la veuë dans ma dioptrique, pouuoit Camusat – Le Petit, p. 376
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seruir de preuue suffisante de ce que ie puis dans le reste.

8. Quand on considere attentiuement l’immensité de Dieu, on void manifestement qu’il est impossible qu’il y ait rien qui ne dépende de luy, non seulement de tout ce qui subsiste, mais encore qu’il n’y a ordre, ny loy, ny raison de bonté et de verité qui n’en depende ; autrement (comme ie disois vn peu auparauant) il n’auroit pas esté tout affait indifferent à créer les choses qu’il a creées. Car si quelque raison, ou aparence de bonté eust precedé sa preordination, elle l’eust sans doute déterminé à faire ce qui auroit esté de meilleur : Mais tout au contraire parce qu’il s’est déterminé à faire les choses qui sont au monde, pour cette raison, comme il est dit en la Genese, elles sont tres-bonnes, c’est à dire que la raison de leur bonté depend de ce qu’il les a ainsi voulu faire. Et il n’est pas besoin de demander en quel genre de cause cette bonté, ny toutes les autres veritez tant Mathematiques, que Metaphysiques AT IX-1, 236 dependent de Dieu : Car les genres des causes ayant esté establis par ceux qui peut-estre ne pensoient point à cette raison de causalité, il n’y auroit pas lieu de s’etonner quand ils ne luy auroient point donné de nom, mais neantmoins ils luy en ont donné vn, car elle peut estre apelée efficiente : de la mesme façon que la volonté du Roy peut estre dite la cause efficiente de la loy, bien que la loy mesme ne soit pas vn estre naturel, mais Camusat – Le Petit, p. 377
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seulement (comme ils disent en l’escole) vn estre moral. Il est aussi inutile de demander comment Dieu eust peu faire de toute eternité que deux fois 4. n’eussent pas esté 8. etc, car i’auouë bien que nous ne pouuons pas comprendre cela : mais puis que d’vn autre costé ie comprens fort bien que rien ne peut exister, en quelque genre d’estre que ce soit, qui ne depende de Dieu, et qu’il luy a esté tres-facile d’ordonner tellement certaines choses, que les hommes ne peussent pas comprendre qu’elles eussent peu estre autrement qu’elles sont, ce seroit vne chose tout à fait contraire à la raison, de douter des choses que nous comprenons fort bien, à cause de quelques autres que nous ne comprenons pas, et que nous ne voyons point que nous deuions comprendre. Ainsi donc il ne faut pas penser que les veritez eternelles dépendent de l’entendement humain, ou de l’existence des choses, mais seulement de la volonté de Dieu, qui comme vn souuerain legislateur les a ordonnées, et establies de toute eternité.

9. Pour bien comprendre quelle est la certitude du sens, il faut distinguer en luy trois sortes de degrez. Dans le premier, on ne doit considerer autre chose, que ce que les obiets exterieurs causent immediatement dans l’organe corporel ; ce qui ne peut estre autre chose que le mouuement des particules de cet organe, et le changement de figure, et de situation qui prouient de ce mouuement. Le second Camusat – Le Petit, p. 378
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contient tout ce qui resulte immediatement en l’esprit, de ce qu’il est vny à l’organe corporel ainsi meu, et disposé par ses obiets ; et tels sont les sentimens de la douleur, du chatouillement, de la faim, de la soif, des couleurs, des sons, des saueurs, des odeurs, du chaud, du froid, et autres semblables, que nous auons dit dans la sixiéme Meditation, prouenir de l’vnion, et pour ainsi dire, du mélange de l’esprit auec le corps. Et enfin, le troisiéme comprend tous les iugemens que nous auons coutume de faire depuis nostre ieunesse, touchant les choses qui sont autour de nous, à l’occasion des impressions, ou mouuemens, qui se font dans les organes de nos sens. Par exemple, lors que ie voy vn bâton, il ne faut pas s’imaginer qu’il sorte de luy de petites images voltigeantes par l’air, apelées vulgairement des especes intentionelles, qui passent AT IX-1, 237 iusques à mon œil, mais seulement que les rayons de la lumiere reflechis de ce baston excitent quelques mouuemens dans le nerf optique, et par son moyen dans le cerueau mesme, ainsi que i’ay amplement expliqué dans la dioptrique. Et c’est en ce mouuement du cerueau, qui nous est commun auec les bestes, que consiste le premier degré du sentiment. De ce premier suit le second, qui s’étend seulement à la perception de la couleur, et de la lumiere qui est reflechie de ce bâton, et qui prouient de ce que l’esprit est si étroittement, et si intimement conioint auec le cerueau, qu’il se ressent Camusat – Le Petit, p. 379
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mesme, et est comme touché par les mouuemens qui se font en luy : et c’est tout ce qu’il faudroit raporter au sens, si nous voulions le distinguer exactement de l’entendement. Car que de ce sentiment de la couleur, dont ie sens l’impression, ie vienne à iuger que ce bâton qui est hors de moy est coloré, et que de l’étenduë de cette couleur, de sa terminaison, et de la relation de sa situation auec les parties de mon cerueau, ie détermine quelque chose touchant la grandeur, la figure, et la distance de ce mesme bâton ; quoy qu’on ait accoutumé de l’atribuer au sens, et que pour ce suiet ie l’aye raporté à vn troisiéme degré de sentiment, c’est neantmoins vne chose manifeste que cela ne dépend que de l’entendement seul ; et mesme i’ay fait voir dans la dioptrique que la grandeur, la distance, et la figure, ne s’aperçoiuent que par le raisonnement, en les déduisant les vnes des autres. Mais il y a seulement en cela de la difference, que nous atribuons à l’entendement les iugemens nouueaux, et non accoutumez que nous faisons touchant toutes les choses qui se presentent, et que nous attribuons aux sens ceux que nous auons esté accoustumez de faire dés nostre enfance touchant les choses sensibles, à l’occasion des impressions qu’elles font dans les organes de nos sens ; Dont la raison est que la coustume nous fait raisonner, et iuger si promptement de ces choses-là (ou plutost nous fait ressouuenir des iugemens que nous en auons faits autresfois) que Camusat – Le Petit, p. 380
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nous ne distinguons point cette façon de iuger d’auec la simple apprehension, ou perception de nos sens. D’où il est manifeste, que lors que nous disons que la certitude de l’entendement est plus grande que celle des sens, nos paroles ne signifient autre chose, sinon que les iugemens que nous faisons dans vn âge plus auancé, à cause de quelques nouuelles obseruations, sont plus certains que ceux que nous auons formez dés nostre enfance, sans y auoir fait de reflexion ; ce qui ne peut receuoir aucun doute. Car il est constant qu’il ne s’agit point icy du premier, ny du second degré du sentiment, d’autant qu’il ne peut y auoir en eux aucune fausseté. Quand AT IX-1, 238 donc on dit qu’vn bâton paroist rompu dans l’eau, à cause de la refraction, c’est de mesme que si l’on disoit, qu’il nous paroist d’vne telle façon, qu’vn enfant iugeroit de là qu’il est rompu, et qui fait aussi que selon les preiugez ausquels nous sommes accoustumez dés nostre enfance nous iugeons la mesme chose. Mais ie ne puis demeurer d’accord de ce que l’on adjouste en suite, à sçauoir, que cét erreur n’est point corrigé par l’entendement, mais par le sens de l’attouchement : Car bien que ce sens nous fasse iuger qu’vn bâton est droit, et cela, par cette façon de iuger à laquelle nous sommes accoutumez dés nostre enfance : Et qui par consequent peut estre apelée sentiment : neantmoins cela ne suffit pas pour corriger l’erreur de la veuë ; mais outre cela il est besoin que nous ayons quelque raison, qui nous enseigne que Camusat – Le Petit, p. 381
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nous deuons en ce rencontre nous fier plutost au iugement que nous faisons en suite de l’attouchement, qu’à celuy où semble nous porter le sens de la veuë : laquelle raison n’ayant point esté en nous dés nostre enfance, ne peut estre attribuée au sens, mais au seul entendement ; Et partant dans cét exemple mesme, c’est l’entendement seul qui corrige l’erreur du sens, et il est impossible d’en aporter iamais aucun, dans lequel l’erreur vienne pour s’estre plus fié à l’operation de l’esprit, qu’à la perception des sens.

10. Dautant que les Difficultez qui restent à examiner, me sont plutost proposées comme des doutes que comme des objections, ie ne presume pas tant de moy, que i’ose me promettre d’expliquer assez suffisamment des choses, que ie voy estre encore aujourd’huy le sujet des doutes de tant de sçauans hommes. Neantmoins pour faire en cela tout ce que ie puis, et ne pas manquer à ma propre cause, ie diray ingenuëment de quelle façon il est arriué que ie me sois moy-mesme entierement deliuré de ces doutes. Car en ce faisant, si par hazard il arriue que cela puisse seruir à quelques-vns, i’auray sujet de m’en rejoüir, et s’il ne peut seruir à personne, au moins auray-je la satisfaction, qu’on ne me poura pas accuser de presomption, ou de temerité.

Lors que i’eusi’eu la premiere fois conclu, en suite des raisons qui sont contenuës dans mes Meditations, Camusat – Le Petit, p. 382
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que l’esprit humain est réellement distingué du corps, et qu’il est mesme plus aisé à connoistre que luy, et plusieurs autres choses dont il est là traitté, ie me sentois à la verité obligé d’y acquiescer, pource que ie ne remarquois rien en AT IX-1, 239 elles qui ne fust bien suiuy, et qui ne fust tiré de principes tres-euidens, suiuant les regles de la Logique ; Toutesfois ie confesse que ie ne fus pas pour cela pleinement persuadé, et qu’il m’arriua presque la mesme chose qu’aux Astronomes, qui aprés auoir esté conuaincus par de puissantes raisons, que le Soleil est plusieurs fois plus grand que toute la terre, ne sçauroient pourtant s’empescher de iuger qu’il est plus petit, lors qu’ils iettent les yeux sur luy. Mais aprés que i’eusi’eu passé plus auant, et qu’apuyé sur les mesmes principes, i’eusi’eu porté ma consideration sur les choses Physiques, ou naturelles, examinant premierement les notions, ou les idées, que ie trouuois en moy de chaque chose, puis les distinguant soigneusement les vnes des autres pour faire que mes iugemens eussent vn entier raport auec elles, ie reconnus qu’il n’y auoit rien qui apartinst à la nature, ou à l’essence du corps, sinon qu’il est vne substance étenduë en longueur, largeur, et profondeur, capable de plusieurs figures, et de diuers mouuemens ; et que ses figures, et mouuemens n’estoient autre chose que des modes, qui ne peuuent iamais estre sans luy. Mais que les couleurs, les odeurs, les saueurs, et autres choses semblables n’estoient rien que des sentimens, Camusat – Le Petit, p. 383
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qui n’ont aucune existence hors de ma pensée, et qui ne sont pas moins differens des corps, que la douleur differe de la figure, ou du mouuement de la fleche qui la cause ; et enfin que la pesanteur, la dureté, la vertu d’échauffer, d’attirer, de purger, et toutes les autres qualitez que nous remarquons dans les corps, consistent seulement dans le mouuement, ou dans sa priuation : et dans la configuration, et arrangement des parties. Toutes lesquelles opinions estant fort differentes de celles que i’auois euës auparauant touchant les mesmes choses ; ie commençay aprés cela à considerer pourquoy i’en auois eu d’autres par cy-deuant, et ie trouuay que la principale raison estoit que dez ma ieunesse, i’auois fait plusieurs iugemens touchant les choses naturelles, (comme celles qui deuoient beaucoup contribuer à la conseruation de ma vie, en laquelle ie ne faisois que d’entrer) et que i’auois tousiours retenu depuis les mesmes opinions que i’auois autrefois formées de ces choses-là : Et d’autant que mon esprit ne se seruoit pas bien en ce bas âge des organes du corps, et qu’y estant trop attaché il ne pensoit rien sans eux, aussi n’aperceuoit-il que confusément toutes choses. Et bien qu’il eust connoissance de sa propre nature, et qu’il n’eust pas moins en soy l’jdée de AT IX-1, 240 la pensée, que celle de l’étenduë, neantmoins pource qu’il ne conceuoit rien de purement intellectuel, qu’il n’imaginast aussi en mesme temps quelque chose de corporel, Camusat – Le Petit, p. 384
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il prenoit l’vn et l’autre pour vne mesme chose, et raportoit au corps toutes les notions qu’il auoit des choses intellectuelles : et d’autant que ie ne m’estois i’amais dépuis déliuré de ces preiugez, il n’y auoit rien que ie ne connusseie connusse assez distinctement, et que ie ne suposasse estre corporel ; quoy que neantmoins ie formasse souuent de telles jdées de ces choses mesmes que ie suposois estre corporelles, et que i’en eusse de telles notions, qu’elles representoyent plutost des esprits que des corps. Par exemple, lors que ie conceuois la pesanteur comme vne qualité réelle, inherente et attachée aux corps massifs, et grossiers, encore que ie la nommasse vne qualité, entant que ie la raportois aux corps dans lesquels elle residoit, neantmoins parce que i’adioutois ce mot de reelle, ie pensois en effect que c’estoit vne substance : de mesme qu’vn habit consideré en soy est vne substance, quoy qu’estant raporté à vn homme habillé, il puisse estre dit vne qualité ; et ainsi bien que l’esprit soit vne substance, il peut neantmoins estre dit vne qualité, eu égard au corps auquel il est vny. Et bien que ie conceusse que la pesanteur est répanduë par tout le corps qui est pesant, ie ne luy attribuois pas neantmoins la mesme sorte d’étenduë qui constitue la nature du corps ; car cette étenduë est telle, qu’elle exclut toute penetrabilité de parties ; et ie pensois qu’il y auoit autant de pesanteur dans vne masse d’or, ou de quelque autre metail de la longueur Camusat – Le Petit, p. 385
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d’vn pied, qu’il y en auoit dans vne piece de bois longue de dix piedz ; voire mesme i’estimois que toute cette pesanteur pouuoit estre contenuë sous vn point Mathematique. Et mesme lors que cette pesanteur estoit ainsi egalement étenduë par tout le corps, ie voyois qu’elle pouuoit exercer toute sa force en chacune de ses parties, parce que de quelque façon que ce corps fust suspendu à vne corde, il la tiroit de toute sa pesanteur, comme si toute cette pesanteur eust esté renfermée dans la partie qui touchoit la corde. Et certes ie ne conçoy point encore aujourd’huy que l’esprit soit autrement étendu dans le corps, lors que ie le conçoy estre tout entier dans le tout, et tout entier dans chaque partie. Mais ce qui fait mieux paroistre que cette jdée de la pesanteur, auoit esté tirée en partie de celle que i’auois de mon esprit, est que ie pensois que la pesanteur portoit les corps vers le centre de la terre, comme si elle AT IX-1, 241 eust eu en soy quelque connoissance de ce centre : Car certainement il n’est pas possible que cela se fasse sans connoissance, et par tout où il y a connoissance, il faut qu’il y ait de l’esprit. Toutefois i’atribuois encore d’autres choses à cette pesanteur, qui ne peuuent pas en mesme façon estre entenduës de l’esprit, par exemple, qu’elle estoit diuisible, mesurable etc. Mais aprés que i’eusi’eu suffisamment consideré toutes ces choses, et que i’eusi’eu distingué l’jdée de l’esprit humain, des jdées du corps, et du mouuement corporel, et que ie me fus Camusat – Le Petit, p. 386
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aperceu que toutes les autres idées que i’auois eu auparauant, soit des qualitez réelles, soit des formes substantielles en auoyent esté composées, où formées par mon esprit, ie n’eus pas beaucoup de peine à me défaire de tous les doutes qui sont icy proposez.

Car premierement, ie ne doutay plus que ie n’eusse vne claire idée de mon propre esprit, duquel ie ne pouuois pas nier que ie n’eusse connoissance, puis qu’il m’estoit si present, et si conjoint. Ie ne mis plus aussi en doute que cette idée ne fust entierement differente de celles de toutes les autres choses, et qu’elle n’eust rien en soy de ce qui apartient au corps ; pource qu’ayant recherché tres-soigneusement les vrayes idées des autres choses, et pensant mesme les connoistre toutes en general, ie ne trouuois rien en elles qui ne fust en tout different de l’idée de mon esprit. Et ie voyois qu’il y auoit vne bien plus grande difference entre ces choses, qui, bien qu’elles fussent tout à la fois en ma pensée, me paroissoient neantmoins distinctes, et differentes, comme sont l’esprit et le corps ; qu’entre celles dont nous pouuons à la verité auoir des pensées separées, nous arrestant à l’vne sans penser à l’autre, mais qui ne sont iamais ensemble en nostre esprit, que nous ne voyions bien qu’elles ne peuuent pas subsister separement. Comme, par exemple, l’immensité de Dieu peut bien estre conceuë sans que nous pensions à sa iustice : mais on ne peut pas les auoir toutes deux Camusat – Le Petit, p. 387
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presentes à son esprit, et croire que Dieu puisse estre immense, sans estre iuste. De mesme l’existence de Dieu peut estre clairement connuë sans que l’on sçache rien des personnes de la tres-sainte Trinité, qu’aucun esprit ne sçauroit bien entendre, s’il n’est éclairé des lumieres de la foy : mais lors qu’elles sont vne fois bien entenduës, ie nie qu’on puisse conceuoir entr’elles aucune distinction réelle à raison de l’essence diuine, quoy que cela se puisse à raison des relations. AT IX-1, 242 Et enfin ie n’apprehende plus de m’estre peut-estre laissé surprendre, et preuenir par mon analyse, lors que voyant qu’il y a des corps qui ne pensent point, ou plutost conceuant tres-clairement que certains corps peuuent estre sans la pensée, i’ay mieux aimé dire que la pensée n’apartient point à la nature du corps, que de conclure qu’elle en est vn mode, pource que i’en voyois d’autres (à sçauoir ceux des hommes) qui pensent : Car à vray dire, ie n’ay iamais veu, ny compris que les corps humains eussent des pensées : mais bien que ce sont les mesmes hommes qui pensent, et qui ont des corps : Et i’ay reconnu que cela se fait par la composition, et l’assemblage de la substance qui pense, auec la corporelle ; pource que considerant separement la nature de la substance qui pense, ie n’ay rien remarqué en elle qui pust apartenir au corps, et que ie n’ay rien trouué dans la nature du corps considerée toute seule, qui peust apartenir à la pensée. Mais au contraire examinant tous le modes tant du corps, Camusat – Le Petit, p. 388
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que de l’esprit, ie n’en ay remarqué pas vn, dont le concept ne dependist entierement du concept mesme de la chose dont il est le mode. Aussi de ce que nous voyons souuent deux choses jointes ensemble, on ne peut pas pour cela inferer qu’elles ne sont qu’vne mesme chose ; Mais de ce que nous voyons quelquefois l’vne de ces choses sans l’autre, on peut fort bien conclure qu’elles sont diuerses. Et il ne faut pas que la puissance de Dieu nous empesche de tirer cette consequence : Car il n’y a pas moins de repugnance à penser que des choses que nous conceuons clairement et distinctement comme deux choses diuerses, soient faites vne mesme chose en essence, et sans aucune composition, que de penser qu’on puisse separer ce qui n’est aucunement distinct. Et partant si Dieu a donné à quelques corps la faculté de penser, (comme en effet il l’a donnée à ceux des hommes) il peut quand il voudra l’en separer, et ainsi elle ne laisse pas d’estre réellement distincte de ce corps. Et ie ne m’estonne pas d’auoir autrefois fort bien compris, auant mesme que ie me fusse deliuré des preiugez de mes sens, que deux et trois ioints ensemble font le nombre de cinq ; et que lors que de choses égales on oste choses égales, les restes sont égaux, et plusieurs choses semblables, bien que ie ne songeasse pas alors que l’ame de l’homme fust distincte de son corps : car ie voy tres-bien, que ce qui a fait que ie n’ay point en mon enfance donné de faux iugement touchant ces propositions qui sont receuës Camusat – Le Petit, p. 389
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generalement AT IX-1, 243 de tout le monde, a esté parce qu’elles ne m’estoient pas encore pour lors en vsage, et que les enfans n’aprennent point à assembler deux auec trois, qu’ils ne soient capables de iuger s’ils font le nombre de cinq etc. Tout au contraire dés ma plus tendre ieunesse, i’ay conceu l’esprit et le corps (dont ie voyois confusement que i’estois composé) comme vne seule et mesme chose, et c’est le vice presque ordinaire de toutes les connoissances imparfaites, d’assembler en vn plusieurs choses, et les prendre toutes pour vne mesme ; c’est pourquoy il faut par aprés auoir la peine de les separer, et par vn examen plus exact les distinguer les vnes des autres. Mais ie m’estonne grandement que des personnes tres-doctes, et accoutumées depuis trente années aux speculations Metaphysiques, aprés auoir leu mes Meditations plus de sept fois, se persuadent que si ie les relisois auec le mesme esprit, que ie les examinerois si elles m’auoient esté proposées par vne personne ennemie, ie ne ferois pas tant de cas, et n’aurois pas vne opinion si auantageuse des raisons qu’elles contiennent, que de croire que chacun se deuroit rendre à la force, et au poids de leurs veritez, et liaisons, veu cependant qu’ils ne font voir eux-mesmes aucune faute dans tous mes raisonnemens. Et certes ils m’atribuent beaucoup plus qu’ils ne doiuent, et qu’on ne doit pas mesme penser d’aucun homme, s’ils croyent que ie me serue d’vne telle analyse, que ie puisse par son moyen renuerser les démonstrations veritables, ou donner vne telle couleur aux Camusat – Le Petit, p. 390
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fausses, que personne n’en puisse iamais découurir la fausseté ; veu qu’au contraire ie professe hautement, que ie n’en ay i’amais recherché d’autre, que celle au moyen de laquelle on peust s’assurer de la certitude des raisons veritables, et découurir le vice des fausses, et captieuses. C’est pourquoy ie ne suis pas tant étonné de voir des personnes tres-doctes n’acquiescer pas encore à mes conclusions, que ie suis ioyeux de voir qu’aprés vne si serieuse, et frequente lecture de mes raisons, ils ne me blâment point d’auoir rien auancé mal à propos, ou d’auoir tiré quelque conclusion autrement que dans les formes. Car la difficulté qu’ils ont à receuoir mes conclusions, peut aisément estre atribuée à la coutume inueterée qu’ils ont de iuger autrement de ce qu’elles contiennent, comme il a desia esté remarqué des Astronomes, qui ne peuuent s’imaginer que le Soleil soit plus grand que la terre, bien qu’ils ayent des raisons tres-certaines qui le demontrent ; Mais ie ne voy pas qu’il puisse y auoir d’autre raison, pourquoy ny ces Messieurs, ny personne que ie sçache, n’ont peu AT IX-1, 244 iusques icy rien reprendre dans mes raisonnemens, si non par ce qu’ils sont entierement vrais, et indubitables : veu principalement que les principes sur quoy ils sont appuyez ne sont point obscurs, ny inconnus, ayant tous esté tirez des plus certaines, et plus euidentes notions, qui se presentent à vn esprit qu’vn doute general de toutes choses a desia deliuré de toutes sortes de Camusat – Le Petit, p. 391
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preiugez : Car il suit de là necessairement, qu’il ne peut y auoir d’erreurs, que tout homme d’esprit vn peu mediocre n’eust peu facilement remarquer. Et ainsi ie pense que ie n’auray pas mauuaise raison de conclure, que les choses que i’ay écrites ne sont pas tant affoiblies par l’autorité de ces sçauans hommes, qui aprés les auoir leües attentiuement plusieurs fois ne se peuuent pas encore laisser persuader par elles, qu’elles sont fortifiées par leur autorité mesme, de ce qu’aprés vn examen si exact, et des reueües si generales, ils n’ont pourtant remarqué aucunes erreurs, ou paralogismes dans mes démonstrations.

Camusat – Le Petit, p. 392
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