AT IX-1, 102

Camusat – Le Petit, p. 166
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REPONSES DE L’AVTEVR
aux seconds Objections recueillies de plusieurs Theologiens, et Philosophes par le R. P. MersenneMersenne, Marin.

MESSIEVRS,
C’est auec beaucoup de satisfaction que i’ay leu les obseruations que vous auez faites sur mon petit traité de la premiere Philosophie, car elles m’ont fait connoistre la bien-veillance que vous auez pour moy, vostre pieté enuers Dieu, et le soin que vous prenez pour l’auancement de sa gloire : Et ie ne puis que ie ne me rejoüisse, non seulement de ce que vous auez iugé mes raisons dignes de vostre censure, mais aussi de ce que vous n’auancez rien contre elles, à quoy il ne me semble que ie pouray répondre assez commodement.

En premier lieu, vous m’auertissez de me ressouuenir : Que ce n’est pas actuellement et en verité, mais Camusat – Le Petit, p. 167
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seulement par vne fiction de l’esprit, que i’ay rejetté les idées, ou les fantômes des corps, pour conclure que ie suis vne chose qui pense, de peur que peut-estre ie n’estime qu’il suit de là que ie ne suis qu’vne chose qui pense.
Mais i’ay desia fait voir dans ma seconde Meditation, que ie m’en estois assez souuenu, veu que i’y ay mis ces paroles. Mais aussi peut-il arriuer que ces mesmes choses que ie supose n’estre point, parce qu’elles me sont inconnuës, ne sont point en effect differentes de moy que ie connois : Ie n’en sçay rien, ie ne dispute pas maintenant de cela, etc. Par lesquelles i’ay voulu expressement aduertir le Lecteur, que ie ne cherchois pas encore en ce lieu-là si l’esprit estoit diferent du corps, mais que i’examinois seulement celles de ses proprietez, dont ie puis auoir vne claire et asseurée connoissance. Et d’autant que i’en ay là remarqué plusieurs, ie ne puis admettre sans distinction ce que vous adioutez en suite : Que ie ne sçay pas neantmoins ce que c’est qu’vne chose qui pense : Car bien que i’auoüe que ie ne sçauois pas encore si cette chose qui pense n’estoit point differente du corps, ou si elle l’estoit, ie n’auoüë pas pour cela que ie ne la connoissois point : Car qui a iamais tellement connu aucune chose, qu’il seust n’y auoir rien en elle que cela mesme qu’il connoissoit ? Mais nous pensons d’autant mieux connoistre vne chose, qu’il y a plus de particularitez en elle que nous connoissons ; ainsi nous auons plus AT IX-1, 103 de connoissance de ceux auec qui nous conuersons tous les iours, que de ceux dont nous ne connoissons que le Camusat – Le Petit, p. 168
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nom ou le visage ; et toutesfois nous ne iugeons pas que ceux-cy nous soyent tout à fait inconnus ; auquel sens ie pense auoir assez demonstré, que l’esprit, consideré sans les choses que l’on a de coustume d’attribuer au corps, est plus connu que le corps consideré sans l’esprit ; Et c’est tout ce que i’auois dessein de prouuer en cette seconde Meditation.

Mais ie voy bien ce que vous voulez dire, c’est à sçauoir, que n’ayant escrit que six Meditations touchant la premiere Philosophie, les Lecteurs s’estonneront que dans les deux premieres ie ne concluë rien autre chose que ce que ie viens de dire tout maintenant, et que pour cela ils les trouueront trop steriles, et indignes d’auoir esté mises en lumiere. A quoy ie répons seulement que ie ne crains pas que ceux qui auront leu auec iugement le reste de ce que i’ay escrit, ayent occasion de soupçonner que la matiere m’ait manqué ; mais qu’il m’a semblé tres-raisonnable, que les choses qui demandent vne particuliere attention, et qui doiuent estre considerées separément d’auec les autres, fussent mises dans des Meditations separées.

C’est pourquoy ne sçachant rien de plus vtile pour paruenir à vne ferme et asseurée connoissance des choses, que si auparauant que de rien établir on s’acoustume à douter de tout, et principalement des choses corporelles, encore que i’eusse veu il y a longtemps plusieurs liures escrits par les Sceptiques, et Academiciens touchant cette matiere, et que ce ne Camusat – Le Petit, p. 169
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fust pas sans quelque dégoust que ie remâchois vne viande si commune, ie n’ay peu toutesfois me dispenser de luy donner vne Meditation tout entiere ; Et ie voudrois que les Lecteurs n’employassent pas seulement le peu de temps qu’il faut pour la lire, mais quelques mois, ou du moins quelques Semaines, à considerer les choses dont elle traitte auparauant que de passer outre : Car ainsi ie ne doute point qu’ils ne fissent bien mieux leur profit de la lecture du reste.

De plus, à cause que nous n’auons eu iusques icy aucunes idées des choses qui apartiennent à l’esprit, qui n’ayent esté tres-confuses, et mélées auec les idées des choses sensibles ; Et que ç’a esté la premiere et principale raison, pourquoy on n’a peu entendre assez clairement aucunes des choses qui se disoient de Dieu et de l’ame ; I’ay pensé que ie ne ferois pas peu, si ie monstrois comment il faut distinguer les proprietez ou qualitez de l’esprit, des proprietez ou qualitez du corps, et comment il les faut reconnoistre : Car encore qu’il ait desia esté dit par plusieurs que, pour bien entendre les AT IX-1, 104 choses immaterielles, ou Metaphysiques, il faut éloigner son esprit des sens, neantmoins personne, que ie sçache, n’auoit encore montré par quel moyen cela se peut faire : Or le vray, et à mon iugement l’vnique moyen pour cela, est contenu dans ma seconde Meditation, mais il est tel que ce n’est pas assez de l’auoir enuisagé vne fois, il le faut examiner souuent, et le Camusat – Le Petit, p. 170
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considerer long-temps, afin que l’habitude de confondre les choses intellectuelles auec les corporelles, qui s’est enracinée en nous pendant tout le cours de nostre vie, puisse estre effacée par vne habitude contraire de les distinguer, acquise par l’exercice de quelques iournées. Ce qui m’a semblé vne cause assez iuste pour ne point traitter d’autre matiere en la seconde Meditation.

Vous demandez icy comment ie démonstre que le corps ne peut penser : Mais pardonnez-moy si ie répons que ie n’ay pas encore donné lieu à cette question, n’ayant commencé d’en traitter que dans la sixiéme Meditation, par ces paroles. C’est assez que ie puisse clairement et distinctement conceuoir vne chose sans vne autre, pour estre certain que l’vne est distincte ou differente de l’autre, etc. Et vn peu apres, Encore que i’aye vn corps qui me soit fort estroitement conjoint, neantmoins parce que d’un costé i’ay vne claire et distincte idée de moy-mesme, en tant que ie suis seulement vne chose qui pense, et non étenduë, et que d’vn autre, i’ay une claire et distincte idée du corps, en tant qu’il est seulement vne chose étenduë, et qui ne pense point : Il est certain que moy, c’est à dire mon esprit, ou mon ame, par laquelle ie suis ce que ie suis, est entierement et veritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut estre, ou exister sans luy. A quoy il est aisé d’adjouster : Tout ce qui peut penser est esprit, ou s’apelle esprit. Mais puisque le corps et l’esprit sont réellement distincts, nul corps n’est esprit. Doncques nul corps ne peut penser. Et certes Camusat – Le Petit, p. 171
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ie ne voy rien en cela que vous puissiez nier ; Car nierez vous qu’il suffit que nous conceuions clairement vne chose sans vne autre, pour sçauoir qu’elles sont réellement distinctes ? donnez-nous donc quelque signe plus certain de la distinction réelle, si toutesfois on en peut donner aucun ; Car que direz-vous ? sera-ce que ces choses là sont réellement distinctes, chacune desquelles peut exister sans l’autre ? Mais de rechef ie vous demanderay, d’où vous connoissez qu’vne chose peut exister sans vne autre ? Car afin que ce soit vn signe de distinction, il est necessaire qu’il soit connu.

Peut-estre direz-vous que les sens vous le font connoistre, parce que vous voyez vne chose en l’absence de l’autre, ou que vous la touchez, etc. Mais la foy des sens est plus incertaine que celle de AT IX-1, 105 l’entendement ; et il se peut faire en plusieurs façons qu’vne seule et mesme chose paroisse à nos sens sous diuerses formes, ou en plusieurs lieux, ou manieres, et qu’ainsi elle soit prise pour deux. Et enfin si vous vous ressouuenez de ce qui a esté dit de la cire à la fin de la seconde Meditation, vous sçaurez que les corps mesmes ne sont pas proprement connus par les sens, mais par le seul entendement ; en telle sorte que sentir vne chose sans vne autre, n’est rien sinon auoir l’idée d’vne chose, et entendre que cette idée n’est pas la mesme que l’idée d’vne autre : Or cela ne peut estre connu d’ailleurs, que de ce qu’vne chose est conceuë sans l’autre ; Et cela ne peut estre Camusat – Le Petit, p. 172
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certainement connu, si l’on n’a l’idée claire et distincte de ces deux choses : Et ainsi ce signe de réelle distinction doit estre reduit au mien pour estre certain.

Que s’il y en a qui nient qu’ils ayent des idées distinctes de l’esprit et du corps, ie ne puis autre chose que les prier de considerer assez attentiuement les choses qui sont contenuës dans cette seconde Meditation ; et de remarquer que l’opinion qu’ils ont que les parties du cerueau concourent auec l’esprit pour former nos pensées, n’est point fondée sur aucune raison positiue, mais seulement sur ce qu’ils n’ont iamais experimenté d’auoir esté sans corps, et qu’assez souuent ils ont esté empeschez par luy dans leurs operations ; Et c’est le mesme que si quelqu’vn, de ce que dés son enfance il auroit eu des fers aux pieds, estimoit que ces fers fissent vne partie de son corps, et qu’ils luy fussent necessaires pour marcher.

En second lieu, lorsque vous dites, Que nous auons en nous-mesmes vn fondement suffisant pour former l’idée de Dieu, vous ne dites rien de contraire à mon opinion. Car i’ay dit moy-mesme en termes exprés à la fin de la troisiéme Meditation :Que cette idée est née auec moy, et quelle ne me vient point d’ailleurs que de moy mesme. I’auoüe aussi, que nous la pourions former encore que nous ne sceussions pas qu’il y a vn souuerain estre, mais non pas si en effect il n’y en auoit point ; Car au contraire i’ay aduerty, que toute la force de mon argument consiste en ce qu’il ne se pouroit faire que la Camusat – Le Petit, p. 173
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faculté de former cette idée fust en moy, si ie n’auois esté crée de Dieu
.
Et ce que vous dites des mouches, des plantes, etc. ne prouue en aucune façon que quelque degré de perfection peut estre dans vn effect, qui n’ait point esté auparauant dans sa cause. Car, ou il est certain qu’il n’y a point de perfection dans les animaux qui n’ont point de raison, qui ne se rencontre aussi dans les corps inanimez, ou s’il y en a quelqu’vne, qu’elle leur vient d’ailleurs ; Et que le Soleil, la pluye et la terre ne sont point les causes totales de ces animaux. AT IX-1, 106 Et ce seroit vne chose fort esloignée de la raison, si quelqu’vn de cela seul qu’il ne connoist point de cause, qui concoure à la generation d’vne mouche, et qui ait autant de degrez de perfection qu’en a vne mouche, n’estant pas cependant assuré qu’il n’y en ait point d’autres que celles qu’il connoist, prenoit de lal’occasion de douter d’vne chose, laquelle, comme ie diray tantost plus au long, est manifeste par la lumiere naturelle.

A quoy i’adjouste que ce que vous objectez icy des mouches, estant tiré de la consideration des choses materielles, ne peut venir en l’esprit de ceux, qui suiuans l’ordre de mes Meditations détourneront leurs pensées des choses sensibles, pour commencer à Philosopher.

Il ne me semble pas aussi que vous prouuiez rien contre moy, en disant, Que l’idée de Dieu qui est en nous n’est qu’vn estre de raison ; Car cela n’est pas Camusat – Le Petit, p. 174
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vray, si par vn estre de raison l’on entend vne chose qui n’est point ; mais seulement si toutes les operations de l’entendement sont prises pour des Estres de raison, c’est à dire pour des estres qui partent de la raison ; auquel sens tout ce monde peut aussi estre apelé vn estre de raison diuine, c’est à dire vn estre creé par vn simple acte de l’entendement diuin. Et i’ay desia suffisamment auerty en plusieurs lieux, que ie parlois seulement de la perfection, ou realité objectiue de cette idée de Dieu, laquelle ne requiert pas moins vne cause, en qui soit contenu en effect tout ce qui n’est contenu en elle qu’objectiuement, ou par representation, que fait l’artifice objectif, ou representé qui est en l’idée que quelque artisan a d’vne machine fort artificielle.

Et certes ie ne voy pas que l’on puisse rien adjouter pour faire connoistre plus clairement que cette idée ne peut estre en nous, si vn souuerain estre n’existe, si ce n’est que le Lecteur prenant garde de plus prés aux choses que i’ay desia escrites, se deliure luy-mesme des preiugez qui offusquent peut-estre sa lumiere naturelle, et qu’il s’acoustume à donner creance aux premieres notions, dont les connoissances sont si vrayes et si éuidentes, que rien ne le peut estre dauantage, plustost qu’à des opinions obscures et fausses, mais qu’vn long vsage a profondement grauées en nos esprits.

Car, qu’il n’y ait rien dans vn effect, qui n’ait esté d’vne semblable ou plus excellente façon dans sa Camusat – Le Petit, p. 175
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cause, c’est vne premiere notion, et si euidente qu’il n’y en a point de plus claire ; et cette autre commune notion, que de rien rien ne se fait, la comprend en soy ; parce que si on accorde qu’il y ait quelque chose dans l’effect, qui n’ait point esté dans sa cause, il faut aussi demeurer d’accord que cela procede du neant ; Et s’il est éuident que le rien ne peut estre la cause AT IX-1, 107 de quelque chose, c’est seulement parce que dans cette cause il n’y auroit pas la mesme chose que dans l’effect.

C’est aussi vne premiere notion que toute la realité, ou toute la perfection, qui n’est qu’objectiuement dans les idées, doit estre formellement ou éminemment dans leurs causes ; Et toute l’opinion que nous auons iamais euë de l’existence des choses qui sont hors de nostre esprit, n’est apuyée que sur elle seule : Car d’où nous a peu venir le soupçon qu’elles existoient, sinon de cela seul que leurs idées venoient par les sens fraper nostre esprit ?

Or qu’il y ait en nous quelque idée d’vn estre souuerainement puissant, et parfait, et aussi que la realité objectiue de cette idée ne se trouue point en nous, ny formellement, ny éminemment, cela deuiendra manifeste à ceux qui y penseront serieusement, et qui voudront auec moy prendre la peine d’y mediter : Mais ie ne le sçaurois pas mettre par force en l’esprit de ceux qui ne liront mes Meditations que comme vn Roman, pour se des-ennuyer, et sans y auoir grande attention. Or de tout cela on Camusat – Le Petit, p. 176
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conclud tres manifestement que Dieu existe. Et toutesfois en faueur de ceux dont la lumiere naturelle est si foible, qu’ils ne voyent pas que c’est vne premiere notion, Que toute la perfection qui est objectiuement dans vne idée, doit estre réellement dans quelqu’vne de ses causes, ie l’ay encore démontré d’vne façon plus aysée à conceuoir, en monstrant que l’esprit qui a cette idée ne peut pas exister par soy-mesme ; et partant ie ne voy pas ce que vous pouuez desirer de plus pour donner les mains, ainsi que vous l’auez promis.

Ie ne voy pas aussi que vous prouuiez rien contre moy, en disant que i’ay peut-estre receu l’idée qui me represente Dieu des pensées que i’ay euës auparauant, des enseignemens des liures, des discours et entretiens de mes amis, etc. et non pas de mon esprit seul. Car mon argument aura tousiours la mesme force, si m’adressant à ceux de qui l’on dit que ie l’ay receuë, ie leur demande s’ils l’ont par eux-mesmes, ou bien par autruy, au lieu de le demander de moy-mesme ; Et ie concluray tousiours que celuy-là est Dieu, de qui elle est premierement deriuée.

Quant à ce que vous adjoustez en ce lieu-là, qu’elle peut estre formée de la consideration des choses corporelles, cela ne me semble pas plus vraysemblable, que si vous disiez, que nous n’auons aucune faculté pour ouyr, mais que par la seule veuë des couleurs nous paruenons à la connoissance des sons. Car on peut dire qu’il y a plus d’analogie, ou de Camusat – Le Petit, p. 177
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raport entre les couleurs, et les sons, qu’entre les choses corporelles, et Dieu. Et lorsque vous demandez que i’adjouste AT IX-1, 108 quelque chose qui nous éleue iusqu’à la connoissance de l’estre immateriel, ou spirituel, ie ne puis mieux faire que de vous renuoyer à ma seconde Meditation, afin qu’au moins vous connoissiez qu’elle n’est pas tout à fait inutile ; Car que pourois-je faire icy par vne ou deux périodes, si ie n’ay pû rien auancer par vn long discours preparé seulement pour ce sujet, et auquel il me semble n’auoir pas moins apporté d’industrie, qu’en aucunen aucun autre escrit que i’aye publié ?

Et encore qu’en cette Meditation i’aye seulement traité de l’esprit humain, elle n’est pas pour cela moins vtile à faire connoistre la difference qui est entre la nature diuine, et celle des choses materielles. Car ie veux bien icy auoüer franchement, que l’idée que nous auons, par exemple, de l’entendement diuin, ne me semble point diferer de celle que nous auons de nostre propre entendement, sinon seulement comme l’idée d’vn nombre infiny differe de l’idée du nombre binaire, ou du ternaire ; et il en est de mesme de tous les attributs de Dieu, dont nous reconnoissons en nous quelque vestige.

Mais outre cela nous conceuons en Dieu vne immensité, simplicité, ou vnité absoluë, qui embrasse et contient tous ses autres attributs, et de laquelle nous ne trouuons ny en nous, ny ailleurs, aucun exemple, mais elle est (ainsi que i’ay dit auparauant) Camusat – Le Petit, p. 178
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comme la marque de l’ouurier imprimée sur son ouurage. Et par son moyen nous connoissons qu’aucune des choses que nous conceuons estre en Dieu, et en nous, et que nous considerons en luy par parties, et comme si elles estoient distinctes, à cause de la foiblesse de nostre entendement, et que nous les experimentons telles en nous, ne conuiennent point à Dieu, et à nous, en la façon qu’on nomme vniuoque dans les escoles : Comme aussi nous connoissons que de plusieurs choses particulieres qui n’ont point de fin, dont nous auons les idées, comme d’vne connoissance sans fin, d’vne puissance, d’vn nombre, d’vne longueur, etc. qui sont aussi sans fin, il y en a quelques-vnes qui sont contenuës formellement dans l’idée que nous auons de Dieu, comme la connoissance, et la puissance, et d’autres qui n’y sont qu’eminemment, comme le nombre et la longueur ; ce qui certes ne seroit pas ainsi, si cette idée n’estoit rien autre chose en nous qu’vne fiction.

Et elle ne seroit pas aussi conceuë si exactement de la mesme façon de tout le monde : Car c’est vne chose tres-remarquable, que tous les Metaphysiciens s’accordent vnanimement dans la description qu’ils font des attributs de Dieu, (au moins de ceux qui peuuent estre connus par la seule raison humaine) en telle sorte qu’il n’y a aucune chose Physique, ny sensible, aucune chose dont nous ayons vne idée si expresse, et si palpable, touchant la nature de laquelle il ne se rencontre AT IX-1, 109 chez les Philosophes vne plus grande diuersité Camusat – Le Petit, p. 179
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d’opinions, qu’il ne s’en rencontre touchant celle de Dieu.

Et certes iamais les hommes ne pouroient s’éloigner de la vraye connoissance de cette nature diuine, s’ils vouloient seulement porter leur attention sur l’idée qu’ils ont de l’Estre souuerainement parfait. Mais ceux qui meslent quelques autres idées auec celle-là, composent par ce moyen vn Dieu Chimerique, en la nature duquel il y a des choses qui se contrarient ; et aprés l’auoir ainsi composé, ce n’est pas merueille s’ils nient qu’vn tel Dieu, qui leur est representé par vne fausse idée, existe. Ainsi lorsque vous parlez icy d’un estre corporel tres-parfait, si vous prenez le nom de tres-parfait absolument, en sorte que vous entendiez que le corps est vn estre dans lequel se rencontrent toutes les perfections, vous dites des choses qui se contrarient : d’autant que la nature du corps enferme plusieurs imperfections, par exemple, que le corps soit diuisible en parties, que chacune de ses parties ne soit pas l’autre, et autres semblables ; car c’est vne chose de soy manifeste, que c’est vne plus grande perfection de ne pouuoir estre diuisé, que de le pouuoir estre. Que si vous entendez seulement ce qui est tres-parfait dans le Genre de corps, cela n’est point le vray Dieu.

Ce que vous adjoustez de l’idée d’vn Ange laquelle est plus parfaite que nous, à sçauoir, qu’il n’est pas besoin qu’elle ait esté mise en nous par vn Ange, i’en demeure aisément d’accord : car i’ay desia dit moy-mesme Camusat – Le Petit, p. 180
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dans la troisiéme Meditation, qu’elle peut estre composée des idées que nous auons de Dieu et de l’homme. Et cela ne m’est en aucune façon contraire.

Quant à ceux qui nient d’auoir en eux l’idée de Dieu, et qui au lieu d’elle forgent quelque Idole, etc. ceux-là dis-je nient le nom, et accordent la chose ; Car certainement ie ne pense pas que cette idée soit de mesme nature que les images des choses materielles dépeintes en la fantaisie, mais au contraire ie croy qu’elle ne peut estre conceuë que par le seul entendement, et qu’en effet elle n’est rien autre chose que ce qu’il nous en fait connoistre soit par la premiere, soit par la seconde, soit par la troisiéme de ses opérations ; Et ie pretens maintenir que de cela seul que quelque perfection, qui est au dessus de moy, deuient l’objet de mon entendement en quelque façon que ce soit qu’elle se presente à luy, par exemple, de cela seul que i’aperçoy que ie ne puis iamais en nombrant arriuer au plus grand de tous les nombres, et que de là ie connois qu’il y a quelque AT IX-1, 110 chose en matiere de nombrer qui surpasse mes forces, ie puis conclure necessairement, non pas à la verité qu’vn nombre infiny existe, ny aussi que son existence implique contradiction, comme vous dites : mais que cette puissance que i’ay de comprendre, qu’il y a tousiours quelque chose de plus à conceuoir dans le plus grand des nombres, que ie ne puis iamais conceuoir, ne me vient pas de moy-mesme, et que ie l’ay receuë de quelque autre estre qui est plus parfait que ie ne suis.

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Et il importe fort peu qu’on donne le nom d’Idée à ce concept d’vn nombre indefiny, ou qu’on ne luy donne pas. Mais pour entendre quel est cét estre plus parfait que ie ne suis, et si ce n’est point ce mesme nombre, dont ie ne puis trouuer la fin, qui est réellement existant, et infiny, ou bien si c’est quelqu’autre chose, il faut considerer toutes les autres perfections, lesquelles, outre la puissance de me donner cette idée, peuuent estre en la mesme chose en qui est cette puissance ; Et ainsi on trouuera que cette chose est Dieu.

Enfin lorsque Dieu est dit estre inconceuable, cela s’entend d’vne pleine et entiere conception, qui comprenne, et embrasse parfaitement tout ce qui est en luy, et non pas de cette mediocre et imparfaite qui est en nous, laquelle neantmoins sufit pour connoistre qu’il existe ; Et vous ne prouuez rien contre moy, en disant que l’idée de l’vnité de toutes les perfections qui sont en Dieu soit formée de la mesme façon que l’vnité generique, et celle des autres vniuersaux. Mais neantmoins elle en est fort differente : car elle denote vne particuliere, et positiue perfection en Dieu, au lieu que l’vnité generique n’adjouste rien de réel à la nature de chaque indiuidu.

En troisiéme lieu, où i’ay dit que nous ne pouuons rien sçauoir certainement, si nous ne connoissons premierement que Dieu existe : I’ay dit en termes exprez, que ie ne parlois que de la science de ces conclusions, dont la memoire nous peut reuenir en l’esprit, lorsque Camusat – Le Petit, p. 182
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nous ne pensons plus aux raisons d’où nous les auons tirées
. Car la connoissance des premiers principes, ou axiomes, n’a pas accoustumé d’estre apellée science par les Dialecticiens. Mais quand nous aperceuons que nous sommes des choses qui pensent, c’est vne premiere notion qui n’est tirée d’aucun syllogisme : Et lorsque quelqu’vn dit : Ie pense, donc ie suis, ou i’existe, il ne conclut pas son existence de sa pensée, comme par la force de quelque syllogisme, mais comme vne chose connuë de soy, il la void par vne simple inspection de l’esprit ; comme il paroist de ce que s’il la deduisoit par le syllogisme, il auroit deu auparauant connoistre cette maieure : Tout ce qui pense est, ou existe : mais au contraire elle lui est enseignée de ce qu’il sent AT IX-1, 111 en luy-mesme qu’il ne se peut pas faire qu’il pense, s’il n’existe. Car c’est le propre de nostre esprit, de former les propositions generales de la connoissance des particulieres.

Or qu’vn Athée puisse connoistre clairement que les trois angles d’vn triangle sont égaux à deux droits, ie ne le nie pas ; mais ie maintiens seulement qu’il ne le connoist pas par vne vraye, et certaine science ; parce que toute connoissance qui peut estre renduë douteuse ne doit pas estre apellée science ; et puisqu’on supose que celuy-là est vn Athée, il ne peut pas estre certain de n’estre point deceu dans les choses qui luy semblent estre tres-euidentes, comme il a desia esté montré cy-deuant ; et encore que peut estre ce doute ne luy vienne point en la pensée, il luy peut neantmoins Camusat – Le Petit, p. 183
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venir s’il l’examine, ou s’il luy est proposé par vn autre : Et iamais il ne sera hors du danger de l’auoir, si premierement il ne reconnoist vn Dieu.

Et il n’importe pas que peut-estre il estime qu’il a des demonstrations pour prouuer qu’il n’y a point de Dieu ; Car ces demonstrations pretenduës estant fausses, on luy en peut tousiours faire connoistre la fausseté, et alors on le fera changer d’opinion. Ce qui à la verité ne sera pas difficile, si pour toutes raisons il aporte seulement ce que vous adjoustez icy, c’est à sçauoir, que l’infiny en tout genre de perfection exclut tout autre sorte d’estre etc.

Car premierement, si on luy demande d’où il a apris que cette exclusion de tous les autres estres apartient à la nature de l’infiny, il n’aura rien qu’il puisse répondre pertinemment : d’autant que par le nom d’infiny, on n’a pas coûtume d’entendre ce qui exclut l’existence des choses finies, et qu’il ne peut rien sçauoir de la nature d’vne chose qu’il pense n’estre rien du tout, et par consequent n’auoir point de nature, sinon ce qui est contenu dans la seule et ordinaire signification du nom de cette chose.

De plus, à quoy seruiroit l’infinie puissance de cét infiny imaginaire, s’il ne pouuoit iamais rien créer ? Et enfin de ce que nous experimentons auoir en nous-mesmes quelque puissance de penser, nous conceuons facilement qu’vne telle puissance peut estre en quelque autre, et mesme plus grande qu’en nous : mais encore que nous pensions que celle-là s’augmente à Camusat – Le Petit, p. 184
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l’infiny, nous ne craindrons pas pour cela que la nostre deuienne moindre. Il en est de mesme de tous les autres attributs de Dieu, mesme de la puissance de produire quelques effets hors de soy, pourueu que nous suposions qu’il n’y en a point en nous, qui ne soit soumise à la volonté de Dieu ; et partant il peut estre entendu tout à fait infiny sans aucune exclusion des choses créées.

AT IX-1, 112 En quatriéme lieu, lorsque ie dis que Dieu ne peut mentir, ny estre trompeur, ie pense conuenir auec tous les Theologiens qui ont iamais esté, et qui seront à l’auenir. Et tout ce que vous alleguez au contraire n’a pas plus de force, que si ayant nié que Dieu le mist en colere, ou qu’il fust sujet aux autres passions de l’ame, vous m’objectiez les lieux de l’écriture où il semble que quelques passions humaines luy sont attribuées.

Car tout le monde connoist assez la distinction qui est entre ces façons de parler de Dieu, dont l’écriture se sert ordinairement, qui sont accommodées à la capacité du vulgaire, et qui contiennent bien quelque verité, mais seulement en tant qu’elle est raportée aux hommes ; et celles qui expriment vne verité plus simple et plus pure ; et qui ne change point de nature, encore qu’elle ne leur soit point raportée ; desquelles chacun doit vser en philosophant, et dont i’ay deu principalement me seruir dans mes Meditations, veu qu’en ce lieu là mesme ie ne suposois pas encore qu’aucun homme me fust connu, et que ie ne me considerois pas non plus, en tant que composé de corps et Camusat – Le Petit, p. 185
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d’esprit, mais comme vn esprit seulement.

D’où il est euident que ie n’ay point parlé en ce lieu-là du mensonge qui s’exprime par des paroles, mais seulement de la malice interne et formelle qui est contenuë dans la tromperie : quoy que neantmoins ces paroles que vous aportez du Prophete, Encore quarante iours et Niniue fera subuertie, ne soient pas mesme vn mensonge verbal, mais vne simple menace, dont l’euenement dépendoit d’vne condition : et lorsqu’il est dit que Dieu a endurcy le cœur de Pharaon, ou quelque chose de semblable, il ne faut pas penser qu’il ait fait cela positiuement, mais seulement negatiuement, à sçauoir, ne donnant pas à Pharaon vne grâce efficace pour se conuertir.

Ie ne voudrois pas neantmoins condamner ceux qui disent que Dieu peut proferer par ses Prophetes quelque mensonge verbal, tels que sont ceux dont se seruent les Medecins quand ils deçoiucnt leurs malades pour les guerrir, c’est à dire qui fust exempt de toute la malice qui se rencontre ordinairement dans la tromperie : Mais bien dauantage nous voyons quelquesfois que nous sommes réellement trompez par cét instinct naturel qui nous a esté donné de Dieu, comme lorsqu’vn hydropique a soif ; Car alors il est réellement poussé à boire par la nature qui luy a esté donnée de Dieu pour la conseruation de son corps, quoy que neantmoins cette nature le trompe, puisque le boire luy doit estre nuisible ; mais i’ay expliqué, dans la sixiéme Meditation, comment cela peut Camusat – Le Petit, p. 186
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compatir auec la bonté, et la verité de Dieu.

AT IX-1, 113 Mais dans les choses qui ne peuuent pas estre ainsi expliquées, à sçauoir, dans nos iugemens tres-clairs et tres-exacts, lesquels s’ils estoient faux ne pouroient estre corrigez par d’autres plus clairs, ny par l’ayde d’aucune autre faculté naturelle, ie soustiens hardiment que nous ne pouuons estre trompez. Car Dieu estant le souuerain estre, il faut necessairement qu’il soit aussi le souuerain bien, et la souueraine verité, et partant il repugne que quelque chose vienne de luy, qui tende positiuement à la fausseté. Mais puisqu’il ne peut y auoir rien en nous de réel, qui ne nous ait esté donné par luy (comme il a esté demontré en prouuant son existence) et puisque nous auons en nous vne faculté réelle pour connoistre le vray, et le distinguer d’auec le faux (comme on peut prouuer de cela seul que nous auons en nous les idées du vray et du faux) si cette faculté ne tendoit au vray, au moins lorsque nous nous en seruons comme il faut (c’est à dire lorsque nous ne donnons nostre consentement qu’aux choses que nous conceuons clairement et distinctement : car on ne peut pas feindre vn autre bon vsage de cette faculté) ce ne seroit pas sans raison que Dieu qui nous l’a donnée seroit tenu pour vn trompeur.

Et ainsi vous voyez qu’aprés auoir connu que Dieu existe, il est necessaire de feindre qu’il soit trompeur, si nous voulons réuoquer en doute les choses que nous conceuons clairement et distinctement ; Et Camusat – Le Petit, p. 187
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parce que cela ne se peut pas mesme feindre, il faut necessairement admettre ces choses comme tres-vrayes et tres-assurées.

Mais d’autant que ie remarque icy, que vous vous arrestez encore aux doutes que i’ay proposez dans ma premiere Meditation, et que ie pensois auoir leuez assez exactement dans les suiuantes, i’expliqueray icy derechef le fondement sur lequel il me semble que toute la certitude humaine peut estre apuyée.

Premierement aussitost que nous pensons conceuoir clairement quelque verité nous sommes naturellement portez à la croire. Et si cette croyance est si forte, que nous ne puissions jamais auoir aucune raison de douter de ce que nous croyons de la sorte, il n’y a rien à rechercher dauantage, nous auons touchant cela toute la certitude qui se peut raisonnablement souhaiter.

Car que nous importe si peut-estre quelqu’vn feint, que cela mesme, de la verité duquel nous sommes si fortement persuadez, paroist faux aux yeux de Dieu, ou des Anges, et que partant absolument parlant il est faux ; qu’auons nous à faire de nous mettre en peine de cette fausseté absoluë, puisque nous ne la croyons point AT IX-1, 114 du tout, et que nous n’en auons pas mesme le moindre soupçon ; Car nous suposons vne croyance ou vne persuasion si ferme qu’elle ne puisse estre ostée ; laquelle par consequent est en tout la mesme chose qu’vne tres parfaite certitude. Mais on peut bien douter si l’on a quelque certitude de cette nature, Camusat – Le Petit, p. 188
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ou quelque persuasion ferme, et immuable.

Et certes il est manifeste qu’on n’en peut pas auoir des choses obscures et confuses, pour peu d’obscurité ou confusion que nous y remarquions ; car cette obscurité quelle qu’elle soit, est vne cause assez suffisante pour nous faire douter de ces choses. On n’en peut pas aussi auoir des choses qui ne sont aperceuës que par les sens, quelque clarté qu’il y ait en leur perception, parce que nous auons souuent remarqué que dans le sens il peut y auoir de l’erreur, comme lorsqu’vn hydropique a soif, ou que la neige paroist jaune à celuy qui a la jaunisse. Car celuy-là ne la void pas moins clairement et distinctement de la sorte, que nous à qui elle paroist blanche. Il reste donc, que si on en peut auoir, ce soit seulement des choses que l’esprit conçoit clairement et distinctement.

Or entre ces choses il y en a de si claires, et tout ensemble de si simples, qu’il nous est impossible de penser à elles que nous ne les croyons estre vrayes ; par exemple, que i’existe lorsque ie pense, que les choses qui ont vne fois esté faites ne peuuent pas n’auoir point esté faites, et autres choses semblables dont il est manifeste que l’on a vne parfaite certitude.

Car nous ne pouuons pas douter de ces choses-là sans penser à elles ; mais nous n’y pouuons iamais penser sans croire qu’elles sont vrayes, comme ie viens de dire ; Doncques nous n’en pouuons douter que nous ne les croyons estre vrayes, c’est à dire que nous n’en pouuons iamais douter.

Camusat – Le Petit, p. 189
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Et il ne sert de rien de dire que nous auons souuent experimenté que des personnes se sont trompées en des choses qu’elles pensoient voir plus clairement que le Soleil : Car nous n’auons iamais veu ny nous, ny personne, que cela soit arriué à ceux qui ont tiré toute la clarté de leur perception de l’entendement seul, mais bien à ceux qui l’ont prise des sens, ou de quelque faux prejugé. Il ne sert de rien aussi que quelqu’vn feigne que ces choses semblent fausses à Dieu, ou aux Anges, parce que l’euidence de nostre perception ne permettra pas que nous écoutions celuy qui l’aura feint, et nous le voudra persuader.

Il y a d’autres choses que nostre entendement conçoit aussi fort clairement, lorsque nous prenons garde de prés aux raisons d’où AT IX-1, 115 dépend leur connoissance, et pour ce, nous ne pouuons pas alors en douter ; mais parce nous pouuons oublier les raisons, et cependant nous ressouuenir des conclusions qui en ont esté tirées, on demande si on peut auoir vne ferme et immuable persuasion de ces conclusions, tandis que nous nous ressouuenons qu’elles ont elle déduites de principes tres-euidens ; Car ce souuenir doit estre suposé pour pouuoir estre apellées conclusions. Et ie répons que ceux-là l’onten peuuent auoir, qui connoissent tellement Dieu, qu’ils sçauent qu’il ne se peut pas faire, que la faculté d’entendre qui leur a esté donnée par luy ait autre chose que la verité pour objet : mais que les autres ne l’ont pointn’en ont point ; et cela a esté si clairement expliqué à la fin de la cinquiéme Meditation que Camusat – Le Petit, p. 190
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ie ne pense pas y deuoir icy rien adjouster.

En cinquiéme lieu, Ie m’étonne que vous niïez que la volonté se met en danger de faillir, lorsqu’elle poursuit et embrasse les connoissances obscures et confuses de l’entendement ; Car qu’est-ce qui la peut rendre certaine si ce qu’elle suit n’est pas clairement conneu ? Et quel a iamais esté le Philosophe, ou le Theologien, ou bien seulement l’homme vsant de raison, qui n’ait confessé que le danger de faillir où nous nous exposons est d’autant moindre, que plus claire est la chose que nous conceuons auparauant que d’y donner nostre consentement ? et que ceux-là pechent qui sans connoissance de cause portent quelque iugement : Or nulle conception n’est dite obscure ou confuse, sinon parce qu’il y a en elle quelque chose de contenu, qui n’est pas connuë.

Et partant ce que vous objectez touchant la foy qu’on doit embrasser, n’a pas plus de force contre moy, que contre tous ceux qui ont iamais cultiué la raison humaine ; et à vray dire elle n’en a aucune contre pas vn. Car encore qu’on die que la foy a pour objet des choses obscures, neantmoins ce pourquoy nous les croyons n’est pas obscur, mais il est plus clair qu’aucune lumiere naturelle. D’autant qu’il faut distinguer entre la matiere, ou la chose à laquelle nous donnons nostre creance, et la raison formelle qui meut nostre volonté à la donner. Car c’est dans cette seule raison formelle que nous voulons qu’il y ait de la clarté, et de l’euidence.

Camusat – Le Petit, p. 191
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Et quant à la matiere personne n’a iamais nié qu’elle peut estre obscure, voire l’obscurité mesme ; Car quand ie iuge que l’obscurité doit estre ostée de nos pensées pour leur pouuoir donner nostre contentement sans aucun danger de faillir, c’est l’obscurité mesme qui me sert de matiere pour former vn iugement clair et distinct.

AT IX-1, 116 Outre cela il faut remarquer que la clarté, ou l’euidence, par laquelle nostre volonté peut estre excitée à croire, est de deux sortes : l’vne qui part de la lumiere naturelle, et l’autre qui vient de la grace diuine.

Or quoy qu’on die ordinairement que la foy est des choses obscures, toutesfois cela s’entend seulement de sa matiere, et non point de la raison formelle pour laquelle nous croyons ? car au contraire cette raison formelle consiste en vne certaine lumiere interieure, de laquelle Dieu nous ayant surnaturellement éclairez, nous auons vne confiance certaine, que les choses qui nous sont proposées à croire ont esté reuelées par luy, et qu’il est entierement impossible qu’il soit menteur, et qu’il nous trompe : ce qui est plus assuré que toute autre lumiere naturelle, et souuent mesme plus euident, à cause de la lumiere de la grace.

Et certes les Turcs et les autres infidelles, lorsqu’ils n’embrassent point la religion Chrestienne, ne pechent pas pour ne vouloir point adjouster foy aux choses obscures, comme estant obscures, mais ils pechent, ou de ce qu’ils resistent à la grace diuine qui les auertit interieurement, ou que pechans en Camusat – Le Petit, p. 192
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d’autres choses ils se rendent indignes de cette grace. Et ie diray hardiment qu’vn infidele qui destitué de toute grace surnaturelle, et ignorant tout à fait que les choses que nous autres Chrestiens croyons ont esté reuelées de Dieu, neantmoins attiré par quelques faux raisonnemens se porteroit à croire ces mesmes choses qui luy seroient obscures, ne seroit pas pour cela fidele, mais plutost qu’il pecheroit en ce qu’il ne se seruiroit pas comme il faut de sa raison.

Et ie ne pense pas que iamais aucun Theologien ortodoxe ait eu d’autres sentimens touchant cela ; Et ceux aussi qui liront mes Meditations n’auront pas sujet de croire que ie n’aye point connu cette lumiere surnaturelle, puisque dans la quatriéme, où i’ay soigneusement recherché la cause de l’erreur ou fausseté, i’ay dit en paroles expresses qu’elle dispose l’interieur de nostre pensée à vouloir, et que neantmoins elle ne diminuë point la liberté.

Au reste, ie vous prie icy de vous souuenir, que touchant les choses que la volonté peut embrasser, i’ay tousiours mis vne tres-grande distinction entre l’vsage de la vie, et la contemplation de la verité. Car pour ce qui regarde l’vsage de la vie, tant s’en faut que ie pense qu’il ne faille suiure que les choses que nous connoissons tres-clairement, qu’au contraire ie tiens qu’il ne faut pas mesme toujours attendre les plus vray-semblables, mais qu’il faut quelquesfois entre plusieurs choses tout à fait inconnuës et incertaines, en Camusat – Le Petit, p. 193
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AT IX-1, 117 choisir vne, et s’y déterminer, et aprés cela ne la pas croire moins fermement, tant que nous ne voyons point de raisons au contraire, que si nous l’auions choisie pour des raisons certaines et tres-euidentes ; ainsi que i’ay desia expliqué dans le discours de la Methode p. 26. Mais où il ne s’agit que de la contemplation de la verité, qui a iamais nié qu’il faille suspendre son iugement à l’egard des choses obscures, et qui ne sont pas assez distinctement connuës. Or que cette seule contemplation de la verité ait lieu dans mes Meditations, outre que cela se reconnoist assez clairement par elles-mesmes, ie l’ay de plus declaré en paroles expresses sur la fin de la premiere, en disant, que ie ne pouuois trop douter, ny vser de trop de defiance en ce lieu-là, d’autant que ie ne m’appliquais pas alors aux choses qui regardent l’vsage de la vie, mais seulement à la recherche de la verité.

En sixiéme lieu, où vous reprenez la conclusion d’vn syllogisme que i’auois mis en forme, il semble que vous pechiez vous-mesmes en la forme ; car pour conclure ce que vous voulez, la majeure deuoit estre telle, Ce que clairement et distinctement nous conceuons apartenir à la nature de quelque chose, cela peut estre dit ou affirmé auec verité apartenir à la nature de cette chose : Et ainsi elle ne contiendroit rien qu’vne inutile et superfluë repetition : Mais la maieure de mon argument a esté telle.

Ce que clairement et distinctement nous conceuons apartenir à la nature de quelque chose, cela peut estre dit ou Camusat – Le Petit, p. 194
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affirmé auec verité de cette chose.
C’est à dire si estre animal apartient à l’essence ou à la nature de l’homme, ou peut assurer que l’homme est animal ; si auoir les trois angles égaux à deux droits apartient à la nature du triangle rectiligne, on peut assurer que le triangle rectiligne a ses trois angles égaux à deux droits ; si exister apartient à la nature de Dieu, on peut assurer que Dieu existe, etc. Et la mineure a esté telle : Or est-il qu’il apartient à la nature de Dieu d’exister : D’où il est euident qu’il faut conclure comme i’ay fait ; c’est à sçavoir, Doncques on peut auec verité assurer de Dieu qu’il existe ; et non pas comme vous voulez. Doncques nous pouuons assurer auec verité qu’il apartient à la nature de Dieu d’exister.

Et partant pour vser de l’exception que vous aportez ensuite, il vous eust falu nier la majeure, et dire que ce que nous conceuons clairement et distinctement apartenir à la nature de quelque chose, ne peut pas pour cela estre dit, ou affirmé de cette chose, si ce n’est que sa nature soit possible, ou ne repugne point. Mais voyez ie vous AT IX-1, 118 prie la foiblesse de cette exception. Car, ou bien par ce mot de possible vous entendez, comme l’on fait d’ordinaire, tout ce qui ne repugne point à la pensée humaine ; auquel sens il est manifeste que la nature de Dieu, de la façon que ie l’ay décrite, est possible, parce que ie n’ay rien suposé en elle, sinon ce que nous conceuons clairement et distinctement luy deuoir apartenir, et ainsi ie n’ay rien suposé, qui repugne à la pensée, ou au concept Camusat – Le Petit, p. 195
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humain : ou bien vous feignez quelque autre possibilité de la part de l’objet mesme, laquelle, si elle ne conuient auec la precedente, ne peut iamais estre connuë par l’entendement humain, et partant elle n’a pas plus de force pour nous obliger à nier la nature de Dieu, ou son existence, que pour renuerser toutes les autres choses qui tombent sous la connoissance des hommes ; Car par la mesme raison que l’on nie que la nature de Dieu est possible, encore qu’il ne se rencontre aucune impossibilité de la part du concept, ou de la pensée, mais qu’au contraire toutes les choses qui sont contenuës dans ce concept de la nature diuine, soient tellement connexes entr’elles, qu’il nous semble y auoir de la contradiction à dire qu’il y en ait quelqu’vne qui n’apartienne pas à la nature de Dieu, on poura aussi nier qu’il soit possible que les trois angles d’vn triangle soient égaux à deux droits, ou que celuy qui pense actuellement existe : et à bien plus forte raison l’on poura nier, qu’il y ait rien de vray de toutes les choses que nous aperceuons par les sens ; Et ainsi toute la connoissance humaine sera renuersée, mais ce ne sera pas auec aucune raison, ou fondement.

Et pour ce qui est de cét argument que vous comparez avec le mien, à sçauoir, s’il n’implique point que Dieu existe, il est certain qu’il existe, mais il n’implique point, doncques, etc.materiellement parlant il est vray, mais formellement c’est vn sophisme ; Car dans la majeure ce mot il implique, regarde le concept de la cause Camusat – Le Petit, p. 196
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par laquelle Dieu peut estre, et dans la mineure il regarde le seul concept de l’existence et de la nature de Dieu, comme il paroist de ce que si on nie la majeure, il la faudra ainsi prouuer.

Si Dieu n’existe point encore, il implique qu’il existe, parce qu’on ne sçauroit assigner de cause suffisante pour le produire : Mais il n’implique point qu’il existe, comme il a esté accordé dans la mineure, Doncques etc.

Et si on nie la mineure il la faudra prouuer ainsi. Cette chose n’implique point dans le concept formel AT IX-1, 119 de laquelle il n’y a rien qui enferme contradiction : mais dans le concept formel de l’existence ou de la nature diuine, il n’y a rien qui enferme contradiaion : Doncqucs etc. Et ainsi ce mot Il implique, est pris en deux diuers sens.

Car il se peut faire qu’on ne conceura rien dans la chose mesme qui empesche qu’elle ne puisse exister, et que cependant on conceura quelque chose de la part de sa cause qui empesche qu’elle ne soit produite.

Or, encore que nous ne conceuions Dieu que tres-imparfaitement, cela n’empesche pas qu’il ne soit certain que sa nature est possible, ou qu’elle n’implique point.

Ny aussi que nous ne puissions assurer auec verité que nous l’auons assez soigneusement examinée, et assez clairement connuë : (à sçauoir autant qu’il suffit pour connoistre qu’elle est possible, et aussi Camusat – Le Petit, p. 197
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que l’existence necessaire luy apartient) Car toute impossibilité, ou, s’il m’est permis de me seruir icy du mot de l’école, toute implicance consiste seulement en nostre concept, ou pensée, qui ne peut conjoindre les idées qui se contrarient les vnes les autres ; et elle ne peut consister en aucune chose qui soit hors de l’entendement, parce que de cela mesme qu’vne chose est hors de l’entendement, il est manifeste qu’elle n’implique point, mais qu’elle est possible.

Or l’impossibilité que nous trouuons en nos pensées ne vient que de ce qu’elles sont obscures et confuses, et il n’y en peut auoir aucune dans celles qui sont claires et distinctes, et partant afin que nous puissions assurer que nous connoissons assez la nature de Dieu pour sçauoir qu’il n’y a point de repugnance qu’elle existe, il suffit que nous entendions clairement et distinctement toutes les choses que nous aperceuons estre en elle, quoy que ces choses ne soient qu’en petit nombre, au regard de celles que nous n’aperceuons pas, bien qu’elles soient aussi en elle ; et qu’auec cela nous remarquions que l’existence necessaire est l’vne des choses que nous aperceuons ainsi estre en Dieu.

En septiéme lieu, I’ay desia donné la raison dans l’abregé de mes Meditations, pourquoy ie n’ay rien dit icy touchant l’immortalité de l’ame ; I’ay aussi fait voir cy-deuant comme quoy i’ay suffisamment prouué la distinction qui est entre l’esprit et toute sorte de corps.

Camusat – Le Petit, p. 198
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Quant à ce que vous adjoustez que de la distinction de l’ame d’auec le corps il ne s’ensuit pas qu’elle soit immortelle, parce que nonobstant cela on peut dire que Dieu l’a faite d’vne telle nature, AT IX-1, 120 que sa durée finit auec celle de la vie du corps : Ie confesse que ie n’ay rien à y répondre ; car ie n’ay pas tant de presomption que d’entreprendre de determiner par la force du raisonnement humain, vne chose qui ne dépend que de la pure volonté de Dieu.

La connoissance naturelle nous aprend que l’esprit est different du corps, et qu’il est vne substance ; Et aussi que le corps humain, en tant qu’il differe des autres corps, est seulement composé d’vne certaine configuration de membres, et autres semblables accidens ; et enfin que la mort du corps dépend seulement de quelque diuision, ou changement de figure. Or nous n’auons aucun argument, ny aucun exemple, qui nous persuade que la mort, ou l’aneantissement d’vne substance telle qu’est l’esprit, doiue suiure d’vne cause si legere comme est vn changement de figure, qui n’est autre chose qu’vn mode, et encore vn mode non de l’esprit, mais du corps, qui est réellement distinct de l’esprit : Et mesme nous n’auons aucun argument, ny exemple, qui nous puisse persuader qu’il y a des substances qui sont sujettes à estre aneanties : Ce qui suffit pour conclure, que l’esprit, ou l’ame de l’homme, autant que cela peut estre connu par la Philosophie naturelle, est immortelle.

Mais si on demande, si Dieu, par son absoluë puissance n’a point peut-estre determiné que les ames Camusat – Le Petit, p. 199
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humaines cessent d’estre, au mesme temps que les corps ausquels elles sont vnies sont destruits ; c’est à Dieu seul d’en répondre. Et puisqu’il nous a maintenant reuelé que cela n’arriuera point, il ne nous doit plus rester touchant cela aucun doute.

Au reste i’ay beaucoup à vous remercier de ce que vous auez daigné si officieusement, et auec tant de franchise m’auertir non seulement des choses qui vous ont semblé dignes d’explication, mais aussi des difficultez qui pouuoient m’estre faites par les Athées, ou par quelques enuieux, et médisans.

Car encore que ie ne voye rien entre les choses que vous m’auez proposées, que ie n’eusse auparauant rejetté, ou expliqué dans mes Meditations, (comme, par exemple, ce que vous auez allegué des mouches qui sont produites par le Soleil, des Canadiens, des Niniuites, des Turcs, et autres choses semblables, ne peut venir en l’esprit à ceux qui suiuans l’ordre de ces Meditations, mettront à part pour quelque temps toutes les choses qu’ils ont aprises des sens, pour prendre garde à ce que dicte la plus pure et plus saine raison ; C’est pourquoy ie pensois auoir des-ja rejetté toutes ces choses) Encore, dis-je, que cela soit, ie iuge neantmoins que ces objections seront fort vtiles à mon dessein ; d’autant que ie ne me promets pas d’auoir AT IX-1, 121 beaucoup de lecteurs, qui veüillent aporter tant d’attention aux choses que i’ay escrites, qu’estant paruenus à la fin, ils se ressouuiennent de tout ce qu’ils auront leu auparauant : Et ceux qui ne le Camusat – Le Petit, p. 200
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feront pas, tomberont aisément en des difficultez, ausquelles ils verront puis aprez que i’auray satisfait par cette réponse, ou du moins ils prendront de là occasion d’examiner plus soigneusement la verité.

Pour ce qui regarde le Conseil que vous me donnez, de disposer mes raisons selon la methode des Geometres, afin que tout d’vn coup les lecteurs les puissent comprendre, ie vous diray icy en quelle façon i’ay des-ja taché cy-deuant de la suiure, et comment i’y tascheray encore cy-aprés. Dans la façon d’écrire des Geometres ie distingue deux choses, à sçauoir l’ordre, et la maniere de démontrer.

L’ordre consiste en cela seulement, que les choses qui sont proposées les premières doiuent estre connuës sans l’aide des suiuantes, et que les suiuantes doiuent aprés estre disposées de telle façon, qu’elles soient démontrées par les seules choses qui les precedent. Et certainement i’ay taché autant que i’ay pû de suiure cét ordre en mes Meditations. Et c’est ce qui a fait que ie n’ay pas traité dans la seconde de la distinction de l’esprit d’auec le corps, mais seulement dans la sixiéme, et que i’ay obmis de parler de beaucoup de choses dans tout ce traité, parce qu’elles presuposoient l’explication de plusieurs autres.

La maniere de demontrer est double, l’vne se fait par l’analyse ou resolution, et l’autre par la synthese, ou composition.

L’analyse montre la vraye voye par laquelle vne chose a esté methodiquement inuentée, et fait voir Camusat – Le Petit, p. 201
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comment les effets dépendent des causes, en sorte que si le lecteur la veut suiure, et jetter les yeux soigneusement sur tout ce qu’elle contient, il n’entendra pas moins parfaitement la chose ainsi démontrée, et ne la rendra pas moins sienne, que si luy-mesme l’auoit inuentée.

Mais cette sorte de demonstration n’est pas propre à conuaincre les Lecteurs opiniastres, ou peu attentifs ; car si on laisse échaper sans y prendre garde la moindre des choses qu’elle propose, la necessité de ses conclusions ne paroistra point ; et on n’a pas coûtume d’y exprimer fort amplement, les choses qui sont assez claires de soy-mesme, bien que ce soit ordinairement celles ausquelles il faut le plus prendre garde.

AT IX-1, 122 La synthese au contraire par vne voye toute autre, et comme en examinant les causes par leurs effets, (bien que la preuue qu’elle contient soit souuent aussi des effets par les causes) démontre à la verité clairement ce qui est contenu en ses conclusions, et se sert d’vne longue suite de definitions, de demandes, d’axiomes, de theoremes, et de problemes, afin que si on luy nie quelques consquencesconsequences, elle face voir comment elles sont contenues dans les antecedens, et qu’elle arrache le consentement du lecteur tant obstiné et opiniastre qu’il puisse estre : mais elle ne donne pas comme l’autre vne entiere satisfaction aux esprits de ceux qui desirent d’aprendre, parce qu’elle n’enseigne pas la methode par laquelle la chose a esté inuẽtée.

Camusat – Le Petit, p. 202
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Les anciens Geometres auoient coutume de se seruir seulement de cette synthese dans leurs écrits, non qu’ils ignorassent entierement l’analyse, mais à mon auis parce qu’ils en faisoient tant d’état qu’ils la reseruoient pour eux seuls, comme vn fecret d’importance.

Pour moy, i’ay suiuy seulement la voye analytique dans mes Meditations, pource qu’elle me semble estre la plus vraye, et la plus propre pour enseigner : mais quant à la synthese, laquelle sans doute est celle que vous desirez icy de moy, encore que touchant les choses qui se traitent en la Geometrie, elle puisse vtilement estre mise aprés l’Analyse, elle ne conuient pas toutesfois si bien aux matieres qui apartiennent à la Metaphysique : Car il y a cette difference que les premieres notions qui sont suposées pour démontrer les propositions Geométriques, ayant de la conuenance auec les sens, sont receuës facilement d’vn chacun ; c’est pourquoy il n’y a point là de difficulté, sinon à bien tirer les consequences, ce qui se peut faire par toutes sortes de personnes, mesme par les moins attentiues, pourueu seulement qu’elles se ressouuiennent des choses precedentes ; et on les oblige aisément à s’en souuenir, en distinguant autant de diuerses propositions qu’il y a de choses à remarquer dans la difficulté proposée, afin qu’elles s’arrestent separement sur chacune, et qu’on les leur puisse citer par aprés, pour les auertir de celles ausquelles elles doiuent penser. Mais au contraire touchant les Camusat – Le Petit, p. 203
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questions qui apartiennent à la Metaphysique, la principale difficulté est de conceuoir clairement et distinctement les premières notions : car encore que de leur nature elles ne soient pas moins claires, et mesme que souuent elles soient plus claires que celles qui sont considerées par les Geometres, neantmoins d’autant qu’elles semblent ne s’accorder pas auec plusieurs prejugez que nous AT IX-1, 123 auons receus par les sens, et ausquels nous sommes acoutumez dés nostre enfance, elles ne sont parfaitement comprises que par ceux qui sont fort attentifs, et qui s’étudient à détacher, autant qu’ils peuuent, leur esprit du commerce des sens : c’est pourquoy si on les proposoit toutes seules, elles seroient aisement niées par ceux qui ont l’esprit porté à la contradiction.

Ce qui a esté la cause pourquoy i’ay plutost écrit des Meditations que des disputes, ou des questions, comme font les Philosophes, ou bien des theoremes ou des problemes comme les Geometres, afin de témoigner par là que ie n’ay écrit que pour ceux qui se voudront donner la peine de mediter auec moy serieusement, et considerer les choses auec attention : Car de cela mesme que quelqu’vn le prepare pour impugner la verité, il se rend moins propre à la comprendre, d’autant qu’il détourne son esprit de la consideration des raisons qui la persuadent, pour l’apliquer à la recherche de celles qui la détruisent.

Mais neantmoins pour témoigner combien ie défere à vostre conseil, ie tacheray icy d’imiter la Camusat – Le Petit, p. 204
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synthese des Geometres, et y feray vn abregé des principales raisons dont i’ay vsé pour démontrer l’existence de Dieu, et la distinction qui est entre l’esprit et le corps humain : ce qui ne seruira peut-estre pas peu pour soulager l’attention des Lecteurs.