Réponse.

Ov i’ay dit, c’est à dire vn esprit, vne ame, vn entendement, vne raison etc. Ie n’ay point entendu par ces noms les seules facultez, mais les choses doüées de la faculté de penser, comme par les deux premiers on a coutume d’entendre ; Et assez souuent aussi par les deux derniers : Ce que i’ay si souuent expliqué, et en termes si exprés, que ie ne voy pas qu’il y ait eu lieu d’en douter.

Et il n’y a point icy de partieraport, ou de conuenance entre la promenade et la pensée, parce que la promenade n’est iamais prise autrement que pour l’action mesme ; mais la pensée se prend quelquesfois pour Camusat – Le Petit, p. 225
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l’acttion, quelquesfois pour la faculté, et quelquesfois pour la chose en laquelle reside cette faculté.

Et ie ne dis pas que l’intellection, et la chose qui entend soient vne mesme chose, non pas mesme la chose qui entend, et l’entendement, si l’entendement est pris pour vne faculté, mais seulement lorsqu’il est pris pour la chose mesme qui entend. Or i’auouë franchement que pour signifier vne chose, ou vne substance, laquelle ie voulois dépoüiller de toutes les choses qui ne luy apartiennent point, ie me suis seruy de termes autant simples et absraits que i’ay pû, comme au contraire ce Philosophe, pour signifier la mesme substance, en AT IX-1, 136 employe d’autres fort concrets, et composez, à sçauoir ceux de sujet, de matiere, et de corps, afin d’empescher autant qu’il peut, qu’on ne puisse separer la pensée d’auec le corps. Et ie ne crains pas que la façon dont il se sert, qui est de joindre ainsi plusieurs choses ensemble, soit trouuée plus propre pour paruenir à la connoissance de la verité, qu’est la mienne, par laquelle ie distingue autant que ie puis chaque chose. Mais ne nous arrestons pas dauantage aux paroles, venons à la chose dont il est question.

Il se peut faire, dit-il, qu’vne chose qui pense soit quelque chose de corporel, dont le contraire est pris, et n’est pas prouué. Tant s’en faut, ie n’ay point auancé le contraire, et ne m’en suis en façon quelconque serui pour fondement, mais ie l’ay laissé entierement indeterminé iusqu’à la sixiéme Meditation, dans laquelle il est prouué.

Camusat – Le Petit, p. 226
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En aprés il dit fort bien, que nous ne pouuons conceuoir aucun acte sans son sujet, comme la pensée sans vne chose qui pense, parce que la chose qui pense n’est pas vn rien : mais c’est sans aucune raison, et contre toute bonne Logique, et mesme contre la façon ordinaire de parler, qu’il adioute, que de la il semble suiure qu’une chose qui pense est quelque chose de corporel ; Car les suiets de tous les actes sont bien à la verité entendus comme estans des substances, (ou si vous voulez comme des matieres, à sçauoir des matieres Metaphysiques) mais non pas pour cela comme des corps.

Au contraire tous les Logiciens, et presque tout le monde auec eux, ont coutume de dire qu’entre les substanccs les vnes sont spirituelles, et les autres corporelles. Et ie n’ay prouué autre chose par l’exemple de la cire, sinon que la couleur, la dureté, la figure, etc. n’appartiennent point à la raison formelle de la cire. C’est à dire qu’on peut conceuoir tout ce qui se trouue necessairement dans la cire, sans auoir besoin pour cela de penser à elles : Ie n’ay point aussi parlé en ce lieu-la de la raison formelle de l’esprit, ny mesme de celle du corps.

Et il ne sert de rien de dire, comme fait icy ce philosophe, qu’vne pensée ne peut pas estre le sujet d’vne autre pensée, Car qui a iamais feint cela que luy ? Mais ie tacheray icy d’expliquer toute la chose dont il est question en peu de paroles.

Il est certain que la pensée ne peut pas estre sans Camusat – Le Petit, p. 227
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vne chose qui pense, et en general aucun accident, ou aucun acte ne peut estre sans vne substance de laquelle il soit l’acte. Mais d’autant que nous ne connoissons pas la substance immediatement par elle mesme, mais seulement par ce qu’elle est le sujet de quelques actes, il est fort conuenable AT IX-1, 137 à la raison, et l’vsage mesme le requiert, que nous apelions de diuers noms ces substances que nous connoissons estre les suiets de plusieurs actes, ou accidens entierement differens ; et qu’apres cela nous examinions si ces diuers noms signifient des choses differentes, ou vne seule et mesme chose.

Or il y a certains actes que nous apelons corporels, comme la grandeur, la figure, le mouuement, et toutes les autres choses qui ne peuuent estre conceuës sans vne extension locale, et nous apelons du nom de Corps la substance en laquelle ils resident : et on ne peut pas feindre que ce soit vne autre substance qui soit le sujet de la figure, vne autre qui soit le sujet du mouuement local, etc. parce que tous ces ades conuiennent entr’eux en ce qu’ils présuposent l’estenduë. En aprez, il y a d’autres actes que nous apelons Intellectuels, comme entendre, vouloir, imaginer, sentir, etc. tous lesquels conuiennent entr’eux en ce qu’ils ne peuuent estre sans pensée, ou perception, ou conscience et connoissance : Et la substance en laquelle ils resident, nous disons que c’est vne chose qui pense, ou vn esprit, ou de quelque autre nom que nous veuillions Camusat – Le Petit, p. 228
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l’apeler, pourueu que nous ne la confondions point auec la substance corporelle, d’autant que les actes intellectuels n’ont aucune affinité auec les actes corporels, et la pensée, qui est la raison commune en laquelle ils conuiennent, differe totalement de l’extension, qui est la raison commune des autres.

Mais aprés que nous auons formé deux concepts clairs et distincts de ces deux substances, il est aysé de connoistre par ce qui a esté dit en la sixiéme Meditation, si elles ne sont qu’vne mesme chose, ou si elles en sont deux differentes.