Des choses qui ont esté objectées contre la seconde Meditation.

Vous continuez icy à nous amuser par des feintes et des déguisemens de Rhetorique, au lieu de nous payer de bonnes et solides raisons : car vous feignez que ie me mocque lors que parle tout de bon ; et vous prenez comme vne chose dite serieusement, et auec quelque assurance de verité, ce que ie n’ay proposé que par forme d’interrogation, et selon l’opinion du vulgaire, pour en faire par aprés vne plus exacte recherche. Car quand i’ay dit, qu’il faloit tenir pour incertaines, ou mesme pour faux, tous les Camusat – Le Petit, p. 542
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témoignages que nous receuons des sens
, ie l’ay dit tout de bon, et cela est si necessaire pour bien entendre mes Meditations, que celuy qui ne peut, ou qui ne veut pas admettre cela, n’est pas capable de rien dire à l’encontre qui puisse meriter réponse ; mais cependant il faut prendre garde à la difference qui est entre les actions de la vie, et la recherche de la verité, laquelle i’ay tant de fois inculquée ; Car quand il est question de la conduite de la vie, ce seroit vne chose tout à fait ridicule de ne s’en pas raporter aux sens ; d’où vient qu’on s’est tousiours mocqué de ces sceptiques, qui negligeoient iusques à tel poinct toutes les choses du monde, que pour empescher qu’ils ne se iettassent eux-mesmes dans des précipices, ils deuoient estre gardez par leurs amis ; et c’est pour cela que i’ay dit en quelque part qu’vne personne de bon sens ne pouuoit douter serieusement de ces choses : Mais lors qu’il s’agit de la recherche de la verité, et de sçauoir quelles choses peuuent estre certainement connuës par l’esprit humain, il est sans doute du tout contraire à la raison, de ne vouloir pas rejetter serieusement ces choses-là comme incertaines, ou mesme aussi comme fausses, afin de remarquer que celles qui ne peuuent pas estre ainsi rejetteés, sont en cela mesme plus asseurées, et à nostre égard plus connuës, et plus euidentes.

Quant à ce que i’ay dit, que ie ne connoissois pas encor assez ce que c’est qu’vne chose qui pense, il n’est pas vray, comme vous dites que ie l’aye dit tout de bon ; Car ie l’ay expliqué en son lieu ; ny mesme que i’aye dit, Camusat – Le Petit, p. 543
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que ie ne doutois nullement, en quoy consistoit la nature du corps, et que ie ne luy attribuois point la faculté de se mouuoir soy-mesme ; ny aussi que i’imaginois l’ame comme vn vent, ou vn feu, et autres choses semblables, que i’ay seulement raportées en ce lieu-là, selon l’opinion du vulgaire, pour faire voir par aprés qu’elles estoient fausses. Mais auec quelle fidelité dites-vous que ie raporte à l’ame les facultez de marcher, de sentir, d’estre nourry, etc. afin que vous adjoustiez immediatement aprés ces paroles, Ie vous accorde tout cela, pourueu que nous nous donnions garde de vostre distinction d’entre l’esprit et le corps : Car en ce lieu-là mesme i’ay dit en termes exprés que la nutrition ne deuoit estre raportée qu’au corps ; Et pour ce qui est du sentiment et du marcher, ie les raporte aussi pour la plus grande partie au corps, et ie n’attribuë rien à l’ame, de ce qui les concerne, que cela seul qui est vne pensée ? De plus quelle raison auez-vous de dire qu’il n’estoit pas besoin d’vn si grand apareil pour prouuer mon existence ; Certes ie pense auoir fort bonne raison de coniecturer de vos paroles mesmes, que l’apareil dont ie me suis seruy n’a pas encore esté assez grand, puis que ie n’ay pû faire encore, que vous comprissiez bien la chose : Car quand vous dites que i’eusse pû conclure la mesme chose de chacune autre de mes actions indifferemment, vous vous méprenez bien fort, pource qu’il n’y en a pas vne, de laquelle ie sois entierement certain, (i’entens de cette certitude Metaphysique de laquelle seule il est icy Camusat – Le Petit, p. 544
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question) excepté la pensée. Car, par exemple, cette consequence ne seroit pas bonne ; ie me promene, donc ie suis, sinon en tant que la connoissance interieure que i’en ay, est vne pensée, de laquelle seule cette conclusion est certaine, non du mouuement du corps, lequel par fois peut-estre faux, comme dans nos songes, quoy qu’il nous semble alors que nous nous promenions ; De façon que de ce que ie pense me promener, ie puis fort bien inferer l’existence de mon esprit, qui a cette pensée, mais non celle de mon corps, lequel se promene. Il en est de mesme de toutes les autres.

2. Vous commencez en suite par vne figure de Rhetorique assez agreable, qu’on nomme Prosopopée, à m’interroger non plus comme vn homme tout entier, mais comme vne ame separée du corps ; En quoy il semble que vous ayez voulu m’auertir, que ces objections ne partent pas de l’esprit d’vn subtil Philosophe, mais de celuy d’vn homme attaché aux sens, et à la chair. Dites-moy donc ie vous prie, ô Chair, ou qui que vous soyez, et quel que soit le nom dont vous vouliez qu’on vous apelle, auez-vous si peu de commerce auec l’esprit, que vous n’ayez peu remarquer l’endroit où i’ay corrigé cette imagination du vulgaire, par laquelle on feint que la chose qui pense, est semblable au vent, ou à quelque autre corps de cette sorte ? Car ie l’ay sans doute corrigée, lors que i’ay fait voir que l’on peut suposer qu’il n’y a point de vent, point de feu, ny aucun autre Camusat – Le Petit, p. 545
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corps au monde, et que neantmoins sans changer cette suposition, toutes les choses par quiquoy ie connois que ie suis vne chose qui pense, ne laissent pas de demeurer en leur entier. Et partant toutes les questions que vous me faites en suite, par exemple pourquoy ne pourois-je donc pas estre vn vent, pourquoy ne pas remplir vn espace, pourquoy n’estre pas meuë en plusieurs façons, et autres semblables, sont si vaines et inutiles, qu’elles n’ont pas besoin de réponse.

3. Ce que vous adjoustez en suite n’a pas plus de force, à sçauoir, si ie suis vn corps subtil et delié, pourquoy ne pourois-je pas estre nourry, et le reste ; Car ie nie absolument que ie sois vn corps. Et pour terminer vne fois pour toutes ces difficultez, parce que vous m’objectez quasi tousiours la mesme chose, et que vous n’impugnez pas mes raisons, mais que les dissimulant comme si elles estoient de peu de valeur, ou que les raportant imparfaites et defectueuses, vous prenez de là occasion de me faire plusieurs diuerses obiections, que les personnes peu versées en la Philosophie ont coutume d’oposer à mes conclusions, ou à d’autres qui leur ressemblent, ou mesme qui n’ont rien de commun auec elles, lesquelles, ou sont eloignées du sujet, ou ont desia esté en leur lieu refutées, et resoluës, il n’est pas necessaire que ie réponde à chacune de vos demandes, autrement il faudroit repeter cent fois les mesmes choses que i’ay desia cy-deuant écrites. Mais ie satisferay seulement en peu de paroles à celles qui me sembleront pouuoir Camusat – Le Petit, p. 546
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arester des personnes vn peu entenduës. Et pour ceux qui ne s’atachent pas tant à la force des raisons, qu’à la multitude des paroles, ie ne fais pas tant de cas de leur aprobation, que ie veüille perdre le temps en discours inutiles pour l’acquerir.

Premierement donc ie remarqueray icy qu’on ne vous croit pas, quand vous auancez si hardiment, et sans aucune preuue, que l’esprit croist, et s’afoiblit auec le corps ; car de ce qu’il n’agit pas si parfaitement dans le corps d’vn enfant, que dans celuy d’vn homme parfait, et que souuent ses actions peuuent estre empeschées par le vin, et par d’autres choses corporelles, il s’ensuit seulement que tandis qu’il est vny au corps, il s’en sert comme d’vn instrument pour faire ces operations, ausquelles il est pour l’ordinaire occupé ; mais non pas que le corps le rende plus ou moins parfait qu’il est en soy : Et la consequence que vous tirez de là n’est pas meilleure, que si de ce qu’vn artisan ne trauaille pas bien, toutes les fois qu’il se sert d’vn mauuais outil, vous inferiez qu’il emprunte son adresse, et la science de son art, de la bonté de son instrument.

Il faut aussi remarquer qu’il ne semble pas, ô chair, que vous sçachiez en façon quelconque ce que c’est que d’vser de raison, puis que pour prouuer que le raport et la foy de mes sens ne me doit point estre suspect, vous dites, que quoy que sans me seruir de l’œil, il m’ait semblé quelquefois que ie sentois des choses qui ne se peuuent sentir sans luy, ie n’ay pas neantmoins tousiours Camusat – Le Petit, p. 547
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experimenté la mesme fausseté
 : comme si ce n’estoit pas vn fondement sufisant pour douter d’vne chose, que d’y auoir vne fois reconnu de l’erreur ; et comme s’il se pouuoit faire que toutes les fois que nous nous trompons, nous peussions nous en aperceuoir : veu qu’au contraire l’erreur ne consiste qu’en ce qu’elle ne paroist pas comme telle. Enfin parce que vous me demandez souuent des raisons, lors que vous-mesme n’en auez aucune, et que c’est neantmoins à vous d’en auoir, ie suis obligé de vous aduertir, que pour bien philosopher il n’est pas besoin de prouuer que toutes ces choses-là sont fausses, que nous ne receuons pas pour vrayes, parce que leur verité ne nous est pas connuë ; mais il faut seulement prendre garde tres-soigneusement, de ne rien receuoir pour veritable que nous ne puissions demonstrer estre tel. Et ainsi quand i’aperçoy que ie suis vne substance qui pense, et que ie forme vn concept clair et distinct de cette substance, dans lequel il n’y a rien de contenu de tout ce qui apartient à celuy de la substance corporelle, cela me sufit pleinement pour assurer qu’entant que ie me connois, ie ne suis rien qu’vne chose qui pense, et c’est tout ce que i’ay assuré dans la seconde Meditation, de laquelle il s’agit maintenant : Et ie n’ay pas deu admettre que cette substance qui pense fust vn corps subtil, pur, delié, etc. dautant que ie n’ay eu lors aucune raison qui me le persuadast, si vous en auez quelqu’vne, c’est à vous de nous l’enseigner, et non pas d’exiger de moy que Camusat – Le Petit, p. 548
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ie prouue qu’vne chose est fausse, que ie n’ay point eu d’autre raison pour ne la pas admettre, qu’à cause qu’elle m’estoit inconnuë. Car vous faites le mesme, que si disant que ie suis maintenant en Holande, vous disiez que ie ne dois pas estre creu, si ie ne prouue en mesme temps que ie ne suis pas en la Chine, ny en aucune autre partie du monde, dautant que peut-estre il se peut faire qu’vn mesme corps par la toute-puissance de Dieu soit en plusieurs lieux. Et lors que vous adioustez que ie dois aussi prouuer que les ames des bestes ne sont pas corporelles, et que le corps ne contribuë rien à la pensée, vous faites voir que non seulement vous ignorez à qui apartient l’obligation de prouuer vne chose, mais aussi que vous ne sçauez pas ce que chacun doit prouuer. Car pour moy ie ne croy point, ny que les ames des bestes ne soient pas corporelles, ny que le corps ne contribuë rien à la pensée ; mais seulement ie dis que ce n’est pas icy le lieu d’examiner ces choses.

4. Vous cherchez icy de l’obscurité à cause de l’équiuoque qui est dans le mot d’Ame, mais ie l’ay tant de fois nettement éclaircie que i’ay honte de le repeter icy ; C’est pourquoy ie diray seulement que les noms ont esté pour l’ordinaire imposez par des personnes ignorantes, ce qui fait qu’ils ne conuiennent pas tousiours assez proprement aux choses qu’ils signifient, neantmoins depuis qu’ils sont vne fois receus, il ne nous est pas libre de les changer, mais seulement nous pouuons corriger leurs significations, Camusat – Le Petit, p. 549
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quand nous voyons qu’elles ne sont pas bien entenduës. Ainsi dautant que peut-estre les premiers auteurs des noms n’ont pas distingué en nous ce principe par lequel nous sommes nourris, nous croissons, et faisons sans la pensée toutes les autres fonctions qui nous sont communes auec les bestes, d’auec celuy par lequel nous pensons, ils ont apelé l’vn et l’autre du seul nom d’Ame ; et voyant puis aprés que la pensée estoit differente de la nutrition, ils ont apelé du nom d’Esprit, cette chose qui en nous a la faculté de penser, et ont creu que c’estoit la principale partie de l’ame. Mais moy venant à prendre garde que le principe par lequel nous sommes nourris, est entierement distingué de celuy par lequel nous pensons, i’ay dit que le nom d’Ame, quand il est pris conioinctement pour l’vn et l’autre, est équiuoque, et que pour le prendre precisement pour ce premier Acte, ou cette forme principale de l’homme, il doit estre seulement entendu de ce principe par lequel nous pensons ; aussi l’aye-je le plus souuent apelé du nom d’Esprit, pour oster cette équiuoque et ambiguité. Car ie ne considere pas l’Esprit comme vne partie de l’ame, mais comme cette ame toute entiere qui pense. Mais, dites vous, vous estes en peine de sçauoir, si ie n’estime donc point que l’ame pense tousiours ; mais pourquoy ne penseroit elle pas tousiours, puis qu’elle est vne substance qui pense ? et quelle merueille y a-t-il, de ce que nous ne nous ressouuenons pas des pensées qu’elle a euës dans le ventre de Camusat – Le Petit, p. 550
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nos meres, ou pendant vne lhetargie etc. puis que nous ne nous ressouuenons pas mesme de plusieurs pensées que nous sçauons fort bien auoir euës estans adultes, sains, et éueillez : Dont la raison est, que pour se ressouuenir des pensées que l’esprit a vne fois conceuës, tandis qu’il est conjoint au corps, il est necessaire qu’il en reste quelques vestiges imprimez dans le cerueau, vers lesquels l’esprit se tournant, et apliquant à eux sa pensée, il vient à se ressouuenir ; or qui a-t-il de merueilleux, si le cerueau d’vn enfant, ou d’vn lhetargique, n’est pas propre pour receuoir de telles impressions.

Enfin ou i’ay dit, que peut-estre il se pouuoit faire, que ce que ie ne connois pas encore (à sçauoir mon corps) n’est point different de moy que ie connois (à sçauoir de mon esprit) que ie n’en sçay rien, que ie ne dispute pas de cela etc. vous m’obiectez, si vous ne le sçauez pas, si vous ne disputez point de cela, pourquoy dites vous que vous n’estes rien de tout cela : ou il n’est pas vray, que i’aye rieni’aye rien mis en avant que ie ne sceusse ; Car tout au contraire, parce que ie ne sçauois pas lors si le corps estoit vne mesme chose que l’Esprit, ou s’il ne l’estoit pas, ie n’en ay rien voulu auancer, mais i’ay seulement consideré l’esprit, iusqu’à ce qu’enfin dans la sixiéme Meditation ie n’ay pas simplement auancé, mais i’ay demontré tres-clairement qu’il estoit réellement distingué du corps. Mais vous manquez vous-mesme en cela beaucoup, que n’ayant pas la moindre raison pour monstrer que l’esprit n’est point distiguédistingué du Camusat – Le Petit, p. 551
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corps, vous ne laissez pas de l’auancer sans aucune preuue.

5. Ce que i’ay dit de l’imagination est assez clair, si l’on y veut prendre garde, mais ce n’est pas merueille si cela semble obscur à ceux qui ne meditent iamais, et ne font aucune reflexion sur ce qu’ils pensent. Mais i’ay à les aduertir que les choses que i’ay assuré ne point apartenir à cette connoissance que i’ay de moy-mesme, ne repugnent point auec celles que i’auois dit auparauant ne sçauoir pas si elles apartenoient à mon essence : dautant que ce sont deux choses entierement differentes, apartenir à mon essence, et apartenir à la connoissance que i’ay de moy-mesme.

6. Tout ce que vous alleguez icy, ô tres-bonne chair, ne me semble pas tant des objections, que quelques murmures qui n’ont pas besoin de repartie.

7. Vous continuez encore icy vos murmures, mais il n’est pas necessaire que ie m’y areste dauantage que i’ay fait aux autres. Car toutes les questions que vous faites des bestes, sont hors de propos, et ce n’est pas icy le lieu de les examiner ; dautant que l’esprit meditant en soy-mesme, et faisant reflexion sur ce qu’il est, peut bien experimenter qu’il pense, mais non pas si les bestes ont des pensées, ou si elles n’en ont pas : et il n’en peut rien découurir que lors qu’examinant leurs operations, il remonte des effets vers leurs causes. Ie ne m’areste pas non plus à refuter les lieux où vous me faites parler impertinemment, parce Camusat – Le Petit, p. 552
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qu’il me suffit d’auoir vne fois auerty le lecteur, que vous ne gardez pas toute la fidelité qui est deuë au raport des paroles d’autruy. Mais i’ay souuent aporté la veritable marque par laquelle nous pouuons connoistre que l’esprit est different du corps, qui est, que toute l’essence ou toute la nature de l’esprit consiste seulement à penser, là où toute la nature du corps consiste seulement en ce point, que le corps est vne chose étenduë ; et aussi qu’il n’y a rien du tout de commun entre la pensée, et l’extension. I’ay souuent aussi fait voir fort clairement, que l’esprit peut agir independemment du cerueau ; car il est certain qu’il est de nul vsage lors qu’il s’agit de former des actes d’vne pure intellection, mais seulement quand il est question de sentir, ou d’imaginer quelque chose ; Et bien que lors que le sentiment, ou l’imagination est fortement agitée (comme il arriue quand le cerueau est troublé) l’esprit ne puisse pas facilement s’apliquer à conceuoir d’autres choses, nous experimentons neantmoins que lors que nostre imagination n’est pas si forte, nous ne laissons pas souuent de conceuoir quelque chose d’entierement different de ce que nous imaginons ; comme lors qu’au milieu de nos songes, nous aperceuons que nous réuons : Car alors c’est bien vn effet de nostre imagination de ce que nous réuons, mais c’est vn ouurage qui n’apartient qu’à l’entendement seul, de nous faire aperceuoir de nos réueries.

8. Icy, comme souuent ailleurs, vous faites voir seulement Camusat – Le Petit, p. 553
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que vous n’entendez pas ce que vous tâchez de reprendre : Car ie n’ay point fait abstraction du concept de la cire d’auec celuy de ses accidens, mais plutost i’ay voulu montrer, comment sa substance est manifestée par les accidens, et combien sa perception, quand elle est claire et distincte, et qu’vne exacte reflexion nous la renduë manifeste, differe de la vulgaire et confuse. Et ie ne voy pas, ô Chair, sur quel argument vous vous fondez pour asseurer auec tant de certitude que le chien discerne, et iuge de la mesme façon que nous, sinon parce que voyant qu’il est aussi composé de chair, vous vous persuadez que les mesmes choses qui sont en vous, se remontrentrencontrent aussi en luy ; pour moy qui ne reconnois dans le chien aucun Esprit, ie ne pense pas qu’il y ait rien en luy de semblable aux choses qui apartiennent à l’Esprit.

9. Ie m’étonne que vous auoüyez que toutes les choses que ie considere en la cire, prouuent bien que ie connois distinctement que ie suis, mais non pas quel ie suis, ou quelle est ma nature ; veu que l’vn ne se démontre point sans l’autre. Et ie ne voy pas ce que vous pouuez desirer de plus touchant cela, sinon qu’on vous die de quelle couleur, de quelle odeur, et de quelle saueur est l’esprit humain, ou de quel sel, soufre, et mercure il est composé : car vous voulez que comme par vne espece d’operation chymique, à l’exemple du vin, nous le passions par l’alambie, pour sçauoir ce qui entre en la composition de son essence. Ce qui certes est digne de vous, ô chair, et de tous Camusat – Le Petit, p. 554
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ceux qui ne conceuans rien que fort confusement, ne sçauent pas ce que l’on doit rechercher de chaque chose. Mais quant à moy ie n’ay iamais pensé, que pour rendre vne substance manifeste, il fut besoin d’autre chose que de découurir ses diuers attribus ; en sorte que plus nous connoissons d’atribus de quelque substance, plus parfaitement aussi nous en connoissons la nature ; et tout ainsi que nous pouuons distinguer plusieurs diuers atributs dans la cire, l’vn qu’elle est blanche, l’autre qu’elle est dure, l’autre que de dure elle deuient liquide etc. de mesme y en a-t-il autant en l’Esprit, l’vn qu’il a la vertu de connoistre la blancheur de la cire, l’autre qu’il a la vertu d’en connoistre la dureté, l’autre qu’il peut connoistre le changement de cette dureté, ou la liquefaction etc. car tel peut connoistre la dureté, qui pour cela ne connoistra pas la blancheur, comme vn aueugle né, et ainsi du reste. D’où l’on voit clairement qu’il n’y a point de chose dont on connoisse tant d’atribus que de nostre esprit, pource qu’autant qu’on en connoist dans les autres choses, on en peut autant compter dans l’esprit, de ce qu’il les connoist : et partant sa nature est plus connuë que celle d’aucune autre chose.

Enfin vous marguëz icy en passant, de ce que n’ayant rien admis en moy que l’esprit, ie parle neantmoins de la cire que ie voy, et que ie touche, ce qui toutefois ne se peut faire sans yeux ny sans mains : mais vous auez deu remarquer que i’ay expressement Camusat – Le Petit, p. 555
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auerty, qu’il ne s’agissoit pas icy de la veuë, ou du toucher, qui se font par l’entremise des organes corporels, mais de la seule pensée de voir, et de toucher, qui n’a pas besoin de ces organes, comme nous experimentons toutes les nuits dans nos songes : Et certes vous l’auez fort bien remarqué, mais vous auez seulement voulu faire voir comhiencombien d’absurditez et d’iniustes cauillations, sont capables d’inuenter ceux qui ne trauaillent pas tant à bien conceuoir vne chose, qu’à l’impugner, et contredire.