Des choses qui peuuent aréster les Theologiens.

Enfin pour finir vn discours qui n’est desia que trop ennuyeux, ie veux icy traitter les choses le plus briëuement qu’il me sera possible, et à ce sujet mon dessein est de marquer seulement les difficultez, sans m’arester à vne dispute plus exacte.

Premierement ie crains que quelques vns ne s’ofensent de cette libre façon de philosopher, par laquelle toutes choses sont réuoquées en doute. Et de vray nostre auteur mesme confesse, dans sa Methode que cette voye est dangereuse pour les foibles espris ; i’auoüe neantmoins qu’il tempere vn Camusat – Le Petit, p. 284
Image haute résolution sur Gallica
peu le sujet de cette crainte dans l’abregé de sa premiere Meditation.

Toutesfois ie ne sçay s’il ne seroit point à propos de la munir de quelque préface, dans laquelle le lecteur fust auerti, que ce n’est pas serieusement, et tout de bon que l’on doute de ces choses, mais afin qu’ayant pour quelque temps mis à part toutes celles qui peuuent donner le moindre doute, ou comme parle nostre auteur en vn autre endroit, qui peuuent donner à nostre esprit vne occasion de douter la plus hyperbolique, nous voyions si aprés cela il n’y aura pas moyen de trouuer quelque verité qui soit si ferme et si assurée, que les plus opiniastres n’en puissent aucunement douter. Et aussi au lieu de ces paroles ne connoissant pas l’auteur de mon origine, ie penserois qu’il vaudrait mieux mettre feignant de ne pas connoistre.

Dans la quatriéme Meditation qui traite du vray et du faux, ie voudrais pour plusieurs raisons qu’il seroit long de raporter icy, que Monsieur Des-Cartes dans son abregé, ou dans le tissu mesme de cette meditation, auertist le lecleur de deux choses.

La premiere, que lorsqu’il explique la cause de l’erreur, il entend principalement parler de celle qui se commet dans le discernement du AT IX-1, 168 vray et du faux, et non pas de celle qui arriue dans la poursuite du bien et du mal.

Car puisque cela sufit pour le dessein et le but Camusat – Le Petit, p. 285
Image haute résolution sur Gallica
de nostre auteur, et que les choses qu’il dit icy touchant la cause de l’erreur soufriroyent de tres-grandes obiections, si on les étendoit aussi à ce qui regarde la poursuite du bien et du mal, il me semble qu’il est de la prudence, et que l’ordre mesme, dont nostre auteur paroist si ialoux, requiert, que toutes les choses qui ne seruent point au suiet, et qui peuuent donner lieu à plusieurs disputes, soyent retranchées, de peur que tandis que le lecteur s’amuse inutilement à disputer des choses qui sont superfluës, il ne soit diuerti de la connoissance des necessaires.

La seconde chose dont ie voudrois que nostre auteur donnast quelque auertissement, est, que lorsqu’il dit que nous ne deuons donner nostre creance qu’aux choses que nous conceuons clairement et distinctement, cela s’entend seulement des choses qui concernent les sciences, et qui tombent souz nostre intelligence, et non pas de celles qui regardent la foy, et les actions de nostre vie : Ce qui a fait qu’il a tousiours condamné l’arrogance et presomption de ceux qui opinent, C’est à dire de ceux qui pensent sçauoir ce qu’ils ne sçauent pas, mais qu’il n’a iamais blâmé la iuste persuasion de ceux qui croyent auec prudence. Camusat – Le Petit, p. 286
Image haute résolution sur Gallica

Car comme remarque fort iudicieusement S. Augustin au Chap. 15. de l’vtilité de la croyance ; il y a trois choses en l’Esprit de l’homme qui ont entr’elles vn tres-grand raport, et semblent quasi n’estre qu’vne mesme chose, mais qu’il faut neantmoins tres-soigneusement distinguer ; sçauoir est, entendre, croire, et opiner.

Celuy-là entend, qui comprend quelque chose par des raisons certaines. Celuy-là croit, lequel emporté par le poids et le credit de quelque graue et puissante autorité, tient pour vray cela mesme qu’il ne comprend pas par des raisons certaines. Celuy-là opine, qui se persuade, ou plutost qui presume de sçauoir ce qu’il ne sçait pas.

Or c’est vne chose honteuse, et fort indigne d’vn homme que d’opiner, pour deux raisons : la premiere pource que celuy-là n’est plus en estat d’aprendre, qui s’est desia persuadé de sçauoir ce qu’il ignore ; et la seconde pource que la presomption est de soy la marque d’un esprit mal fait, et d’un homme de peu de sens.

Doncques ce que nous entendons nous le deuons à la raison : Ce que nous croyons à l’autorité : Ce que nous opinons à l’erreur. Ie dis cela afin que nous sçachions qu’adioutant foy, mesme aux choses que nous ne comprenons pas encore, nous sommes exemps de la presomption de ceux qui opinent.

Car ceux qui disent qu’il ne faut rien croire que ce que nous AT IX-1, 169 sçauons, taschent seulement de ne point tomber dans la faute de ceux qui opinent, laquelle en effect est de soy honteuse et blasmable : Mais si quelqu’vn considere auec soin la grande difference qu’il y a, entre celuy qui presume sçauoir ce qu’il ne sçait pas, et celuy qui croit ce qu’il sçait bien qu’il n’entend pas, y estant toutesfois porté par quelque puissante autorité, il verra que celuy-cy euite sagement le peril de l’erreur, le blasme de peu de confiance Camusat – Le Petit, p. 287
Image haute résolution sur Gallica
et d’humanité, et le peché de superbe. Et vn peu aprés Chap. 12. il adioute.

On peut aporter plusieurs raisons qui feront voir qu’il ne reste plus rien d’assuré parmy la societé des hommes, si nous sommes resolus de ne rien croire que ce que nous pourons connoistre certainement.

Iusques icy Saint Augustin.

Monsieur Des-Cartes peut maintenant iuger combien il est necessaire de distinguer ces choses, de peur que plusieurs de ceux qui panchent aujourd’huy vers l’impieté, ne puissent se seruir de ses paroles, pour combatre la foy et la verité de nostre creance.

Mais ce dont ie preuoy que les Theologiens s’offenseront le plus, est, que selon ses principes, il ne semble pas que les choses que l’Eglise nous enseigne touchant le sacré mystere de l’Eucharistie, puissent susister et demeurer en leur entier.

Car nous tenons pour article de foy que la substance du pain estant ostée du pain Eucharistique, les seuls accidens y demeurent : or ces accidens sont l’étenduë, la figure, la couleur, l’odeur, la saueur, et les autres qualitez sensibles.

De qualitez sensibles nostre auteur n’en reconnoist point, mais seulement certains differens mouuemens des petits corps qui sont autour de nous, par le moyen desquels nous sentons ces differentes impressions, lesquelles puis aprés nous apelons du nom de couleur, de saueur, d’odeur etc. Camusat – Le Petit, p. 288
Image haute résolution sur Gallica
Ainsi il reste seulement la figure, l’étenduë, et la mobilité. Mais nostre auteur nie que ces facultez puissent estre entenduës sans quelque substance en laquelle elles resident, et partant aussi qu’elles puissent exister sans elle : Ce que mesme il repete dans ses réponses aux premières obiections.

Il ne reconnoist point aussi entre ces modes ou affections de la substance, et la substance, de distinction autre que la formelle, laquelle ne suffit pas, ce semble, pour que les choses qui sont ainsi distuinguées, puissent estre séparées l’vne de l’autre, mesme par la toute puissance de Dieu.

AT IX-1, 170 Ie ne doute point que Monsieur Des-Cartes, dont la pieté nous est tres connuë, n’examine et ne pese diligemment ces choses, et qu’il ne iuge bien qu’il luy faut soigneusement prendre garde, qu’en tachant de soutenir la cause de Dieu contre l’impieté des libertins, il ne semble pas leur auoir mis des armes en main, pour combatre vne foy que l’autorité du Dieu qu’il defend a fondée, et au moyen de laquelle il espere paruenir à cette vie immortelle qu’il a entrepris de persuader aux hommes.