Le Gras, p. 283
Image haute résolution sur Gallica
AT IX-2, 201

LES PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE.
QVATRIESME PARTIE.
De la Terre.

I. Que pour trouuer les vrayes causes de ce qui est sur la Terre il faut retenir l’hypothese des-ja prise, nonobstãt qu’elle soit fausse. Bien que je ne vueille point qu’on se persuade que les corps qui composẽt ce monde visible ayẽt jamais esté produits en la façon que j’ay décrite, ainsi que j’ay cy-dessus assez auerti, je suis neantmoins obligé de retenir encore icy la mesme hypothese pour expliquer ce qui est sur la Terre afin que si je monstre éuidemment, ainsi que j’espere faire, qu’on peut par ce moyen donner des raisons tres-intelligibles et certaines de toutes les choses qui s’y remarquent, et qu’on ne puisse faire le semblable par aucune autre inuention, nous ayons sujet de conclure que bien que le monde n’ait pas esté fait au commencement en cette façon, et qu’il ait esté immediatement creé de Dieu, toutes les choses qu’il Le Gras, p. 284
Image haute résolution sur Gallica
contient ne laissent pas d’estre maintenant de mesme nature que si elles auoient esté ainsi produites.

II. Quelle a esté la génératiõ de la Terre suiuant cette hypothese. Feignons donc que cette Terre où nous sommes a esté autrefois vn astre composé de la matiere du premier element toute pure, AT IX-2, 202 laquelle occupoit le centre d’vn de ces quatorze tourbillons qui estoient contenus en l’espace que nous nommons le premier ciel, en sorte qu’elle ne differoit en rien du Soleil sinon qu’elle estoit plus petite ; mais que les moins subtiles parties de sa matiere, s’attachant peu à peu les vnes aux autres, se sont assemblées sur sa superficie, et y ont composé des nuages, ou autres corps plus espais et obscurs, semblables aux taches qu’on voit continuellement estre produites, et peu apres dissipées, sur la superficie du Soleil ; et que ces corps obscurs estant aussi dissipez peu de temps apres qu’ils auoient esté produits, les parties qui en restoient, et qui estant plus grosses que celles des deux premiers elemens auoient la forme du troisiéme, se sont confusément entassées autour de cette Terre, et l’enuironnant de toutes parts ont composé vn corps presque semblable à l’air que nous respirons. Puis enfin que cét air estant deuenu fort grand et espais les corps obscurs qui continuoient à se former sur la superficie Le Gras, p. 285
Image haute résolution sur Gallica
de la Terre n’ont pû si facilemẽt qu’auparauant y estre destruits, de façon qu’ils l’ont peu à peu toute couuerte et offusquée ; et mesme que peut-estre plusieurs couches de tels corps s’y sont entassées l’vne sur l’autre, ce qui a tellement diminué la force du tourbillon qui la contenoit qu’il a esté entierement destruit, et que la Terre, auec l’air et les corps obscurs qui l’enuironnoient, est descenduë vers le Soleil jusques à l’endroit où elle est à présent.

III. Sa diuision en trois diuerses regiõs et la description de la premiere. Et si nous la considerons en l’état qu’elle a dû estre peu de temps auparauant qu’elle soit ainsi descenduë vers le Soleil nous y pourrons remarquer trois regions fort diuerses. Dont la premiere et plus basse, qui est icy marquée I, semble ne deuoir cõtenir que de la matiere duVoyez la fin qui suit. premier element qui s’y meut en mesme façon que celle qui est dãs le Soleil, et qui n’est point d’autre nature, sinon qu’elle n’est peut estre pas du tout si subtile, à cause qu’elle ne se peut purifier ainsi que fait celle du Soleil qui rejette continuellement hors de soy la matiere des ses taches. Et cette raison me pourroit persuader que l’espace I n’est maintenant presque rempli que de la matiere du troisiéme element que les moins subtiles parties du premier ont composée en s’attachant les vnes aux autres, sinon qu’il me semble que si cela estoit la Terre seroit Le Gras, p. 286
Image haute résolution sur Gallica
si solide qu’elle ne pourroit demeurer si proche du Soleil qu’elle fait ; Outre AT IX-2, 203 qu’on peut imaginer diuerses raisons qui empeschent qu’il ne puisse y auoir autre chose en l’espace I que de la plus pure matiere du premier element, car peut estre que les parties de cette matiere qui sont les plus disposées à s’attacher les vnes aux autres sont empeschées d’y entrer par le corps de sa seconde région, et peut-estre aussi que son mouuement a tant de force lors qu’elle est enfermée en cét espace que non seulement il empesche qu’aucunes de ses parties ne demeurent jointes, mais qu’il en destache aussi peu à peu quelques vunes du corps qui l’enuironne.

IV. Description de la secõde. Car la seconde ou moyenne region qui est icy marquée M, est remplie d’vn corps fort opaque ou obscur, et fort solide ou serré, en sorte qu’il ne contient aucuns pores plus grãds que ceux qui donnent passage aux parties canelées de la matiere du premier element, d’autant qu’il n’a esté composé que des parties de cette matiere qui estant extremement petites n’ont pû laisser de plus grands interualles parmy elles lors qu’elles se sont jointes les vnes aux autres. Et on voit par experience que les taches du Soleil, qui sont produites en mesme façon qu’a esté ce corps M, et ne sont point d’autre nature que luy, excepté qu’elles sont Le Gras, p. 287
Image haute résolution sur Gallica
beaucoup plus minces et moins serrées, empeschent le passage de la lumiere, ce qui monstre qu’elles n’ont point de pores assez grands pour receuoir les petites parties du second element. Car s’il y auoit en elles de tels pores ils y seroient sans doute assez droits et vnis pour ne point interrompre la lumiere, à cause qu’ils se seroient formez en vne matiere qui a esté au commencement fort molle et fort fluide, et n’a que des parties fort petites et fort faciles à plier.

V. Description de la troisiéme. Or ces deux premieres et plus basses régions de la Terre nous importent fort peu, d’autant que jamais homme viuant n’est descendu jusques à elles. Mais nous aurons beaucoup plus de choses à remarquer en la troisiéme à cause que c’est en elle que se doiuent produire tous les corps que nous voyons autour de nous. Toutefois il n’y paroist encore icy autre chose sinon vn amas confus des petites parties du troisiéme element qui ne sont point si estroitement jointes AT IX-2, 204 qu’il n’y ait beaucoup de la matiere du second parmy elles, et pource que nous pourrons connoistre leur nature en considerant exactement de quelle façon elles ont esté formées nous pourrons aussi venir à vne parfaite connoissance de tous les corps qui en doiuent estre composez.

Le Gras, p. 288
Image haute résolution sur Gallica
VI. Que les parties du troisiéme elemẽt qui sont en cette troisiéme region doiuent estre assez grãdes. Et premierement puis que ces parties du troisiéme element sont venuës du débris des nuages ou taches qui se formoient autrefois sur la Terre lors qu’elle estoit encore semblable au Soleil, chacune d’elles doit estre composée de plusieurs autres parties beaucoup plus petites, qui appartenoient au premier element auant qu’elles fussent jointes ensemble, et doit aussi estre assez solide et assez grande pour ne pouuoir estre rompuë par les petites boules de la matiere du ciel qui roulent continuellement autour d’elles : Car toutes celles qui ont pû estre ainsi rompuës n’ont pas retenu la forme du troisiéme element, mais ont repris celles du premier, ou bien ont acquis celles du second.

VII. Qu’elles peuuent estre changées par l’action des deux autres elemens. Il est vray que bien que ces parties du troisiéme element soient assez grandes et solides pour n’estre pas entierement dissipées par la rencontre de celles du second, toutefois elles peuuent tous-jours quelque peu estre changées par elles, et mesme par succession de temps entierement destruites, à cause que chacune est composée de plusieurs qui ayant eu la forme du premier element doiuent estre fort petites et flexibles.

VIII. Qu’elles sont plus grandes que celles du second, mais non pas si solides ny tant agitées. Et pource que ces parties du premier element qui composent celles du troisiéme ont Le Gras, p. 289
Image haute résolution sur Gallica
plusieurs diuerses figures, elles n’ont pû se joindre si justement l’vne à l’autre qu’il ne soit demeuré entr’elles beaucoup d’interualles qui sont si estroits qu’ils ne peuuent estre remplis que de la plus fluide et plus subtile matiere de ce premier elemẽt, ce qui fait que les parties du troisiéme qui en sont composées ne sont pas si massiues ou solides, ny capables d’vne si forte agitation que celles du second, bien qu’elles soient beaucoup plus grosses. Ioint que ces parties du second element sont rondes, ce qui les rend fort AT IX-2, 205 propres à se mouuoir, au lieu que celles du troisiéme ne peuuent auoir que des figures fort irregulières et diuerses, à cause de la façon dont elles sont produites.

IX. Comment elles se sont au commencement assemblées. Et il faut icy remarquer qu’auant que la Terre fust descenduë vers le Soleil, bien que ces parties du troisiéme element qui estoient des-ja autour d’elle fussent entierement separées les vnes des autres, elles ne se répandoiẽt pas toutefois confusément dans tout le Ciel, mais demeuroient entassées et appuyées l’vne sur l’autre en la façon qu’elle sont icy representées. Dont la raison est que les parties du second element qui composoient vn tourbillon autour de cette Terre, et qui estoient plus massiues qu’elles, les poussoient continuellement vers son centre en faisant effort pour s’en éloigner.

Le Gras, p. 290
Image haute résolution sur Gallica
X. Qu’il est demeuré plusieurs interualles autour d’elles que les deux autres elemens ont remplis. Il faut aussi remarquer qu’encore qu’elles fussent ainsi appuyées l’vne sur l’autre, toutefois à cause de l’inégalité et irregularité de leurs figures, et qu’elles s’estoient entassées sans ordre à mesure qu’elles auoient esté formées, elles ne pouuoient estre si pressées ny si justement jointes qu’il n’y eust quantité d’interualles autour d’elles qui estoient assez grands pour donner libre passage non seulement à la matiere du premier element mais aussi à celle du second.

XI. Que les parties du secõd element estoiẽt alors plus petites proche de la Terre qu’vn peu plus haut. De plus il faut remarquer qu’entre les parties du second element, qui se trouuoient en ces interualles, celles qui estoient les plus basses au regard de la Terre, estoient quelque peu plus petites que celles qui estoient plus hautes, pour la mesme raison qu’il a esté dit cy-dessus que celles qui sont autour du Soleil sont par degrez plus petites selon qu’elles sont plus proches de sa superficie ; et que toutes ces parties du second element qui estoient en la plus haute region de la Terre, n’estoient point plus grosses que celles qui sont AT IX-2, 206 maintenant autour du Soleil au dessous de la sphere de Mercure, mais que peut-estre elles estoient plus petites à cause que le Soleil est plus grand que n’a jamais esté la Terre, d’où il suit qu’elles estoient aussi plus petites que celles qui sont à present en cette mesme région de la Terre, pource que celles-cy, Le Gras, p. 291
Image haute résolution sur Gallica
estant plus éloignées du Soleil que celles qui sont au dessous de la sphere de Mercure, doiuent par consequent estre plus grosses.

XII. Que les espaces par où elles passoiẽt entre les parties de la troisiéme region estoient plus estroits. Il faut encore icy remarquer qu’à mesure que les parties terrestres de cette plus haute region ont esté produites, elles se sont tellement entassées que les interualles qui sont demeurez parmy elles ne se sont ajustez qu’à la grandeur de ces plus petites parties du second element, ce qui a fait que lors que d’autres plus grosses leur ont succedé elles n’y ont pas trouué le passage entierement libre.

XIII. Que les plus grosses parties de cette troisiéme region n’estoiẽt pas tous-jours les plus basses. Enfin il faut remarquer qu’il est souuent arriué pour lors que quelques-vnes des plus grosses et plus solides de ces parties du troisiéme element se tenoient au dessus de quelques autres qui estoient moindres, pource que n’ayant qu’vn mouuement vniforme autour de l’essieu de la Terre, et s’arrestant facilement l’vne à l’autre, à cause de l’irregularité de leurs figures, encore que chacune fust poussée vers le centre de la Terre, par les parties du second element, d’autant plus fort qu’elle estoit plus grosse et plus solide, elle ne pouuoit pas tous-jours se dégager de celles qui l’estoient moins afin de descendre plus bas, et ainsi elles retenoient à peu pres le mesme ordre selon lequel elles auoient esté formées, en sorte que celles qui Le Gras, p. 292
Image haute résolution sur Gallica
venoient des taches qui se dissipoient les dernieres estoient les plus basses.

XIV. Qu’il s’est par apres formé en elle diuers corps. Or quand la Terre ainsi composée de trois diuerses regions est descẽduë vers le Soleil cela n’a pû causer grand changement aux deux plus basses, mais si bien en la plus haute laquelle a deu premierement, se partager en deux diuers corps, puis en trois, et apres en quatre, et ensuite en plusieurs autres.

AT IX-2, 207 XV. Quelles sont les principales actions par lesquelles ces corps ont esté produits. Et l’explication de la premiere. Et je tascheray d’expliquer icy en quelle sorte tous ces corps ont deu estre produits, mais il est besoin que je die auparauant quelque chose de trois ou quatre des principales actions qui ont contribué à cette production. La premiere consiste au mouuement des petites parties de la matiere du ciel consideré en general. La seconde, en ce qu’on nomme la pesanteur. La troisiéme en la lumiere ; Et la quatriéme en la chaleur. Par le mouuement des petites parties de la matiere du ciel en general j’entens leur agitation continuelle, qui est si grande que non seulement elle suffit à leur faire vn grand tour chaque année autour du Soleil, et vn autre chaque jour autour de la Terre, mais aussi à les mouuoir cependant en plusieurs autre façons. Et pource que lors qu’elles ont pris leur cours vers quelque costé, elles le continuent tous-jours autant qu’il se peut en ligne droite, delà Le Gras, p. 293
Image haute résolution sur Gallica
vient qu’estant meslées parmy les parties du troisiéme element qui composent tous les corps de cette plus haute region de la Terre, elles produisent plusieurs diuers effets, dont je remarqueray icy trois des principaux.

XVI. Le premier effet de cette premiere action qui est de rendre les corps transparens. Le premier est qu’elle rend transparens tous les corps liquides qui sont composez des parties du troisiéme element qui sont si petites et en suitte si peu pressées que celles du second peuuent passer de tous costez autour d’elles. Car en passant ainsi entre les parties de ces corps et ayant la force de leur faire changer de situation, elles ne manquent pas de s’y faire des passages qui suiuent en tous sens des lignes droites, ou du moins des lignes qui sont aussi propres à transmettre l’action de la lumiere que les droites ; et ainsi de rendre ces corps transparens. Aussi nous voyons par experience qu’il n’y a aucune liqueur sur la Terre qui soit pure et composée de parties assez petites, laquelle ne soit transparente. Car pource qui est de l’argent vif ses parties sont si grosses que se pressant trop fort l’vne l’autre elles ne permettent pas à la matiere du second element de passer de tous costez autour d’elles, mais seulement à celle du premier ; Et pource qui est de l’ancre, du lait, du sang, ou autres semblables liqueurs qui ne sont pas pures et simples, il y a en elles Le Gras, p. 294
Image haute résolution sur Gallica
des parties fort grosses dont chacune compose vn AT IX-2, 208 corps à part, ainsi que fait chaque grain de sable ou de poussière, ce qui les empesche d’estre transparentes. Et on peut remarquer touchant les corps durs que tous ceux-là sont transparens qui ont esté faits de quelques liqueurs transparentes dont les parties se sont arrêtées peu à peu l’vne contre l’autre sans qu’il se soit rien meslé parmy elles qui ait changé leur ordre ; mais au contraire que tous ceux-là sont opaques ou obscurs dont les parties ont esté jointes par quelque force estrangère qui n’obeïssait pas au mouuement de la matiere du ciel. Car encore qu’il ne laisse pas d’y auoir aussi en ces corps plusieurs pores par où les parties du second element peuuent passer, toutefois à cause que ces pores sont bouchez ou interrompus en plusieurs lieux ils ne peuuent transmettre l’action de la lumiere.

XVII. Comment les corps durs et solides peuuẽt estre transparens. Mais afin d’entendre comment il est possible qu’vn corps fort dur et solide par exemple du verre ou du cristal ait en soy assez de pores pour donner passage suiuant des lignes droites en tous sens à la matiere du ciel, et ainsi auoir ce que j’ay dit estre requis en vn corps pour le rendre transparent, on peut considerer plusieurs pommes ou boules assez grosses et polies,qui soient enfermées dans vn reth et tellement Le Gras, p. 295
Image haute résolution sur Gallica
pressées qu’elles cõposent toutes ensemble vn corps dur, car sur quelque costé que ce corps puisse estre tourné si on jette dessus des dragées de plomb ou d’autres boules assez petites pour passer entre ces plus grosses ainsi pressées, on les verra couler tout droit en bas au trauers de ce corps par la force de leur pesanteur ; et mesme si on accumule tant de ces dragées sur ce corps dur que tous les passages où elles peuuẽt entrer en soient remplis, au mesme instant que les plus hautes presseront celles qui seront sous elles cette action de leur pesanteur passera en ligne droite jusques aux plus basses, et ainsi on aura l’image d’vn corps fort dur fort solide et auec cela fort transparent : à cause qu’il n’est pas besoin que les parties du second element ayent des passages plus droits pour transferer l’action de la lumiere, que sont ceux par où descendent ces dragées entre ces pommes.

XVIII. Le second effet de la premiere action qui est de purifier les liqueurs et les diuiser en diuers corps. Le second effet que produit l’agitation de la matiere subtile dans les corps terrestres, principalement dans ceux qui sont liquides, est AT IX-2, 209 que lors qu’il y a de deux ou plusieurs sortes de parties en ces corps confusement meslées ensemble, ou bien elle les separe et en fait deux ou plusieurs corps differens ; ou bien elle les ajuste les vnes aux autres, et les distribuë également en tous les endroits de ce corps, et ainsi le purifie Le Gras, p. 296
Image haute résolution sur Gallica
et fait que chacune de ses gouttes deuient entierement semblable aux autres. Dont la raison est que se glissant de tous costez entre ces parties terrestres qui sont inégales, elle pousse continuellement celles qui à cause de leur grosseur ou de leur figure ou de leur situation se trouuent plus auancées que les autres dans les chemins par où elle passe, jusques à ce qu’elle ait tellement changé leur situation qu’elles soient également répanduës par tous les endroits de ce corps, et si bien ajustées auec les autres qu’elles n’empeschent plus ses mouuemens ; ou bien si elles ne peuuent estre ainsi ajustées elle les separe entierement de ces autres, et en fait vn corps different du leur. Ainsi il y a plusieurs impuretez dans le vin nouueau qui en sont separées par cette action de la matiere subtile, car elles ne vont pas seulement au dessus ou au dessous du vin, ce qu’on pourroit attribuer à leur legereté ou pesanteur ; mais il y en a aussi qui s’attachent aux costez du tonneau ; Et bien que ce vin demeure encore composé de plusieurs parties de diuerses grosseurs et figures, elles y sont tellement agencées apres qu’il est clarifié par l’action de cette matiere subtile que celuy qui est au haut du tonneau n’est pas different de celuy qui est au milieu, ou vers le bas au dessus de la lie. Et on voit Le Gras, p. 297
Image haute résolution sur Gallica
arriuer le semblable en quantité d’autres liqueurs.

XIX. Le troisiéme effet qui est d’arondir les gouttes de ces liqueurs. Le troisiéme effet de cette matiere celeste est qu’elle fait deuenir rondes les gouttes de toutes les liqueurs, lors qu’elles sont entierement enuironnées d’air ou d’vne autre liqueur dont la nature est si differente de la leur qu’elles ne se meslent point auec elle, ainsi que j’ay des-ja expliqué dans les meteores. Car d’autant que cette matiere subtile trouue des pores autrement disposez en vne goutte d’eau, par exemple, que dans l’air qui l’enuironne, et qu’elle tend tous-jours à se mouuoir suiuant des lignes droites ou le moins differẽtes de la droite qu’il est possible, il est éuident que la superficie de cette eau empesche moins, non seulement les parties de la matiere subtile qui est en ses pores, mais aussi les parties de celle qui AT IX-2, 210 est en l’air qui l’enuironne, de continuer ainsi leur mouuement suiuant des lignes les plus droites qu’elles peuuent estre sans passer d’vn corps en l’autre, lors que cette superficie est toute ronde, que si elle auoit quelque autre figure ; Et que lors qu’elle ne l’est pas les mouuemens de la matiere subtile, qui est en l’air d’alentour sont plus destournez par les parties de sa superficie qui sont les plus éloignées du centre que par les autres, ce qui est cause qu’elle les pousse Le Gras, p. 298
Image haute résolution sur Gallica
dauantage vers ce centre ; et au contraire les mouuemens de celle qui est dans la goutte d’eau sont plus destournez par les parties de sa superficie qui sont les plus proches du centre, ce qui est cause qu’elle fait effort pour les en éloigner : Et ainsi la matiere subtile qui est au-dedans de cette goutte, aussi bien que celle qui est au dehors, contribuë à faire que toutes les parties de sa superficie soient également distantes de son cẽtre, c’est à dire à la rendre ronde ou spherique. Pour mieux entendre cecy on doit remarquer que l’angle que fait vne ligne droite auec vne ligne courbe qu’elle touche est plus petit qu’aucun angle qui puisse estre fait par deux lignes droites, et que de toutes les lignes courbes il n’y a que la circulaire en toutes les parties de laquelle cét angle d’attouchement soit égal, d’où il suit que les mouuemẽs, qui sont empeschez d’estre droits par quelque cause qui les destourne égalemẽt en toutes leurs parties, doiuent estre circulaires lors qu’il se font en vne seule ligne, et spheriques, lors qu’il se font vers tous les costez de quelque superficie.

XX. L’explicatiõ de la seconde action, en laquelle consiste la pesanteur. La seconde action dont j’ay entrepris icy de parler, est celle qui rend les corps pesans, laquelle a beaucoup de rapport auec celle qui fait que les gouttes d’eau deuiennent rondes. Car c’est la mesme matiere subtile qui par cela Le Gras, p. 299
Image haute résolution sur Gallica
seul qu’elle se meut indifferemment de tous costez autour d’vne goutte d’eau pousse également toutes les parties de sa superficie vers son centre, et qui par cela seul qu’elle se meut autour de la Terre pousse aussi vers elle tous les corps qu’on nomme pesans lesquels en sont des parties.

XXI. Que chaque partie de la Terre estant considerée toute seule est plustost legere que pesante. Mais afin d’entendre plus parfaitement en quoy consiste la nature de cette pesanteur il faut remarquer que si tout l’espace qui est autour de la Terre et n’est point rẽpli par aucune de ses parties estoit AT IX-2, 211 vuide, c’est à dire s’il n’estoit remply que d’vn corps qui ne pust aider ni empescher les mouuemens des autres corps (car c’est ce qu’on doit proprement entendre par le nom de vuide) et que cependant elle ne laissast pas de tourner en vingt-quatre heures sur son essieu, ainsi qu’elle fait à present, toutes celles de ses parties qui ne seroient point fort estroitement jointes à elle s’en separeraient et s’écarteroient de tous costez vers le ciel. En mesme façon que la poussiere qu’on jette sur vne piroüette pendant qu’elle tourne, n’y peut demeurer, mais est rejettée par elle vers l’air de tous costez. Et si cela estoit tous les corps terrestres pourroiẽt estre appelez legers plustost que pesans.

XXII. En quoy consiste la legereté de la matiere du ciel. Mais à cause qu’il n’y a point de vuide autour Le Gras, p. 300
Image haute résolution sur Gallica
de la Terre, et qu’elle n’a pas de soy mesme la force qui fait qu’elle tourne en vingt-quatre heures sur son essieu, mais qu’elle est emportée par le cours de la matiere du ciel qui l’enuironne et qui penetre par tout en ses pores, on la doit considerer comme vn corps qui n’a aucun mouuement, et penser aussi que la matiere du ciel ne seroit ny legere ny pesante à son regard si elle n’auoit point d’autre agitation que celle qui la fait tourner en vingt-quatre heures auec la Terre, mais que d’autant qu’elle en a beaucoup plus qu’il ne luy en faut pour cét effet, elle employe ce qu’elle a de plus tant à tourner plus vite que la terre en mesme sens, qu’à faire diuers autres mouuemens de tous costez, lesquels ne pouuant estre continuez en lignes si droites qu’ils seroient si la Terre ne se rencontroit point en leur chemin, non seulement ils font effort pour la rendre ronde ou spherique, ainsi qu’il a esté dit des gouttes d’eau ; mais aussi cette matiere du ciel a plus de force à s’éloigner du centre autour duquel elle tourne que n’ont aucunes des parties de la Terre, ce qui fait qu’elle est legere à leur égard.

XXIII. Que c’est la legereté de cette matiere du ciel qui rend les corps terrestres pesans. Et il faut remarquer que la force dont la matiere du ciel tend à s’éloigner du centre de la Terre ne peut auoir son effet, si ce n’est que Le Gras, p. 301
Image haute résolution sur Gallica
celles de ses parties qui s’en éloignent montent en la place de quelques parties terrestres qui descendent au mesme temps en la leur. AT IX-2, 212 Car d’autant qu’il n’y a aucun espace autour de la Terre qui ne soit remply de sa matiere ou bien de celle du ciel, et que toutes les parties du second element qui composent celle du ciel ont pareille force, elles ne se chassent point l’vne l’autre hors de leurs places, mais pource que la mesme force n’est pas en la Terre, lors qu’il se trouue quelqu’vne de ses parties plus éloignée de son centre que ne sont des parties du ciel qui peuuent monter en sa place, il est certain qu’elles y doiuent monter, et par consequent la faire descendre en la leur. Ainsi chacun des corps qu’on nomme pesans n’est pas poussé vers le centre de la Terre par toute la matiere du ciel qui l’enuironne, mais seulement par les parties de cette matiere qui montent en sa place lors qu’il descend, et qui par consequent sont toutes ensemble justement aussi grosses que luy. Par exemple si B est vn corps terrestre dont les parties soient plus serrées que celles de l’air qui l’enuironne, en sorte que ses pores contiennent moins de la matiere du ciel que ceux de la portion de cét air qui doit monter en sa place en cas qu’il descende, il est éuident que ce qu’il y a de plus de la matiere du Le Gras, p. 302
Image haute résolution sur Gallica
ciel en cette portion d’air qu’en ce corps B tendant à s’éloigner du centre de la Terre a la force de faire qu’il s’en approche, et ainsi de luy donner la qualité qu’on nomme sa pesanteur.

XXIV. De combien les corps sont plus pesans les vns que les autres. Mais afin de pouuoir exactement calculer combien est grande cette pesanteur, il faut considerer qu’il y a quelque quantité de matiere cleste dans les pores de ce corps B laquelle ayant autant de force qu’vne pareille quantité de celle qui est dans les pores de la portion d’air qui doit monter en sa place fait qu’il n’y a que le surplus qui doiue estre conté ; et que tout de mesme il y a quelque quantité de la matiere du troisiéme element en cette portion d’air laquelle doit estre rabatuë auec vne égale quantité de celle qui compose le corps B. Si bien que toute la pesanteur de ce corps consiste en ce que le reste de la matiere subtile qui est en cette portion d’air a plus de force à s’éloigner du centre de la Terre, que le reste de la matiere terrestre qui le compose.

AT IX-2, 213 XXV. Que leur pesanteur n’a pas tous-jours mesme rapport auec leur matiere. Et afin de ne rien oublier il faut prendre garde que par la matiere celeste, ou subtile, je n’entends pas seulement celle du second element, mais aussi ce qu’il y a du premier meslé entre ses parties ; Et mesme outre cela qu’on y doit comprendre en quelque façon les parties du troisiéme qui sont emportées par le Le Gras, p. 303
Image haute résolution sur Gallica
cours de cette matiere du ciel plus vite que toute la masse de la Terre ; et toutes celles qui composent l’air sont de ce nombre. Il faut aussi prendre garde que ce qu’il y a du premier element en ce que je comprens sous le nom de matiere subtile a plus de force à s’éloigner du centre de la Terre que pareille quantité du second, à cause qu’elle se meut plus vite ; et pour mesme raison que le second element a plus de force que pareille quantité des parties du troisiéme qui composent l’air. Ce qui est cause que la pesanteur seule ne suffit pas pour faire connoistre combien il y a de matiere terrestre en chaque corps. Et il se peut faire que bien que par exemple vne masse d’or soit vingt fois plus pesante qu’vne quantité d’eau de mesme grosseur, elle ne contienne pas neantmoins vingt fois plus de matiere, mais quatre ou cinq fois seulement : pource qu’il en faut autant soustraire de l’eau que de l’or à cause de l’air dans lequel on les pese ; puis aussi pource que les parties terrestre de l’eau et generalement de toutes les liqueurs ainsi qu’il a esté dit de celles de l’air ont quelque mouuement qui s’accordant auec ceux de la matiere subtile empesche qu’elles ne soient si pesantes que celles des corps durs.

XXVI. Pourquoy les corps pesans n’agissent point, lors qu’ils ne sont qu’ẽtre leurs semblables. Il faut aussi se souuenir que tous les mouuemens Le Gras, p. 304
Image haute résolution sur Gallica
sont circulaires au sens qui a esté cy-dessus expliqué ; d’où il suit qu’vn corps ne peut estre porté en bas par la force de sa pesanteur si au mesme instant vn autre corps, qui occupe autant d’espace et soit toutefois moins pesant, ne monte en haut. Et cela est cause que les plus hautes parties de l’eau, ou d’vne autre liqueur, qui est contenuë en vn vase, tant grand et tant profond qu’il puisse estre, n’agissent point AT IX-2, 214 contre les plus basses, et mesme que chaque endroit du fonds de ce vase n’est pressé que par autant de parties de cette liqueur qu’il y en a qui sont directement posées sur luy. Par exemple en la cuue ABC la goutte d’eau marquée 1 n’est point poussée par les autres 2 3 4 qui sont au-dessus, pource que si celles-cy descendoient il ne pourroit y auoir que d’autres gouttes d’eau telles que 5 6 7 qui montassent en leur place, et pource que celles-cy ne sont pas moins pesantes elles les retiennent en balance, au moyen dequoy elles les empeschent de se pousser l’vne l’autre. Et toutes les gouttes d’eau qui sont en la ligne droite 1234 pressent la partie du fonds de la cuue qui est marquée B pource que si B descendoit toutes ces gouttes pourroient aussi descendre au mesme instant, et faire monter en leur place par le dehors de la cuue les parties d’air 8 9 ou semblables qui sont plus legeres. Le Gras, p. 305
Image haute résolution sur Gallica
Mais cette partie B, n’est pressée que par le petit cylindre d’eau 1234 dont elle est la base, pource qu’en cas qu’elle commence à descendre il ne peut y auoir que l’eau de ce cylindre 1234 (ou vne autre pareille quantité) qui la suiue au mesme instant. Et la consideration de cecy peut seruir à rendre raisons de plusieurs particularitez qu’on remarque touchant les effets de la pesanteur, et qui semblent fort admirables à ceux qui n’en sçauent pas les vrayes causes.

XXVII. Pourquoy c’est vers le centre de la Terre qu’ils tendent. Au reste il faut remarquer qu’encore que les parties du ciel se meuuent en plusieurs diuerses façons à mesme temps, elles s’accordent neantmoins à se balancer et s’opposer l’vne à l’autre en telle sorte qu’elles estendent également leur action vers tous les costez où elles peuuent l’estendre ; Et ainsi que de cela seul que la masse de la Terre par sa dureté repugne à leurs mouuemens, elles tendent à s’éloigner également de tous costez de son voisinage suiuant des lignes droites tirées de son centre ; Si ce n’est qu’il y ait des causes particulieres qui mettent en cela quelque diuersité. Et je peux bien conceuoir deux ou trois telles causes, mais je n’ay encore su faire aucune experience qui m’assure si leurs effets sont sensibles ou non.

AT IX-2, 215 XXVIII. De la troisiéme action, qui est la lumiere : comment elle agite les parties de l’air. Quant à la lumiere, qui est la troisiéme action que nous auons icy à considerer, je Le Gras, p. 306
Image haute résolution sur Gallica
pense auoir des-ja cy-dessus assez expliqué sa nature, il reste seulement à remarquer que bien que tous ses rayons viennent en mesme façon du Soleil, et ne facent autre chose que presser en ligne droite les corps qu’ils rencontrent, ils causent neantmoins diuers mouuemens dans les parties du troisiéme element dont la plus haute region de la Terre est composée, pource que ces parties estant meuës aussi par d’autres causes ne se presentent pas tous-jours à eux de mesme sorte. Par exemple si AB est vne de ces parties du troisiéme element appuyée sur vne autre marquée C et qui en a plusieurs autres comme D E F au-dessus d’elle, il est aisé à entendre que les rayons du Soleil qui viennent de GG peuuent maintenant estre moins empeschez par l’interposition de ces autres de presser celle de ses extremitez qui est marquée A que de presser celle qui est marquée B de façon qu’ils la doiuẽt faire baisser dauantage ; Et qu’incontinent apres ces parties D E F changeant de situation à cause qu’elles sont meuës par la matiere du ciel qui coule autour d’elles il arriuera qu’elles empescheront moins les rayons du Soleil de presser B que A, ce qui doit donner à cette partie terrestre AB vn mouuement tout contraire au precedent. Et il en est de mesme de toutes les autres ; ce Le Gras, p. 307
Image haute résolution sur Gallica
qui fait qu’elles sont continuellement agitées çà et là par la lumiere du Soleil.

XXIX. Explication de la quatriéme actiõ qui est la chaleur ; Et pourquoy elle demeure apres la lumiere qui l’a produite. Or c’est vne telle agitation des petites parties des corps terrestres, qu’on nomme en eux la chaleur (soit qu’elle ait esté excitée par la lumiere du Soleil soit par quelque autre cause) principalement lors qu’elle est plus grande que de coustume, et qu’elle peut mouuoir assez fort les nerfs de nos mains pour estre sentie ; car cette denomination de chaleur se rapporte au sens de l’attouchement. Et on peut icy remarquer la raison pourquoy la chaleur qui a esté produite par la lumiere demeure par apres dãs les corps terrestres encore que cette lumiere soit absente, jusques à ce que quelque autre cause l’en AT IX-2, 216 oste ; car elle ne consiste qu’au mouuement des petites parties de ces corps, et ce mouuement estant vne fois excité en elles y doit demeurer suiuant les loix de la nature, jusques à ce qu’il puisse estre transferé à d’autres corps.

XXX. Comment elle penetre dãs les corps qui ne sont point transparens. On doit aussi remarquer que les parties terrestres qui sont ainsi agitées par la lumiere du Soleil en agitent d’autres qui sont sous elles, et que celles-cy en agitẽt encore d’autres qui sont plus bas et ainsi de suite ; en sorte que bien que les rayons du Soleil ne passent point plus auant que jusques à la premiere superficie des corps terrestres qui sont opaques ou obscurs, toutefois Le Gras, p. 308
Image haute résolution sur Gallica
à cause qu’il y a tous-jours toute vne moitié de la Terre qui est échauffée par le Soleil en mesme temps, sa chaleur paruient jusques aux plus basses parties du troisiéme element qui composent sa seconde ou moyenne region.

XXXI. Pourquoy elle a coustume de dilater les corps où elle est, Et pourquoy elle en condense aussi quelques-vns. Enfin on doit remarquer que cette agitation des petites parties des corps terrestres est ordinairement cause qu’elles occupent plus d’espace que lors qu’elles sont en repos, ou bien qu’elles sont moins agitées : Dont la raison est qu’ayant des figures irregulieres elles peuuent estre mieux agencées l’vne contre l’autre lors qu’elles retiennent tous-jours vne mesme situation que lors que leur mouuement la fait changer. Et de là vient que la chaleur rarefie presque tous les corps terrestres, les vns toutefois plus que les autre, selon la diuersité des figures et des arrengemens de leurs parties. En sorte qu’il y en a aussi quelques-vns qu’elles condense, pource que leurs parties s’arrengent mieux et s’approchent dauãtage l’vne de l’autre estant agitées, que ne l’estant pas, ainsi qu’il a esté dit de la glace et de la neige dans les meteores.

AT IX-2, 217 XXXII. Comment la troisiéme région de la Terre a commencé à se diuiser en deux diuers corps. Apres auoir remarqué les diuerses actions qui peuuent causer quelques changemens en l’ordre des petites parties de la Terre, si nous considerõs derechef cette Terre comme estant tout nouuellement descenduë vers le Soleil, et Le Gras, p. 309
Image haute résolution sur Gallica
ayant sa plus haute region composée de parties de troisiéme element qui sont entassées l’vne sur l’autre sans estre fort estroitement liées ou jointes ensemble, en sorte qu’il y a parmy elles beaucoup de petits espaces qui sont remplis de parties du secõd element vn peu plus petites que celles qui cõposent non seulement les endroits du ciel par où elle passe en descendant, mais aussi celuy où elle s’arreste autour du Soleil, il nous sera aisé de juger que ces petites parties du second element doiuent quitter leurs places à ces plus grosses, et que celles-cy, entrant auec impetuosité en ces places qui sont vn peu trop estroites pour les receuoir, poussent les parties terrestres qu’elles rencontrent en leur chemin, les faisant par ce moyen descendre au-dessous des autres ; et que ce sont principalement les plus grosses qu’elles font ainsi descendre, pource que la pesanteur de ces plus grosses leur ayde à cét effet et que ce sont celles qui empeschent le plus leurs mouuemens ; et d’autant que ces parties terrestres ainsi poussées au-dessous des autres ont des figures fort irregulieres et diuerses, elles se pressent, s’accrochent, et se joignent bien plus estroitement que celles qui demeurent plus haut, ce qui est cause qu’elles interrompent aussi le cours de la matiere du ciel qui les pousse. Et ainsi la plus haute region Le Gras, p. 310
Image haute résolution sur Gallica
de la Terre ayant esté auparauant comme elle est representée vers A, est par apres diuisée en deux corps fort differens tels que sont B et C, dont le plus haut B est rare, liquide et transparent, et l’autre à sçauoir C est à comparaison de luy fort solide, dur et opaque.

XXXIII. Qu’il y a trois diuers genres de parties terrestres. On pourra facilement aussi juger qu’il s’est deu encore former vn troisiéme corps entre B et C, pouruû qu’on considere que bien que les parties du troisiéme element qui composent cette plus haute region de la Terre ayent vne infinité de figures fort irregulieres et AT IX-2, 218 diuerses, ainsi qu’il a esté dit cy-dessus, elles se reduisent toutefois à trois genres principaux. Dont le premier comprend toutes celles qui ont des figures fort empeschantes et dont les extremitez s’estendent diuersement çà et là ainsi que des branches d’arbres ou choses semblables, et ce sont principalement les plus grosses de celles qui appartiennent à ce genre qui ayant esté poussées en bas par l’action de la matiere du ciel se sont accrochées les vnes aux autres et ont composé le corps C. Le second genre contient toutes celles qui ont quelque figure qui les rend plus massiues et solides que les precedentes : et il n’est point besoin pour cela qu’elles soient parfaitement rondes ou quarrées, mais elles peuuent auoir toutes les diuerses fi- Le Gras, p. 311
Image haute résolution sur Gallica
gures qu’ont des pierres qui n’ont jamais esté taillées ; Et les plus grosses de ce genre ont deu se joindre au corps C à cause de leur pesanteur, mais les plus petites sont demeurées vers B entre les interualles de celles du premier genre. Le troisiéme est de celles qui estant longues et menuës ainsi que des joncs ou des bastons ne sont point embarrassantes comme les premieres ni massiues comme les secondes, et elles se meslent aussi bien que ces secondes dans les corps B et C, mais pource qu’elles ne s’y attachent point elles en peuuent aisément estre tirées.

XXXIV. Comment il s’est formé vn troisiéme corps entre les deux precedens. En suitte dequoy il est raisonnable de croire que lors que les parties du premier genre dont le corps C est composé, ont commencé à se joindre, plusieurs de celles du troisiéme ont esté meslées parmy elles, mais que lors que l’action de la matiere du ciel les a par apres dauantage pressées ces parties du troisiéme genre sont sorties du corps C et se sont assemblées au dessus vers D, où elles ont composé vn corps fort different des deux precedens B et C. En mesme façon que lors qu’on marche sur la terre d’vn marest la seule force dont on la presse auec les pieds suffit pour faire qu’il sorte de l’eau de ses pores, et que toutes les parties de cette eau s’assemblent en vn corps qui couure sa superficie. Il est aussi fort raisonnable de croire que Le Gras, p. 312
Image haute résolution sur Gallica
pendant que ces parties du troisiéme genre sont montées de C vers D il en est descendu d’autres de B tant de ce mesme genre que du second, lesquelles ont augmenté ces deux corps C et D.

AT IX-2, 219 XXXV. Que ce corps ne s’est composé que d’vn seul genre de parties. Or encore qu’il y ait eu au commencement plusieurs parties du second genre, aussi bien que de celles du troisiéme, meslées auec celles du premier qui composoient le corps C, il est toutefois à remarquer que ces parties du second genre n’ont pû sortir si facilement de ce corps lors qu’il a esté dauantage pressé, que celles du troisiéme, ou bien si quelqu’vnes en sont sorties qu’elles y sont rentrées par apres plus facilement. Pource que celles du troisiéme genre ayant plus de superficie à raison de la quantité de leur matiere ont esté plus aisément chassées hors de ce corps C par la matiere du ciel qui coule en ses pores ; Et à cause qu’elles sont longues elles se sont couchées de trauers sur sa superficie apres estre sorties de ses pores, de façon qu’elles n’ont pû y rentrer, comme ont fait celles du second.

XXXVI. Que toutes les parties de ce genre se sont reduites à deux especes. Ainsi plusieurs parties du troisiéme genre se sont assemblées vers D, et bien qu’elles n’ayent peut estre pas esté d’abord toutes égales ny entierement semblables, elles ont toutefois eu cela de commun qu’elles n’ont pû s’attacher Le Gras, p. 313
Image haute résolution sur Gallica
les vnes aux autres ny à aucuns autres corps, et qu’elles ont suiuy le cours de la matiere du ciel qui couloit autour d’elles, car c’est cela qui a esté cause qu’elles se sont assemblées vers D. Et pource que la matiere du ciel qui est là parmy elles n’a cessé de les agiter, et de faire qu’elle s’entresuiuent et succedent à la place l’vne de l’autre, elles ont deu par succession de temps deuenir fort vnies et glissantes, et à peu pres d’égale grosseur afin de pouuoir remplir les mesmes places, en sorte qu’elles se sont toutes réduites à deux especes. A sçauoir celles qui estoient au commencement les plus grosses sont demeurées toutes droites sans se plier ; et les autres qui estoient assez petites pour estre pliées par l’agitation de la matiere du ciel se sont entortillées autour de ces plus grosses et se sont meuës conjointement auec elles. Or ces deux especes de parties dont les vnes sont pliantes et les autres ne le sont pas ont pû continuer plus aisément à se mouuoir estant ainsi meslées ensemble qu’elles n’auroient pû faire AT IX-2, 220 estant separées, ce qui est cause qu’elles ne se sont point réduites à vne seule espece. Et bien qu’au commencement il y en ait eu de plus et de moins flexibles ou inflexibles par degrez, toutesfois pource que celles qui ont pû d’abord estre pliées par l’action de la matiere du ciel ont tousjours Le Gras, p. 314
Image haute résolution sur Gallica
continué par apres à estre pliées et repliées en diuerses façõs par cette mesme action, elles sont toutes deuenuës fort flexibles, ainsi que des petites anguilles ou des bouts de cordes qui sont si courts qu’ils ne se noüẽt point les uns aux autres. Et au contraire celles qui n’ont point esté pliées d’abord ne l’ont pû estre aussi par après, ce qui les a fait deuenir toutes fort roides et inflexibles.

XXXVII. Comment le corps marqué C s’est diuisé en plusieurs autres. Et il faut icy remarquer que le corps D a commencé d’estre separé des deux B et C auant qu’ils fussent entierement formez, c’est à dire auant que C fust deuenu si dur que la matiere du ciel ne pust serrer dauantage ses parties ni les faire descendre plus bas : Et aussi auant que les parties du corps B fussent toutes réduites à tel ordre que cette matiere du ciel pust librement passer de tous costez parmy elles en lignes droites. De façon qu’il y a eu encore plusieurs des parties de ce corps B qu’elle a fait descendre vers C, et les vnes de ces parties ont esté moins solides que celles qui composent le corps D, les autres l’ont esté dauantage. Or pour celles qui l’ont esté dauantage elles ont facilement passé au trauers de ce corps D pource qu’il est liquide et descendant jusques à C quelques-vnes sont entrées en ses pores, les autres dont la grosseur ou figure ne l’a pas permis Le Gras, p. 315
Image haute résolution sur Gallica
sont demeurées sur sa superficie. Et ainsi le corps C s’est diuisé en plusieurs diuerses regions selon les diuerses especes de parties qui l’ont composé et leur diuers arrengemens, en sorte qu’il y a mesme peut-estre quelques-vnes de ces regions où il est entierement fluide, à cause qu’il ne s’y est assemblé que des parties de telles figures qu’elles ne se peuuent attacher les vnes aux autres. Mais il est impossible d’expliquer tout.

XXXVIII. Comment il s’est formé vn quatriéme corps au-dessus du troisiéme. Quant aux parties du troisiéme element qui ont esté poussées hors du corps B par l’action de la matiere du ciel, et qui estoient moins AT IX-2, 221 solides que celles du corps D, elles ont deu demeurer au-dessus de sa superficie et pource que plusieurs auoient des figures irregulieres, ainsi que sont celles des branches d’arbres ou semblables, elles se sont peu à peu entre-lacées et attachées les vnes aux autres, en sorte qu’elles ont composé le corps E, qui est dur, et fort different des deux liquides B et D entre lesquels il est. Et bien que ce corps E n’ait eu au commencement que fort peu d’épaisseur, et qu’il n’ait esté que comme vne petite peau ou écorce qui couuroit la superficie du corps D, il a deu deuenir peu à peu plus espais, à cause qu’il y a eu beaucoup de parties qui se sont jointes à lui, tant de celles qui sont descenduës du corps B Le Gras, p. 316
Image haute résolution sur Gallica
que de celles qui sont montées de D, en la façon que je diray aux deux articles suiuans. Et pource que les actions de la lumiere et de la chaleur ont contribué à faire monter et descendre ces parties du troisiéme element qui se sont jointes au corps E, celles qui s’y sont jointes en chaque lieu durant l’esté ou durant le jour ont esté autrement disposées que celles qui s’y sont jointes l’hyuer ou la nuit, ce qui a mis quelque distinction entre les parties de ce corps, en sorte qu’il est maintenant composé de plusieurs couches de matiere qui sont comme autant de petites peaux estenduës l’vne sur l’autre.

XXXIX. Comment ce quatriéme corps s’est accreu, et le troisiéme s’est purifié. Et il n’a pas esté besoin de beaucoup de tẽps pour diuiser la plus haute region de la Terre en deux corps tels que B et C ny pour assembler vers D les parties du troisiéme, ny mesme pour commencer vers E la premiere couche du quatriéme : Mais ce ne peut auoir esté qu’en plusieurs années, que toutes les parties du corps D se sont réduites aux deux especes tantost décrites, et que toutes les couches du corps E se sont acheuées. Pource qu’au commencement il n’y a eu aucune raison qui ait empesché que les parties du troisiéme element qui s’assembloient vers D ne fussent quelque peu plus longues ou plus grosses les vnes que les autres ; et mesme elles ont pû auoir diuerses figures en Le Gras, p. 317
Image haute résolution sur Gallica
leur longueur et estre plus grosses par vn bout que par l’autre et enfin auoir des superficies qui n’estoient pas tout à fait glissantes et polies mais quelque peu rudes et inégales, pouruû qu’elles ne l’ayẽt point tant esté que cela les ait empesché de se separer des corps C ou E. Mais pource qu’elles n’estoient AT IX-2, 222 point jointes l’vne à l’autre et que la matiere du ciel qui couloit autour d’elles ne cessoit de les agiter, elles ont deu en s’entre-suiuant et passant toutes par mesmes chemins deuenir fort glissantes et vnies, et se réduire aux deux especes de figures que j’ay décrites : Ou bien celles qui n’ont pû s’y réduire ont deu sortir de ce corps D ; Et si elles ont esté plus solides que celles qui y demeuroiient elles sont descenduës vers C ; mais celles qui l’ont esté moins sont montées en haut, et la plupart se sont arrestées entre B et D, où elles ont seruy de matiere pour augmenter le corps E.

XL. Comment l’épaisseur de ce troisiéme corps s’est diminuée en sorte qu’il est demeuré de l’espace entre luy et le quatriéme corps, lequel espace s’est remply de la matiere du premier. Car pendant le jour et l’été la lumiere et la chaleur du Soleil, qui agissoient conjointement contre toute vne moitié du corps D, augmentoient tellement l’agitation des petites parties de cette moitié qu’elles ne pouuoient estre contenuës en si peu d’espace qu’auparauant, de façon que se trouuant enfermées entre les deux corps durs C et E, plusieurs estoient contraintes de passer par les pores de ce dernier pour Le Gras, p. 318
Image haute résolution sur Gallica
monter vers B, lesquelles par apres pendant la nuit et encore plus pendant l’hyuer descendoient derechef vers D par le moyen de leur pesanteur pource que leur agitation estoit moindre. Mais plusieurs causes pouuoient les empescher de retourner jusques à ce corps D, et faire que la pluspart se joignissent au corps E : car la lumiere et la chaleur en les agitant lors qu’elles estoient enfermées entre B et C les incitoient bien plus à monter que par apres leur pesanteur ne les incitoit à descendre, et ainsi plusieurs se faisoient des passages au trauers du corps E lors qu’elles montoient qui n’y en rencontrant point en descendant s’arrestoient sur sa superficie où elles seruoient de matiere pour l’augmenter. Et mesme quelques-vnes se trouuoient tellement engagées en ses pores que ne pouuant monter plus auant elles fermoient le chemin à celles qui descendoient. Et enfin c’estoient presque tous-jours les plus petites et celles qui auoient des figures plus differentes du commun des autres, qui pouuant estre chassées du corps D par la plus ordinaire action de la matiere subtile se presentoient les premieres pour monter vers E et B, où rencontrant des parties de ces corps E et B, elles s’attachoient aisément à elles, ou se diuisoient, AT IX-2, 223 ou changeoient de figure, et ainsi cessoient d’estre propres Le Gras, p. 319
Image haute résolution sur Gallica
à composer le corps D. Ce qui est cause qu’apres plusieurs jours et années il y a eu beaucoup moins de matiere en ce corps D qu’il n’y en auoit lors que le corps E a commencé à se former ; Et qu’il n’est demeuré en luy que celles de ses parties qui ont pû se reduire aux deux especes que j’ay décrites ; Et aussi que le corps E a esté assez espais et serré, d’autant que la pluspart des parties qui sont sorties de D se sont arrestées en ses pores, et ainsi l’ont rendu plus serré, ou bien changeant de figures et se joignant à quelques-vnes de celles du corps B sont retombées sur sa superficie, et ainsi l’ont rendu plus espais. Et enfin cela est cause qu’il est demeuré entre D et E vn espace assez grand, tel qu’est F, qui n’a pû estre remply que de la matiere qui compose le corps B, en laquelle il y a eu des parties fort deliées qui ont pû aisément passer par les pores du corps E pour entrer en la place de celles qui sont sorties du corps D.

XLI. Comment il s’est fait plusieurs fentes dans le quatriéme corps. Ainsi encore que le corps E fust beaucoup plus massif et plus pesant que celuy qui estoit vers F, et mesme aussi peut-estre que le corps D, il a deu toutefois pendant quelque temps se soustenir au dessus comme vne voûte, à cause de sa dureté. Mais il est à remarquer que lors qu’il a commencé à se former, les parties du corps D, à la superficie duquel il estoit joint, ont Le Gras, p. 320
Image haute résolution sur Gallica
deu se réseruer en luy plusieurs pores par où elles pussent passer, à cause qu’il y en auoit continuellement plusieurs que la chaleur faisoit monter vers B durant le jour, et que leur pesanteur faisoait redescendre vers D durant la nuit, en sorte qu’elles remplissoient tous-jours ces pores du corps E par lesquels elles passoiẽt. Au lieu que par apres commençant à y auoir quelque espace entre D et E qui contenoit le corps F, quelques vnes des parties de ce corps F sont entrées en quelques-vns de ces pores du corps E, mais estant plus petites que celles du corps D AT IX-2, 224 qui auoient coustume d’y estre, elles ne les pouuoient entierement remplir ; Et pource qu’il n’y a aucun vuide en la nature, et que la matiere des deux premiers elemens acheue tous-jours de remplir les espaces que les parties du troisiéme laissẽt autour d’elles, cette matiere des deux premiers elemens entrant auec impetuosité dans ces pores auec les parties du corps F a fait tel effort pour en élargir quelques-vns, que les autres, qui leur estoient voisins en deuenoient plus estroits, et ainsi qu’il s’est fait plusieurs fentes dans le corps E lesquelles sont peu à peu deuenuës fort grandes. En mesme façon et pour les mesme raisons qu’il a coustume aussi de s’en faire dans la terre des lieux marescageux lors que les chaleurs de l’esté la déseichent.

Le Gras, p. 321
Image haute résolution sur Gallica
XLII. Comment ce quatriéme corps s’est rompu en plusieurs pieces. Or y ayant ainsi plusieurs fentes dans le corps E lesquelles s’augmentoient de plus en plus, elles sont enfin deuenuës si grandes, qu’il n’a pû se soustenir plus long-temps par la liaison de ses parties, et que la voûte qu’il composoit se creuãt tout d’vn coup sa pesanteur l’a fait tomber en grandes pièces sur la superficie du corps C. Mais pource que cette superficie n’estoit pas assez large pour receuoir toutes les pièces de ce corps en la mesme situation qu’elles auaient esté auparauant, il a fallu que quelques vnes soient tombées de costé, et se soient appuyées les vnes contre les autres. En sorte que si par exemple en la partie du corps E qui est icy representée les principales fentes ont esté aux endroits marquez 1 2 3 4 5 6 7, et que les deux pieces 23 et 67 ayent cõmencé à tõber vn peu plustost que les autres et aussi que les bouts des quatre autres, marquez 2, 3, 4, 5, et 6, soient tõbez plustost que leurs autres bouts marquez 1, 4 et v ; et enfin que 5 l’vn des bouts de la pièce 45 soit tombé vn peu plustost que v l’vn des bouts de la pièce v6, ces pieces doiuent se trouuer apres leur cheute disposées sur la superficie du corps C, en la façon qu’elles paroissent en cette figure, où les pièces 23 et 67 sont couchées tout plat sur cette superficie, et les autres quatre sont penchées sur leurs costez, et se soustiennent Le Gras, p. 322
Image haute résolution sur Gallica
les vnes les autres.

AT IX-2, 225 XLIII. Cõment vne partie du troisiéme est mõtée au-dessus du quatriéme. De plus à cause que la matiere du corps D est liquide et moins pesante que les pièces du corps E elle a deu non seulement occuper tous les recoins et tous les passages qu’elle a trouuez au dessous d’elles, mais aussi à cause qu’elle n’y pouuoit estre toute contenuë elle a deu monter à mesme temps au dessus des plus basses, telles que sont 23 et 67, et par mesme moyen se former des passages pour entrer ou sortir du dessous des vnes au dessus des autres.

XLIV. Cõment ont esté produites les montagnes, les plaines, les mers, etc.. En suite dequoy si nous pensons que les corps B et F ne sont autre chose que de l’air, que D est de l’eau, et C vne crouste de terre interieure fort solide et fort pesante de laquelle viennent tous les metaux, et enfin que E est vne autre crouste de terre moins massiue qui est composée de pierres, d’argile, de sable et de limon. Nous verrons clairement en quelle façon les mers se sont faites au dessus des pièces 23, 67 et sẽblables, et que ce qu’il y a des autres pieces qui n’est point couuert d’eau ny beaucoup plus éleué que le reste a fait des plaines, mais que ce qui a esté plus éleué et fort en pente comme 12, et 94v, a fait des montagnes ; Et enfin considerant que ces grandes pieces n’ont pû tomber en la façon qui a esté dite sans que leurs extremitez ayent esté brisées en beau- Le Gras, p. 323
Image haute résolution sur Gallica
coup d’autres moindres pieces par la force de leur pesanteur et l’impetuosité de leur cheute, nous verrons pourquoy il y a des rochers en quelques endroits au bord de la mer comme 12, et mesme des escueils au-dedans comme 3 et 6 ; et enfin pourquoy il y a ordinairement plusieurs diuerses pointes de montagnes en vne mesme contrée dont les vnes sont fort hautes comme vers 4, les autres le sont moins, comme vers 9 et vers v.

XLV. Quelle est la nature de l’air. On peut aussi connoistre de cecy quelle est la vraye nature de l’air, de l’eau, des mineraux et de tous les autres corps qui sont sur la Terre, AT IX-2, 226 ainsi que je tascheray maintenant d’expliquer. Premierement on en peut déduire que l’air n’est autre chose qu’vn amas des parties du troisiéme element qui sont si deliées et ellement destachées les vnes des autres qu’elles obeïssent à tous les mouuemens de la matiere du ciel qui est parmy elles : ce qui est cause qu’il est rare, liquide et transparent, et que les petites parties dont il est composé peuuent estre de toutes sortes de figures. La raison qui me fait dire que ces parties doiuent estre entierement détachées les vnes des autres, est que, si elles se pouuoiẽt attacher elles se seroiẽt jointes auec le corps E, mais pource qu’elles sõt ainsi déjointes chacune se meut separémẽt de ses voisines, et retient Le Gras, p. 324
Image haute résolution sur Gallica
tellement à soy tout le petit espace spherique dont elle a besoin pour se mouuoir de tous costez autour de son centre, qu’elle en chasse toutes les autres si tost qu’elles se presentent pour y entrer, sans qu’il importe pour cét effet de quelles figures elles soient.

XLVI. Pourquoy il peut estre facilement dilaté et condensé. Et cela fait que l’air est aisement condensé par le froid et dilaté par la chaleur. Car ses parties estant presque toutes fort molles et flexibles, ainsi que des petites plumes ou des bouts de cordes fort deliées, chacune se doit dautant plus estendre qu’elle est plus agitée, et par ce moyen occuper vn espace spherique d’autant plus grand, mais suiuant ce qui a esté dit de la nature de la chaleur elle doit augmenter leur agitation, et le froid la doit diminuer.

XLVII. D’où vient qu’il a beaucoup de force à se dilater estant pressé en certaines machines. Enfin lors que l’air est renfermé en quelque vaisseau dans lequel on en fait entrer beaucoup plus grande quantité qu’il n’a coustume d’en contenir, cét air en sort par apres auec autant de force qu’on en a employé à l’y faire entrer : dõt la raison est que lors que l’air est ainsi pressé chacune de ses parties n’a pas à soy seule tout l’espace spherique dont elle a besoin pour se mouuoir, à cause que les autres sont cõtraintes de prendre vne partie du mesme espace, et que retenant cependãt l’agitation qu’elles auoient, à cause que la matiere subtile qui continuë Le Gras, p. 325
Image haute résolution sur Gallica
tous-jours de couler autour d’elles leur fait retenir le mesme degré de chaleur, elles se frappent ou se poussent AT IX-2, 227 les vnes les autres en se remuant, et ainsi s’accordent toutes ensemble à faire effort pour occuper plus d’espace qu’elles n’en ont. Ce qui a serui de fondement à l’inuention de diuerses machines dont les vnes sont des fontaines où l’air ainsi renfermé fait sauter l’eau tout de mesme que si elle venoit d’vne source fort éleuée ; et les autres sont des petits canons qui n’estant chargez que d’air poussent des bales ou des fleches presque aussi fort que s’ils estoient chargez de poudre.

XLVIII. De la nature de l’eau et pourquoi elle se change aisement en air et en glace. Pour ce qui est de l’eau j’ay des-ja monstré comment elle est composée de deux sortes de parties toutes longues et vnies dont les vnes sont molles et pliantes, et les autres sont roides et inflexibles, en sorte que lors qu’elles sont separées celles-cy composent le sel, et les premieres composent l’eau douce. Et pource que j’ay assez curieusement fait voir dans les meteores comment toutes les proprietez qu’on peut remarquer dans le sel et dans l’eau douce suiuent de cela seul qu’ils sont composez de telles parties, je n’ay pas besoin d’en dire autre chose sinon qu’on y peut remarquer la suite et la liaison des choses que j’ay écrites ; Et comment de ce que la Terre s’est formée en la façon que je Le Gras, p. 326
Image haute résolution sur Gallica
viens d’expliquer on peut conclure qu’il y a maintenant telle proportion entre la grosseur des parties de l’eau et celle des parties de l’air, et aussi entre ces mesmes parties et la force dõt elles sont meuës par la matiere du second element, que lors que cette force est quelque peu moindre qu’à l’ordinaire cela suffit pour faire que les vapeurs qui se trouuent en l’air prennent la forme de l’eau, et que l’eau prenne celle de la glace, comme au contraire lors qu’elle est tant soit peu plus grande elle éleue en vapeurs les plus flexibles parties de l’eau et ainsi leur donne la forme de l’air.

XLIX. Du flux et reflux de la mer. I’ay aussi expliqué dans les meteores les causes des vents par lesquels l’eau de la mer est agitée en plusieurs façons irregulieres, mais il y a encore en elle vn autre mouuement qui fait qu’elle se AT IX-2, 228 hausse et se baisse reglémẽt deux fois le jour en chaque lieu, et que cependant elle coule sans cesse du Leuant vers le couchant, dequoy je tascheray icy de dire la cause. Soit ABCD la partie du premier ciel qui compose vn petit tourbillon autour de la Terre T, dans lequel la Lune ☾ est comprise, et qui les fait mouuoir toutes deux autour de son centre, pendant qu’elle les emporte aussi autour du Soleil. Et posant, pour plus grande facilité que la mer 1234 couure toute la superficie de la Terre EFGH Le Gras, p. 327
Image haute résolution sur Gallica
comme elle est aussi couuerte de l’air 5678, considerons que la Lune empesche que le point T qui est le centre de la Terre, ne soit justemẽt au mesme lieu que le point M qui est le centre de ce tourbillon, et qu’elle est cause que T est vn peu plus éloigné que M du point B. Dont la raison est, que la Lune et la Terre ne se pouuant mouuoir si vite que la matiere de ce tourbillon par qui elles sõt emportées, si le point T n’estoit point vn peu plus éloigné de B que de D, la presẽce de la Lune empescheroit que cette matiere ne coulast si libremẽt entre B et T qu’entre T et D, et pource qu’il n’y a rien qui determine le lieu de la Terre en ce tourbillon sinon l’égalité des forces dõt elle est pressée par luy de tous costez, il est éuidẽt qu’elle doit vn peu s’aprocher vers D quand la Lune est vers B, afin que la matiere de ce tourbillon ne la presse point plus vers F que vers H ; Tout de mesme lors que la Lune est vers C la Terre se doit vn peu retirer vers A ; Et generalement en quelque lieu que la Lune se trouue le centre de la Terre T doit tous-jours vn peu plus estre éloigné d’elle que le centre du tourbillon M. Considerons aussi que lors que la Lune est vers B elle fait que la matiere du tourbillon ABCD a moins d’espace pour couler non seulement entre B et T, mais aussi entre T et D, qu’elle n’auroit si la Lune estoit Le Gras, p. 328
Image haute résolution sur Gallica
hors du diamètre BD, et que par consequent elle s’y doit mouuoir plus vite, et presser dauantage les superficies de l’air et de l’eau tant vers 6 et 2 que vers 8 et 4, et ensuite que l’air et l’eau estant des corps liquides, qui cedent lors qu’ils sont pressez et s’écoulent aisément ailleurs, ils doiuent auoir moins de hauteur ou profondeur sur les endroits de la Terre marquez F et H, et par mesme moyen en auoir plus sur les endroits E et G, que si la Lune estoit ailleurs.

L. Pourquoy l’eau de la mer employe douze heures et enuiron vingt-quatre minutes à monter et descẽdre en chaque marée. Considerons outre cela que, d’autant que la Terre fait vn tour sur AT IX-2, 229 son centre en 24. heures, sa partie marquée F qui est maintenant vis à vis de B où l’eau de la mer est fort basse doit arriuer en six heures vis à vis de C où la mer est fort haute ; Et de plus que la Lune, qui fait aussi vn tour en vn mois dans le tourbillon BCDA, s’auance quelque peu de B vers C, pendant les six heures que l’endroit de la Terre marqué F employe à estre transporté jusques au lieu où est maintenant G, en sorte que ce point marqué F ne doit pas seulement employer six heures mais aussi enuiron douze minutes de plus pour paruenir jusques au lieu de la plus grande hauteur de la mer, qui sera pour lors vn peu au delà de G, à cause de ce que la Lune se sera cependant auancée ; Et tout de mesme Le Gras, p. 329
Image haute résolution sur Gallica
qu’en six autres heures et douze minutes le point de la Terre marqué F sera vn peu au delà du lieu où est H où la mer sera pour lors la plus basse. Et ainsi on voit clairement que la mer doit employer enuiron douze heures et vingt-quatre minutes à monter et descendre en chaque lieu.

LI. Pourquoy les marées sont plus grandes lors que la Lune est pleine ou nouuelle qu’aux autres tẽps. De plus il faut remarquer que ce tourbillon ABCD n’est pas exactement rond, et que celuy de ses diametres dans lequel la Lune se trouue estant pleine ou nouuelle est le plus petit de tous ; et celuy qui le coupe à angles droits est le plus grand, ainsi qu’il a esté dit cy-dessus : D’où il suit que la presence de la Lune presse dauantage les eaux de la mer, et les fait hausser et baisser dauantage lors qu’elle est pleine ou nouuelle que lors qu’elle n’est qu’à demy pleine.

LII. Pourquoy elles sont aussi plus grandes aux equinoxes qu’aux Solstices. Il faut aussi remarquer que la Lune est tous-jours fort proche du plan de l’Eclyptique, au lieu que la Terre tourne sur son centre suiuant le plan de l’Equateur qui en est assez éloigné, et que ces deux plans s’entrecoupent aux lieux où se font les equinoxes, mais qu’ils sont fort éloignez l’vn de l’autre en ceux des solstices : D’où il suit que c’est au commencement du printemps et de l’automne, c’est à dire au temps des equinoxes, que la Lune agit le plus directement Le Gras, p. 330
Image haute résolution sur Gallica
contre la Terre, et ainsi rend les marées plus grandes.

AT IX-2, 230 LIII. Pourquoy l’eau et l’air coulent sans cesse des parties Orientales de la Terre vers les Occidentales. Il y a encore icy à remarquer que pendant que la Terre tourne de E par F vers G, c’est à dire de l’Occident vers l’Orient, l’enflure de l’eau 412, et celle de l’air 856 que je suppose maintenant sur l’endroit de la Terre marqué E passent peu à peu vers ses autres parties qui sont plus à l’Occident, en sorte que dans six heures et douze minutes elles seront sur l’endroit de la Terre marqué H, et dans douze heures et vingt-quatre minutes sur celuy qui est marqué G ; Et en mesme façon, que les enflures de l’eau et de l’air marquées 234 et 678 passent de G vers F, en sorte que l’air et l’eau de la mer ont vn cours continu qui les porte des parties Orientales de la Terre vers les Occidentales.

LIV. Pourquoy les païs qui ont la mer à l’Orient sont ordinairement moins chaux que ceux qui l’ont au couchant. Il est vray que ce cours n’est pas fort rapide, mais il ne laisse pas d’estre tel qu’on le peut aisément remarquer, premierement à cause que dans les longues nauigations il faut tous-jours employer plus de temps lors qu’on va vers l’Orient que lors qu’on retourne vers l’Occident ; Puis aussi à cause qu’il y a des détroits dans la mer où l’on voit que l’eau coule sans cesse vers le couchant ; Et enfin à cause que les Terres qui ont la mer vers l’Orient ont coustume d’estre Le Gras, p. 331
Image haute résolution sur Gallica
moins eschauffées par le Soleil que celles qui sont en mesme climat et ont la mer vers l’Occident. Comme on voit, par exemple, qu’il fait moins chaud au Bresil qu’en la Guinée, dont on ne peut donner autre raison sinon que le Bresil est plus rafreschy par l’air qui luy vient de la mer, que la Guinée par celuy qui luy vient des terres qu’elle a au Leuant.

LV. Pourquoy il n’y a point de flux et reflux dans les lacs ; Et pourquoi vers les bords de la mer il ne se fait pas aux mesmes heures qu’au milieu. Enfin il faut remarquer que bien que la Terre ne soit pas toute couuerte des eaux de la mer ainsi qu’elle est icy representée, toutefois AT IX-2, 231 à cause que celles de l’Ocean l’enuironnent elles doiuent estre meuës par la Lune en mesme façon que si elles la couuroient entierement ; Mais que pour ce qui est des lacs et des estangs qui sont du tout separez de l’Ocean, d’autant qu’ils ne couurent pas de si grandes parties de la Terre qu’vn costé de leur superficie soit jamais beaucoup plus pressé que l’autre par la presence de la Lune, leurs eaux ne peuuent estre ainsi meuës par elle ; Et que bien que celles qui sont au milieu de l’Ocean s’y haussent et baissent reglément en la façon que j’ay décrite, toutefois leur flux et reflux vient differemment et à diuers temps aux diuers endroits de ses bords, à cause qu’ils sont fort irreguliers, et beaucoup plus auancez en vn lieu qu’en l’autre.

Le Gras, p. 332
Image haute résolution sur Gallica
LVI. Comment on peut rendre raisõ de toutes les differences particulieres des flux et reflux. Et on peut de ce qui a des-ja esté dit déduire les causes particulieres de toutes les diuersitez du flux et reflux, pouruû qu’on sçache que lors que la Lune est pleine ou nouuelle les eaux qui sõt au milieu de l’Ocean aux lieux les plus éloignez de ses bords, vers l’Equateur et l’Eclyptique, sõt le plus enflées aux endroits où il est six heures du soir ou du matin, ce qui fait qu’elles s’écoulẽt delà vers les bords ; Et qu’elles sont au mesme tẽps le moins enflées aux lieux où il est Midy ou Minuit, ce qui fait qu’elles y coulent des bords vers le milieu ; et que selon que ces bords sõt plus proches ou plus éloignés, et que ces eaux passẽt par des chemins plus ou moins droits et larges et profonds, elles y arriuent plustost ou plus tard, et en plus ou moins grãde quantité ; Et aussi que les diuers destours de ces chemins causez par l’interposition des isles, par les differentes profondeurs de la mer, par la descente des riuieres et par l’irregularité des bords ou riuages, font souuent que les eaux qui vont vers vn bord sont rencontrées par celles qui viennent d’vn autre, ce qui auance ou retarde leur cours en plusieurs diuerses façons ; et enfin qu’il peut aussi estre auancé ou retardé par les vents quelques-uns desquels soufflent tous-jours reglément en certains lieux, à certains temps. Car je croy qu’il n’y a Le Gras, p. 333
Image haute résolution sur Gallica
rien de particulier à obseruer touchant les flux et reflux de la mer dont la cause ne soit comprise en ce peu que je viens de dire.

AT IX-2, 232 LVII. De la nature de la Terre interieure qui est au-dessous des plus basses eaux. Touchant la Terre interieure marquée C qui s’est formée au dessous des eaux on peut remarquer qu’elle est composée de parties de toutes sortes de figures, et qui sont si grosses que la matiere du second element n’a pas la force par son mouuement ordinaire de les emporter auec soy, comme elle emporte celles de l’air et de l’eau, mais qu’elle en a seulement assez pour les rendre pesantes en les pressant vers le centre de la Terre ; et aussi pour les esbranler quelque peu en coulant par les interualles qui doiuent estre parmy elles en grand nombre à cause de l’irregularité de leurs figures. Et qu’elles sont aussi esbranlées tant par la matiere du premier element qui remplit tous ceux de ces interualles qui sont si estroits qu’aucun autre corps n’y peut entrer, que par les parties de l’eau, de l’air et de la Terre exterieure qui s’est formée au dessus de l’eau, lesquelles descendent souuent dans les plus grands de ces interualles, et y agitent si fort quelques parties de la Terre interieure qu’elles les détachent des autres, et les font par apres monter auec elles. Car il est aysé à juger que les plus hautes parties de cette terre interieure C Le Gras, p. 334
Image haute résolution sur Gallica
doiuent estre veritablement fort entre-lacées et fermement jointes les vnes aux autres, pource que ce sont elles qui ont esté les premieres à soutenir l’effort et rompre le cours de la matiere subtile qui passoit en lignes droites par les corps B et D pendant que C se formoit ; mais que neantmoins estant assez grosses et ayant des figures fort irregulières elles n’ont pû s’ajuster si bien l’vne à l’autre qu’il ne soit demeuré parmy elles plusieurs espaces assez grands pour donner passage à quelques vnes des parties terrestres qui estoient au-dessus, comme particulierement à celles du sel et de l’eau douce ; Mais que les autres parties de ce corps C qui estoient au dessous de ces plus hautes n’ont point esté si fermemẽt jointes, ce qui est cause qu’elles ont pû estre separées par les parties du sel ou autres semblables qui venoient vers elles.

AT IX-2, 233 LVIII. De la nature de l’argent vif. Et mesme il y a eu peut-estre quelque endroit au dedans ou bien au dessous de ce corps C où il s’est assemblé plusieurs de ces parties qui ont des figures si vnies et si glissantes qu’encore que leur pesanteur soit cause qu’elles s’appuyent l’vne sur l’autre, en sorte que la matiere du second element ne coule pas librement de tous costez autour d’elles, ainsi qu’elle fait autour de celles de l’eau ; elles ne sont toutesfois Le Gras, p. 335
Image haute résolution sur Gallica
aucunement attachées l’vne à l’autre, mais sont continuellement meuës tant par la matiere du premier element qui remplit tous les interualles qu’elles laissent autour d’elles, que par les plus petites du second qui peuuent aussi passer par quelques vns de ces interualles ; au moyen dequoy elles composent vne liqueur qui estant beaucoup plus pesante que l’eau et n’étant aucunement transparente comm’elle, a la forme de l’argent vif.

LIX. Des inegalitez de la chaleur qui est en cette Terre interieure. Outre cela on doit remarquer que comme nous voyons que les taches qui s’engendrent journellement autour du Soleil ont des figures fort irregulieres et diuerses, ainsi la moyenne region de la Terre marquée M qui est composée de mesme matiere que ces taches n’est pas également solide par tout, mais qu’il y a en elle quelques endroits où ses parties sont moins serrées qu’aux autres, ce qui fait que la matiere du premier element qui vient du centre de la Terre vers le corps C passe par quelques endroits de cette moyenne region en plus grande quantité que par les autres, et ainsi a plus de force pour agiter ou esbranler les parties de ce corps C qui sont au dessus de ces endroits là ; On doit aussi remarquer que la chaleur du Soleil, qui comme il a esté dit cy-dessus, penetre jusques aux plus interieures parties de la Terre, Le Gras, p. 336
Image haute résolution sur Gallica
n’agit pas également contre tous les endroits de ce corps C pource qu’elle luy est plus abondamment communiquée par les parties de la Terre exterieure E qui le touchent, que par les eaux D ; et que les costez des montagnes qui sont exposez au midi sont beaucoup plus échauffez par le Soleil que ceux qui regardent les poles ; et enfin que les Terres situées vers l’Equateur sont autrement échauffées que celles qui en sont fort AT IX-2, 234 loin ; et que la vicissitude tant des jours et des nuits que des estez et des hyuers cause aussi en cela de la diuersité.

LX. Quel est l’effet de cette chaleur. En suitte dequoy il est éuident que toutes les petites parties de ce corps C ont tous-jours quelque agitation, laquelle y est inégale selon les lieux et les temps. Et cecy ne doit pas seulement estre entendu des parties de l’argent vif, ou de celles du sel et de l’eau douce et autres semblables qui sont descenduës de la Terre exterieure E dans les plus grands pores de l’interieure C où elles ne sont aucunement attachées, mais aussi de toutes celles de cette Terre interieure, tant dures et fermement jointes les vnes aux autres qu’elles puissent estre, non pas que ces parties ainsi jointes ayent coutume d’estre entierement separées par l’action de la chaleur : Mais comme nous voyons que le vent agite les branches des arbres, et fait qu’elles Le Gras, p. 337
Image haute résolution sur Gallica
s’approchent et se reculent quelque peu les vnes des autres sans pour cela estre arrachées ni rompuës ; Ainsi on doit penser que la pluspart des parties du corps C ont diuerses branches tellement entrellacées et liées ensemble que la chaleur en les esbranlant ne les peut pas entierement déjoindre, mais seulement faire que les interualles qui sont parmy elles deuiennent tantost plus estroits et tantost plus larges. Et que d’autant qu’elles sont beaucoup plus dures que les parties des corps D et E, qui descendent en ces interualles quand ils s’élargissent, elles les pressent lors qu’ils deuiennent plus estroits, et les frapant à diuerses reprises elles les froissent ou les plient en telle façon qu’elles les réduisent à deux genres de figures qui meritent d’estre icy considerez.

LXI. Comment s’engendrent les sucs aigres ou corrosifs qui entrent en la composition du vitriol, de l’alun et autres tels mineraux. Le premier genre vient des parties du sel ou autres semblables assez dures et solides, qui estant engagées dans les pores du corps C y sont tellement pressées et agitées qu’au lieu qu’elles ont esté auparauant rondes et roides ainsi que des petits bastons, elles deuiennent plates et pliantes ; en mesme façon qu’vne verge de fer ou d’autre metal se change en vne lame à force d’estre batuë à coups de marteau. Et de plus ces parties du corps D ou E en AT IX-2, 235 se glissant çà et là contre celles du corps C qui les surpassent en Le Gras, p. 338
Image haute résolution sur Gallica
dureté, s’y aiguisent et polissent en telle sorte que deuenant tranchantes et pointuës elles prennent la forme de certains sucs aigres et corrosifs qui montant par apres vers le corps E où sont les mines y composent du vitriol de l’alun ou d’autres minéraux selon qu’ils se meslent en se congelant auec des metaux ou des pierres ou d’autres matieres.

LXII. Comment s’engẽdre la matiere huyleuse qui entre en la compositiõ du soulfre, du bitume, etc. L’autre genre vient des parties des corps D et E qui estant moins dures que les precedentes sont tellement froissées dans les pores du corps C par l’agitation de ses parties qu’elles se diuisent en plusieurs branches fort deliées et flexibles, qui estant écartées les vnes des autres par la matiere du premier element et emportées vers le corps E s’attachent à quelques-vnes de ses parties et par ce moyen composent le soulfre, le bitume et generalement toutes les matieres grasses ou huileuses qui sont dans les mines.

LXIII. Des principes de la Chymie et de quelle façon les metaux viennẽt dans les mines. Et j’ay icy expliqué trois sortes de corps qui me semblent auoir beaucoup de rapport auec ceux que les Chymistes ont coustume de prendre pour leurs trois principes, et qu’ils nõment le sel, le soulfre et le mercure. Car on peut prendre ces sucs corrosifs pour leur sel, ces petites branches qui composent vne matiere huileuse pour leur soulfre, et le vif argent pour leur mercure. Et mon opinion est que la vraye cause qui Le Gras, p. 339
Image haute résolution sur Gallica
fait que les metaux viennent dans les mines est que ces sucs corrosifs coulans çà et là dans les pores du corps C font que quelques-vnes de ses parties se détachent des autres, lesquelles par apres se trouuant enuelopées et comme reuestuës des petites branches de la matiere huileuse sont facilement poussées de C vers E par les parties de l’argent vif lors qu’il est agité et rarefié par la chaleur. Et selon les diuerses grandeurs et figures qu’ont ces parties du corps C elles composent AT IX-2, 236 diuerses especes de metaux, lesquelles j’aurois peut estre icy plus particulierement expliquées si j’auois eu commodité de faire toutes les experiences qui sont requises pour verifier les raisonnements que j’ay faits sur ce sujet.

LXIV. De la nature de la Terre exterieure et de l’origine des fõtaines. Mais sans nous arrester à cela dauantage commençons à examiner la Terre exterieure E, que nous auons des-ja dit estre diuisée en plusieurs pieces, dont les plus basses sont couuertes de l’eau de la mer, les plus hautes font les montagnes, et celles qui sont entre-deux font les plaines, et voyons maintenant quelles y sont les sources des fontaines et des riuieres, et pourquoy elles ne s’épuisent jamais, bien que leurs eaux ne cessent de couler dans la mer, comme aussi pourquoy toutes ces eaux douces qui vont dans la mer ne la rendent point plus grande ny Le Gras, p. 340
Image haute résolution sur Gallica
moins salée. A cét effet il faut considerer qu’il y a de grandes concauitez pleines d’eau sous les montagnes, d’où la chaleur éleue continuellement plusieurs vapeurs lesquelles n’étant autre chose que des petites parties d’eau separées l’vne de l’autre et fort agitées se glissent en tous les pores de la Terre exterieure, et ainsi paruiennent jusques aux plus hautes superficies des plaines et des montagnes. Car puis que nous voyons quelques-vnes de ces vapeurs passer bien loin au delà dedans l’air où elles composent les nuës nous ne pouuons douter qu’il n’y en ait beaucoup dauantage qui montent jusques aux sommets des montagnes, à cause qu’il leur est plus aisé de s’éleuer en coulant entre les parties de la Terre qui aide à les soustenir, qu’en passant par l’air qui estant fluide ne les peut soustenir en mesme façon. De plus il faut considerer que lors que ces vapeurs sont paruenuës vers le haut des montagnes, et qu’elles ne se peuuent éleuer dauantage à cause que leur agitation diminuë, leurs petites parties se joignent plusieurs ensemble, et que reprenant par ce moyen la forme de l’eau elles ne peuuent descendre par les pores par où elles sont montées, à cause qu’ils sont trop estroits, mais qu’elles rencontrent d’autres passages vn peu plus larges entre les diuerses croustes ou écorces dont j’ay Le Gras, p. 341
Image haute résolution sur Gallica
dit que la Terre exterieure est composée, par lesquels elles se vont rendre dans les fentes que j’ay dit aussi se trouuer en AT IX-2, 237 cette Terre exterieure, et les remplissant elles font des sources qui demeurent cachées sous Terre jusques à ce qu’elles rencontrent quelques ouuertures en sa superficie, et sortant par ces ouuertures elles composent des fontaines, dont les eaux coulant par le penchant des valées s’assemblent en riuieres et descendent enfin jusques à la mer.

LXV. Pourquoy l’eau de la mer ne croist point de ce que le riuieres y entrẽt. Or encore qu’il sorte ainsi continuellement beaucoup d’eau des concauitez qui sont sous les montagnes, d’où estant éleuée elle coule par les riuieres jusques à la mer, toutefois ces concauitez ne s’épuisent point, et la mer n’en deuient point plus grande : Dont la raison est que la Terre exterieure n’a pû estre formée en la façon que j’ay décrite par le débris du corps E dont les pièces sont tombées inégalement sur la superficie du corps C, qu’il ne soit demeuré plusieurs grands passages au dessous de ces pieces par où il retourne autant des eaux de la mer vers le bas des montagnes, qu’il en sort par le haut qui va dans la mer. De façon que le cours de l’eau en cette Terre imite celuy du sang dans le corps des animaux où il fait vn cercle en coulant sans cesse fort promptement de leurs veines en leurs arteres, et de leurs arteres en leurs veines.

Le Gras, p. 342
Image haute résolution sur Gallica
LXVI. Pourquoy l’eau de la plus part des fontaines est douce, et la mer demeure salée. Et bien que la mer soit salée toutefois la plus part des fontaines ne le sont point : Dont la raison est que les parties de l’eau de la mer qui sont douces estant molles et pliantes se changent aysément en vapeurs et passent par les chemins détournez qui sont entre les petits grains de sable et les autres telles parties de la Terre exterieure, au lieu que celles qui composent le sel estant dures et roides sont plus difficilement éleuées par la chaleur, et ne peuuent passer par les pores de la Terre, si ce n’est qu’ils soient plus larges qu’ils n’ont coustume d’estre. Et les eaux de ces fontaines, en s’écoulant dans la mer ne la rendent point douce à cause que le sel qu’elles y ont laissé en s’éleuant en vapeurs dans les montagnes se mesle derechef auec elles.

AT IX-2, 238 LXVII. Pourquoy il y a aussi quelques fõtaines dont l’eau est salée. Mais nous ne deuons pas pour cela trouuer estrange qu’il se rencontre aussi quelques sources d’eau salée en des lieux fort éloignez de la mer : Car la Terre s’estant entrefenduë en plusieurs endroits ainsi qu’il a esté dit, il se peut faire que l’eau de la mer vient jusques aux lieux où sont ces sources sans passer que par des conduits qui sont si larges qu’elle amene facilement son sel auec soy : Non seulement lors que ces conduits se rencontrent en des puits si profonds qu’elles ne sont pas moins basses que l’eau de la mer, auquel cas elles participent ordinairement Le Gras, p. 343
Image haute résolution sur Gallica
à son flux et reflux ; Mais aussi lors qu’elles sont beaucoup plus hautes, à cause que les parties du sel estant soutenuës par la pente de ces conduits peuuent monter auec celles de l’eau douce. Comme on voit par experience en faisant chauffer de l’eau de mer dans vne cuue, telle que ABC qui est plus large par le haut que par le bas, qu’il s’éleue du sel le long de ses bords, lequel s’y attache de tous costez en forme de crouste, pendant que l’eau douce qui l’accompagnoit s’éuapore.

LXVIII. Pourquoy il y a des mines de sel en quelques montagnes. Et cét exemple sert aussi à entendre comment il s’est assemblé quantité de sel en certaines montagnes dont on le tire en forme de pierres pour s’en seruir ainsi que de celuy qui se fait d’eau de mer : Car cela viẽt de ce que les parties de l’eau douce qui ont amené du sel de la mer jusques là, ont passé outre en s’éuaporant, et qu’il ne les a pû suiure plus loin.

LXIX. Pourquoy outre le sel commun, on en trouue aussi de quelques autres especes. Mais il arriue aussi quelquefois que le sel qui vient de la mer passe par des pores de la Terre si estroits, ou tellement disposez qu’ils changent quelque chose en la figure de ses parties au moyen dequoy il perd la forme du sel commun, et prend celle du salpetre du sel ammoniac ou de quelque autre espece de sel. Et outre cela plusieurs des petites parties de la Terre sans estre venuës de la mer AT IX-2, 239 peuuent estre de telles Le Gras, p. 344
Image haute résolution sur Gallica
figures, qu’elles entrent en la composition de ces sels, car rien n’est requis à cét effet, sinon qu’elles soient assez longues et roides sans estre diuisées en branches ; et selon les autres differences qu’elles ont, elles composent des sels de diuerses especes.

LXX. Quelle difference il y a icy entre les vapeurs, les esprits et les exhalaisons. Outre les vapeurs qui s’éleuent des eaux, il sort aussi de la Terre interieure grande quantité d’esprits penetrans et corrosifs, et plusieurs exhalaisons grasses ou huileuses, et mesme de l’argent vif lequel montant en forme de vapeur amene auec soy des parties des autres metaux ; Et selon les diuerses façons que ces choses se meslent ensemble elles composent diuers mineraux. Ie prends icy pour les esprits tant les parties des sucs corrosifs que celles des sels volatiles lors qu’elles sont separées l’vne de l’autre, et tellement meuës que la force de leur agitation surpasse celle de leur pesanteur. Et bien que le mot d’exhalaisons soit general je ne le prends neantmoins maintenant que pour signifier des parties de la matiere du troisiéme element separées et agitées, comme celles des vapeurs ou des esprits, mais qui sont fort déliées et diuisées en plusieurs branches fort pliantes, en sorte qu’elles peuuent seruir à composer tous les corps gras et les huiles. Ainsi encore que les eaux, les sucs corrosifs et les huiles Le Gras, p. 345
Image haute résolution sur Gallica
soient des corps liquides, il y a neantmoins cette difference que leurs parties ne font que ramper et glisser l’vne contre l’autre ; au lieu que ces mesmes parties, lors qu’elles composent des vapeurs, des esprits, ou des exhalaisons, sont tellement separées et agitées qu’on peut dire proprement qu’elles volent.

LXXI. Cõment leur meslange compose diuerses especes de pierres, dont quelques-vnes sont transparentes et les autres ne le sõt pas. Et ce sont les esprits qui doiuent estre meus le plus fort pour voler en cette façon : ce sont eux aussi qui penetrent le plus aisément dans les petits pores des corps terrestres, à cause de la force dont ils sont meus et de la figure de leurs parties, en suite dequoy ils s’y arrestent et s’y attachent aussi le plus fort, c’est pourquoy ils rendent ces corps plus durs que ne font les exhalaisons ny les vapeurs. Au reste à cause qu’il y a grande difference entre ces trois sortes de fumées que je nõme vapeurs, esprits et exhalaisons, selon que leurs AT IX-2, 240 parties se meslent et se joignent diuersement elles composent toutes les diuerses sortes de pierres et autres corps qui se trouuẽt sous terre. Et quelques-vns de ces corps sont transparens, les autres ne le sont pas : Car lors que ces fumées ne font que s’arrester dans les pores de quelque partie de la Terre exterieure sans changer leur situation, il est éuident que les corps qu’elles composent ne peuuent estre transparens, à cause que cette Terre ne Le Gras, p. 346
Image haute résolution sur Gallica
l’est pas. Mais lors qu’elles s’assemblent hors de ces pores en quelques fentes ou concauitez de la Terre, les corps qu’elles composent sont liquides au commencemẽt, et par mesme moyen transparens. Ce qu’ils retiennent encore par apres, bien que les plus fluides de leurs parties s’éuaporant peu à peu ils deuiennent durs. Et c’est ainsi que les diamans, les agates, le cristal et autres telles pierres se produisent.

LXXII. Comment les metaux viẽnent dans les mines ; et comment s’y fait le vermeillon. Ainsi les vapeurs de l’argent vif qui montent par les petites fentes et les plus larges pores de la Terre amenent aussi auec soy des parties d’or, d’argent, de plomb, ou de quelque autre metal, lesquelles y demeurent par apres bien que souuent l’argent vif ne s’y arreste pas, à cause qu’estant fort fluide il passe outre ou bien redescend. Mais il arriue aussi quelquefois qu’il s’y arreste à sçauoir lors qu’il rencontre plusieurs exhalaisons dont les parties fort deliées enueloppent les siennes, et par ce moyen le changent en vermeillon. Au reste ce n’est pas le seul argent vif qui peut amener auec soy les metaux de la Terre interieure en l’exterieure ; les esprits et les exhalaisons font aussi le semblable au regard de quelques-vns, comme du cuiure, du fer et de l’antimoine.

LXXIII. Pourquoy les metaux ne se trouuent qu’ẽ certains endroits de la Terre. Et il faut remarquer que ces metaux ne peuuent gueres monter que des endroits de la Terre Le Gras, p. 347
Image haute résolution sur Gallica
interieure ausquels touchent les pieces de l’exterieure qui sont tombées sur elle. Comme par exemple en cette figure ils montent de 5 vers v ; Et ce qui empesche qu’ils ne montent aussi des autres lieux, est qu’il y a de l’eau entre-deux, au trauers de laquelle ils ne peuuent estre éleuez, ce qui est cause qu’on ne trouue pas des metaux en tous les endroits de la Terre.

AT IX-2, 241 LXXIV. Pourquoy c’est principalement au pied des mõtagnes du costé qui regarde le Midy ou l’Oriẽt qu’ils se trouuent. Il faut aussi remarquer, que c’est ordinairement par le pied des montagnes que montent ces metaux. comme icy de 5 vers V ; Et que c’est là qu’ils s’arrestent le plus aisément pour y faire des mines d’or, d’argent, de cuiure ou semblables, à cause qu’il s’y trouue quantité de petites fentes ou de pores fort larges que ces metaux peuuent remplir. Et mesme qu’ils ne s’assemblent gueres en ces montagnes que vers les costez qui sont exposez au Midy ou à l’Orient, à cause que ce sont ceux que la chaleur de Soleil qui ayde à les faire monter échauffe le plus. Ce qui s’accorde auec l’experience pource que ceux qui cherchent des mines n’ont coustume d’en trouuer qu’en ces costez là.

LXXV. Que toutes les mines sõt en la Terre exterieure et qu’õ ne sçauroit creuser jusques à l’interieure. Mais il ne faut pas esperer qu’on puisse jamais à force de creuser paruenir jusques à cette Terre interieure que j’ay dit estre entierement metallique ; car outre que l’exterieure qui est au-dessus est si épaisse qu’à peine la force des hommes Le Gras, p. 348
Image haute résolution sur Gallica
pourroit suffire pour creuser au delà, on ne manqueroit pas d’y rencontrer diuerses sources par lesquelles l’eau sortiroit auec d’autãt plus d’impetuosité qu’elles seroient ouuertes plus bas, en sorte que les mineurs ne pourroient éuiter d’estre noyez.

LXXVI. Comment se composent le soulfre, le bitume, l’huile mineral et l’argile. Quant aux exhalaisons que j’ay décrites et qui viennent de la Terre interieure, leurs parties sont si deliées qu’elles ne peuuent composer estant seules aucun autre corps que de l’air. Mais elles se joignẽt aisément auec les plus subtiles parties des esprits, lesquelles cessant par ce moyen d’estre vnies et glissantes acquerent des petites branches qui font qu’elles peuuent aussi s’attacher à d’autres corps. A sçauoir elles s’attachent quelquefois auec des parties des sucs corrosifs meslées de quelques autres qui sont metalliques, AT IX-2, 242 et ainsi elles composent du soulfre ; quelquefois elles se joignent auec des parties de la Terre exterieure parmy lesquelles il y a quantité des mesmes sucs, et ainsi composent des terres qu’on peut brusler comme du bitume de la naphte, et semblables ; quelquefois aussi elles ne se mêlent qu’auec des parties de terre, et lors elles composent de l’argile ; Enfin quelquefois elles s’assemblent presque toutes seules, à sçauoir lors que leur agitation est si foible que leur pesanteur est suffisante pour faire Le Gras, p. 349
Image haute résolution sur Gallica
qu’elles se pressent les vnes les autres, au moyen dequoy elles composent les huiles qu’on trouue en quelques endroits dans les mines.

LXXVII. Quelle est la cause des trẽblemens de Terre. Mais lors que ces exhalaisons jointes aux plus subtiles parties des esprits sont trop agitées pour se conuertir ainsi en huile, et qu’elles se rencontrent sous Terre en des fentes ou concauitez qui n’ont auparauant contenu que de l’air elles y composent vne fumée grasse et épaisse qu’on peut comparer à celles qui sort d’vne chãdelle lors qu’elle vient d’estre esteinte ; Et comme celle-ci s’embrase fort aisément si tost qu’on en approche la flame d’vne autre chandelle, ainsi lors que quelque estincelle de feu est excitée en ces concauitez elle s’éprend incontinent en toute la fumée dont elles sont pleines, et par ce moyen la matiere de cette fumée se changeant en flame, se rarefie tout à coup, et pousse auec grande violence tous les costez du lieu où elle est enfermée, principalement s’il y a en elle quantité d’esprits ou de sels volatiles. Et c’est ainsi que se font les tremblemens de terre, car lors que les concauitez qu’elle occupe sont fort grandes elle peut esbranler en vn moment tout le païs qui les couure ou les enuironne.

LXXVIII. D’où vient qu’il y a des mõtagnes dõt il sort quelquefois de grandes flammes. Il arriue aussi quelquefois que la flame qui cause ces tremblemens entr’ouure la Terre vers le sommet de quelque montagne, et sort en Le Gras, p. 350
Image haute résolution sur Gallica
grande abondance par là. Car les concauitez où elle est n’estant pas assez grandes pour la contenir, elle fait effort de tous costez pour en sortir, et se fait plus aisément vn passage par le sommet d’vne montagne que par aucun autre lieu ; premierement à cause qu’il ne se rencontre gueres de concauitez qui soient fort grandes et propres à receuoir ces fumées sinon au dessous des plus hautes montagnes ; puis aussi à cause qu’il n’est pas besoin de tant de force pour entr’ouurir AT IX-2, 243 et separer les extremitez de ces grãdes pieces de la Terre exterieure, que j’ay dit estre appuyées de costé l’vne contre l’autre aux lieux où elles composent les sommets des montagnes, que pour y faire vne nouuelle ouuerture en quelque autre endroit. Et bien que la pesanteur de ces grandes pièces de terre ainsi entr’ouuertes soit cause qu’elles se rejoignent fort promptement lors que la flame est sortie, toutefois à cause que cette flame qui sort auec grãde impetuosité pousse ordinairement deuant soy beaucoup de terre meslée de soulfre ou de bitume, il se peut faire que ces montagnes bruslent encore long temps apres jusques à ce que tout ce soulfre ou bitume soit consommé. Et lors que les mesmes concauitez se remplissent derechef de semblables fumées qui s’embrasẽt, la flame en sort plus aisément par l’endroit qui Le Gras, p. 351
Image haute résolution sur Gallica
a des-ja esté ouuert que par d’autres. Ce qui est cause qu’il y a des montagnes où plusieurs tels embrasemens ont esté veus, comme sont Ethna en Sicile, le Vesuue pres de Naples, Hecla en Islande etc.

LXXIX. D’où vient que les tremblemens de Terre se font souuẽt à plusieurs secousses. Au reste les tremblemens de Terre ne finissent pas tous-jours apres la premiere secousse, mais il s’en fait quelquefois plusieurs pendant quelques heures ou quelques jours de suite. Dont la raison est que les fumées qui s’enflamẽt ne sont pas tous-jours en vne seule concauité, mais ordinairement en plusieurs qui ne sont separées que d’vn peu de terre bitumineuse ou soulfrée, en sorte que lors que le feu s’éprend en l’vne de ces concauités et dõne par ce moyen la premiere secousse à la Terre, il ne peut entrer pour cela dans les autres jusques à ce qu’il ait consommé la matiere qui est entre-deux, à quoy il a besoin de quelque temps.

LXXX. Quelle est la nature du feu. Mais je n’ay point encore dit en quelle façon le feu se peut éprendre dans les concauitez de la Terre, à cause qu’il faut sçauoir auparauant quelle est sa nature, laquelle je tascheray maintenant d’expliquer. Toutes les petites parties des corps terrestres, de quelque grosseur ou figure qu’elles soient, prennent la forme du feu, lors qu’elles sont separées l’vne de l’autre, et tellement enuironnées de la matiere du premier Le Gras, p. 352
Image haute résolution sur Gallica
element, qu’elles doiuẽt suiure son cours. Comme aussi elles prennent la forme de l’air lors qu’elles sont enuironnées de la matiere du second element de laquelle elles AT IX-2, 244 suiuent le cours. De façon que la premiere et la principale difference qui est entre l’air et le feu consiste en ce que les parties du feu se meuuent beaucoup plus vite que celles de l’air, d’autant que l’agitation du premier element est incomparablement plus grande que celle du second ; Mais il y a encore entr’eux vne autre différence fort remarquable qui consiste en ce que ce sont les plus grosses parties des corps terrestres qui sont les plus propres à conseruer et nourrir le feu, au lieu que ce sont les plus petites qui retiennent le mieux la forme de l’air, car bien que les plus grosses, comme par exemple celles de l’argent vif, la puissent aussi receuoir lors qu’elles sont fort agitées par la chaleur, elles la perdent par apres d’elles-mêmes lors que cette agitation diminuant, leur pesanteur les fait descendre.

LXXXI. Comment il peut estre produit. Or les parties du second element occupent tous les interualles autour de la terre et dans ses pores qui sont assez grands pour les receuoir, et y sont tellement entassées qu’elles s’entre-touchent, et se sous-tiennent l’vne l’autre, en sorte qu’on n’en peut mouuoir aucune, sans mouuoir aussi ses voisines (si ce n’est peut estre qu’on la Le Gras, p. 353
Image haute résolution sur Gallica
face tourner sur son centre) ce qui est cause que, bien que la matiere du premier element acheue de remplir tous les recoins où ces parties du second ne peuuent estre, et qu’elle s’y meuue extremement vite, toutefois pendant qu’elle n’y occupe point d’autres plus grands espaces elle ne peut auoir la force d’emporter auec soy les parties des corps terrestres et leur faire suiure son cours, ny par consequent de leur donner la forme du feu, pource qu’elles se soustiennent toutes les vnes les autres, et sont soustenues par les parties du second element qui sont autour d’elles. Mais afin qu’il commence à y auoir du feu quelque part il est besoin que quelque autre force chasse les parties du second element de quelques vns des interualles qui sont entre les parties des corps terrestres, afin que cessant de se soustenir les vnes les autres il y en ait quelqu’vne qui se trouue enuironnée tout autour de la seule matiere du premier element ; au moyen dequoy elle doit suiure son cours.

LXXXII. Comment il est conserué. Puis afin que le feu ainsi produit ne soit pas incontinent esteint, il est besoin que ces parties terrestres soient assez grosses et solides AT IX-2, 245 et assez propres à se mouuoir, pour auoir la force, en s’écartant de tous costez auec l’impetuosité qui leur est communiquée par le premier element, de repousser les parties du second, qui se presentent Le Gras, p. 354
Image haute résolution sur Gallica
sans cesse pour rentrer en la place du feu, d’où elles ont esté chassées, et ainsi empescher que, se joignant derechef les vnes aux autres elles ne l’esteignent.

LXXXIII. Pourquoy il doit tous-jours auoir quelque corps à consumer afin de se pouuoir entretenir. Outre cela ces parties terrestres en repoussant celles du second element peuuent bien les empescher de rentrer dans le lieu où est le feu, mais elles ne peuuent pas estre empeschées par elles de passer outre vers l’air, où perdant peu à peu leur agitation elles cessent d’auoir la forme du feu et prennent celle de la fumée. Ce qui est cause que le feu ne peut demeurer longtemps en vn mesme lieu, si ce n’est qu’il y ait quelque corps qu’il consume successiuement pour s’entretenir ; Et à cét effet, il est besoin premierement, que les parties de ce corps soient tellement disposées qu’elles en puissent estre separées l’vne apres l’autre par l’action du feu, duquel elles prennent la forme à mesure que celles qui l’ont se changent en fumée ; Puis aussi qu’elles soient en assez grand nombre et assez grosses pour auoir la force de repousser les parties du second element qui tendent à suffoquer ce feu : ce que ne pourroient faire celles de l’air seul, c’est pourquoy il ne suffit pas pour l’entretenir.

LXXXIV. Commẽt on peut allumer du feu auec vn fuzil. Mais afin que ceci puisse estre plus parfaitement entendu j’expliqueray icy les diuers Le Gras, p. 355
Image haute résolution sur Gallica
moyens par lesquels le feu a coustume d’estre produit ; puis aussi toutes les choses qui seruent à le conseruer, et enfin quels sont les effets qui dependent de son action. Le plus ordinaire moyen qu’on employe pour auoir du feu quãd on en manque, est d’en faire sortir d’vn caillou en le frapant auec vn fusil ou bien auec vn autre caillou : Et je croy que la cause du feu ainsi produit cõsiste en ce que les cailloux sont durs, et roides (c’est à dire tels que si on plie tant soit peu quelques vnes de leurs parties elles tendent à se remettre en leur premiere figure, tout de mesme qu’vn arc qui est bandé) et qu’auec cela ils sont cassans. Car pource qu’ils sont durs et roides on fait, en les frapant que plusieurs de leurs petites parties s’approchent quelque peu les vnes des autres sans se AT IX-2, 246 joindre entierement pour cela, et que les interualles qui sont autour d’elles deuiennent si estroits que les parties du second element en sortent toutes, de façon qu’ils ne demeurent remplis que du premier ; puis derechef parce qu’ils sont roides si tost que le coup a cessé leurs parties tendent à reprendre leur premiere figure ; et pource qu’ils sont cassans la force dont elles tendent ainsi à retourner en leurs places fait que quelques-vnes se separent entierement des autres au moyen dequoy ne se trouuant enuironnées que Le Gras, p. 356
Image haute résolution sur Gallica
de la matiere du premier element elles se conuertissent en feu. Par exemple on peut penser que les petites boules qu’on voit entre les parties du caillou A representent le second elemẽt qui est en ses pores ; et que lors qu’il est frapé d’vn fuzil comme on voit vers B toutes ces petites boules sortent de ses pores, lesquels deuiennent si estroits qu’ils ne contiennent que le premier element ; et enfin qu’apres le coup ces parties du caillou estant rompuës tombent en piroüettant à cause de la violente agitation du premier element qui les enuironne, et ainsi composent des estincelles de feu.

LXXXV. Commẽt on en allume aussi en frotant vn bois sec. Si on frappe du bois en mesme façon, tant sec qu’il puisse estre, on n’en fera point sortir de feu pour cela, car il s’en faut tous-jours beaucoup qu’il ne soit aussi dur qu’vn caillou, et les premieres de ses parties qui sont pressées par la violence du coup se replient sur celles qui les suiuent et se joignent à elles auant que ces secondes se replient sur les troisiémes, ce qui fait que les parties du second element (qui deuroiẽt sortir de plusieurs de leurs interualles en mesme temps afin que le premier element qui leur succede y pût agir auec quelque force) n’en sortent que successiuement, des premiers en premier lieu, apres des seconds et ainsi de suite. Mais si on frotte assez fort ce mesme bois pendant Le Gras, p. 357
Image haute résolution sur Gallica
quelque temps le bransle que cette agitation donne à ses parties peut suffire pour chasser le second element d’autour d’elles, et faire que quelque-vnes se destachent des autres, au moyen dequoy ne se trouuant enuironnées que du premier elemẽt elles se conuertissent en feu.

LXXXVI. Comment auec vn miroir creu ou vn verre cõvexe. On peut aussi allumer du feu par le moyen d’vn miroir concaue ou d’vn verre conuexe, en faisant que plusieurs rayons du Soleil, AT IX-2, 247 tendant vers vn mesme point y joignent leurs forces : Car encore que ces rayõs n’agissent que par l’entremise du second element, leur action ne laisse pas d’estre beaucoup plus prompte que celle qui luy est ordinaire ; et elle l’est assez pour exciter du feu, à cause qu’elle vient du premier element qui compose le corps du Soleil ; elle peut aussi estre assez forte, lors que plusieurs rayons se joignent ensemble, pour separer des corps terrestres quelques-vnes de leurs parties, et leur communiquer la vitesse du premier element, en laquelle consiste la forme du feu.

LXXXVII. Comment la seule agitation d’vn corps le peut embraser. Car enfin par tout où se trouue vne telle vitesse, dans les parties des corps terrestres il y a du feu sans qu’il importe qu’elle en soit la cause. Et comme il est vray que ces parties terrestres ne peuuent estre enuirõnées de la seule matiere du premier element sans acquerir cette vitesse, bien que elles n’en eussent point du tout auparauant : Le Gras, p. 358
Image haute résolution sur Gallica
en mesme façõ qu’vn bateau ne peut estre au milieu d’vn torrẽt sãs suiure son cours lors qu’il n’y a point d’ancres ny de cordes qui le retiennẽt ; Il est vray aussi que lors qu’elles acquerent cette vitesse, bien qu’il y ait plusieurs parties du second element qui les touchent, et qu’elles se touchent aussi les vnes les autres, elles chassent incontinent d’autour de soy tout ce qui peut empescher leur agitation, en sorte qu’il n’y demeure que le premier element lequel sert à l’entretenir. Ainsi tous les mouuemens violens suffisent pour produire du feu. Et cela fait voir comment la foudre, les éclairs, et les tourbillons de vent se peuuent enflamer ; pource que suiuant ce qui a esté dit dans les meteores ils sont causez de ce que l’air qui est enfermé entre-deux nuës en sort auec tres-grande vitesse lors que la plus haute de ces nuës tombe sur la plus basse.

LXXXVIII. Comment le meslange de deux corps peut aussi faire qu’ils s’embrasent. Toutefois cette vitesse n’est peut estre jamais la seule cause des feux qui s’allument dans les nuës, pource qu’il y a ordinairement des exhalaisons dedans l’air qui leur seruent de matiere, et qui sont AT IX-2, 248 de telle nature qu’elles s’embrasent fort aisément ; Ou du moins elles composent des corps qui jettent quelque lumiere encore qu’ils ne se consument pas. Et c’est de ces exhalaisons que se font les feux folets en la plus Le Gras, p. 359
Image haute résolution sur Gallica
basse region de l’air, et les éclairs qu’on voit quelquefois sans qu’il tonne en la moyenne, et en la plus haute les lumieres en forme d’estoiles, qui semblent tõber du ciel ou y courir d’vn lieu à l’autre. Car les exhalaisons, ainsi qu’il a esté dit, sont cõposées de parties fort deliées et diuisées en plusieurs brãches qui se sont atachées à d’autres parties vn peu plus grosses tirées des sels volatiles et des sucs aigres et corrosifs ; et il est à remarquer que les interualles qui sont entre ces branches fort deliées sont si petits qu’ils ne sont ordinairement remplis que de la matiere du premier element, ce qui est cause que bien que les parties du second occupent tous les autres plus grands interualles qui sont entre les parties des sels, ou sucs, reuestuës de ces branches, elles en peuuent facilement estre chassées lors que ces exhalaisons estant pressées de diuers costez quelques-vnes des parties des sucs ou sels volatiles entrent en ces plus grands interualles des autres. Car l’action du premier element qui est entre les petites branches qui les enuironnent leur ayde à les chasser : et par ce moyen ces parties des exhalaisons se changent en flame.

LXXXIX. Comment s’allume le feu de la foudre des éclairs et des Estoiles qui trauersent. Et la cause qui presse ainsi les exhalaisons pour faire qu’elles s’enflamẽt quand elles composent la foudre ou les éclairs est éuidente, Le Gras, p. 360
Image haute résolution sur Gallica
pource qu’elles sont enfermées entre deux nuës dont l’vne tombe sur l’autre. Mais celle qui leur fait composer les lumieres en forme d’Estoiles qu’on voit en temps calme et serain courir çà et là par le ciel n’est pas du tout si manifeste : neantmoins on peut penser qu’elle consiste en ce que lors qu’vne exhalaison est des-ja aucunement condensée, et arrestée par le froid en quelque lieu de l’air, les parties d’vne autre, qui viennent d’vn lieu plus chaud et sont par consequent plus agitées, ou seulemẽt qui à cause de leurs figures continuent plus long tẽps à se mouuoir ou bien aussi qui sont portées vers elle par vn peu de vent, s’insinuent en ses pores et en chassent le second element ; au moyen de quoy si elles peuuent aussi AT IX-2, 249 déjoindre ses parties elles en composent vne flame qui consumant promptement cette exhalaison ne dure que fort peu de tẽps, et sẽble vne Estoile qui passe d’vn lieu en vn autre.

XC. Comment s’allument les Estoiles qui tombent et quelle est la cause de tous les autres tels feux qui luisent et ne bruslent point. Au lieu que si les parties de l’exhalaison sont si bien jointes qu’elles ne puissent ainsi estre separées par l’action des autres exhalaisons qui s’insinuent en ses pores, elle ne s’embrase pas tout à fait, mais rend seulement quelque lumiere ; Ainsi que font aussi quelquefois les bois pourris, les poissons salés, les gouttes de l’eau de mer, et quantité d’autres corps : Car il n’est besoin d’autre chose, pour produire de la lumiere Le Gras, p. 361
Image haute résolution sur Gallica
sinon que les parties du second element soiẽt poussées par la matiere du premier, ainsi qu’il a esté dit cy-dessus ; Et lors que quelque corps terrestre a plusieurs pores qui sont si estroits qu’ils ne peuuent donner passage qu’à cette matiere du premier element il peut arriuer que bien qu’elle n’y ait pas assez de force pour détacher les parties de ce corps les vnes des autres et par ce moyen le brusler, elle en ait neantmoins assez pour pousser les parties du second element qui sont en l’air d’alentour et ainsi causer quelque lumiere. Or on peut penser que les Estoiles qui tombent ne sont que des lumieres de cette sorte, car on trouue souuent sur la terre aux lieux où elles sont tombées vne matiere visqueuse et gluante qui ne brusle point. Toutefois on peut croire aussi que la lumiere qui paroist en elles, ne vient pas proprement de cette matiere visqueuse, mais d’vne autre plus subtile qui l’enuironne, et qui estant enflamée se consume pour l’ordinaire auant qu’elle paruienne jusques à la terre.

XCI. Quelle est la lumiere de l’eau de mer, des bois pourris, etc. Mais pour ce qui est de l’eau de mer dont j’ai cy-dessus expliqué la nature, il est aisé à juger que la lumiere qui paroist autour de ses gouttes lors qu’elles sont agitées par quelque tempeste, ne vient que de ce que cette agitation fait que pendãt que celles de leurs parties qui sont molles Le Gras, p. 362
Image haute résolution sur Gallica
et pliantes demeurent jointes ensemble les AT IX-2, 250 pointes des autres qui sont roides et droites s’auancent, ainsi que des petits dards, hors de leurs superficies, et poussent auec impetuosité les parties du second element qu’elles rencõtrent. Ie croy aussi que les bois pourris, les poissons salez et autres tels corps ne luisent point que lors qu’il se fait en eux quelque alteration qui restrecit tellemẽt plusieurs de leurs pores qu’ils ne peuuent contenir que de la matiere du premier element, soit que cette alteration vienne de ce que quelques vnes de leurs parties s’approchent, lors que quelques autres s’éloignent, comme il semble arriuer aux bois pourris ; soit de ce que quelque autre corps se mesle auec eux comme il arriue aux poissons salez qui ne luisent que pendant les jours que les parties du sel entrent dans leurs pores.

XCII. Quelle est la cause des feux qui brûlent ou eschauffent, et ne luisent point. Cõme lors que le foin s’échauffe de soy-mesme. Et lors que les parties d’vn corps s’insinuent ainsi entre celles d’vn autre, elles ne peuuent pas seulement le faire luire sans l’échauffer en la façon que je viens d’expliquer, mais souuẽt aussi elles l’échauffent sans le faire luire, et enfin quelquefois elles l’embrasent tout à fait. Comme il paroist au foin qu’on a renfermé auant qu’il fust sec, et en la chaux viue sur laquelle on verse de l’eau, et en toutes les fermentations qu’on voit communément en la Chymie. Car il Le Gras, p. 363
Image haute résolution sur Gallica
n’y a point d’autre raison qui face que le foin, qu’on a renfermé auant qu’il fust sec, s’échauffe peu à peu jusques à s’embraser, sinon que les sucs ou esprits, qui ont coustume de monter de la racine des herbes tout le long de leurs tiges pour leur seruir de nourriture, n’estant pas encore tous sortis de ces herbes lors qu’on le renferme, continuent par apres leur agitation, et sortant des vnes de ces herbes entrent dans les autres, à cause que le foin estant renfermé ces sucs ne se peuuent éuaporer, et pource que ces herbes commencent à se seicher, ils y trouuent plusieurs pores vn peu plus estroits que de coustume, qui ne les pouuant plus receuoir auec le second element, les reçoiuent seulement enuironnez du premier, lequel les agitant fort promptement leur donne la AT IX-2, 251 forme du feu. Pensons par exemple que l’espace qui est entre les corps B et C represente vn des pores qui sont dans les herbes encore vertes, et que les petits bouts de cordes 1 2 3 auec les petites boules qui les enuironnent representent les parties des sucs ou esprits enuironnées du second elements, ainsi qu’elles ont coustume d’estre lors qu’elles coulent le long de ces pores ; et de plus que l’espace qui est entre les corps D et E soit l’vn des pores d’vne autre herbe qui commence à se seicher, ce qui est cause qu’il est si estroit que Le Gras, p. 364
Image haute résolution sur Gallica
lors que les mesmes parties des sucs 1 2 3 y viennent, elles n’y peuuent estre enuironnées du second elemẽt, mais seulement de quelque peu du premier. Et nous verrons éuidemment que, pendant que les sucs 1 2 3 coulent par dedans l’herbe verte et humide BC ils n’y suiuent que le cours du second element, mais que lors qu’il passent dans l’herbe seiche DE ils y doiuent suiure le cours du premier, lequel est beaucoup plus rapide. Car encore qu’il n’y ait que fort peu du premier element autour des parties de ces sucs, c’est assez qu’il les enuironne en telle sorte qu’elles ne soient aucunement retenuës par le second, ny par aucun autre corps qui les touche, pour faire qu’il ait la force de les emporter auec soy. Ainsi qu’vn batteau peut estre emporté par le cours d’vn ruisseau qui n’a justement qu’autant de largeur qu’il en faut pour le contenir auec quelque peu d’eau tout autour qui empesche qu’il ne touche à la terre, aussi bien que par le cours d’vne riuiere également rapide et beaucoup plus large. Or quand ces parties des sucs suiuent ainsi le cours du premier element elles ont beaucoup plus de force à pousser les corps qu’elles rencontrent que n’auroit pas ce premier element s’il estoit seul : Comme on voit aussi qu’vn bateau qui suit le cours d’vne riuière en a beaucoup plus que l’eau de cette Le Gras, p. 365
Image haute résolution sur Gallica
riuiere qui toutefois est seule la cause de son mouuement. C’est pourquoy ces parties des sucs ainsi agitées rencontrant les plus dures parties du foin les poussent auec tant d’impetuosité qu’elles les separent aisément de leurs voisines, principalement lors qu’il arriue que plusieurs en poussẽt vne seule en mesme temps, et lors qu’elles en separent ainsi assez grand nombre qui estant proches les vnes des autres suiuent le cours du premier element le foin s’embrase tout à fait : mais lors qu’elles n’en meuuent que quelques vnes qui n’ont pas assez d’espace autour d’elles pour en aller choquer d’autres elles font seulement que ce foin deuiẽt chaut et se corrompt peu à peu sans s’embraser, en sorte qu’alors il y a en luy vne espece de feu qui est sans lumiere.

AT IX-2, 252 XCIII. Pourquoy lors qu’on jette de l’eau sur de la chaux viue, et generalement lors que deux corps de diuerse nature sont meslez ensemble cela excite en eux de la chaleur. En mesme façon nous pouuons penser que lors qu’on cuit de la chaux, l’action du feu chasse quelques-vnes des parties du troisiéme element qui sont dans les pierres dont elle se fait. Ce qui est cause que plusieurs des pores qui estoient en ces pierres s’élargissent jusques à telle mesure qu’au lieu qu’ils ne pouuoient auparauant donner passage qu’au second element ils peuuent par apres lors qu’elles sont conuerties en chaux le donner aux parties de l’eau enuironnées de quelque peu de la matiere du premier Le Gras, p. 366
Image haute résolution sur Gallica
element. En suite dequoy il est éuident que lors qu’on jette de l’eau sur cette chaux les parties de cette eau entrant en ses pores en chassent le second element, et y demeurent seules auec le premier, lequel augmentant leur agitation échauffe la chaux. Et afin que j’acheue en peu de mots tout ce que j’ay à dire sur ce sujet, je croy generalement de tous les corps qui peuuent estre échauffez par le seul meslange de quelque liqueur, que cela vient de ce que ces corps ont des pores de telle grandeur que les parties de cette liqueur peuuent entrer dedans, en chasser le second element, et n’y demeurer enuironnées que du premier ; Ie croy aussi que c’est la mesme raison qui fait échauffer diuerses liqueurs lors qu’on les mesle l’vne auec l’autre : car tous-jours l’vne de ces liqueurs est composée de parties qui ont quelques petites branches par le moyen desquelles se joignant et s’accrochant quelque peu les vnes aux autres elles font l’office d’vn corps dur. Et cecy peut mesme estre entendu des exhalaisons, suiuant ce qui a tantost esté dit.

XCIV. Comment le feu peut estre allumé dans les cõcauitez de la Terre. Au reste le feu peut estre allumé en toutes les façons qui viennent d’estre expliquées, non seulement sur la superficie de la Terre, mais aussi dans les concauitez qui sont au-dessous : Car il peut y auoir des esprits qui se glissant entre les Le Gras, p. 367
Image haute résolution sur Gallica
parties des exhalaisons les enflament ; Et il y a des pieces de rochers demy-rompuës qui estant minées peu à peu par le cours des eaux ou par d’autres causes peuuent tomber tout à coup du haut de ces concauitez, et AT IX-2, 253 par ce moyen faire du feu, soit à cause qu’en tombant elles frapent d’autres pierres ainsi qu’vn fuzil, soit aussi à cause que, lors qu’elles sont grandes elles chassent l’air qui est sous elles auec fort grande violence, ainsi qu’est chassé celuy qui est entre deux nuës lors que l’vne tombe sur l’autre.

XCV. De la façon que brusle vn flãbeau. Or apres que le feu s’est épris en quelque corps il passe facilement de là dans les autres voisins lors qu’ils sont propres à le receuoir : Car les parties du premier corps qui est enflamé, estant fort violemment agitées par le feu, rencontrẽt celles des autres qui sõt proches de luy, et leur communiquẽt leur agitation. Mais cecy n’appartient pas tant à la façon dont le feu est produit, qu’à celle dont il est conserué, laquelle je doy maintenant expliquer. Considerons par exemple le flambeau AB qui est allumé, et pensons qu’il y a plusieurs petites parties de la cire ou autre matiere grasse ou huileuse dont il est composé, comme aussi plusieurs du second element qui se meuuent fort vite en tout l’espace CDE où elles composẽt la flame à cause qu’elles y suiuent le cours du premier element, et que Le Gras, p. 368
Image haute résolution sur Gallica
bien qu’elles se rencontrent souuent et s’entre-poussent, elles ne se touchent pas toutefois de tant de costez qu’elles se puissent arrester l’vne l’autre et s’empescher d’estre emportées par lui.

XCVI. Ce que c’est qui conserue sa flame. Pensons aussi que la matiere du premier element qui est en grande quantité auec les parties du second et auec celles de la cire en cette flame tend tous-jours à en sortir pource qu’elle ne peut continuer son mouuement en ligne droite qu’en s’éloignant du lieu où elle est ; et qu’elle tend mesme à en sortir en montant plus haut, et s’éloignant du centre de la terre, à cause que suiuant ce qui a esté dit cy-dessus elle est legere non seulement à comparaison des parties de l’air d’alentour mais aussi à comparaison de celles du second element qui sont en ses pores, c’est pourquoy ces parties de l’air et du second element tendent aussi à descendre en sa place, laquelle AT IX-2, 254 elles occuperoient incontinent et ainsi suffoqueroient cette flame, si elle n’estoit composée que du premier, mais les parties de la cire qui commencent à suiure son cours dés lors qu’elles sortent de la mèche FG, vont rencontrer ces parties de l’air et du second element qui sont disposées à descendre en la place de la flame, et les repoussent auec plus de force que ce premier element seul ne pourroit faire : au Le Gras, p. 369
Image haute résolution sur Gallica
moyen dequoy cette flame se conserue.

XCVII. Pourquoy elle monte en pointe. Et d’où vient la fumée. Et pource que ces parties de la cire suiuent le cours du premier element elles tendent principalement à monter en haut ce qui est cause de la figure pointuë de la flame. Mais pource qu’elles ont plus de force que les parties de l’air d’alentour, tant à cause qu’elles sont plus grosses qu’à cause qu’elles se meuuent plus vite, bien qu’elles empeschent cét air de descendre vers la flame elles ne peuuent pas estre empeschées par luy en mesme façon de monter plus haut vers H, où perdant peu à peu leur agitation elles se changent en fumée.

XCVIII. Comment l’air et les autres corps nourrissent la flame. Et cette fumée ne trouueroit aucune place où se mettre hors de la flame, à cause qu’il n’y a point de vuide, si à mesme temps qu’elle entre dans l’air vne pareille quantité de cét air ne prenoit son cours circulairement vers le lieu qu’elle quitte : C’est pourquoy lors qu’elle mõte vers H elle en chasse de l’air qui descend par I et K vers B, où rasant le haut du flãbeau B et le bas de la méche F, il coule de là dans la flame et sert de matiere pour l’entretenir. Toutefois à cause que ses parties sont fort déliées elles ne pourroient suffire à cela toutes seules, mais elles font aussi monter auec soy par les pores de la méche des parcelles de cire à qui la chaleur du feu a des-ja donné quelque agitation, ce qui fait que Le Gras, p. 370
Image haute résolution sur Gallica
la flame se conserue en changeant continuellement de matiere, et en ne demeurant jamais deux momens de suite la mesme, que comme fait vne riuiere en laquelle il afluë incessamment de nouuelles eaux.

AT IX-2, 255 XCIX. Que l’air reuient circulairement vers le feu en la place de la fumée. Et ce mouuement circulaire de l’air vers la flame peut aisément estre connu par experience, car lors qu’il y a vn assez grand feu dans vne chambre où toutes les portes et fenestres sont bien fermées, et où, excepté le tuyau de la cheminée par où la fumée sort, il n’y a rien d’ouuert que quelque vitre cassée, ou quelque autre trou assez estroit, si on met la main auprès de ce trou l’on sent manifestement le vent que fait l’air en venant par là vers le feu en la place de la fumée.

C. Commẽt les liqueurs esteignent le feu, et d’où vient qu’il y a des corps qui bruslent dans l’eau. Ainsi on peut voir qu’il y a tous-jours deux choses requises pour faire que le feu ne s’esteigne point. La premiere est qu’il y ait en luy des parcelles du troisiéme element qui estant meuës par le premier ayent assez de force pour repousser le second element auec l’air ou les autres liqueurs qui sont au-dessus de luy, et empescher qu’elles ne le suffoquent. Ie ne parle icy que des liqueurs qui sont au dessus, à cause que n’y ayant que leur pesanteur qui les face aller vers lui, celles qui sont au dessous n’y vont jamais en cette façon pour l’esteindre, et elles y vont seulement lors qu’elles y sont attirées pour Le Gras, p. 371
Image haute résolution sur Gallica
le nourrir : comme on voit que la mesme liqueur qui sert à entretenir la flame d’vn flambeau quand il est droit, le peut esteindre quand il est renuersé ; Et au contraire on peut faire des feux qui bruslẽt sous l’eau à cause qu’ils contiennent des parcelles du troisiéme element si solides, si agitées, et en si grand nombre, qu’elles ont la force de repousser l’eau de tous costez, et ainsi l’empescher d’esteindre le feu.

CI. Quelles matieres sont propres à le nourrir. L’autre chose qui est requise pour la durée du feu est qu’il y ait auprès de luy quelque corps qui luy fournisse tous-jours de la matiere pour succeder à la fumée qui en sort ; Et à cét effet, il faut que ce corps ait en soy plusieurs parties assez deliées, à raison du feu qu’il doit entretenir ; et qui soient jointes entr’elles, ou à d’autres AT IX-2, 256 plus grosses, en telle sorte que les parties qui sont des-ja embrasées puissent les separer de ce corps, et aussi des parties de second element qui sont proches d’elles, afin de leur donner par ce moyen la forme du feu.

CII. Pourquoy la flame de l’eau de vie ne brusle point vn linge mouillé de cette mesme eau. Ie dis qu’il faut que ce corps ait en soy des parties assez deliées à comparaison du feu qu’elles doiuent entretenir pource qu’elles ne pourroient y seruir si elles estoient si grosses qu’elles ne pûssent estre meuës et separées par les parties du troisiéme element qui composent ce feu, et qui ont d’autãt moins de force Le Gras, p. 372
Image haute résolution sur Gallica
qu’elles sont plus deliées. Comme on voit ayant mis le feu en de l’eau de vie dont vn linge est moüillé, que ce linge n’en peut estre brûlé ny par consequent seruir à nourrir ce feu. Dont la raison est que les parties de la flame qui vient de l’eau de vie sont trop deliées et trop foibles pour mouuoir celles du linge ainsi moüillé.

CIII. D’où vient que l’eau-de-vie brusle facilement. I’adjouste qu’elles doiuent estre jointes en telle sorte que le feu les puisse separer les vnes des autres ; et aussi des parties du secõd element qui sont proches d’elles. Et afin qu’elles puissẽt estre separées les vnes des autres, Ou bien elles doiuent estre si petites et si peu jointes ensemble qu’encore que la flame ne touche que la superficie du corps qu’elles composent, son action suffise pour les tirer de cette superficie l’vne apres l’autre ; et c’est ainsi que brusle l’eau de vie, mais le linge est composé de parties trop grosses et trop bien jointes pour estre separées en mesme façon ; Ou bien il doit y auoir plusieurs pores en ce corps qui soient assez grands pour receuoir les parties de la flame, afin que ces parties de la flame coulant autour des siennes ayent plus de force à les separer : et pource qu’il y a quantité de tels pores dans le linge de là vient qu’il peut aisement estre bruslé mesme par la flame de l’eau de vie, lors qu’il n’est point du tout moüillé ; mais lors qu’il est moüillé, encore Le Gras, p. 373
Image haute résolution sur Gallica
que ce ne soit que d’eau de vie, les parties de cette eau qui ne sont point enflamées remplissent ses pores, et ainsi empeschent celles de la flame, qui est au-dessus, d’y entrer. De plus afin que les parties du corps qui sert à entretenir le feu puissent estre separées du second element qui les enuironne, ou bien elles doiuent estre assez fermement jointes les vnes aux autres, en sorte que les parties AT IX-2, 257 du second element, resistant moins qu’elles à la flame, en soient chassées les premieres, et cette condition se trouue en tous les corps durs qui peuuent brusler ; ou bien si les parties du corps qui brusle sont si petites et si peu jointes ensemble, qu’encore que la flame ne touche que la superficie de ce corps, elle ait la force de les en separer ; il est besoin qu’elles ayent plusieurs petites branches si deliées et si proches les vnes des autres qu’il n’y ait que le seul premier element qui puisse remplir les petits interualles qui sont autour d’elles : Et pource que l’eau de vie brusle fort aisément il est à croire que ses parties ont de telles branches, mais qui sont fort courtes à cause que si elles estoient vne peu longues elles se lieroient les vnes aux autres, et ainsi composeroient de l’huile.

CIV. D’où vient que l’eau commune esteint le feu. L’eau commune est en cela fort differente de l’eau de vie ; car elle est plus propre à esteindre Le Gras, p. 374
Image haute résolution sur Gallica
le feu qu’à l’entretenir ; dont la raison est que ses parties sont assez grosses et auec cela si glissantes, vnies et pliantes que non seulement les parties du second element qui se joignent à elles de tous costez n’y laissent que fort peu de place pour le premier, mais aussi elles entrent facilement dans les pores des corps qui bruslent et en chassant les parties qui ont des-ja l’agitation du feu empeschent que les autres ne s’embrasent.

CV. D’où vient qu’elle peut aussi quelquefois l’augmenter et que tous les sels font le semblable. Toutefois cela dépend de la proportion qui est entre la grosseur de ses parties et la violence du feu, ou la grandeur des pores du corps qui brusle. Car, comme il a des-ja esté dit de la chaux viue qu’elle s’eschauffe auec de l’eau froide ; ainsi il y a vne espece de charbon qui en doit estre arrosé lors qu’il brusle afin que sa flame en soit plus viue ; Et tous les feux qui sont fort ardens le deuiennent encore plus lors qu’on jette dessus quelque peu d’eau. Mais si on y jette du sel, leur ardeur sera encore plus augmentée que par l’eau douce : à cause que les parties du sel estant longues et roides et s’élançant de pointe, comme des fleches, ont beaucoup de force, lors qu’elles sont enflammées, pour esbranler les parties des corps qu’elles rencontrent ; AT IX-2, 258 Et c’est pour cette raison qu’on a coustume de mesler certains sels parmy les Le Gras, p. 375
Image haute résolution sur Gallica
metaux pour les fondre plus aisement.

CVI. Quels corps sont les plus propres à entretenir le feu. Pour ce qui est du bois et des autres corps durs dont on peut entretenir le feu, ils doiuent estre composez de diuerses parties, quelques-vnes desquelles soient assez petites, les autres vn peu plus grosses, et qu’il y en ait ainsi par degrez jusques à celles qui sont les plus grosses de toutes ; et il y en doit auoir dont les figures soient assez irregulieres, et comme diuisées en plusieurs branches, en sorte qu’il y ait parmy elles d’assez grands pores, afin que les parties du troisiéme element qui sont enflammées, entrant en ces pores, puissent premierement agiter les plus petites, puis par leur moyen les mediocres, et par le moyen de celles-cy les plus grosses ; et en mesme temps chasser le second element, premierement des plus petits pores, puis aussi de tous les autres ; et enfin emporter auec soy toutes les parties de ce corps excepté les plus grosses qui demeurent et composent les cendres.

CVII. Pourquoy il y a des corps qui s’enflamẽt et d’autres que le feu consõme sans les enflamer. Et lors que les parties qui sortent en vn mesme temps du corps qui brusle sont en assez grand nombre pour auoir la force de chasser les parties du second element qui sont en quelque endroit de l’air proche de ce corps, elles remplissent tout cét endroit de flame ; Mais si elles sont en trop petit nombre ce corps brusle Le Gras, p. 376
Image haute résolution sur Gallica
sans s’enflamer ; Et s’il est composé de parties si égales et tellement disposées que les premieres qui s’embrasent ayent la force d’embraser leurs voisines en se glissant parmy elles le feu se conserue en ce corps jusques à ce qu’il l’ait consumé, comme on voit arriuer aux meches dont se seruent les Soldats pour leurs mousquets.

CVIII. Comment le feu se conserue dans le charbon. Mais si les parties de ce corps ne sont point ainsi disposées, le feu ne s’y conserue qu’en tant que les plus subtiles qui sont des-ja embrasées se trouuant engagées entre plusieurs autres plus grosses, qui ne le sont pas, ont besoin de quelque temps pour s’en dégager. Ce qu’on experimente aux charbons qui estans couuerts de cendres conseruent AT IX-2, 259 leur feu pendant quelques heures, par cela seul que ce feu consiste en l’agitation de certaines parties du troisiéme element assez petites, qui ont plusieurs branches, et qui, se trouuant engagées entre d’autres plus grosses n’en peuuent sortir que l’vne apres l’autre, nonobstant qu’elles soient fort agitées, et qui peut estre aussi ont besoin de quelque temps pour estre diminuées ou diuisées peu à peu par la force de leur agitation, auant qu’elles puissent sortir des lieux où elles sont.

CIX. De la poudre à canon qui se fait de soulfre, de salpettre et de charbon ; Et premierement du soufre. Mais il n’y a rien qui prenne si tost feu et Le Gras, p. 377
Image haute résolution sur Gallica
qui le retienne moins long temps que fait la poudre à canon. De quoy on peut voir clairement la cause en considerant la nature du soulfre, du salpetre et du charbon, qui sont les seuls ingrediens dont on la compose. Car premierement le soulfre est de soy mesme extremement prompt à s’enflammer, d’autant qu’il est composé des parcelles des sucs aigres ou corrosifs, enuironnées de la matiere huileuse, qui se trouue auec eux dans les mines, et qui est diuisée en petites branches si deliées et si proches les vnes des autres qu’il n’y a que le premier element qui puisse passer parmy elles. Ce qui fait aussi que pour l’vsage de la medecine on estime le soulfre fort chaud.

CX. Du salpetre. Puis pour ce qui est du salpetre il est composé de parties qui sont toutes longues et roides ainsi que celles du sel commun dont elles different seulement en cela qu’vn de leurs bouts est plus menu et plus pointu que l’autre au lieu que les deux bouts des parties du sel commun sont égaux entr’eux. Ce qu’on peut connoistre par experience en faisant dissoudre ces deux sels en de l’eau, car à mesure que cette eau s’éuapore les parties du sel commun demeurent couchées sur sa superficie où elles composent des petits quarrez ainsi que j’ay expliqué dans les meteores ; mais les parties du salpetre descendent Le Gras, p. 378
Image haute résolution sur Gallica
au fonds ou s’attachent aux costez du vaisseau, et monstrent par là que l’vn de leurs bouts est plus gros ou plus pesant que l’autre.

AT IX-2, 260 CXI. Du meslãge de ces deux ensemble. Et il faut remarquer qu’il y a telle proportion entre les parties du salpetre, et celles du soulfre, que bien que celles-cy soient plus petites ou moins massiues que les autres toutefois estãt enflamées elles ont la force de chasser fort vite tout ce qu’il y a du second element entr’elles et ces autres, et par mesme moyen de faire que le premier element les agite.

CXII. Quel est le mouuement des parties du salpetre. Il faut aussi remarquer que c’est principalement le bout le plus pointu de chacune de ces parties du salpetre qui se meut pendant qu’elles sont ainsi agitées, et qu’il décrit vn cercle en tournoyant, au lieu que son autre bout qui est plus gros et plus pesant se tient en bas vers le centre de ce cercle : En sorte que par exemple si B est vne parcelle du salpetre qui n’est point encore agitée ; C la represente lors qu’elle commence à s’agiter et que le cercle qu’elle décrit n’est pas encore fort grand ; Mais il s’augmente incontinent apres et deuient aussi grand qu’il peut estre, cõme on voit vers D : Et cependant les parties du soulfre qui ne tournoyent pas en mesme façon passent plus loin en ligne droite vers les autres parties du salpetre qu’elles enflament en mesme façon en chassant le second Le Gras, p. 379
Image haute résolution sur Gallica
element d’autour d’elles.

CXIII. Pourquoy la flame de la poudre se dilate beaucoup ; Et pourquoy son action tend en haut. Ce qui fait des-ja voir la cause pourquoy la poudre à canon se dilate beaucoup lors qu’elle s’enflame, et aussi pourquoy son effort tend en haut, en sorte que lors qu’elle est bien fine on la peut faire brusler dans le creux de la main sans en receuoir aucun mal. Car chacune des parties du salpetre chasse toutes les autres du cercle qu’elles décrit, et elles s’entrechassent ainsi auec grande force à cause qu’elles sont dures et roides ; mais pource que ce ne sont que leurs pointes qui décriuent ces cercles et qu’elles tendent tous-jours vers en haut, de là vient que si leur flame se peut estendre librement vers là elle ne brusle aucunement ce qui est sous elle.

AT IX-2, 261 CXIV. Quelle est la nature du charbon. Au reste on mesle du charbon auec le salpetre et le soulfre et de ces trois choses ensemble, humectées de quelque liqueur afin qu’elles se puissent mieux joindre, on compose des petites boules ou petits grains, qui estant parfaitement seichez, en sorte qu’il n’y reste rien de la liqueur, sont la poudre. Et en considerant que le charbon est ordinairement fait de bois duquel on a éteint le feu auant qu’il fust entierement bruslé, on voit qu’il doit y auoir en luy plusieurs pores qui sont fort grands, premierement à cause qu’il y en a eu beaucoup Le Gras, p. 380
Image haute résolution sur Gallica
dans le bois ou autre matiere dont il est fait, puis aussi à cause qu’il est sorty beaucoup de parties terrestres hors de ce bois pendant qu’il a bruslé lesquelles se sont changées en fumée ; On voit aussi qu’il n’est composé que de deux sortes de parties dont les vnes sont si grosses qu’elles ne sçauroient estre converties en fumée par l’action du feu, mais seroient demeurées pour les cendres si le charbon auoit acheué de brusler ; et les autres sont plus petites, à sçauoir celles qui en seroient sorties : Et celles-ci ayant des-ja esté ébranlées par l’action du feu, sont déliées, et molles et aisées à embraser derechef ; et auec cela elles ont des figures assez embarrassantes, en sorte qu’elles ne se dégagent pas aisément des lieux où elles sont, comme il paroist de ce que beaucoup d’autres en estant des-ja sorties et changées en fumée, elles y sont demeurées les dernières.

CXV. Pourquoy on graine la poudre ; et enquoy principalement cõsiste sa force. Ainsi les parcelles du salpetre et du soulfre entrent aisément dans les pores du charbon, pource qu’ils sont grands ; et elles y sont enueloppées et liées ensemble par celles de ses parties qui sont molles et embarrassantes. Principalement lors que le tout ensemble apres auoir esté humecté et formé en grains est desseiché. Et la raisõ pourquoy on graine la poudre est afin que les parties du salpetre ne s’embrasent pas seulement Le Gras, p. 381
Image haute résolution sur Gallica
l’vne apres l’autre, ce qui leur donneroit moins de force ; mais qu’il y en ait plusieurs qui prennent feu toutes ensemble. Car chasque grain de poudre ne s’allume pas au mesme instant qu’il est touché de quelque flame, mais cette flame doit premierement passer de la superficie de ce grain jusques au dedans et y embraser les parties du soulfre par l’entremise desquelles celles du salpetre sont agitées et décriuent au commencement, AT IX-2, 262 de fort petits cercles, puis tendant à en décrire de plus grands elles font effort toutes ensemble pour rompre les parties du charbon qui les retiennẽt, au moyen dequoy tout le grain s’enflame. Et bien que le temps qui est requis pour toutes ces choses soit extremement court si on le compare auec des heures ou des journées, en sorte qu’il ne nous est presque point sensible, il ne laisse pas d’estre assez long lors qu’on le compare auec l’extreme vitesse dont la flame qui sort ainsi d’vn grain de poudre s’estend de tous costez en l’air qui l’enuironne. Ce qui est cause que, par exemple, lors qu’vn canon est chargé, la flame de l’amorce, ou des premiers grains de poudre qui prennent feu, a loisir de s’estendre en tout l’air qui est autour des autres grains, et de les toucher tous, autant qu’il y en ait aucun qui s’enflame : puis incontinent apres, bien que les plus proches Le Gras, p. 382
Image haute résolution sur Gallica
de la lumiere soient les premiers disposez à s’enflamer, toutefois à cause qu’en se dilatant ils ébranlent les autres, et leur aydent à se rompre, cela fait qu’ils s’enflament et se dilatent tous en vn mesme instant, au moyen dequoy toutes leurs forces jointes ensemble chassent la bale auec tres-grande vitesse. A quoy la resistance que font les parties du charbon sert beaucoup, à cause qu’elle retarde au commencement la dilatation des parties du salpetre, ce qui augmente incontinent apres la vitesse dont elles se dilatent ; Il sert aussi que la poudre soit composée de grains, et mesme que la grosseur de ces grains et la quantité du charbon soit proportionnée à la grandeur du canon, afin que les interualles que ces grains laissent entr’eux soient assez larges pour donner passage à la flame de l’amorce, et faire qu’elle ait loisir de d’estendre par toute la poudre et de paruenir jusques aux grains plus éloignez auant quelle ait embrasé les plus proches.

CXVI. Ce qu’õ peut juger des lãpes qu’on dit auoir conserué leur flame durant plusieurs siecles. Apres le feu de la poudre qui est l’vn de ceux qui durent le moins, considerons si tout au contraire il peut y auoir quelque feu qui dure fort long temps, sans auoir besoin de nouuelle matiere pour s’entretenir. Comme on raconte de certaines lampes qu’on a trouuées ardentes en des tombeaux lors qu’on les a ouuerts apres Le Gras, p. 383
Image haute résolution sur Gallica
qu’ils auoient esté fermez plusieurs siècles. Ie ne veux point estre AT IX-2, 263 garent de la verité de telles histoires mais il me semble qu’en vn lieu souterrain qui est si exactement clos de tous costez que l’air n’y est jamais agité par aucun vent qui vienne du dedans ou du dehors de la terre, les parties de l’huile, qui se changent en fumée, et de fumée en suye lors qu’elles s’arrestent et s’attachent les vnes aux autres, se peuuent arrester tout autour de la flame d’vne lampe, et y composer comme vne petite voûte qui soit suffisante pour empescher que l’air d’alentour ne vienne suffoquer cette flame, et aussi pour la rendre si foible et si débile, qu’elle n’ait pas la force d’enflamer aucune des parties de l’huile niy de la méche, si tant est qu’il en reste encore qui n’ayent point esté bruslées : au moyen dequoy le premier element demeurant seul en cette flame, à cause que les parties de l’huile qu’elle contenoit s’attachent à la petite voûte de suie qui l’enuironne, et tournant en rond là dedans en forme d’vne petite estoile, a la force de repousser de toutes parts le second element, qui seul tend encore à venir vers la flame, par les pores qu’il s’est reserué en cette voûte, et ainsi d’enuoyer de la lumiere en l’air d’alentour, laquelle ne peut estre que fort foible pendant que le lieu demeure fermé, mais à l’instant qu’il Le Gras, p. 384
Image haute résolution sur Gallica
est ouuert, et que l’air qui vient de dehors dissipe la petite voûte de fumée qui l’enuironnoit, elle peut reprendre sa vigueur, et faire paroistre la lampe assez ardente bien que peut-estre elle s’esteigne bien tost apres, à cause qu’il est vraysemblable que cette flame n’a pû ainsi se conseruer sans aliment qu’après auoir consumé toute son huile.

CXVII. Quels sont les autres effets du feu. Passons maintenant aux effets du feu que l’explication des diuers moyens qui seruent à le produire ou conseruer n’a pû encore faire entendre. Et pource que de ce qui a des-ja esté dit on cõnoist assez pourquoy il luit, et échauffe, et dissout en plusieurs petites parties tous les corps qui luy seruent de nourriture ; et aussi pourquoy ce sont les plus petites et plus glissantes parties de ces corps qu’il en chasse les premieres, et pourquoy elles sont suiuies par apres de celles qui, bien qu’elles ne soient peut-estre pas moins petites que les precedentes, sortent toutefois moins aisément à cause que leurs figures sont embarrassantes et diuisées en plusieurs branches (d’où vient que s’attachant aux tuyaux des cheminées elles se changent en suie) ; puis en fin pourquoy il ne laisse rien que les plus grosses AT IX-2, 264 qui composent les cendres. Il reste seulement icy à expliquer comment vn mesme feu peut faire que certains corps qui ne seruent point à Le Gras, p. 385
Image haute résolution sur Gallica
l’entretenir deuiennẽt liquides, et qu’ils boüillent ; et que les autres au contraire se seichent et se durcissent ; et enfin que les vns se changent en vapeurs, les autres en chaux, et les autres en verre.

CXVIII. Quels sont les corps qu’il fait fõdre et boüillir. Tous les corps durs composez de parties si égales ou semblables qu’elles peuuent estre toutes agitées et separées aussi aisément l’vne que l’autre, deuiennent liquides lors que leurs parties sont ainsi agitées et separées par l’action du feu. Car vn corps est liquide par cela seul que les parties dont il est composé se meuuent separément les vnes des autres : Et lors que leur mouuement est si grand que quelques-vnes se changeant en air ou en feu requerent beaucoup plus d’espace que de coutume pour le continuer, elles font éleuer par boüillons la liqueur d’où elles sortent.

CXIX. Quels sont ceux qu’il rend secs et durs. Mais au contraire le feu seiche les corps qui sont composez de parties inégales, plusieurs desquelles sont longues, pliantes, et glissantes, de façon que n’estant aucunement attachées à ces corps elles en sortent aisément lors que la chaleur du feu les agite. Car quand on dit d’vn corps dur qu’il est sec, cela ne signifie autre chose sinon qu’il ne contient en ses pores, ny sur sa superficie, aucunes de ces parties vnies et glissantes, qui lors qu’elles sont jointes ensemble Le Gras, p. 386
Image haute résolution sur Gallica
composent de l’eau ou quelqu’autre liqueur. Et pource que ces parties glissantes estant dans les pores des corps durs les élargissent quelque peu et communiquent leur mouuement aux autres parties de ces corps, cela diminuë ordinairement leur dureté ; mais lors qu’elles sont chassées par l’action du feu hors de leurs pores, cela fait que leurs autres parties ont coustume de se joindre plus fort les vnes aux autres et ainsi que ces corps deuiennent plus durs.

CXX. Comment on tire diuerses eaux par distillation. Et les parties qui peuuent estre chassées hors des corps terrestres par l’action du feu sont de diuers genres comme on experimente AT IX-2, 265 fort clairement par la Chymie. Car outre celles qui sont si mobiles et si petites qu’elles ne composent estant seules aucun autre corps que de l’air, il y en a d’autres tant soit peu plus grosses qui sortent fort aisément hors de ces corps, à sçauoir celles qui estant ramassées et jointes ensemble par le moyen d’vn alembic composent des eaux de vie, telles qu’on a coustume de les tirer du vin, du bled, et de quantité d’autres matieres ; puis il y en a d’autres vn peu plus grosses dont se composent les eaux douces et insipides qu’on tire aussi par distillation hors des plantes, ou des autres corps ; Et il y en a encore d’autres vn peu plus grosses qui composent les eaux fortes et se tirent des sels auec grand violence de feu.

Le Gras, p. 387
Image haute résolution sur Gallica
CXXI. Comment on tire aussi des sublimez, et des huiles. Derechef il y en a qui sont encore plus grosses, à sçauoir celles des sels lors qu’elles demeurent entieres, et celles de l’argent vif, qui estant éleuées par l’action d’vn assez grand feu ne demeurent pas liquides, mais s’attachant au haut du vaisseau qui les contient y composent des sublimez. Les dernieres ou celles qui sortent auec plus de difficulté des corps durs et secs sont les huiles ; et ce n’est pas tant par la violence du feu, que par vn peu d’industrie, qu’elles en peuuent estre tirées. Car d’autant que leurs parties sont fort deliées, et ont des figures fort embarrassantes, l’action d’vn grand feu les feroit rompre, et changeroit entierement leur nature, en les tirant auec force d’entre les autres parties des corps où elles sont : Mais on a coustume de tremper ces corps en vne grande quantité d’eau commune, dont les parties, qui sont vnies et glissantes, s’insinuent fort aisément dans leurs pores, et en détachent peu à peu les parties des huiles, en sorte que cette eau, montant par apres par l’alembic, les amene toutes entieres auec soy.

CXXII. Qu’en augmentant ou diminuãt la force du feu on chãge souuent son effet. Or en toutes ces distillations le degré du feu se doit obseruer, car selon qu’on le fait plus ou moins ardent, les effets qu’il produit sont diuers. Et il y a plusieurs corps qu’on peut rendre fort secs, et par apres tirer d’eux diuerses liqueurs Le Gras, p. 388
Image haute résolution sur Gallica
par distillation, lors qu’on les expose au commencement à vn feu lent lequel on augmente apres peu à peu, qui seroient fondus d’abord en sorte qu’on ne pourroit tirer d’eux les mesmes liqueurs, s’ils estoient exposez à vn grand feu.

AT IX-2, 266 CXXIII. Comment on calcine plusieurs corps. Et ce n’est pas seulement le degré du feu mais aussi la façon de l’appliquer qui peut changer ses effets. Ainsi on voit plusieurs corps qui se fondent lors que toutes leurs parties sont échauffées également ; et qui se calcinent ou convertissent en chaux, lors qu’vne flame fort ardente agit seulement contre leur superficie, d’où separant quelques parties elle fait que les autres demeurent en poudre. Car selon la façon de parler des Chymistes on dit qu’vn corps dur est calciné lors qu’il est ainsi mis en poudre par l’action du feu ; en sorte qu’il n’y a point d’autre difference entre les cendres et la chaux sinon que les cendres sont ce qui reste des corps entierement bruslez apres que le feu en a separé beaucoup de parties qui ont seruy à l’entretenir ; et la chaux est ce qui reste de ceux qu’il a pulvérisez sans en pouuoir separer que peu de parties qui seruoient de liaison aux autres.

CXXIV. Comment se fait le verre. Au reste le dernier et l’vn des principaux effets du feu est qu’il peut conuertir toute sorte de cendres et de chaux en verre. Car les cendres Le Gras, p. 389
Image haute résolution sur Gallica
et la chaux n’estant autre chose que ce qui reste des corps bruslez apres que le feu en a fait sortir toutes les parties qui estoient assez petites pour estre chassées ou rompuës par luy, toutes leurs parties sont si solides et si grosses qu’elles ne sçauroiẽt estre éleuées cõme les vapeurs par son action ; et auec cela elles ont pour la pluspart des figures assez irregulieres, et inégales ce qui fait que, bien qu’elles soient appuyées l’vne sur l’autre, et s’entre-soutiennent, elles ne s’attachent point toutefois les vnes aux autres, et mesme ne se touchent pas immediatement, si ce n’est peut-estre en quelques points extremement petits. Mais lors qu’elles cuisent par apres dans vn feu fort ardent, c’est à dire lors que plusieurs parties du troisiéme elemẽt moindres qu’elles, et plusieurs de celles du second qui estant agitées par le premier composent ce feu, passent auec tres-grande vitesse de tous costez parmy elles, cela fait que les pointes de leurs angles s’émoussent peu à peu et que leurs petites superficies s’aplanissent, et peut-estre aussi que quelques vnes de ces parties se plient, en sorte qu’elles peuuent enfin couler de biais les vnes sur les autres, et ainsi se toucher immédiatemẽt non pas seulement en des points, mais aussi en quelques vnes de leurs superficies, par lesquelles demeurant jointes elles composent le verre.

Le Gras, p. 390
Image haute résolution sur Gallica
AT IX-2, 267 CXXV. Commẽt ses parties se joignent ensemble. Car il est à remarquer que lors que deux corps dont les superficies ont quelque estenduë se rencontrent de front ils ne se peuuent approcher si fort l’vn de l’autre qu’il ne demeure quelque peu d’espace entredeux qui est occupé par le second element, mais que lors qu’ils coulent de biais l’vn sur l’autre leurs superficies se peuuent entierement joindre. Par exemple si les corps B et C s’approchent l’vn de l’autre suiuant le ligne droite AD les parties du second element qui se trouuent entre-deux n’en peuuent estre chassées, c’est pourquoy elles empeschent qu’ils ne se touchent ; mais les corps G et H qui viennent l’vn vers l’autre suiuant la ligne EF se peuuent tellement joindre qu’il ne demeure rien entre-deux, au moins si leurs superficies sont toutes plates et polies, et si elles ne le sont pas le mouuement dont elles glissent ainsi l’vne sur l’autre fait que peu à peu elles le deuiennent. Ainsi les corps B et C representent la façon dont les parties des cendres sont jointes ensemble, et G et H representent celle dont se joignent les parties du verre. Et de la seule difference qui est entre ces deux façons de se joindre, dont il est éuident que la premiere est dans les cendres, et que la seconde y doit estre introduite par vne longue et violente agitation du feu, on peut connoistre parfaitement la nature Le Gras, p. 391
Image haute résolution sur Gallica
du verre, et rendre raison de toutes ses proprietez.

CXXVI. Pourquoy il est liquide et gluãt lors qu’il est embrasé. La premiere de ses proprietez est qu’il est liquide lors qu’il est fort échauffé par le feu, et peut aisément receuoir toutes sortes de figures lesquelles il retient estant refroidy ; et mesme qu’il peut estre tiré en filets aussi deliez que des cheueux. Il est liquide à cause que l’action du feu ayant des-ja eu la force de faire couler ses parties l’vne sur l’autre pour le polir, et plier, et ainsi les changer de cendres en verre, a infailliblement aussi la force de les mouuoir separément l’vne de l’autre. Et tous les corps que le feu a rendus liquides ont cela de commun qu’ils prennent aisément toutes les figures qu’on leur veut donner, à cause que leurs petites parties qui sont alors en continuelle agitation s’y accommodent ; Et en se refroidissant ils AT IX-2, 268 retiennent la derniere qu’on leur a donnée, à cause que le mouuement de leurs parties est arresté par le froid. Mais outre cela le verre est comme gluant, en sorte qu’il peut-estre tiré en filets sans se rompre pendant qu’il est encore chaut et qu’il commence à se refroidir : dont la raison est que ses parties estant meuës en telle façon qu’elles glissent continuellemẽt les vnes sur les autres, il leur est plus aisé de continuer ce mouuement et ainsi de s’estendre en filets, que non pas de se separer.

Le Gras, p. 392
Image haute résolution sur Gallica
CXXVII. Pourquoy il est fort dur estant froid. Vne autre proprieté du verre est qu’estant froid il est fort dur, et auec cela fort cassant ; et mesme qu’il est d’autant plus cassant qu’il est plus promptement deuenu froid. La cause de sa dureté est que chacune de ses parties est si grosse et si dure et si difficile à plier que le feu n’a pas eu la force de les rompre, et qu’elles ne sont pas jointes ensemble par l’entrelacement de leurs branches, mais par cela seul qu’elles se touchent immediatement les vnes les autres. Car il y a plusieurs corps qui sont mous à cause que leurs parties sont pliantes, ou du moins qu’elles ont quelques branches dont les extremitez sont pliantes, et qu’elles ne sont jointes les vnes aux autres que par l’entrelacement de ces branches ; mais jamais les parties d’vn corps ne peuuent estre mieux jointes que lors qu’elles se touchent immediatement, et qu’elles ne sont point en action pour se mouuoir separément l’vne de l’autre, ce qui arriue aux parties du verre si tost qu’il est retiré du feu, d’autant qu’elles sont si grosses, et tellement posées les vnes sur les autres, et ont des figures si irregulières et inégales, que l’air n’a pas la force d’entretenir en elles l’agitation que le feu leur auait donnée.

CXXVIII. Pourquoy il est aussi fort cassant. La cause qui rend le verre cassant est que ses parties ne se touchent immediatement qu’en des superficies qui sont fort petites et en petit Le Gras, p. 393
Image haute résolution sur Gallica
nombre ; Et on ne doit pas trouuer estrange que plusieurs corps beaucoup moins durs sont plus difficiles à diuiser : car cela vient de ce que leurs parties estant engagées l’vne dans l’autre ainsi que les anneaux d’vne chaine, on peut bien les plier de tous costez mais non pas pour cela les déjoindre sans les rompre, et qu’il y a bien plus de petites parties à rompre dans ces corps auant qu’ils soient entierement diuisez qu’il n’y a de petites superficies à separer dans le verre.

AT IX-2, 269 CXXIX. Pourquoy il deuiẽt moins cassant, lors qu’on le laisse refroidir lentement. Mais la cause qui le rend plus cassant lors qu’on le tire tout à coup du fourneau, que lors qu’on le laisse recuire et se refroidir peu à peu, consiste en ce que ses pores sont vn peu plus larges lors qu’il est liquide que lors qu’il est froid, et que s’il deuient froid trop promptement ses parties n’ont pas loisir de s’agencer comme il faut pour les restrecir tous autant l’vn que l’autre, de façon que le second element qui passe par apres dans ces pores fait effort pour les rendre égaux, au moyen dequoy le verre se casse, car ses parties ne se tenant que par des superficies fort petites, si tost que deux de ces superficies se separent, toutes les autres qui les suiuent en mesme ligne se separent aussi. C’est pourquoy les Verriers ont coustume de recuire leurs verres, c’est à dire de les remettre dans le feu apres les auoir faits, et puis de les en retirer Le Gras, p. 394
Image haute résolution sur Gallica
par degrez afin qu’ils ne deuiennent pas froids trop promptement. Et lors qu’vn verre froid est exposé au feu, en sorte qu’il s’échauffe beaucoup plus d’vn costé que d’autre, cela le fait rompre, à cause que la chaleur dilate ses pores et que les vns ne peuuent estre notablemẽt plus dilatez que les autres sans que ses parties se separent. Mais si on chauffe vn verre également de tous costez, en telle sorte qu’vn mesme degré de chaleur paruienne en mesme temps à toutes ses parties, il ne cassera point à cause que tous ses pores s’élargiront également.

CXXX. Pourquoy il est transparent. De plus, le verre est transparent, à cause qu’ayant esté liquide lors qu’il a esté fait, la matiere du feu qui coulait de tous costez entre ses parties, y a laissé plusieurs pores par où le second element peut apres transmettre en tous sens l’action de la lumiere, suiuant des lignes droites. Et il n’est pas besoin pour cela que ces pores soient exactement droits, il suffit qu’ils s’entre-suiuent sans estre fermez ni interrompus en aucun lieu : en sorte que si vn corps estoit composé de parties exactement rondes qui s’entretouchassent et fussent si grosses que le second element pust passer par les petits espaces triangulaires qui demeurent entre trois telles parties lors qu’elles se touchent, ce corps seroit plus solide que n’est aucun verre que nous ayons, et ne Le Gras, p. 395
Image haute résolution sur Gallica
laisseroit pas pour cela d’estre fort transparent, ainsi qu’il a des-ja esté expliqué.

AT IX-2, 270 CXXXI. Comment on le teint de diuerses couleurs. Mais lors qu’on mesle parmy le verre quelques metaux, ou autres matieres, dont les parties resistent dauantage, et ne peuuent pas si aisément estre polies par l’action du feu, que celles des cendres dont on le compose, cela le rend moins transparent et luy donne diuerses couleurs ; à cause que ces parties des metaux, estant plus grosses, et autremẽt figurées que celles des cendres, auancent quelque peu au dedans de ses pores, au moyen dequoy elles en bouchent quelques vns, et font que les parties du second element qui passent par les autres y roulent en diuerses façons, et j’ai prouué dans les meteores que c’est ce roulement qui cause les couleurs.

CXXXII. Ce que c’est qu’estre roide ou faire ressort, et pourquoi cette qualité se trouue aussi dans le verre. Au reste le verre peut estre plié quelque peu sans se casser, comme on voit clairement lors qu’il est tiré en filets fort deliez, car quand il est ainsi plié il fait ressort, comme vn arc, et tend à reprendre sa premiere figure. Et cette proprieté de plier et faire ressort, qu’on peut appeler en vn mot estre roide, se trouue generalement en tous les corps dont les parties sont jointes par le parfait attouchement de leurs petites superficies, non par le seul entrelacement de leurs branches. Dont la raison contient trois points, Le Gras, p. 396
Image haute résolution sur Gallica
le premier est, que ces corps ont tous plusieurs pores par où il coule sans cesse quelque matiere ; le second, que la figure de ces pores est disposée à donner libre passage à cette matiere, d’autant que c’est tous-jours par son action, ou par quelque autre semblable qu’ils ont esté formez, comme par exemple lors que le verre deuient dur, ses pores qui ont esté élargis par l’action du feu pendant qu’il estoit liquide, sont restrecis par l’action du second element qui les ajuste à la grosseur de ses parties ; Le troisiéme point est, que ces corps ne peuuent estre pliez que la figure de leurs pores ne se change quelque peu, en sorte que la matiere qui a coustume de les remplir n’y pouuant plus couler si facilement que de coustume pousse les parties de ce corps qui l’en empeschent, et ainsi fait effort pour les remettre en leur premiere figure. Par exemple si dans vn arc qui n’est point bandé les pores qui donnent passage au second element sont exactement ronds AT IX-2, 271 il est éuident qu’apres qu’il est bandé ces mesmes pores doiuent estre vn peu plus lõgs que larges en forme d’ouales, et que les parties du second element pressent les costez de ces ouales afin de les faire derechef deuenir rondes. Et bien que la force dont elles les pressent estant considerée en chacune de ces parties en particulier ne soit Le Gras, p. 397
Image haute résolution sur Gallica
pas fort grande, toutefois à cause qu’il y en a tous-jours vn fort grand nombre qui agissent ensemble ce n’est pas merueille qu’elles facent que l’arc se débande auec beaucoup de violence. Mais si on tient vn arc long temps bandé, principalement vn arc de bois, ou d’autre matiere qui ne soit pas des plus dures, la force dont il tend à se débander diminuë auec le temps : dont la raison est que les parties de la matiere subtile qui pressent les costez de ses pores les élargissent peu à peu à force de couler par dedans et ainsi les accommodent à leur figure.

CXXXIII. Explication de la nature de l’aymant. Iusques icy j’ai tasché d’expliquer la nature et toutes les principales proprietez de l’air, de l’eau, des terres, et du feu, pource que ce sont les corps qui se trouuent le plus generalement partout en cette region sublunaire que nous habitons, de laquelle on les nomme les quatre elemens ; mais il y a encore vn autre corps à sçauoir l’aymant qu’on peut dire auoir plus d’estenduë qu’aucun de ces quatre, à cause que mesme toute la masse de la terre est vn aymant, et que nous ne sçaurions aller en aucun lieu où sa vertu ne se remarque. C’est pourquoy ne désirant rien oublier de ce qu’il y a de plus general en cette terre, il est besoin maintenant que je l’explique. A cét effet remetons nous en la memoire ce qui a esté dit cy-dessus,en l’article Le Gras, p. 398
Image haute résolution sur Gallica
87 de la troisiéme partie et aux suiuans, touchant les parties canelées du premier element de ce monde visible, et appliquant icy à la terre tout ce qui a esté dit en cét endroit là depuis l’article 105 jusques à l’article 109 de l’astre qui estoit marqué I, pensons qu’il y a en sa moyenne region plusieurs pores ou petits conduits paralleles à son essieu par où les parties canelées passent librement d’vn pole vers l’autre ; et que ces conduits sont tellement creusez,, et ajustez à la figure de ces parties canelées, que ceux qui reçoiuent les parties qui viennent du pole Austral ne sçauroient receuoir celle qui viennent du pole Boreal, et que reciproquement les conduits AT IX-2, 272 qui reçoiuent les parties qui viennent du pole Septentrional ne sont pas propres à receuoir celles qui viennent du pole Austral, à cause qu’elles sont tournées à vis tout au rebours les vnes des autres. Pensons aussi que ces parties canelées peuuent bien entrer par vn costé dans les pores qui sont propres à les receuoir, mais qu’elles ne peuuent pas retourner par l’autre costé des mesmes pores, à cause qu’il y a certains petits poils ou certaines branches tres-deliées qui auancent tellement dans les replis de ces conduits qu’elles n’empeschent aucunement le cours des parties canelées quand elles y viennent par le costé qu’elles ont coustume Le Gras, p. 399
Image haute résolution sur Gallica
d’y entrer, mais qui se rebroussent, et redressent quelque peu leurs extremitez, lors que ces parties canelées se presentent pour y entrer par l’autre costé, et ainsi leur bouchent le passage comme il a esté dit en l’article 106. C’est pourquoy apres qu’elles ont trauersé toute la terre d’vne moitié à l’autre suiuant des lignes parallelles à son essieu il y en a plusieurs qui retournent par l’air d’alentour vers la mesme moitié par où elles estoient entrées, et passant ainsi reciproquement de la terre en l’air et de l’air en la terre y composẽt vne espece de tourbillon qui a esté expliqué en l’article 108.

CXXXIV. Qu’il n’y a point de pores dans l’air ni dans l’eau qui soiẽt propres à receuoir les parties canelées. De plus il a esté dit en l’art. 113 de la mesme troisiéme partie qu’il ne pouuait y auoir de pores dans l’air qui enuironnoit l’astre marqué I, c’est à dire la Terre, sinon dans les plus grosses parcelles de cét air dans lesquelles il estoit demeuré des traces des conduits qui y auoient esté formez auparauant ; et il a esté dit depuis en cette derniere partie que toute la masse de cét air s’est distinguée en quatre diuers corps qui sont l’air que nous respirõs, l’eau tant douce que salée, la terre sur laquelle nous marchons, et vne autre terre interieure d’où viennẽt les metaux en laquelle toutes les plus grosses parcelles qui estoient auparauãt en l’air se sont assemblées, d’où il suit qu’il ne peut y auoir aucuns Le Gras, p. 400
Image haute résolution sur Gallica
conduits propres à receuoir AT IX-2, 273 les parties canelées ny dans l’eau ny dans l’air qui est maintenant, tant à cause que les parcelles qui les composent sont trop menuës, comme aussi à cause qu’elles sont toutes sans cesse en action pour se mouuoir separément les vnes des autres, de façon que quand mesme il y auroit eu de tels conduits en quelques vnes il y a des-ja long temps qu’ils auroient esté gastez par vn changement si frequent, à cause qu’ils ont besoin d’vne situation ferme et arrestée pour se conseruer.

CXXXV. Qu’il n’y en a point aussi en aucũ autre corps sur cette terre, excepté dans le fer. Et pource qu’il a aussi esté dit que la terre interieure, d’où viennent les metaux est composée de deux sortes de parties dont les vnes sont diuisées en branches qui se tiennent accrochées ensemble et les autres se meuuent incessamment çà et là dans les interualles qui sont entre ces branches, nous deuons penser qu’il n’y a point de tels conduits en ces dernieres, pour la raison qui vient d’estre dite, et qu’il n’y a que celles qui sont diuisées en branches qui en puissent auoir. Nous deuons aussi penser qu’il n’y en a eu aucuns au commencement en cette terre exterieure où nous habitons, pource que s’estant formée entre l’eau et l’air toutes les parcelles qui l’ont composée estoient fort petites. Mais par succession de temps elle a receu en soy plusieurs metaux qui sont venus de la Le Gras, p. 401
Image haute résolution sur Gallica
terre interieure, et bien qu’il n’y ait point aussi de tels conduits en ceux de ces metaux qui sont composez de parties tres-solides et fluides il est neantmoins fort croyable qu’il y en a en celuy ou ceux dont les parties sont diuisées en branches, et ne sont pas solides à proportion de ce qu’elles sont grosses. Ce qui se peut dire du fer ou de l’acier et non point d’aucun autre métal.

CXXXVI. Pourquoy il y a des tels pores dans le fer. Car nous n’en auons aucun qui obeïsse plus mal-aisément au marteau sans l’aide du feu, qu’on face fondre auec tant de peine ny qui se puisse rendre si dur sans le meslange d’aucun autre corps, ce qui tesmoigne que les parcelles qui le composent ont plus d’inégalitez ou de branches par le moyen desquelles elles se peuuent joindre et lier ensemble que n’ont les parcelles des autres metaux. AT IX-2, 274 Il est vray qu’on n’a pas tant de peine à le fondre la premiere fois apres qu’il est tiré de la mine, mais cela vient de ce que ses parties, estant alors tout à fait separées les vnes des autres, peuuent plus aisément estre agitées par l’action du feu. Et bien que le fer soit plus dur et plus mal-aisé à fondre que les autres metaux il ne laisse pas d’estre l’vn des moins pesans et de ceux qui peuuẽt le plus aisément estre dissous par les eaux fortes, et mesme la roüille seule peut le corrompre, ce qui sert à prouuer que les parcelles dont il est composé Le Gras, p. 402
Image haute résolution sur Gallica
ne sont pas plus solides que celles des autres metaux à raisõ de ce qu’elles sont plus grosses, et que par consequẽt il y a en elles plusieurs pores.

CXXXVII. Comment peuuent estre ces pores en chacune de ses parties. Ie ne veux pas toutefois assurer que ces conduits tournez à vis qui donnent passage aux parties canelées soient tous entiers en chacune des parcelles du fer, comme aussi je n’ay aucune raison pour le nier, mais il suffira icy que nous pensions que les figures des moitiez de ces conduits sont tellement formées sur les superficies de ces parcelles du fer, que lors que deux de ces superficies sont bien ajustées l’vne à l’autre ces conduits s’y trouuent entiers. Et pource que lors qu’vn corps dur dans lequel il y a plusieurs trous rõds est rõpu, c’est ordinairement suiuant des lignes qui passent justement par le milieu de ces trous qu’il se diuise ; les parties de la terre interieure dans lesquelles il y auoit de tels trous estant celles dont le fer est composé, il est bien aisé à croire qu’elles n’ont pû estre tant diuisées par la force des esprits ou sucs corrosifs qui les ont amenées dans les mines, qu’il n’y soit au moins demeuré de telles moitiez de ces trous grauées sur leur superficie.

CXXXVIII. Comment ils y sont disposez à receuoir les parties canelées des deux costez. Et il est à remarquer que pendant que les parcelles du fer sont ainsi montées dans les mines elles n’õt pû retenir tous-jours vne mesme situation pource qu’ayant des figures irregulières, et Le Gras, p. 403
Image haute résolution sur Gallica
les chemins par où elles passoient estãt inégaux, elles ont roullé en montant, et se sont tournées tantost sur vn costé, tantôt sur vn autre, et que lors que leur situation a esté telle que les parties canelées (qui sortant auec grande vitesse de la terre interieure cherchent en toute l’exterieure les passages qui sont les plus propres pour les receuoir) AT IX-2, 275 ont rencontré ceux qui estoient en ces parcelles du fer tournez à contre sens soit qu’ils fussent entiers ou non, elles ont fait rebrousser les pointes de ces petites branches que j’ay dit estre couchées dans leurs replis, et ont fait peu à peu q’elles se sont entierement renuersées, en sorte qu’elles ont pû entrer par le costé de ces pores par où elles sortoient auparauant ; Et que lors que par apres la situation de ces parcelles du fer a esté changée, l’action des parties canelées a fait derechef que les petites branches qui auancent dans leurs pores se sont couchées de l’autre costé ; Et enfin que lors qu’il est arriué que ces petites branches ont esté ainsi repliées plusieurs fois, maintenant sur vn costé et apres sur le costé contraire, elles ont acquis vne grande facilité à pouuoir par apres derechef estre repliées d’vn costé sur l’autre.

CXXXIX. Quelle difference il y a entre l’aymant et le fer. Or la difference qui est entre l’aymant et le fer consiste en ce que les parcelles dont le fer est composé ont ainsi changé plusieurs fois de Le Gras, p. 404
Image haute résolution sur Gallica
situation depuis qu’elles sont sorties de la terre interieure, ce qui est cause que les petites pointes qui auancent dans les replis de leurs pores peuuent aisément estre renuersées de tous costez ; Et au contraire celles de l’aymant ont retenu tous-jours, ou du moins fort long-temps, vne mesme situation, ce qui est cause que les pointes des branches qui sont leurs pores ne peuuent que difficilement estre renuersées. Ainsi l’aymant et le fer participent beaucoup de la nature l’vn de l’autre, et ce ne sont que ces parcelles de la terre interieure dans lesquelles il y a des pores propres à receuoir les parties canelées qui leur donnent leur forme, bien qu’ordinairement il y ait beaucoup d’autre matiere meslée auec elles, non seulement en la mine de fer d’où cette autre matiere est separée par la fonte, mais encore plus en l’aymant, car souuent la cause qui a fait que ses parcelles ont plus long-temps demeuré en vne mesme situation que les parcelles qui composent le fer, est qu’elles sont engagées entre les parties de quelque pierre fort dure, et cela fait aussi quelquefois qu’il est presque impossible de les fondre pour en faire du fer, à cause qu’elles sont plustost calcinées et consumées par le feu que dégagées des lieux où elles sont.

AT IX-2, 276 CXL. Commẽt on fait du fer ou de l’acier en fondant la mine. Pour ce qui est de la mine de fer, lors qu’on Le Gras, p. 405
Image haute résolution sur Gallica
la fait fondre afin de la conuertir en fer ou en acier, il faut penser que les parcelles du metal, estant agitées par la chaleur, se dégagent premierement des autres matieres auec qui elles sont meslées, et ne cessent apres de se remuer separement les vnes des autres, jusques à ce que celles de leurs superficies où les moitiez des conduits cy-dessus décrits sont imprimées, soiẽt tellement ajustées les vnes aux autres que ces conduits s’y trouuent entiers. Mais lors que cela est, les parties canelées, qui ne sont pas en moins grand nombre dans le feu que dans tous les autres corps terrestres prenant incontinent leur cours par dedans ces conduits, empeschent que les petites superficies par la conjonction desquelles il sont faits, ne changent si aisément de situation qu’elles faisoient auparauant ; outre que leur mutuel attouchement et la force de la pesanteur qui presse toutes les parties du metal l’vne contre l’autre aide à les retenir ainsi jointes. Et pource que cependant ces parties du metal ne laissent pas de continuer à estre agitées par le feu, cela fait que plusieurs s’accordent ensemble à suiure vn mesme mouuement, et ainsi que toute la liqueur du metal fondu se diuise en plusieurs petits tas, ou petites gouttes, dont les superficies deuiennent polies. Car toutes les parcelles du metal qui sont en quelque façon Le Gras, p. 406
Image haute résolution sur Gallica
jointes ensemble composent vne de ces gouttes laquelle estant pressée de tous costez par les autres gouttes qui l’enuironnent, et qui se meuuent en autre sens qu’elle, aucune des pointes ou branches de ces parcelles ne sçauroit auãcer tant soit peu plus que les autres hors de sa superficie, qu’elle ne soit incontinent repoussée vers son centre par les autres gouttes, ce qui polit cette superficie ; et cela fait aussi que les parcelles qui composent chaque goutte se resserrent, et se joignent d’autant mieux ensemble.

CXLI. Pourquoy l’acier est fort dur, et roide, et cassant. Lors que le métal est ainsi fondu, et diuisé en petites gouttes, qui se défont sans cesse et se refont pendant qu’il demeure liquide, si on le fait promptement refroidir, il deuient de l’acier, qui est fort dur et roide et cassant à peu près comme le verre. Il est dur, à AT IX-2, 277 cause que ses parties sont estroitement jointes ; il est roide et fait ressort, à cause que ce n’est pas l’arrengement de ses parties, mais seulement la figure de ses pores qu’on peut changer en le pliant, ainsi qu’il a tantost esté dit du verre ; Et il est cassant à cause que les petites gouttes dont il est composé ne sont jointes que par l’attouchement de leurs superficies lesquelles ne se touchent immediatement qu’en fort peu de petites parties.

CXLII. Quelle difference il y a entre le sim-ple fer et l’acier. Mais toutes les mines dont on tire du fer ne sont pas propres à faire de bon acier, et la mine Le Gras, p. 407
Image haute résolution sur Gallica
dont on en peut faire de tres-bon ne donne que de simple fer lors qu’on la fait fondre à vn feu qui n’est pas temperé cõme il faut. Car si les parcelles de la mine sont trop rudes et inégales en sorte qu’elles s’accrochent les vnes aux autres auant qu’elles ayent eu le loisir d’ajuster leurs petites superficies et se distinguer en plusieurs petites gouttes en la façon que j’ay expliquée ; Ou bien si le feu n’est pas assez fort pour faire que la mine fonduë se distingue ainsi en plusieurs gouttes, et que les parcelles de chacune de ces gouttes se resserrent ensemble ; ou enfin s’il est si violent qu’il trouble leur juste situation, elles ne composent pas de l’acier, mais seulement du fer commun.

CXLIII. Quelle est la raison des diuerses trempes qu’on donne à l’acier. Et lors qu’on a de l’acier des-ja fait si on le remet dans le feu il ne peut pas aisément estre refondu et rendu semblable au fer commun, à cause que les petites gouttes dont il a esté composé sont trop grosses et trop solides pour estre remuées toutes entières par l’action du feu, et que les parcelles de chacune de ces gouttes sont aussi trop bien jointes et trop serrées pour estre tout à fait separées par cette mesme action : Mais il peut estre ramolly, à cause que toutes ses parties sont ébranlées par la chaleur ; Et si on le laisse par apres refroidir assez lentement il ne deuient point si dur et roide Le Gras, p. 408
Image haute résolution sur Gallica
et cassant comme il a été, mais demeure mol et pliant comme du fer. Dont la raison est que pendant qu’il se refroidit, les petites branches des parcelles qui composent chacune de ses gouttes, et que j’ay dit estre repoussées en dedans par AT IX-2, 278 l’action des autres gouttes qui l’enuironnent, ont loisir à mesure que la force de cette action diminuë de s’auancer quelque peu hors de sa superficie, suiuant en cela leur plus naturelle situation, et par ce moyen de s’accrocher et s’entrelacer auec celles qui s’auancent en mesme façon hors des superficies des autres gouttes. Ce qui fait que les parcelles de chaque goutte ne sont plus si estroitemẽt jointes et resserrées ensemble, et aussi que ces gouttes ne se touchent plus immediatement, mais sont seulement liées par les petites pointes ou branches qui sortent de leurs superficies, au moyen dequoy l’acier n’est plus si dur, ny roide, ny cassant comme il a été. Mais il demeure tous-jours cette difference entre luy et le simple fer, qu’on luy peut rendre sa premiere dureté en le faisant rougir dans le feu et apres refroidir tout à coup, au lieu que le fer commun ne peut estre rendu si dur en mesme façon. Dont la raison est que les parcelles de l’acier ne sont point si éloignées de la situation en laquelle il faut qu’elles soient pour le rendre fort dur, qu’elles n’y puissent Le Gras, p. 409
Image haute résolution sur Gallica
estre remises par l’action du feu, et la retenir lors que le froid succede fort promptement à la chaleur ; au lieu que les parties du fer n’ayant jamais eu vne telle situation ne la peuuent ainsi acquerir. Or afin de faire que le fer ou l’acier se refroidisse fort promptement on a coustume de le tremper en de l’eau, ou dans quelques autres liqueurs froides, comme au contraire afin qu’il se refroidisse lentement et deuienne plus mol on le trempe en de l’huile ou en quelqu’autre liqueur grasse. Et pource qu’à mesure qu’il se rend plus dur il deuient aussi plus cassant, les artisans qui en font des espées, des scies, des limes, et autres diuers instrumens n’employent pas tous-jours les plus froides liqueurs à le tremper, mais celles qui sont temperées et proportionnées à l’effet qu’ils desirent. Ainsi la trempe des limes ou des burins est differente de celle des scies ou des espées, etc. selon que la dureté est plus requise aux vns de ces instrumens qu’aux autres, et qu’il est plus ou moins à craindre qu’ils ne se cassent. C’est pourquoy on peut dire auec raison qu’on tempere l’acier lors qu’on le trempe bien à propos.

CXLIV. Quelle difference il y a entre les pores de l’aymant, de l’acier et du fer. Pour ce qui est des petits conduits propres à receuoir les parties canelées, on connoist de ce qui a esté dit qu’il y en doit auoir en AT IX-2, 279 tres-grand nombre tant dans l’acier que dans le fer, et mesme Le Gras, p. 410
Image haute résolution sur Gallica
beaucoup plus que dans l’aymant, dans lequel il y a tous-jours plusieurs parties qui ne sont point metalliques. On connoist aussi que ces conduits doiuent estre beaucoup plus entiers et plus parfaits dans l’acier que dans le fer, et que les petites pointes que j’ai dit estre couchées dans leurs replis ne s’y renuersent pas si aisément d’vn costé sur l’autre qu’ils font dans le fer ; premierement à cause que la mine dont on fait l’acier est la plus pure, et celle dont les parcelles ont moins changé depuis qu’elles sont sorties de la terre interieure ; puis aussi à cause qu’elles y sont mieux agencées et plus serrées que dans le fer. Enfin on connoist que ces conduits ne sont point tous tournez ny dans l’acier ny dans le fer ainsi qu’ils sont dans l’aymant, à sçauoir en sorte que toutes les entrées des conduits par où les parties canelées qui viennent du pole Austral peuuent passer regardent vn mesme costé, et que toutes celles qui peuuent receuoir les parties canelées qui viennent du pole Septentrional regardent le costé contraire ; mais que ces conduits y sont tournez en diuerses façons et sans aucun ordre certain, à cause que l’action du feu a diuersement changé leur situation. Il est vray que pendant le moment que cette action cesse, et que le fer ou l’acier embrasé se refroidit, les Le Gras, p. 411
Image haute résolution sur Gallica
parties canelées, qui coulent tous-jours, par le dessus de la Terre d’vn de ses poles vers l’autre, peuuent disposer quelques vns de leurs conduits en la façon qu’ils doiuent estre afin qu’elles y ayent libre passage ; Et elles peuuent aussi disposer ainsi peu à peu quelques vns des pores de l’acier ou du fer qui n’est point embrasé, lors qu’il demeure long-temps en vne mesme situation. Mais pource qu’il y a beaucoup plus de tels conduits dans le fer et l’acier que les parties canelées qui passent par l’air n’en peuuent remplir elles n’en peuuent ainsi disposer que fort peu, ce qui est cause qu’il n’y a aucun fer ny acier qui n’ait quelque chose de la vertu de l’aymant, bien qu’il n’y en ait presque point qui en ait tant qu’il n’en puisse auoir encore dauantage.

CXLV. Le dénombrement de toutes les proprietez de l’aymant. Et toutes ces choses suiuent si clairement des principes qui ont esté cy-dessus exposez que je ne laisserois pas de juger qu’elles sont telles que je viens de dire, encore que je n’aurois aucun égard aux AT IX-2, 280 proprietez qui en peuuent estre deduites ; mais j’espere maintenant faire voir que toutes celles de ces proprietez que les plus curieuses experiẽces des admirateurs de l’aymant ont pû découurir jusques à present peuuent si facilement estre expliquées par leur moyen, que cela seul suffiroit pour persuader qu’elles sont vrayes, encore qu’elles n’auroient point Le Gras, p. 412
Image haute résolution sur Gallica
esté déduites des premiers principes de la nature. Et afin qu’on remarque mieux quelles sont toutes ces proprietez je les réduiray icy à certains articles qui sont :

1. Qu’il y a deux poles en chaque aymant l’vn desquels en quelque lieu de la Terre que ce soit tend tous-jours à estre tourné vers le Septentrion et l’autre vers le Zud.

2. Que ces poles de l’aymant tendent aussi à se pencher vers la Terre ; et ce diuersement à raison des diuers lieux où il est transporté.

3. Que lors que deux aymans de figure ronde sont proches, chacun d’eux se tourne et se penche vers l’autre, en mesme façon qu’vn seul se tourne et penche vers la terre.

4. Que lors qu’ils sont ainsi tournez l’vn vers l’autre ils s’approchent jusques à ce qu’ils se touchent.

5. Que s’ils sont retenus par contrainte en vne situation contraire à celle-là, il se fuyent et se reculent l’vn de l’autre.

6. Que si vn aymant est diuisé en deux pieces suiuant la ligne qui joint ses deux poles, les parties de chacune de ces pieces tendent à s’éloigner de celles de l’autre piece dõt elles estoient les plus proches auant la diuision.

7. Que s’il est diuisé en vn autre sens en sorte que le plan de la diuision coupe à angles droits Le Gras, p. 413
Image haute résolution sur Gallica
la ligne qui joint ses poles, les deux points de cette ligne ainsi coupée qui se touchoient auparauant et sont l’vn en l’vne des pieces de l’aymant et l’autre en l’autre, y sont deux poles de vertu contraire, en sorte que l’vn tend à se tourner vers le Nord et l’autre vers le Zud.

8. Que bien qu’il n’y ait que deux poles en chaque aymant, l’vn Boreal et l’autre Austral, il ne laisse pas d’y en auoir aussi deux en AT IX-2, 281 chacune de ses parties lors qu’elle est seule ; Et ainsi que la vertu de chaque partie est semblable à celle qui est dans le tout.

9. Que le fer peut receuoir cette vertu de l’aymant lors qu’il en est touché ou seulement approché.

10. Que selon le costé qu’on le tourne en l’en approchant il reçoit diuersement cette vertu.

11. Que neantmoins en quelque façon qu’on en approche vn morceau de fer qui est beaucoup plus long que large il la reçoit tous-jours suiuant sa longueur.

12. Que l’aimant ne pert rien de cette vertu encore qu’il la communique au fer.

13. Qu’il la luy communique en fort peu de temps ; mais que si le fer demeure fort long-temps en mesme situation contre l’aymant elle s’y fortifie et s’y affermit dauantage.

14. Que le plus dur acier reçoit vne vertu plus Le Gras, p. 414
Image haute résolution sur Gallica
forte, et retient celle qu’il a receuë beaucoup mieux que le fer commun.

15. Qu’il en reçoit dauantage d’vne bonne pierre que d’vne moindre.

16. Que toute la terre est vn aymant, et qu’elle communique aussi au fer quelque peu de sa vertu.

17. Que bien que la terre soit grande, cette vertu ne paroist pas en elle si forte qu’en la pluspart des pierres d’aymant qui sont incomparablement plus petites.

18. Que les aiguilles touchées de l’aymant tournent leurs bouts l’vn vers le Nord l’autre vers le Zud ainsi que l’aymant tourne ses poles.

19. Mais que ny les poles de ces aiguilles ny ceux des pierres d’aymant ne se tournent pas si justement vers les poles de la terre qu’ils ne s’en écartent souuent quelque peu ; et ce plus ou moins selon les diuers lieux où elles sont.

AT IX-2, 282 20. Et que cela peut aussi changer auec le temps : en sorte qu’il y a maintenant des lieux où cette déclinaison de l’aymant est moindre qu’elle n’a esté au siecle passé, et d’autres où elle est plus grande.

21. Que cette déclinaison est nulle, ainsi que quelques-vns disent, ou peut-estre qu’elle n’est pas la mesme ny si grande quand vn aymant est perpendiculairement éleué sur l’vn de ses poles, Le Gras, p. 415
Image haute résolution sur Gallica
que lors que ses deux poles sont également distans de la terre.

22. Que l’aymant attire le fer.

23. Qu’estant armé il en peut soustenir vne plus grande quantité que lors qu’il ne l’est point.

24. Que bien que ses poles soient de vertu contraire en autre chose, ils s’aydent neantmoins à soustenir vn mesme morceau de fer.

25. Que pendant qu’vne piroüette de fer tourne, soit à droit soit à gauche, si on la tient suspenduë à vn aymant, elle n’est point empeschée par luy de continuer à se mouuoir.

26. Que la vertu d’vn aymant est quelquefois augmentée et quelquefois diminuée par le voisinage d’vn morceau de fer ou d’vn autre aymant selon les diuers costez qu’ils font tournez vers luy.

27. Qu’vn morceau de fer, et vn aymant tant foible qu’il soit, estans joints ensemble ne peuuent estre separez par vn autre aymant, bien que tres-fort, pendant qu’il ne les touche point.

28. Et qu’au contraire le fer joint à vn aymant qui est tres-fort, en peut souuent estre separé par vn aymant plus foible lors qu’il le touche.

29. Que le costé de l’aymant qui tend vers le Nord peut soustenir plus de fer en ces regions Le Gras, p. 416
Image haute résolution sur Gallica
Septentrionales que ne fait son autre costé.

30. Que la limure de fer s’arrenge en certain ordre autour des pierres d’aymant. AT IX-2, 283

31. Qu’appliquant vne lame de fer contre l’vn des poles de l’aymant, on destourne la vertu qu’il a pour attirer d’autre fer vers ce mesme pole.

32. Et que cette vertu ne peut estre destournée ni empeschée par aucun autre corps qui soit mis en la place de cette lame de fer.

33. Que si vn aymant demeure long-temps autrement tourné au regard de la terre ou des autres aymans dont il est proche qu’il ne tend naturellement à se tourner cela luy fait peu à peu perdre sa force.

34. Et enfin que cette force luy peut estre ostée par le feu, et diminuée par la roüille et par l’humidité, mais non point par aucune autre chose qui nous soit connuë.

CXLVI. Comment les parties canelées prennent leur cours au trauers et autour de la Terre. Maintenant pour entendre les raisons de ces proprietez de l’aymant considerons cette figure en laquelle ACBD represente la Terre, dont A est le pole Austral ou du Zud, et B est le Boreal ou celuy du Nord. Et toutes ces petites viroles qu’on a peintes autour representent les parties canelées, touchant lesquelles il faut remarquer que les vnes sont tournées tout au rebours des autres, ce qui est cause qu’elles ne Le Gras, p. 417
Image haute résolution sur Gallica
peuuẽt passer par les mesmes pores ; et que toutes celles qui viennent de la partie du ciel marquée E, qui est le Zud, sõt tournées en vn mesme sens, et ont en la moitié de la Terre CAD les entrées des pores par où elles passent sans cesse en ligne droite jusques à la superficie de son autre moitié CBD, puis de là retournent circulairement de part et d’autre par dedans l’air, l’eau et les autres corps de la terre superieure vers CAD ; Et qu’en mesme façon toutes celles qui sont tournées en l’autre sens viennent du Nord F et entrant par l’hemisphere CBD prennent leur cours en lignes droites au dedans de la Terre jusques à l’autre hemisphere CAD, par où estant sorties elles retournent par l’air vers CBD. Car il a esté dit que les pores par où elles passent au trauers de la terre sont tels, qu’elles n’y peuuent entrer par le mesme costé par où elles peuuent sortir.

AT IX-2, 284 CXLVII. Qu’elles passent plus difficilemẽt par l’air et par le reste de la Terre exterieure que par l’interieure. Il faut aussi remarquer qu’il affluë tous-jours cependant de nouuelles parties canelées vers la Terre des endroits du ciel qui sont au Zud et au Nord, bien qu’elles n’ayent pû commodément estre icy representées ; mais qu’il y en a autant d’autres qui retournent dans le ciel vers G et H, ou bien qui perdent leur figure en y allant. Il est vray qu’elles ne la peuuent jamais perdre pendant qu’elles Le Gras, p. 418
Image haute résolution sur Gallica
trauersent le dedans de la terre, à cause qu’elles y trouuent des conduits si ajustez à leur mesure qu’elles y passent sans aucun empeschement. Mais pendant qu’elles retournent par l’air ou l’eau ou les autres corps de la terre exterieure dans lesquels elles ne trouuent point de tels pores, elles y passent auec beaucoup plus de difficulté ; et pource qu’elles y sont continuellement heurtées par les parties du second et du troisiéme element il est aisé à croire que souuent elles y changent de figure.

CXLVIII. Qu’elles n’õt pas la mesme difficulté à passer par l’aymant. Or pendant que ces parties canelées ont ainsi de la difficulté à couler par dedans la terre extéerieure, si elles y rencontrent vne pierre d’aymant dans laquelle il y a des conduits ajustez à leur mesure tout de mesme qu’en la Tterre interieure, elles doiuent sans doute passer plus aisément par dedans cette pierre, qu’elles ne font par l’air ou par les autres corps d’alentour : Au moins si elle est en telle situation que les entrées de ses pores soient tournées vers les costez d’où viennent les parties canelées qu’ils peuuent aisément receuoir.

CXLIX. Quels sont ses poles. Et comme le pole Austral de la terre est justement au milieu de celle de ses moitiez par où entrent les parties canelées qui viennent du ciel du costé du Zud, ainsi je nomme le pole Austral de l’aymant celuy de ses points qui est au Le Gras, p. 419
Image haute résolution sur Gallica
milieu de celle de ses moitiez par où entrent les mesmes parties ; et je prens le point opposé pour son pole Septentrional : nonobstant que je sçache bien que cela est contre l’vsage de plusieurs qui voyant que le pole de l’aymant que je AT IX-2, 285 nomme Austral se tourne naturellement vers le Septentrion, comme j’expliqueray tout maintenant, l’ont nommé son pole Septentrional, et pour mesme raison ont nommé l’autre son pole Austral. Car il me semble qu’il n’y a que le peuple auquel on doiue laisser le droit d’authoriser par vn long vsage les noms qu’il a mal imposez aux choses, et pource que le peuple n’a point coustume de parler de celle-cy, mais seulement ceux qui philosophent, et desirent sçauoir la verité, je m’assure qu’ils ne trouueront pas mauuais que je prefere la raison à l’vsage.

CL. Pourquoy ils se tournent vers les poles de la terre. Lors que les poles de l’aymant ne sont pas tournez vers les costez de la terre d’où viennent les parties canelées qu’ils peuuent receuoir, elles se presentent de biais pour y entrer et par la force qu’elles ont à continuer leur mouuement en lignes droites elles poussent celles de ses parties qu’elles rencontrent jusques à ce qu’elles leur ayent donné la situation qui leur est la plus commode : au moyen dequoy si cét aimant n’est point retenu par d’autres corps plus forts elles le contraignent de se mouuoir Le Gras, p. 420
Image haute résolution sur Gallica
jusques à ce que celuy de ses poles que je nomme Austral soit entierement tourné vers le Boreal de la terre, et celuy que je nomme Boreal vers l’Austral. Dont la raison est que les parties canelées qui viennent du costé du Nord vers l’aymant sont les mesmes qui sont entrées dans la Tterre interieure par le costé du Zud, et en sont sorties par le Nord ; comme aussi celles qui viennent du Zud vers l’aymant sont les mesmes qui sont entrées par le Nord en la terre interieure.

CLI. Pourquoy ils se penchent aussi diuersement vers son centre à raisõ des diuers lieux où ils sont. La force qu’ont les parties canelées pour continuer leur mouuement en ligne droite fait aussi que les poles de l’aymant se penchent l’vn plus que l’autre vers la terre, et ce diuersement selon les diuers lieux où il est. Par exemple en Voyez la figure precedente.l’aymant qui est icy directement posé sur l’Equateur de la terre les parties canelées font bien que son AT IX-2, 286 pole Austral a est tourné vers B le Boreal de la Terre, et son autre pole b vers l’Austral A, pource que celles qui entrent par son costé CaG sont aussi entrées en la Terre par CAD et sorties par CBD, mais elles ne font point pencher l’vn de ces poles plus que l’autre, à cause que celles qui viennent du Nord n’ont pas plus de force à en faire baisser un que celles qui viennent du Zud à faire baisser l’autre. Et au contraire en l’aymant N qui est sur le pole Boreal de la terre les parties canelées font Le Gras, p. 421
Image haute résolution sur Gallica
que son pole Austral a s’abaisse entierement vers la terre, et que l’autre b demeure éleué tout droit au dessus. Et en l’aymant M qui est entre l’Equateur et le Nord elles font pencher son pole Austral plus ou moins bas selon que le lieu où est cét aimant est plus proche du Septentrion ou du Midy. Et en l’autre hemisphere elles font pencher le pole Boreal des aymans I et K en mesme façon que l’Austral des aymans N et M en cetuy-cy. Dont les raisons sont éuidentes, car les parties canelées qui sortent de la terre par B et entrent en l’aymant N par a y doiuent continuer leur cours en ligne droite, à cause de la facilité du passage qu’elles y trouuent, et que les autres parties canelées qui viennent d’A par H et G vers N n’entrent pas en luy beaucoup plus difficilement pour cela par son pole b. Tout de mesme les parties canelées qui entrent par a le costé Austral de l’aymant M sortent de la superficie de la terre interieure qui est entre B et M c’est pourquoy elles doiuent faire pencher son pole a enuiron vers le milieu de cette superficie ; et cela ne peut estre empesché par les autres parties canelées qui entrent par l’autre costé de cét aymant, à cause que venant de l’autre hemisphere de la terre, et ainsi deuant necessairement faire tout vn demy tour pour y entrer, elles ne se destournent pas dauantage Le Gras, p. 422
Image haute résolution sur Gallica
en passant par cét aimant lors qu’il est ainsi situé que si elles ne passoient que par l’air.

CLII. Pourquoy deux pierres d’aymant se tournẽt l’vne vers l’autre ainsi que chacune se tourne vers la terre laquelle est aussi vn aimant. Ainsi on voit que les parties canelées prennent leur cours par les pores de chaque pierre d’aymant en mesme façon que par ceux de la terre : d’où il suit que, lors que deux aymans de figure ronde sont proches, chacun d’eux se doit tourner et pencher vers l’autre en mesme façon qu’il se pencheroit vers la terre s’il estoit seul. Car il AT IX-2, 287 faut remarquer qu’il y a tous-jours beaucoup plus de ces parties canelées autour des pierres d’aymant qu’il n’y en a aux autres endroits de l’air, à cause qu’après qu’elles sont sorties par l’vn des costez de l’aymant, la resistance qu’elles trouuent en l’air qui les enuironne, fait que la pluspart retournent par cét air vers l’autre costé de cét aymant par lequel elles entrent derechef : et ainsi plusieurs demeurant autour de luy elles y font vne espece de tourbillon, tout de mesme qu’il a esté dit qu’elles font autour de la terre. De sorte que toute cette terre peut aussi estre prise pour vn aymant, lequel ne differe point des autres sinon en ce qu’il est beaucoup plus grand, et que sur sa superficie où nous viuons sa vertu ne paroist pas estre bien forte.

CLIII. Pourquoy deux aymãs s’approchent l’vn de l’autre ; Et quelle est la sphere de leur vertu. Outre que deux aymans qui sont proches se tournent jusques à ce que le pole Austral de l’vn Le Gras, p. 423
Image haute résolution sur Gallica
regarde le pole Boreal de l’autre, ils s’approchẽt en se tournant, ou bien apres estre ainsi tournez jusques à ce qu’ils viennẽt à se toucher, lors que rien n’empesche leur mouuement. Car il faut remarquer que les parties canelées passent beaucoup plus vite par les conduits de l’aymant que par l’air, dans lequel leur cours est arresté par le second et troisiéme element qu’elles rencontrent, au lieu qu’en ces conduits elles ne se meslent qu’auec la plus subtile matiere du premier element laquelle augmente leur vitesse : C’est pourquoy elles continuent quelque peu leur mouuement en lignes droites apres estre sorties de l’aymant, auant que la resistance de l’air les puisse destourner ; et si en l’espace par où elles vont ainsi en lignes droites elles rencontrent les conduits d’vn autre aymant qui soient disposez à les receuoir : elles entrent en cét autre aymant au lieu de se destourner, et chassant l’air qui est entre ces deux aymans font qu’ils s’approchent l’vn de l’autre. Par exemple les parties canelées qui coulent dans les conduits de l’aymant marqué O, les vnes de B vers A et les autres d’A vers B ont la force de passer outre en ligne droite des deux costez jusqu’à R et S, auant que la resistance de l’air les contraigne de prendre leur cours de part et d’autre vers V. Et notez que tout l’espace RVS Le Gras, p. 424
Image haute résolution sur Gallica
qui contient le tourbillon que font les parties canelées autour de cét aymant O se nomme la sphere de son actiuité, ou de sa vertu, et que AT IX-2, 288 cette sphere est d’autant plus ample qu’il est plus grand, ou du moins qu’il est plus long, pource que les parties canelées y coulant par de plus longs conduits ont loisir d’y acquerir la force de passer plus auant dans l’air en ligne droite. Ce qui fait que la vertu des grands aymans s’estend tous-jours beaucoup pl⁹ loin que celle des petits bien que d’ailleurs elle soit quelquefois plus foible, à sçauoir lors qu’il n’y a pas tant de conduits propres à receuoir les parties canelées dans vn grand aymant que dans vn moindre. Or si la sphere de la vertu de l’aymant O estoit entierement separée de celle de l’aymant P qui est TXS, encore que les parties canelées qui sortent de cét aimant O pousseroient l’air qui est vers R et vers S comme elles font elles ne le chasseroient point pour cela des lieux où il est, à cause qu’il n’auroit point d’autre lieu où il pust aller pour éuiter d’estre poussé par elles et rendre leur cours plus facile ; Mais maintenant que les spheres de ces deux aymans sont tellement jointes en S que le pole Boreal de l’vn regarde le pole Austral de l’autre, il se trouue vn lieu où l’air qui est vers S peut se retirer, à sçauoir vers R et vers T derriere ces deux aymans Le Gras, p. 425
Image haute résolution sur Gallica
en faisant qu’ils s’approchent l’vn de l’autre, car il est éuident que cela facilite le cours des parties canelées ausquelles il est plus aisé de passer en ligne droite d’vn aymant en l’autre que de faire deux tourbillons separez autour d’eux, et elles peuuent passer ainsi en ligne droite de l’vn en l’autre, d’autant plus aisément qu’ils sont plus proches. C’est pourquoy elles chassent vers R et vers T l’air qui se trouue entre-deux ; et cét air ainsi chassé fait auancer les deux aimants d’R et T vers S.

CLIV. Pourquoy aussi quelquefois ils se fuient. Mais cela n’arriue que lors que le pole Austral de l’vn de ces aymans est tourné vers le Boreal de l’autre, car au contraire ils se reculent et se fuient l’vn l’autre lors que ceux de leurs poles qui se regardent sont de mesme vertu, et que leur situation ou quelque autre cause les empesche tellement de se tourner qu’elle ne les empesche pas pour cela de se mouuoir en ligne droite. Dont la raison est que les parties canelées qui sortent de ces deux aymans ne pouuant entrer de l’vn en l’autre se doiuent reseruer entre-deux quelque espace pour passer en l’air d’alentour : Par exemple si l’aymant O flotte sur l’eau dans vne petite gondole en laquelle il soit tellement planté sur AT IX-2, 289 son pole Boreal B qu’il ne se puisse mouuoir qu’auec elle, et que tenant l’aymant P auec la main en sorte que son pole Le Gras, p. 426
Image haute résolution sur Gallica
Austral a soit tourné vers A le pole Austral de l’autre, on l’auance peu à peu de P vers Y il doit faire que l’aymant O se recule d’O vers Z auant que de luy toucher, à cause que les parties canelées qui sortent de l’endroit de chacun de ces aymans qui est vis à vis de l’autre aymant doiuent auoir quelque espace entre ces deux aymans par où elles puissent passer.

CLV. Pourquoy lors qu’vn aymant est diuisé les parties qui ont esté jointes se fuyent. Des choses qui ont des-ja esté dites on voit clairement que si vn aimant est diuisé en deux pieces suiuant la ligne qui joint ses deux poles, et qu’on tienne l’vne de ces pieces penduë à vn filet au-dessus de l’autre elle se doit tourner de soy-mesme et prendre vne situation contraire à celle qu’elle a euë : car auant la diuision ses parties Australes estoient jointes aux parties Australes de l’autre piece et les Boreales aux Boreales, mais lors qu’elles sont separées les parties canelées qui sortent du pole Austral de l’vne de ces pieces prennent leur cours par dedans l’air vers le pole Boreal de l’autre, au moyen dequoy elles font que a le pole Austral de celle qui est suspenduë se tourne vers B le pole Boreal de l’autre, et b vers A.

CLVI. Comment il arriue que deux parties d’vn aymãt qui se touchent deuiennent deux poles de vertu cõtraire, lors qu’on le diuise. On voit aussi pourquoy si vn aymant est diuisé en telle sorte que le plan de la diuision coupe à angles droits la ligne AB qui joint ses deux poles, les deux points de cette ligne qui se touchoient Le Gras, p. 427
Image haute résolution sur Gallica
auãt qu’elle fust diuisée, et qui sont l’vn en l’vne de ses pieces et l’autre en l’autre, comme sont icy b et a, y sont deux poles de vertu contraire : à cause que les parties canelées qui peuuent sortir par l’vn peuuent entrer par l’autre.

AT IX-2, 290 CLVII. Comment la vertu qui est en chaque petite piece d’vn aymãt est semblable à celle qui est dans le tout. De plus on voit comment la vertu de tout vn aymant n’est pas d’autre nature que celle de chacune de ses parties encore qu’elle paroisse tout autrement en ses poles qu’ailleurs. Car elle n’y est pas autre pour cela, mais elle y est seulement plus grande à cause que la ligne qui les joint est la plus longue, et qu’elle tient le milieu entre toutes les lignes suiuant lesquelles les parties canelées passent au trauers de cét aymant : au moins en vn aymant spherique, à l’exemple duquel on juge que les poles des autres aymans sont les points où leur vertu paroist le plus. Et cette vertu n’est pas aussi autre dans le pole Austral que dans le Boreal sinon en tant que ce qui entre par l’un doit sortir par l’autre, mais il n’y a point de piece d’aymant tant petite qu’elle soit en laquelle il y ait quelque pore par où passent les parties canelées qu’il n’y ait vn costé par où elles entrent et vn autre par où elles sortent et par consequent qui n’ait ses deux poles.

CLVIII. Comment cette vertu est cõmuniquée au fer par l’aymant. Et nous n’auons pas sujet de trouuer estrange qu’vn morceau de fer ou d’acier estant approché Le Gras, p. 428
Image haute résolution sur Gallica
d’vne pierre d’aymant en acquere incontinent la vertu. Car suiuant ce qui a esté dit il a des-ja des pores propres à receuoir les parties canelées aussi bien que l’aymant, et mesme en plus grand nombre, c’est pourquoy il ne luy manque rien pour auoir la mesme vertu sinon que les petites pointes qui auancent dans les replis de ses pores y sont tournées sans ordre les vnes d’vne façon et les autres d’vne autre, au lieu que toutes celles des pores qui peuuent receuoir les parties canelées venuës du Nord deuroient estre couchées sur vn mesme costé, et toutes les autres sur le costé contraire : Mais lors qu’vn aymant est proche de luy les parties canelées qui sortent de cét aimant entrent en tel ordre et auec tant d’impetuosité dans ses pores qu’elles ont la force d’y disposer ces petites pointes en cette façon, et ainsi elles donnent au fer tout ce qui luy manquoit pour auoir la vertu de l’aymant.

AT IX-2, 291 CLIX. Commẽt elle est communiquée au fer diuersement à raison des diuerses façons que l’aymãt est tourné vers luy. Nous ne deuons point admirer non plus que le fer reçoiue diuersement cette vertu à raison des diuers costez de l’aymant ausquels il est appliqué. Car par exemple si R, l’vn des bouts du fer RST est mis contre B le pole Boreal de l’aymant P ce fer receura tellement la vertu de cét Voyez la plãche qui precede la figure 4.aymant que R sera son pole Austral, et T le Boreal, à cause que les parties canelées qui viennent Le Gras, p. 429
Image haute résolution sur Gallica
du Zud dans la terre et en sortent par le Nord entrent par R, et que celles qui viennent du Nord apres estre sorties de la terre par A et auoir fait le tour de part ou d’autre par l’air entrent par T dans le fer. Si ce mesme fer est couché sur l’Equateur de cét aymant (c’est à dire sur le cercle également distant de ses poles) et que son point R soit tourné vers B, comme on le voit sur la partie de l’Equateur marquée C, il y receura sa vertu en mesme sens qu’auparauant et R sera encore son pole Austral à cause que les mesmes parties canelées y entreront. Mais si on tourne ce point R vers A comme on le voit sur l’endroit de l’Equateur marqué D il perdra la vertu du pole Austral et deuiendra le pole Septentrional de ce fer, à cause que les parties canelées qui entroiẽt auparauant par R entreront par T, et celles qui entroient par T entreront par R. Enfin si S le point du milieu de ce fer touche le pole Austral de cét aymant les parties canelées qui viennent du Nord entreront dans le fer par S et sortiront par ses extremitez R et T, au moyen dequoy il aura en son milieu la vertu du pole Boreal et en ses deux bouts celle du pole Austral.

CLX. Pourquoy neantmoins vn fer qui est plus long que large ny espais la reçoit tous-jours suiuant sa longueur. Et il n’y a point en tout cela de difficulté sinon qu’on peut demander pourquoy les parties canelées qui sortant du pole A de l’aymant entrent Le Gras, p. 430
Image haute résolution sur Gallica
par S le milieu du fer, ne vont pas plus outre en ligne droite vers E au lieu de se destourner de part et d’autre vers R et vers T : A quoy il est aisé de respondre que ces parties AT IX-2, 292 canelées trouuant des pores dans le fer qui sont propres à les receuoir, et n’en trouuant point dedans l’air sont destournées par la resistance de cét air et coulent le plus long-temps qu’elles peuuẽt par dedans le fer, lequel pour cette cause reçoit tous-jours la vertu de l’aymant suiuant sa longueur lors qu’il est notablement plus long que large ou espais.

CLXI. Pourquoy l’aymant ne perd rien de sa vertu en la cõmuniquãt au fer. Il est aisé aussi de respondre à ceux qui demandent pourquoy l’aymant ne perd rien de sa force encore qu’on face qu’il la communique à vne fort grande quantité de fer, car il n’arriue aucun changement en l’aymant de ce que les parties canelées qui sortent de ses pores entrent dans le fer plustost que dans quelqu’autre corps sinon entant que passant plus facilement par le feu que par d’autres corps cela fait qu’elles passent aussi plus librement et en plus grande quantité par l’aymant lors qu’il a du fer autour de luy que lors qu’il n’en a point : Ainsi au lieu de diminuer sa vertu il l’augmente en la communiquant au fer.

CLXII. Pourquoy elle se communique au fer fort promptement, et cõment elle y est affermie par le temps. Et cette vertu est acquise fort promptement par le fer, à cause qu’il ne faut gueres de temps Le Gras, p. 431
Image haute résolution sur Gallica
aux parties canelées qui vont tres-vite pour passer de l’vn de ses bouts jusques à l’autre, et que dés la premiere fois qu’elles y passent elles luy communiquent la vertu de l’aymant duquel elles viennent. Mais si on retient long-temps vn mesme fer en mesme situation contre vne pierre d’aymant il y acquert vne vertu plus ferme, et qui ne peut pas si aisément luy estre ostée, à cause que les petites branches qui auancent dans les replis de ses pores demeurant fort long temps couchées sur vn mesme costé perdent peu à peu la facilité qu’elles ont euë à se renuerser sur l’autre costé.

CLXIII. Pourquoi l’acier la reçoit mieux que le simple fer. Et l’acier reçoit mieux cette vertu que le simple fer pource que ses pores propres à receuoir les parties canelées sont plus parfaits AT IX-2, 293 et en plus grãd nombre : et apres qu’il l’a receuë elle ne luy peut si tost estre ostée à cause que les petites branches qui auancent en ses conduits ne se peuuent pas si aisément renverser.

CLXIV. Pourquoy il la reçoit plus grande d’vn fort bon aymãt que d’vn moindre. Et selon qu’vn aymant est plus grand et plus parfait il luy communique vne vertu plus forte, à cause que les parties canelées entrant auec plus d’impetuosité dans ses pores renuersent plus parfaitement toutes les petites branches qu’elles rencontrent en leurs replis ; et aussi à cause que venant en plus grande quantité toutes ensemble elles se preparent plus grand nombre de Le Gras, p. 432
Image haute résolution sur Gallica
pores. Car il est à remarquer qu’il y a tous-jours beaucoup plus de tels pores dans le fer ou l’acier, duquel toutes les parties sont metalliques que dans l’aymant où ces parties metalliques sont meslées auec celles d’vne pierre ; et ainsi que ne pouuant sortir en mesme temps que peu de parties canelées d’vn aymãt foible elles n’entrent pas en tous les pores de l’acier mais seulement en ceux où il y a moins de petites branches qui leur resistent, ou bien où ces branches sont plus faciles à plier ; et que les autres parties canelées qui viennent apres ne passent que par ces mesmes pores où elles trouuent le chemin des-ja ouuert, si bien que les autres pores ne seruent de rien sinon lors que ce fer est approché d’vn aymant plus parfait qui envoyant vers luy plus de parties canelées luy donne vne vertu plus forte.

CLXV. Comment la terre seule peut cõmuniquer cette vertu au fer. Et pource que les petites branches qui auancent dans les pores du plus simple fer y peuuent fort aisément estre pliées, de là vient que la terre mesme luy peut en vn moment communiquer la vertu de l’aymant encore qu’elle semble n’en auoir qu’vne fort foible : Dequoy l’experience estant assez belle je mettrai icy le moyen de la faire. On prend vn morceau de simple fer tel qu’il soit, pourueu que sa figure soit longue, et qu’il n’ait point encore en soy aucune vertu Le Gras, p. 433
Image haute résolution sur Gallica
d’aymant qui soit notable, on baisse vn peu l’vn de ses bouts plus que l’autre vers la terre, puis les tenant tous deux également distans de l’horison, on approche vne boussole de celuy qui a esté baissé AT IX-2, 294 le dernier, et l’aiguille de cette boussole tourne vers luy le mesme costé qu’elle a coustume de tourner vers le Zud ; puis haussant quelque peu le mesme bout de ce fer, et le remetant incontinent parallele à l’horison proche de la mesme boussole on voit que l’aiguille luy presente son autre costé, et si on le hausse et baisse ainsi plusieurs fois on trouue tous-jours en ces regions Septentrionales que le costé que l’aiguille a coustume de tourner vers le Zud se tourne vers le bout du fer qui a esté baissé le dernier, et que celuy qu’elle a coustume de tourner vers le Nord se tourne cõtre le bout du fer qui a esté haussé le dernier, ce qui monstre que la seule situation qu’on luy dõne au regard de la terre luy cõmunique la vertu de faire ainsi tourner cette aiguille, et on le peut hausser et baisser si adroitement que ceux qui le voyent, ne pouuant remarquer la cause qui luy change si subitement sa vertu, ont occasion de l’admirer.

CLXVI. D’où vient que de fort petites pierres d’aymãt paroissent souuẽt auoir plus de force que toute la Terre. Mais on peut icy demander pourquoy la terre qui est vn fort grand aymant à moins de vertu que n’en ont ordinairement les pierres d’aymant Le Gras, p. 434
Image haute résolution sur Gallica
qui sont incomparablement plus petites. A quoy je respons que mon opinion est qu’elle en a beaucoup d’auantage en sa seconde region en laquelle j’ay dit cy-dessus qu’il y a quantité de pores par où les parties canelées prennent leur cours, mais que la pluspart de ces parties canelées apres estre sorties par l’vn des costez de cette seconde region retournent vers l’autre par la plus basse partie de la troisiéme region d’où viennent les metaux, en laquelle il y a aussi beaucoup de tels pores, ce qui est cause qu’elles ne viennent qu’en fort petit nombre jusques à cette superficie de la terre où nous habitons. Car je croy que les entrées et sorties des pores par où elles passent sont tournées en cette troisiéme region de la terre tout autrement qu’en la seconde, en sorte que les parties canelées qui viennent du Zud vers le Nord par les pores de cette seconde region, retournent du Nord vers le Zud par la troisiéme, en passant presque toutes par son plus bas estage, et aussi par les mines d’aymant et de fer, à cause qu’elles y trouuent des pores commodes, ce qui fait qu’il n’en reste que fort peu qui s’efforcent de passer par l’air et par les autres corps proches de nous où il n’y a point de AT IX-2, 295 tels pores. Dequoy on peut examiner la verité par l’experience, car si ce que j’en écris est vray le mesme costé de l’aymant qui regarde Le Gras, p. 435
Image haute résolution sur Gallica
le Nord pendant qu’il est encore joint à la mine, se doit tous-jours tourner de soy mesme vers le Nord apres qu’il en est separé et qu’on le laisse librement floter sur l’eau sans qu’il soit proche d’aucun autre aymant que de la terre. Et Gilbert qui a découuert le premier que toute la Terre est vn aymant, et qui en a tres curieusement examiné les vertus, assure qu’il a éprouué que cela est. Il est vray que quelques autres disent aussi qu’ils ont éprouué le contraire, mais peut-estre qu’ils se sont trompez en faisant flotter l’aymant dans le lieu mesme d’où ils l’auoient coupé pour voir s’il changeroit de situation ; et que lors veritablement il l’a changée à cause que le reste de la mine dont on l’auit separé estoit aussi vn aymant, suiuant ce qui a esté dit en l’article 155 : Au lieu que pour bien faire cette experience il faut apres auoir remarqué quels sont les costez de l’aymant qui regardent le Nord et le Zud pendant qu’il est joint à la mine, le tirer tout à fait hors de là, et ne le tenir proche d’aucun autre aymant que de la terre, pour voir vers où ses mesmes costez se tourneront.

CLXVII. Pourquoi les aiguilles aymantées ont tous-jours les poles de leur vertu en leurs extremitez. Or d’autant que le fer ou l’acier qui est de figure longue reçoit tous-jours la vertu de l’aymant suiuãt sa longueur encore qu’il luy soit appliqué en autre sens, il est certain que les aiguilles Le Gras, p. 436
Image haute résolution sur Gallica
aymantées doiuent tous-jours auoir les poles de leur vertu precisément en leur deux bouts, et les tourner vers les mesmes costez qu’vn aymãt parfaitement spherique tourneroit ses poles s’il estoit aux mesmes endroits de la Terre où elles sont.

CLXVIII. Pourquoi les poles de l’aymant ne se tournent pas tous-jours exactement vers les poles de la terre. Et pource qu’on peut beaucoup plus aisément obseruer vers quel costé, se tourne la pointe d’vne aiguille que vers lequel se tourne le pole d’vne pierre ronde, on a découuert par le moyen de ces aiguilles que l’aymant ne tourne pas tous-jours ses poles exactement AT IX-2, 296 vers les poles de la terre, mais qu’il les en détourne ordinairement quelque peu, et quelquefois plus quelquefois moins selon les diuers païs où l’on le porte. Dequoy la raison doit estre attribuée aux inégalitez qui sont en la superficie de la terre ainsi que Gilbert a fort bien remarqué. Car il est éuident qu’il y a des endroits en cette terre où il y a plus d’aymans ou de fer que dans le reste, et que par consequent les parties canelées qui sortent de la terre interieure vont en plus grande quantité vers ces endroits là que vers les autres, ce qui fait qu’elles se détournent souuent du chemin qu’elles prendroient si tous les endroits de la terre estoient semblables. Et pource qu’il n’y a rien que ces parties canelées qui facent tourner çà ou là les poles de Le Gras, p. 437
Image haute résolution sur Gallica
l’aymant, ils doiuent suiure toutes les variations de leur cours. Ce qui peut estre confirmé par l’experience si on met vne fort petite aiguille d’acier sur vne assez grosse pierre d’aymant qui ne soit pas ronde, car on verra que les bouts de cette aiguille ne se tourneront pas tous-jours exactement vers les mesmes points de cette pierre, mais qu’ils s’en détourneront diuersement suiuant les inégalitez de sa figure. Et bien que les inégalitez qui paroissent en la superficie de la terre ne soient pas fort grãdes à raison de toute la grosseur de son corps, elles ne laissent pas de l’estre assez à raison des diuers endroits de cette superficie pour y causer la variation des poles de l’aymant qu’on y obserue.

CLXIX. Cõment cette variation peut changer auec le tẽps en vn mesme endroit de la terre. Il y en a qui disent que cette variation n’est pas seulement differente aux differents endroits de la terre, mais qu’elle peut aussi changer auec le temps en vn mesme lieu, en sorte que celle qu’on obserue maintenant en certaines places ne s’accorde pas auec celle qu’on y a obseruée au siecle passé. Ce qui ne me semble nullement estrange en considerant qu’elle ne depend que de la quantité du fer et de l’aymant qui se trouue plus ou moins grande vers l’vn des costez de ces lieux là que vers l’autre, non seulement à cause que les hommes tirent continuellement du fer de certains endroits de la terre et le transportent Le Gras, p. 438
Image haute résolution sur Gallica
en d’autres, mais principalement aussi à cause qu’il y a eu autrefois des mines de fer en des lieux où il n’y en a plus, pource qu’elles s’y sont corrompuës auec le temps, et qu’il y en a maintenant en d’autres où il n’y en auoit point auparauant, parce qu’elles y ont depuis peu esté produites.

AT IX-2, 297 CLXX. Cõment elle peut aussi estre changée par la diuerse situation de l’aymant. Il y en a aussi qui disent que cette variation est nulle en vn aymant de figure ronde planté sur l’vn de ses poles, à sçauoir sur son pole Austral, lors qu’il est en ces parties Septentrionales, et sur le Boreal lors qu’il est en l’autre hemisphere. En sorte que cét aymant ainsi planté dans vne petite gondole qui flotte sur l’eau tourne tous-jours vn mesme costé vers la terre sans s’en escarter en aucune façon lors qu’il est transporté en diuers lieux. Mais encore que je n’aye point fait d’experience qui m’assure que cela soit vray, je juge neantmoins que la déclinaison d’vn aymant ainsi planté n’est pas la mesme et peut estre aussi qu’elle n’est pas si grande que lors que la ligne qui joint ses poles est parallele à l’horison, car en tous les endroits de cette terre exterieure excepté en l’Equateur et sur les poles il y a des parties canelées qui prennent leur cours en deux façons, à sçauoir les vnes le prennent suiuant des lignes paralleles à l’horison pource qu’elles viennent de Le Gras, p. 439
Image haute résolution sur Gallica
plus loin et passent outre ; et les autres le prennent de bas en haut ou de haut en bas, pource qu’elles sortent de la terre interieure ou qu’elles y entrent en ces endroits là. Et ce sont principalement ces dernières qui font tourner l’aymant planté sur ses poles, au lieu que ce sont les premieres qui causent la variation qu’on y obserue lors qu’il est en l’autre situation.

CLXXI. Pourquoy l’aymant attire le fer. La proprieté de l’aymant qui est la plus commune et qui a esté remarquée la premiere est qu’il attire le fer, ou plutost que le fer et l’aymant s’approchent naturellement l’vn de l’autre lors qu’il n’y a rien qui les retienne. Car à proprement parler il n’y a aucune attraction en cela, mais si tost que le fer est dans la sphere de la vertu de l’aymant, cette vertu luy est communiquée et les parties canelées qui passent de cét aymant en ce fer chassent l’air qui est entre deux faisant par ce moyen qu’ils s’approchent ainsi qu’il a esté dit de deux aymãs en l’art. 153. Et mesme le fer a plus de facilité à se mouuoir vers l’aymant que l’aymant à se mouuoir vers le fer, à cause que toute la matiere du fer a des pores propres à AT IX-2, 298 receuoir les parties canelées, au lieu que l’aymãt est apesanti par la matiere destituée de ces pores dont il a coustume d’estre composé.

CLXXII. Pourquoy il soustiẽt plus de fer lors qu’il est armé que lors qu’il ne l’est pas. Mais il y en a plusieurs qui admirent qu’vn aymant estant armé, c’est à dire ayant quelque Le Gras, p. 440
Image haute résolution sur Gallica
morceau de fer attaché à l’vn de ses poles, puisse par le moyen de ce fer soustenir beaucoup plus d’autre fer qu’il ne feroit estant désarmé : Dequoy neantmoins on peut assez facilement découurir la cause en remarquant que bien que son armure luy ayde à soustenir le fer qu’elle touche, elle ne luy ayde point en mesme façon à faire approcher celuy dont elle est tant soit peu separée, ny mesme à le soustenir quand il y a quelque chose entre luy et elle, encore que ce ne seroit qu’vne feuille de papier fort deliée : Car cela monstre que la force de l’armure ne consiste en autre chose sinon en ce qu’elle touche le fer d’autre façon que ne peut faire l’aymant. A sçauoir pource que cette armure est de fer tous ses pores se rencontrent vis à vis du fer qu’elle soustient, et les parties canelées qui passent de l’vn en l’autre de ces fers chassent tout l’air qui est entre-deux faisant par ce moyen que leurs superficies se touchent immediatement, et c’est en cette sorte d’attouchement que consiste la plus forte liaison qui puisse joindre deux corps l’vn à l’autre, ainsi qu’il a esté prouué cy-dessus ; Mais à cause de la matiere non metallique qui a coustume d’estre en l’aymant ses pores ne peuuent ainsi se rencontrer justement vis à vis de ceux du fer, c’est pourquoy les parties canelées qui sortent de l’vn ne Le Gras, p. 441
Image haute résolution sur Gallica
peuuẽt entrer en l’autre qu’en coulant quelque peu de biais entre leurs superficies ; et ainsi encore qu’elles les facent approcher l’vn de l’autre elles empeschent neantmoins qu’ils ne se touchent tout à fait à cause qu’elles retiennent entre-deux autant d’espace qu’il leur en faut pour couler ainsi de biais des pores de l’vn en ceux de l’autre.

CLXXIII. Commẽt les deux poles de l’aymãt s’aidẽt l’vn l’autre à soustenir le fer. Il y en a aussi quelques-vns qui admirent que bien que les deux poles d’vn mesme aymãt ayent des vertus toutes contraires en ce AT IX-2, 299 qui est de se tourner vers le Zud et vers le Nord, ils s’accordent neantmoins et s’entr’aydent en ce qui est de soustenir le fer ; en sorte qu’vn aymant armé en ses deux poles, peut porter presque deux fois autant de fer que lors qu’il n’est armé qu’en l’vn de ses poles. Par exemple si AB est vn aymant aux deux poles duquel sont jointes les armures CD et EF tellement auancées en dehors vers D et F que le fer GH qu’elles soustiennent les puisse toucher en des superficies assez larges ce fer GH peut estre presque deux fois aussi pesant que s’il ne touchait qu’à l’vne de ces deux armures. Mais la raison en est éuidente à ceux qui considerent le mouuement des parties canelées qui a esté expliqué, car bien qu’elles soient contraires les vnes aux autres en ce que celles qui sortent de l’aymant par l’vn de Le Gras, p. 442
Image haute résolution sur Gallica
ses poles n’y peuuent rentrer que par l’autre, cela n’empesche pas qu’elles ne joignent leurs forces ensemble pour attacher le fer à l’aymant ; à cause que celles qui sortent d’A le pole Austral de cét aymant estant destournées par l’armure CD vers b où elles font le pole Boreal du fer GH, coulent de b vers a le pole Austral du mesme fer, et d’a par l’armure FE entrent dans B le pole Boreal de l’aymant ; comme aussi en mesme façon celles qui sortent de B retournent circulairement vers A par EF, HG et DC. Et ainsi elles attachent le fer autant à l’vne de ces armures qu’à l’autre.

CLXXIV. Pourquoy vne piroüete de fer n’est point empeschée de tourner, par l’aymãt auquel elle est suspenduë. Mais ce mouuement des parties canelées ne semble pas s’accorder si bien auec vne autre proprieté de l’aymant qui est de pouuoir soustenir en l’air vne petite piroüette de fer pendant qu’elle tourne (soit qu’elle tourne à droite soit à gauche) et de n’empescher point qu’elle continuë à se mouuoir estant suspenduë à l’aymant, plus long-temps qu’elle ne feroit estãt appuyée sur vne table. En effect si les parties canelées n’auoient qu’vn mouuement droit et que le fer et l’aymant se pussent tellement ajuster que tous les pores de l’vn se trouuassent exactement vis à vis de ceux de l’autre, je croirois que ces parties canelées en passant de l’vn en l’autre deuroient ajuster ainsi tous leurs pores, et par ce moyen Le Gras, p. 443
Image haute résolution sur Gallica
empescher la piroüette de tourner. Mais pource qu’elles tournent elles mesmes AT IX-2, 300 sans cesse les vnes à droit les autres à gauche, et qu’elles se reseruent tous-jours quelque peu d’espace entre les superficies de l’aymant et du fer par où elles coulent de biais des pores de l’vn en ceux de l’autre, à cause qu’ils ne se rapportent pas les vns aux autres, elles peuuent tout aussi aisément passer des pores de l’aymant en ceux d’vne piroüette lors qu’elle tourne, soit à droit soit à gauche, que si elle estoit arrestée, c’est pourquoy elles ne l’arrestent point ; Et pource que pendant qu’elle est ainsi suspenduë il y a tous-jours quelque peu d’espace entre elle et l’aymant son attouchemẽt l’arreste bien moins que ne fait celuy d’vne table quand elle est appuyée dessus, et qu’elle la presse par sa pesanteur.

CLXXV. Comment deux aymans doiuent estre situez pour s’ayder ou s’empescher l’vn l’autre à soustenir du fer. Au reste la force qu’a vne pierre d’aimant à soustenir le fer peut diuersement estre augmentée ou diminuée par vn autre aymant ou par vn autre morceau de fer selon qu’il luy est diuersement appliqué. Mais il n’y a en cela qu’vne regle generale à remarquer qui est que toutefois et quantes qu’vn fer ou aymant est tellemẽt posé au regard d’vn autre aymant, qu’il fait aller quelques parties canelées vers luy il augmente sa force ; et au contraire s’il est cause qu’il y en aille moins il la diminuë. Car d’autant que les Le Gras, p. 444
Image haute résolution sur Gallica
parties canelées qui passent par vn aymant sont en plus grand nombre ou plus agitées il a d’autant plus de force, et elles peuuent venir vers luy en plus grand nombre et plus agitées d’vn morceau de fer ou d’vn autre aymant que de l’air seul ou de quelque autre corps qu’on mette en leur place. Ainsi non seulement lors que le pole Austral d’vn aymant est joint au pole Septentrional d’vn autre ils s’aydent mutuellement à soustenir le fer qui est vers leurs autres poles, mais ils s’aydent aussi, lors qu’ils sont separez, à soustenir le fer qui est entre-deux. Par exemple l’aymant C est aydé par l’aymant F à soustenir contre soy le fer DE qui luy est joint, et reciproquement l’aymant F est aidé par l’aymant C à soustenir en l’air le bout de ce fer marqué E, car il peut estre si pesant que cét aymant F ne le soustiendroit pas ainsi en l’air si l’autre bout marqué D au lieu d’estre joint à l’aymant C estoit appuyé sur quelque autre corps qui le retiendroit en la place où il est sans empescher E de se baisser.

AT IX-2, 301 CLXXVI. Pourquoi vn aymãt bien fort ne peut attirer le fer qui pend à vn aymant plus foible. Mais pendant que l’aymant F est ainsi aidé par l’aymant C à soustenir le fer DE, il est empesché par ce mesme aymant de faire approcher ce fer vers soy. Car il est à remarquer que pendant que ce fer touche C, il ne peut estre attiré par F lequel il ne touche point, nonobstant Le Gras, p. 445
Image haute résolution sur Gallica
qu’on suppose ce dernier beaucoup plus puissant que le premier : Dont la raison est que les parties canelées passant au trauers de ces deux aymans et de ce fer ainsi que s’ils n’estient qu’vn seul aymant, en la façon des-ja expliquée n’ont point notablement plus de force en l’vn des endroits qui est entre C et F qu’en l’autre, et par consequent ne peuuent faire que le fer DE quitte C pour aller vers F, d’autant qu’il n’est pas retenu vers C par le seule force qu’à cét aymant pour l’attirer, mais principalement aussi parce qu’ils se touchent, bien que ce ne soit pas en tant de parties que si cét aymant estoit armé.

CLXXVII. Pourquoy quelquefois, au contraire, le plus foible aymant attire le fer d’vn autre plus fort. Et cecy fait entendre pourquoy vn aymant qui a peu de force ou mesme vn simple morceau de fer peut souuent destacher vn autre fer d’vn aymant fort puissant auquel il est joint. Car il faut remarquer que cela n’arriue jamais si ce n’est que le plus foible aymant touche aussi le fer qu’il doit separer de l’autre ; et que lors qu’vn fer de figure longue comme DE touche deux aymans situez comme C et F en sorte qu’il touche de ses deux bouts deux de leurs poles qui ayent diuerse vertu, si on retire ces deux aymans l’vn de l’autre, le fer qui les touchoit tous deux ne demeurera pas tous-jours joint au plus fort, ny tous-jours aussi au plus foible, mais quelque Le Gras, p. 446
Image haute résolution sur Gallica
fois à cetuy-cy et quelquefois à cetuy-là. Ce qui monstre que la seule raison qui fait qu’il en suit l’vn plustost que l’autre, est qu’il se rencontre qu’il touche en vne superficie tant soit peu plus grande ou bien en plus de points celuy auquel il demeure attaché.

AT IX-2, 302 CLXXVIII. Pourquoi en ces pais Septentrionaux le pole Austral de l’aymant peut tirer plus de fer que l’autre. On peut aussi entendre pourquoy le pole Austral de toutes les pierres d’aymant semble auoir plus de force et soustient plus de fer en cét hémisphere Septentrional que leur autre pole, en considerant comment l’aymant C est aidé par l’aymant F à soustenir le fer DE. Car la terre estant aussi vn aymant elle augmente la force des autres aymans lors que leur pole Austral est tourné vers son pole Boreal, en mesme façon que l’aymant F augmente celle de l’aymant C, comme aussi au contraire elle la diminuë lors que le pole Septentrional de ces autres aymans est tourné vers elle en cét hémisphere Septentrional.

CLXXIX. Cõment s’arrengent les grains de la limure d’acier autour d’vn aymãt. Et si on s’arreste à considerer en quelle façon la poudre ou limure de fer qu’on a jettée autour d’vn aymant s’y arrenge, on y pourra remarquer beaucoup de choses qui confirmeront la verité de celles que je viens de dire. Car en premier lieu on y verra que les petits grains de cette poudre ne s’entassent pas confusément mais que se joignant en long les vns Le Gras, p. 447
Image haute résolution sur Gallica
aux autres ils composent comme des filets qui sont autant de petits tuyaux par où passent les parties canelées plus librement que par l’air, et qui pour ce sujet peuuẽt seruir à faire cõnoistre les chemins qu’elles tiennent apres estre sorties de l’aymant. Mais afin qu’on puisse voir à l’œil quelle est l’inflexion de ces chemins il faut répandre cette limure sur vn plan bien vny au milieu duquel soit enfoncé vn aymant spherique en telle sorte que ses deux poles le touchẽt, comme on a coustume d’enfoncer les globes dans le cercle de l’horison pour representer la sphere droite, car les petits grains de cette limure s’arengerõt sur ce plan suiuant des lignes qui marqueront exactement le chemin que j’ay dit cy-dessus que prennent les parties canelées autour de chaque aymant, et aussi autour de toute la terre. Puis si on enfonce en mesme façon deux aymans dans ce plan et que le pole Boreal de AT IX-2, 303 l’vn soit tourné vers l’Austral de l’autre, comme ils sont en cette figure, la limure mise autour fera voir que les parties canelées prennent leur cours autour de ces deux aymans en mesme façon que s’ils n’estoient qu’vn, car les lignes suiuant lesquelles s’arrengeront ses petits grains seront droites entre les deux poles qui se regardent comme sont icy celles qu’on voit entre A et b et les autres seront repliées des Le Gras, p. 448
Image haute résolution sur Gallica
deux costez, comme on voit celles que designent les lettres BRVXTa. On peut aussi voir en tenant vn aymant auec la main, l’vn des poles duquel, par exemple l’Austral soit tourné vers la terre et qu’il y ait de la limure de fer penduë à ce pole que s’il y a vn autre aymant au dessous dont le pole de mesme vertu à sçauoir l’Austral soit tourné vers cette limure, les petits filets qu’elle compose, qui pendent tout droit de haut en bas lors que ces deux aymans sont éloignez l’vn de l’autre, se replient de bas en haut lors qu’on les approche, à cause que les parties canelées de l’aymant superieur qui coulent le long de ces filets sont repoussées vers en haut par leurs semblables qui sortent de l’aymant inferieur : Et mesme si cét aymant inferieur est plus fort que l’autre il en destachera cette limure et la fera tomber sur soy lors qu’ils seront proches à cause que ses parties canelées faisant effort pour passer par les pores de la limure et ne pouuant y entrer que par les superficies de ses grains qui sont jointes à l’autre aymant, elles les separeront de luy. Mais si au contraire on tourne le pole Boreal de l’aymant inferieur vers l’Austral du superieur auquel pend cette limure elle allongera ses petits filets en ligne droite à cause que leurs pores seront disposez à receuoir toutes les parties canelées qui passeront de l’vn Le Gras, p. 449
Image haute résolution sur Gallica
de ses poles à l’autre, mais la limure ne se destachera point pour cela de l’aymant superieur pendant qu’elle ne touchera point à l’autre, à cause de la liaison qu’elle acquert par l’attouchement ainsi qu’il a tantost esté dit. Et à cause de cette mesme liaison si la limure qui pend à vn aymant fort puissant est touchée par vn autre aymant beaucoup plus foible ou seulement par quelque morceau de fer, il y aura tous-jours plusieurs de ses grains qui quitteront le plus fort aymant, et demeureront attachez au plus foible, ou bien au morceau de fer, lors qu’on les retirera d’auprès de luy : Pource que les petites superficies de cette limure estant fort diuerses et inégales il se rencontre tous-jours que plusieurs de ces grains touchent en plus de points ou par vne plus grande superficie le plus foible aymant que le plus fort.

AT IX-2, 304 CLXXX. Comment vne lame de fer jointe à l’vn des poles de l’aymãt empesche sa vertu. Vne lame de fer qui estant appliquée contre l’vn des poles de l’aymant luy sert d’armure et augmẽte de beaucoup la force qu’il a pour soustenir d’autre fer, empesche celle qu’a le mesme aymant pour attirer ou faire tourner vers soy les aiguilles qui sont proches de ce pole. Par exemple la lame DCD empesche que l’aymant AB au pole duquel elle est jointe ne face tourner ou approcher de soy l’aiguille EF ainsi qu’il feroit si cette lame estoit ostée. Dont la raison est que Le Gras, p. 450
Image haute résolution sur Gallica
les parties canelées qui continueroient leur cours de B vers EF s’il n’y auoit que de l’air entre-deux, entrant en cette lame par son milieu C sont destournées par elle vers les extremitez DD d’où elles retournent vers A, et ainsi à peine peut-il y en auoir aucune qui aille ver l’aiguille EF. En mesme façon qu’il a esté dit cy-dessus qu’il en vient peu jusques à nous de celles qui passent par la seconde region de la terre à cause qu’elles retournent presque toutes d’vn pole vers l’autre par la crouste interieure de la troisiéme region où nous sommes, et que c’est ce qui fait que la vertu de l’aymant nous paroist en elle si foible.

CLXXXI. Que cette mesme vertu ne peut estre empeschée par l’interposition d’aucun autre corps. Mais excepté le fer et l’aymant nous n’auons aucun corps en cette terre exterieure qui estant mis en la place où est cette lame CD puisse empescher que la vertu de l’aymant AB ne passe jusques à l’aiguille EF, car nous n’en auõs aucun tant solide et tãt dur qu’il puisse estre, dãs lequel il n’y ait plusieurs pores, non pas veritablement qui soient ajustez à la figure des parties canelées, comme sont ceux du fer et de l’aymant, mais qui sont beaucoup plus grands, en sorte que le second element les occupe ; ce qui fait que les parties canelées passent aussi aisément par dedans ces corps durs que par l’air, par lequel elles ne peuuent passer non plus que par Le Gras, p. 451
Image haute résolution sur Gallica
eux sinon en se faisant faire place par les parties du second element qu’elles rencontrent.

AT IX-2, 305 CLXXXII. Que la situation de l’aymant qui est contraire à celle qu’il prend naturellement quand rien ne l’empesche, luy oste peu à peu sa vertu. Je ne sçay aussi aucune chose qui face perdre la vertu à l’aymant ou au fer, excepté lors qu’on le retient long-temps en vne situation contraire à celle qu’il prend naturellement quand rien ne l’empesche de tourner ses poles vers ceux de la terre, ou des autres aymans dont il est proche ; et aussi lors que l’humidité ou la roüille le corrompt ; et enfin lors qu’il est mis dans le feu. Mais s’il est retenu long temps hors de sa situation naturelle les parties canelées qui viennent de la terre, ou des autres aymans proches, font effort pour entrer à contre sens dans ses pores, et par ce moyen, changeant peu à peu leurs figures luy font perdre sa vertu.

CLXXXIII. Que cette vertu peut aussi luy estre ostée par le feu ; et diminuée par la roüille. La roüille aussi en sortant hors des parties metalliques de l’aymant bouche les entrées de ses pores en sorte que les parties canelées n’y sont pas si aisément receuës ; Et l’humidité fait en quelque façon le semblable entant qu’elle dispose à la roüille ; Et enfin le feu estant assez fort trouble l’ordre des parties du fer ou de l’aymant en les agitant, et mesme il peut estre si violent qu’il change aussi la figure de leurs poles. Au reste je ne croy pas qu’on ait encore jamais obserué aucune chose touchant l’aymant qui soit vraye, et en laquelle l’obseruateur ne se Le Gras, p. 452
Image haute résolution sur Gallica
soit point mépris, dont la raison ne soit comprise en ce que je viens d’expliquer, et n’en puisse facilement estre déduite.

CLXXXIV. Quelle est l’attraction de l’ambre, du jayet, de la cire, du verre, etc. Mais apres auoir parlé de la vertu qu’a l’aymant pour attirer le fer il semble à propos que je die aussi quelque chose de celle qu’ont l’ãbre, le jayet, la cire, la resine, le verre, et plusieurs autres corps, pour attirer toutes sortes de petits festus. Car encore que mon dessein ne soit pas d’expliquer icy la nature d’aucun corps particulier sinon en tant qu’elle peut seruir à confirmer la verité de ce que j’ay AT IX-2, 306 écrit touchant ceux qui se trouuent le plus vniuersellement par tout, et peuuent estre pris pour les elements de ce monde visible ; Encore aussi que je ne puisse sçauoir assurément pourquoy l’ambre ou le jayet a telle vertu si je ne fais premierement plusieurs experiences qui me découurent interieurement quelle est leur nature, toutefois à cause que la mesme vertu est dans le verre, duquel j’ay esté cy-dessus obligé de parler entre les effets du feu, si je n’expliquois point en quelle sorte cette vertu est en luy on auroit sujet de douter des autres choses que j’en ay écrites. Veu principalement que ceux qui remarquent que presque tous les autres corps où est cette vertu sont gras ou huileux, se persuaderoient peut-estre qu’elle consiste en ce que lors qu’on frotte ces corps Le Gras, p. 453
Image haute résolution sur Gallica
(car il est ordinairement besoin de les frotter afin qu’elle soit excitée) il y a quelques vnes des plus petites de leurs parties qui se respandẽt par l’air d’alentour, et qui estant composées de plusieurs petites branches demeurent tellement liées les vnes aux autres qu’elles retournent incontinent apres vers le corps d’où elles sont sorties, et apportent vers luy les petits festus ausquels elles se sont attachées : Ainsi qu’on voit quelquefois en secoüant vn peu le bout d’vne baguette auquel pend vne goutte de quelque liqueur fort gluante, qu’vne partie de cette liqueur file en l’air et descend jusques à vne certaine distance puis remonte incontinent de soy-mesme vers le reste de la goutte qui est demeuré joint à la baguette, et y apporte aussi des festus si elle en rencontre en son chemin : Car on ne peut imaginer rien de semblable dans le verre, au moins si sa nature est telle que je l’ai décrite, c’est pourquoy il est besoin que je cherche en luy vne autre cause de cette attraction.

CLXXXV. Quelle est la cause de cette attraction dans le verre. Or en considerant de quelle façon j’ay dit qu’il se fait on peut connoistre que les interualles qui sont entre ses parties doiuent estre pour la pluspart de figure longue, et que c’est seulement le milieu de ces interualles qui est assez large pour donner passage aux parties du second element lesquelles rendent le verre transparent, Le Gras, p. 454
Image haute résolution sur Gallica
de sorte qu’il demeure des deux costez en chacun de ces interualles des petites fentes si estroites qu’il n’y a rien que le premier element qui les puisse occuper. En suitte de quoy il faut remarquer touchant AT IX-2, 307 ce premier element, dont la proprieté est de prendre tous-jours la figure des lieux où il se trouue, que pendant qu’il coule par ces petites fentes, les moins agitées de ses parties s’attachent les vnes aux autres et composent comme des bandelettes qui sont fort minces, mais qui ont vn peu de largeur et beaucoup plus de longueur, et qui vont et viennent en tournoyant de tous costez entre les parties du verre sans jamais guere s’en éloigner, à cause que les passages qu’elles trouuent dans l’air ou les autres corps qui l’enuironnent ne sont pas si ajustez à leur mesure ny si propres à les receuoir. Car, encore que le premier element soit tres-fluide, il a neantmoins en soy des parties qui sont moins agitées que le reste de sa matiere, ainsi qu’il a esté expliqué aux articles 87 et 88 de la troisième partie, et il est raisonnable de croire que pendant que ce qu’il y a de plus fluide en sa matiere passe continuellement de l’air dans le verre et du verre dans l’air, les moins fluides de ses parties qui se trouuent dans le verre y demeurent dans les fentes auxquelles ne respondent pas les pores de l’air, et que là se joignant Le Gras, p. 455
Image haute résolution sur Gallica
les vnes aux autres elles composent ces bandelettes, lesquelles acquerent par ce moyen en peu de temps des figures si fermes qu’elles ne peuuent pas aisément estre changées. Ce qui est cause que lors qu’on frotte le verre assez fort, en sorte qu’il s’échauffe quelque peu, ces bandelettes, qui sont chassées hors de ses pores par cette agitation sont contraintes d’aller vers l’air et les autres corps d’alentour, où ne trouuant pas des pores si propres à les receuoir elles retournent aussi tost dans le verre, et y ameinent auec soy les festus ou autres petits corps dans les pores desquels elles se trouuent engagées.

CLXXXVI. Que la mesme cause semble aussi auoir lieu en toutes les autres attractions. Et ce qui est dit icy du verre se doit aussi entendre de tous ou du moins de la plus part des autres corps en qui est cette attraction, à sçauoir qu’il y a quelques interualles entre leurs parties qui estant trop estroits pour le second element ne peuuent receuoir que le premier. Et qui estant plus grands que ne sont dans l’air ceux où le seul premier element peut passer, retiennent en soy les parties de ce premier element qui sont les moins agitées, et qui se joignant les vnes aux autres y composent des bandelettes qui ont veritablement diuerses figures selon la diuersité des pores par où elles passent, AT IX-2, 308 mais qui conuiennẽt en cela qu’elles sont longues, plates, pliantes, et qu’elles coulent çà et là entre Le Gras, p. 456
Image haute résolution sur Gallica
les parties de ces corps ; Car d’autant que les interualles par où elles passent sont si estroits que le second element n’y peut entrer, ils ne pourroient estre plus grands que sont dans l’air ceux où le mesme second element n’entre point s’ils ne s’estendoient plus qu’eux en longueur, estant ainsi que des petites fentes qui rendent ces bandelettes larges et minces. Et ces interualles doiuent estre plus grands que ceux de l’air afin que les parties les moins agitées du premier elemẽt s’arrestent en eux, pendant qu’il sort continuellement autant du mesme premier element par quelques autres pores de ces corps, qu’il y en vient des pores de l’air. C’est pourquoy encore que je ne nie pas que l’autre cause d’attraction que j’ay tantost expliquée ne puisse auoir lieu en quelques corps, toutefois pource qu’elle ne semble pas assez generale pour conuenir à tant de diuers corps comme cette derniere, et que neantmoins il y en a fort grand nombre en qui cette proprieté de leuer des festus se remarque, je croy que nous deuons penser qu’elle est en eux, ou du moins en la plus-part, semblable à celle qui est dans le verre.

CLXXXVII. Qu’à l’exẽple des choses qui ont esté expliquées on peut rendre raisõ de tous les plus admirables effets qui sont sur la terre. Av reste je desire icy qu’on prenne garde que ces bandelettes ou autres petites parties longues et remuantes qui se forment ainsi de la matiere du premier elément dans les interualles des Le Gras, p. 457
Image haute résolution sur Gallica
corps terrestres y peuuent estre la cause non seulement des diuerses attractions telles que sont celles de l’aymant et de l’ambre, mais aussi d’vne infinité d’autres effets tres-admirables. Car celles qui se forment en chaque corps ont quelque chose de particulier en leur figure qui les rend differentes de toutes celles qui se forment dans les autres corps ; Et d’autant qu’elles se meuuent sans cesse fort vite suiuant la nature du premier element duquel elles sont des parties, il se peut faire que des circonstances tres-peu remarquables les determinent quelquefois à tournoyer çà et là dans le corps où elles sont sans s’en écarter, et quelquefois au contraire à passer en fort peu de temps jusques à des lieux fort éloignez,, sans qu’aucun corps qu’elles rencontrent en leur chemin les puisse arrester ou destourner, et que rencontrant là vne matiere disposée à receuoir leur AT IX-2, 309 action elles y produisent des effets entierement rares et merueilleux : Comme peuuent estre de faire saigner les playes du mort, lors que le meurtrier s’en approche, d’émouuoir l’imagination de ceux qui dorment, ou mesme aussi de ceux qui sont éueillez et leur donner des pensées qui les auertissent des choses qui arriuent loin d’eux, en leur faisant ressentir les grandes afflictions ou les grandes joies d’vn intime amy, les mauuais desseins Le Gras, p. 458
Image haute résolution sur Gallica
d’vn assassin et choses semblables. Et enfin quiconque voudra cõsiderer combien les proprietez de l’aymãt et du feu sont admirables et differentes de toutes celles qu’on obserue communement dans les autres corps ; cõbien est grande la flame que peut exciter en fort peu de temps vne seule estincelle de feu quand elle tombe en vne grande quantité de poudre, et combien elle peut auoir de force ; jusques à quelle extreme distance les estoiles fixes estendent leur lumiere en vn instant ; et quels sont tous les autres effets, dont je croy auoir icy donné des raisons assez claires sans les déduire d’aucuns autres principes que de ceux qui sont generalement receus et connus de tout le monde, à sçauoir de la grandeur, figure, situation et mouuemẽt des diuerses parties de la matiere, il me sẽble qu’il aura sujet de se persuader qu’on ne remarque aucunes qualitez qui soient si occultes, ny aucuns effets de Simpatie ou Antipatie si merueilleux et si éestranges, ny enfin aucune autre chose si rare en la nature (pourueu qu’elle ne procede que des causes purement materielles et destituées de pensée ou de libre arbitre) que la raison n’en puisse estre donnée par le moyen de ces mesmes principes. Ce qui me fait icy conclure que tous les autres principes qui ont jamais esté adjoutez à ceux-ci sans qu’on ait eu aucune autre Le Gras, p. 459
Image haute résolution sur Gallica
raison pour les adjouster sinon qu’on n’a pas creu que sans eux quelques effets naturels pussent estre expliquez, sont entieremẽt superflus.

CLXXXVIII. Quelles choses doiuent encore estre expliquées, afin que ce traitté soit complet. Ie finirois icy cette quatriéme partie des principes de la Philosophie, si je l’accompagnois de deux autres l’vne touchant la nature des animaux et des plantes, l’autre touchant celle de l’homme ainsi que je m’estois proposé lors que j’ay commencé ce traitté : Mais pource que je n’ay pas encore assez de connoissance de plusieurs choses AT IX-2, 310 que j’auois envie de mettre aux deux dernieres parties, et que par faute d’experiences ou de loisir je n’auray peut estre jamais le moyen de les acheuer ; Afin que celles-cy ne laissent pas d’estre completes, et qu’il n’y manque rien de ce que j’aurois creu y deuoir mettre si je ne me fusse point reserué à l’expliquer dans les suiuantes, j’adjousteray icy quelque chose touchant les objets de nos sens. Car jusques icy j’ay décrit cette Terre et generalement tout le monde visible comme si c’estoit seulement vne machine en laquelle il n’y eust rien du tout à considerer que les figures et les mouuements de ses parties ; et toutefois il est certain que nos sens nous y font paroistre plusieurs autres choses, à sçauoir des couleurs, des odeurs, des sons, et toutes les autres qualitez sensibles desquelles si je ne parlois point on pourroit penser que Le Gras, p. 460
Image haute résolution sur Gallica
j’aurois obmis l’explication de la pluspart des choses qui sont en la nature.

CLXXXIX. Ce que c’est que le sens, et en quelle façon nous sentons. C’est pourquoy il est icy besoin que nous remarquions qu’encore que nostre ame soit vnie à tout le corps, elle exerce neantmoins ses principales fonctions dans le cerueau, et que c’est là non seulement qu’elle entend et qu’elle imagine mais aussi qu’elle sent, et ce par l’entremise des nerfs qui sont estendus comme des filets tres-deliez depuis le cerueau jusques à toutes les parties des autres membres ausquelles ils sont tellement attachez qu’on n’en sçauroit presque toucher aucune qu’on ne face mouuoir les extremitez de quelque nerf, et que ce mouuement ne passe par le moyen de ce nerf jusques au cerueau où est le siege du sens commun, ainsi que j’ay assez amplement expliqué au quatriéme discours de la Dioptrique ; Et que les mouuemens qui passent ainsi par l’entremise des nerfs jusques à l’endroit du cerueau auquel nostre ame est estroitement iointe et vnie luy font auoir diuerses pensées à raison des diuersitez qui sont en eux ; Et enfin que ce sont ces diuerses pensées de nostre ame qui viennent immediatement des mouuemens qui sont excitez par l’entremise des nerfs dans le cerueau que nous appelons proprement nos sentimens ou bien les perceptions de nos sens.

Le Gras, p. 461
Image haute résolution sur Gallica
AT IX-2, 311 CXC. Combien il y a de diuers sẽs, et quels sont les interieurs, c’est à dire, les appetits naturels et les passions. Il est besoin aussi de considerer que toutes les varietez de ces sentimens dependent premierement de ce que nous auons plusieurs nerfs, puis aussi de ce qu’il y a diuers mouuemens en chaque nerf ; mais que neantmoins nous n’auons pas autant de sens differens que nous auons de nerfs. Et je n’en distingue principalement que sept, deux desquels peuuent estre nommez interieurs, et les cinq autres exterieurs. Le premier sens que je nomme interieur comprend la faim, la soif et tous les autres appetits naturels, et il est excité en l’ame par les mouuements des nerfs de l’estomac, du gosier, et de toutes les autres parties qui seruent aux fonctions naturelles pour lesquelles on a de tels appetits. Le second comprend la joye, la tristesse, l’amour, la colere et toutes les autres passions, et il dépend principalement d’vn petit nerf qui va vers le cœur, puis aussi de ceux du diaphragme et des autres parties interieures. Car par exemple lors qu’il arriue que nostre sang est fort pur et bien temperé en sorte qu’il se dilate dans le cœur plus aysément et plus fort que de coustume, cela fait tendre les petits nerfs qui sont aux entrées de ses concauitez et les meut d’vne certaine façon qui respond jusques au cerueau et y excite nostre ame à sentir naturellement de la joye. Et toutefois et quantes que ces mesmes Le Gras, p. 462
Image haute résolution sur Gallica
nerfs sont meus en la mesme façon, bien que ce soit pour d’autre causes, ils excitent en nostre ame ce mesme sentiment de joye. Ainsi lors que nous pensons jouïr de quelque bien, l’imagination de cette jouïssance ne contient pas en soy le sentiment de la joye, mais elle fait que les esprits animaux passent du cerueau dans les muscles ausquels ces nerfs sont inserez, et faisant par ce moyen que les entrées du cœur se dilatent, elle fait aussi que ces nerfs se meuuent en la façon qui est instituée de la nature pour donner le sentiment de la joye. Ainsi lors qu’on nous dit quelque nouuelle, l’ame juge premierement si elle est bõne ou mauuaise, et la trouuant bõne elle s’en réjouït en elle-mesme d’vne joye qui est purement intellectuelle, et tellement independante des émotions du corps que les Stoïques n’ont pû la dénier à leur Sage bien qu’ils ayent voulu qu’il fust exempt de toute passion. Mais si tost que cette joye spirituelle vient de l’entendement en l’imagination elle fait que les esprits coulent du cerueau vers les muscles qui sont autour du cœur, et là excitent le mouuement des nerfs par lesquels est excité vn autre mouuement dans le cerueau qui AT IX-2, 312 donne à l’ame le sentiment ou la passion de la joye. Tout de mesme lors que le sang est si grossier qu’il ne coule et ne se dilate qu’à peine dans le cœur il Le Gras, p. 463
Image haute résolution sur Gallica
excite dans les mesmes nerfs vn mouuement tout autre que le precedent, et qui est institué de la nature pour donner à l’ame le sentiment de la tristesse, bien que souuent elle ne sçache pas elle-mesme ce que c’est qui fait qu’elle s’attriste ; Et toutes les autres causes qui meuuent ces nerfs en mesme façon donnent aussi à l’ame le mesme sentiment. Mais les autres mouuemẽs des mesmes nerfs luy font sentir d’autre passions, à sçauoir celles de l’amour, de la haine, de la crainte, de la colere, etc. entant que ce sont des sentimens ou passions de l’ame, c’est à dire entant que ce sont des pensées confuses que l’ame n’a pas de soy seule, mais de ce qu’estant estroitement vnie au corps elle reçoit l’impression des mouuemens qui se font en luy. Car il y a vne grande différence entre ces passions et les connoissances ou pensées distinctes que nous auons de ce qui doit estre aymé, ou haï, ou craint ettc. bien que souuent elles se trouuent ensemble. Les appetits naturels comme la faim, la soif et tous les autres sont aussi des sentimens excitez en l’ame par le moyen des nerfs de l’estomac du gosier, et des autres parties, et sont entierement differens de l’appétit ou de la volonté qu’on a de manger, de boire, et d’auoir tout ce que nous pensons estre propre à la conseruation de nostre corps, mais à cause que cét appetit ou Le Gras, p. 464
Image haute résolution sur Gallica
volonté les accompagne presque tous-jours on les a nommez des appetits.

CXCI. Des sens exterieurs et en premier lieu de l’attouchement. Pour ce qui est des sens exterieurs tout le monde a coustume d’en conter cinq à cause qu’il y a autant de diuers genres d’objets qui meuuent les nerfs, et que les impressions qui viennent de ces objets excitent en l’ame cinq diuers genres de pensées confuses. Le premier est l’attouchement qui a pour objet tous les corps qui peuuent mouuoir quelque partie de la chair ou de la peau de nostre corps, et pour organe tous les nerfs qui, se trouuans en cette partie de nostre corps participent à son mouuement. Ainsi les diuers corps qui touchent nostre peau meuuent les nerfs qui se terminent en elle d’vne façon par leur dureté, d’vne autre par leur chaleur, d’vne autre par leur humidité, etc. et ces nerfs excitent autant de diuers sentimens en l’ame qu’il y a de diuerses façons dont ils sont meus, ou dont leur mouuement ordinaire est empesché, à raison de quoy on a aussi attribué autant de diuerses qualitez à ces corps ; Et on a donné à ces qualitez les AT IX-2, 313 noms de dureté, pesanteur, chaleur, humidité et semblables, qui ne signifient autre chose sinon qu’il y a en ces corps ce qui est requis pour faire que nos nerfs excitent en nostre ame les sentimens de la dureté, pesanteur, chaleur, etc. Outre cela lors Le Gras, p. 465
Image haute résolution sur Gallica
que ces nerfs sont meus vn peu plus fort que de coustume et toutefois en telle sorte que nostre corps n’en est aucunement endommagé, cela fait que l’ame sent le chatoüillemẽt qui est aussi en elle vne pensée confuse ; et cette pensée luy est naturellement agreable d’autãt qu’elle luy rend tesmoignage de la force du corps auec lequel elle est jointe, en ce qu’il peut souffrir l’action qui cause ce chatoüillement sans estre offensé. Mais si cette mesme action a tant soit peu plus de force, en sorte qu’elle offense nostre corps en quelque façon cela donne à nostre ame le sentiment de la douleur. Et ainsi on voit pourquoy la volupté du corps et la douleur sont en l’ame des sentimens entierement contraires nonobstant que souuent l’vn suiue de l’autre et que leurs causes soient presques semblables.

CXCII. Du goust. Le sens qui est le plus grossier apres l’attouchement est le goust, lequel a pour organe les nerfs de la langue et des autres parties qui luy sont voisines, et pour objet les petites parties des corps terrestres lors qu’estant separées les vnes des autres elles nagent dans la saliue qui humecte le dedans de la bouche, car selon qu’elles sont differentes en figure en grosseur ou en mouuement elles agitent diuersement les extremitez de ces nerfs et par leur moyen font sentir à l’ame toutes sortes de gousts differents.

Le Gras, p. 466
Image haute résolution sur Gallica
CXCIII. De l’odorat. Le troisiéme est l’odorat qui a pour organe deux nerfs lesquels ne semblent estre que des parties du cerueau qui s’auancent vers le nez, pource qu’ils ne sortent point hors du crane ; Et il a pour objet les petites parties des corps terrestres qui estant separées les vnes des autres voltigent par l’air : Non pas toutes indifferemment, mais seulement celles qui sont assez subtiles et penetrantes pour entrer par les pores de l’os qu’on nomme spongieux lors qu’elles sont attirées auec l’air de la respiration, et aller mouuoir les extremitez de ces nerfs, ce qu’elles font en autant de differentes façons que nous sentons de differentes odeurs.

AT IX-2, 314 CXCIV. De l’ouye. Le quatriéme est l’ouye qui n’a pour objet que les diuers tremblemens de l’air, car il y a des nerfs au dedans des oreilles tellement attachez à trois petits os qui se soustiennent l’vn l’autre et dont le premier est appuyé contre la petite peau qui couure la concauité qu’on nomme le tambour de l’oreille, que tous les diuers tremblemens que l’air de dehors communique à cette peau sont rapportez à l’ame par ces nerfs et luy font ouyr autant de diuers sons.

CXCV. De la veuë. Enfin le plus subtil de tous les sens est celuy de la veuë car les nerfs optiques, qui en sont les organes, ne sont point meus par l’air ny Le Gras, p. 467
Image haute résolution sur Gallica
par les autres corps terrestres, mais seulement par les parties du second element qui passant par les pores de toutes les humeurs et peaux transparentes des yeux paruiennent jusques à ces nerfs, et selon les diuerses façons qu’elles se meuuent elles font sentir à l’ame toutes les diuersitez des couleurs et de la lumiere, comme j’ay des-ja expliqué assez au long dans la Dioptrique et dans les Meteores.

CXCVI. Comment on prouue que l’ame ne sent qu’entant qu’elle est dans le cerueau. Et on peut aisément prouuer que l’ame ne sent pas entant qu’elle est en chaque membre du corps, mais seulement entant qu’elle est dans le cerueau, où les nerfs par leurs mouuemens luy rapportent les diuerses actions des objets exterieurs qui touchent les parties du corps dans lesquelles ils sont inserez. Car premierement il y a plusieurs maladies qui bien qu’elles n’offencent que le cerueau seul ostent neantmoins l’vsage de tous les sens ; comme fait aussi le sommeil, ainsi que nous experimentons tous les jours, et toutefois il ne change rien que dans le cerueau. De plus encore qu’il n’y ait rien de mal disposé ny dans le cerueau ny dans les membres où sont les organes des sens exterieurs ; si seulement le mouuement de l’vn des nerfs qui s’estendent du cerueau jusques à ces membres est AT IX-2, 315 empesché en quelque endroit de l’espace qui est entre-deux, cela suffit pour oster Le Gras, p. 468
Image haute résolution sur Gallica
le sentiment à la partie du corps où sont les extremitez de ce nerf. Et outre cela nous sentons quelquefois de la douleur comme si elle estoit en quelques vns de nos membres, dont la cause n’est pas en ces membres où elle se sent mais en quelque lieu plus proche du cerueau par où passent les nerfs qui en donnent à l’ame le sentiment. Ce que je pourrois prouuer par plusieurs experiences, mais je me contenteray icy d’en mettre vne fort manifeste. On auoit coustume de bander les yeux à vne jeune fille lors que le Chirurgien la venoit penser d’vn mal qu’elle auoit à la main, à cause qu’elle n’en pouuoit supporter la veuë, et la gangrene s’estant mise à son mal on fut contraint du luy couper jusques à la moitié du bras, ce qu’on fit sans l’en auertir pource qu’on ne la vouloit pas attrister, et on luy attacha plusieurs linges liez l’vn sur l’autre en la place de ce qu’on auoit coupé, en sorte qu’elle demeura long-temps apres sans le sçauoir ; Et ce qui est en cecy remarquable, elle ne laissoit pas cependant d’auoir diuerses douleurs qu’elle pensoit estre dans la main qu’elle n’auoit plus, et de se plaindre de ce qu’elle sentoit tãtost en l’vn de ses doigts et tantost à l’autre. Dequoy on ne sçauroit donner d’autre raison sinon que les nerfs de sa main qui finissoient alors vers le coude y estoient meus Le Gras, p. 469
Image haute résolution sur Gallica
en la mesme façon qu’il auroient deu estre auparauant dans les extremitez de ses doigts pour faire auoir à l’ame dans le cerueau le sentiment de semblables douleurs ; Et cela montre évidemment que la douleur de la main n’est pas sentie par l’ame en tant qu’elle est dans la main, mais en tant qu’elle est dans le cerueau.

CXCVII. Comment on prouue qu’elle est de telle nature que le seul mouuement de quelque corps suffit pour luy dõner toute sorte de sentimens. On peut aussi prouuer fort aysément que nostre ame est de telle nature que les seuls mouuemens qui se font dans le corps sont suffisans pour luy faire auoir toutes sortes de pensées, sans qu’il soit besoin qu’il y ait en eux aucune chose qui ressemble à ce qu’ils luy font conceuoir, et particulierement qu’ils peuuent exciter en elle ces pensées confuses qui s’appellent des sentimens. Car premierement nous voyons que les paroles, soit proferées de la voix, soit écrites sur du papier luy font conceuoir toutes les choses qu’elles signifient, AT IX-2, 316 et luy donnent en suite diuerses passions. Sur vn mesme papier, auec la mesme plume, et la mesme ancre, en remuant tant soit peu le bout de la plume en certaine façon, vous tracez des lettres qui font imaginer des combats, des tempestes, ou des furies, à ceux qui les lisent, et qui les rendent indignez ou tristes ; au lieu que si vous remuez la plume d’vne autre façon presque semblable, la seule difference qui sera en ce peu de mouue- Le Gras, p. 470
Image haute résolution sur Gallica
ment leur peut donner des pensées toutes contraires de paix, de repos, de douceur, et exciter en eux des passions d’amour et de joye. Quelqu’vn respondra peut-estre que l’escriture et les paroles ne representent immediatemẽt à l’ame que la figure des lettres et leurs sons, en suite dequoy elle qui entend la signification de ces paroles excite en soy-mesme les imaginations et passions qui s’y rapportent. Mais que dira-t-on du chatoüillement et de la douleur : le seul mouuement dont vne espée coupe quelque partie de nostre peau nous fait sentir de la douleur sans nous faire sçauoir pour cela quel est le mouuement ou la figure de cette espée ; Et il est certain que l’idée que nous auons de cette douleur n’est pas moins differente du mouuement qui la cause, ou de celuy de la partie de nostre corps que l’espée coupe, que sont les idées que nous auons des couleurs, des sons, des odeurs ou des gousts. C’est pourquoy on peut conclure que nostre ame est de telle nature que les seuls mouuemens de quelques corps peuuent aussi bien exciter en elle tous ces diuers sentimens que celuy d’vne espée y excite de la douleur.

CXCVIII. Qu’il n’y a rien dans les corps qui puisse exciter en nous quelque sentimẽt excepté le mouuemẽt, la figure ou situation, et la grandeur de leurs parties. Outre cela nous ne sçaurions remarquer aucune difference entre les nerfs qui nous face juger que les uns puissent apporter au cerueau quelque autre chose que les autres bien qu’ils Le Gras, p. 471
Image haute résolution sur Gallica
causent en l’ame d’autres sentimens, ny aussi qu’ils y apportent aucune chose que les diuerses façons dont ils sont meus. Et l’experience nous montre quelquefois tres-clairement que les seuls mouuemens excitent en nous non seulement du chatoüillement et de la douleur, mais aussi des sons et de la lumiere. Car si nous receuons quelque coup en l’œil assez fort en sorte que le nerf optique en soit esbranlé, cela nous fait voir mille estincelles de feu qui ne sont point toutefois hors de nostre œil ; et quãd nous mettons le doigt vn peu auant en nostre oreille nous oyons vn bourdonnement dont la cause ne peut estre attribuée qu’à l’agitation de l’air que nous y AT IX-2, 317 tenons enfermé. Nous pouuons souuent aussi remarquer que la chaleur, la dureté, la pesanteur et les autres qualitez sensibles entant qu’elles sont dans les corps que nous appelons chauds, durs, pesans, etc. et mesme aussi les formes de ces corps qui sont purement materielles comme la forme du feu et semblables, y sont produites par le mouuement de quelques autres corps, et qu’elles produisent aussi par apres d’autres mouuemens en d’autres corps. Et nous pouuons fort bien conceuoir cõment le mouuement d’vn corps peut estre causé par celuy d’vn autre et diuersifié par la grandeur, la figure et la situation de ses parties, Le Gras, p. 472
Image haute résolution sur Gallica
mais nous ne sçaurions entendre en aucune façon comment ces mesmes choses à sçauoir la grandeur, la figure et le mouuement peuuent produire des natures entierement differentes des leurs, telles que sont celles des qualitez reelles et des formes substantielles que la plus part des Philosophes ont supposées estre dãs les corps, ny aussi comment ces formes ou qualitez estant dans vn corps peuuent auoir la force d’en mouuoir d’autres. Or puis que nous sauons que nostre ame est de telle nature que les diuers mouuemens de quelque corps suffisent pour luy faire auoir tous les diuers sentimens qu’elle a ; et que nous voyons bien par experience que plusieurs de ses sentimens sont veritablement causez par de tels mouuemens, mais que nous n’apperceuons point qu’aucune autre chose que ces mouuemens passe jamais par les organes des sens jusques au cerueau, nous auons sujet de conclure que nous n’apperceuons point aussi en aucune façon que tout ce qui est dans les objets que nous appelons leur lumiere, leurs couleurs, leurs odeurs, leurs gousts, leurs sons, leur chaleur ou froideur, et leurs autres qualitez qui se sentent par l’attouchement, et aussi ce que nous appelons leurs formes substantielles soit en eux autre chose que les diuerses figures, situations, grandeurs Le Gras, p. 473
Image haute résolution sur Gallica
et mouuemens de leurs parties qui sont tellement disposées qu’elles peuuent mouuoir nos nerfs en toutes les diuerses façons qui sont requises pour exciter en nostre ame tous les diuers sentimens qu’ils y excitent.

CXCIX. Qu’il n’y a aucun phainomene en la nature qui ne soit compris en ce qui a esté expliqué en ce traitté. Et ainsi je puis demonstrer, par vn denombrement tres-facile qu’il n’y a aucun phainomene en la nature dont l’explication ait esté obmise en ce traitté. Car il n’y a rien qu’on puisse mettre au nombre de ces phainomenes sinon ce que nous pouuons apperceuoir par AT IX-2, 318 l’entremise des sens, mais excepté le mouuement, la grandeur et la figure ou situation des parties de chaque corps, qui sont des choses que j’ay icy expliquées le plus exactement qu’il m’a esté possible, nous n’apperceuons rien hors de nous par le moyen de nos sens que la lumiere, les couleurs, les odeurs, les gousts, les sons et les qualitez de l’attouchement, de toutes lesquelles je viens de prouuer que nous n’apperceuons point aussi qu’elles soient rien hors de nostre pensée sinon les mouuemens, les grandeurs ou les figures de quelques corps ; Si bien que j’ay prouué qu’il n’y a rien en tout ce monde visible, entant qu’il est seulement visible ou sensible, sinon les choses que j’y ay expliquées.

CC. Que ce traitté ne contiẽt aussi aucuns principes qui n’ayent esté receus de tout tẽps de tout le monde, en sorte que cette Philosophie n’est pas nouuelle, mais la plus ancienne et la plus commune qui puisse estre. Mais je desire aussi qu’on remarque que bien que j’aye icy tasché de rendre raison de toutes Le Gras, p. 474
Image haute résolution sur Gallica
les choses materielles, je ne m’y suis neantmoins seruy d’aucun principe qui n’ait esté reçu et approuué par Aristote et par tous les autres Philosophes qui ont jamais esté au monde ; en sorte que cette Philosophie n’est point nouuelle mais la plus ancienne et la plus vulgaire qui puisse estre. Car je n’ay rien du tout consideré que la figure, le mouuement et la grandeur de chaque corps, ny examiné aucune autre chose que ce que les loix des mechaniques, dont la verité peut estre prouuée par vne infinité d’experiences, enseignent deuoir suiure de ce que des corps qui ont diuerses grandeurs ou figures ou mouuemens se rencontrent ensemble. Mais personne n’a jamais douté qu’il n’y eust des corps dans le monde qui ont diuerses grandeurs et figures et se meuuent diuersement selon les diuerses façons qu’ils se rencontrent, et mesme qui quelquefois se diuisent au moyen de quoy ils changent de figure et de grandeur. Nous experimentons la verité de cela tous les jours, non par le moyen d’vn seul sens, mais par le moyen de plusieurs à sçauoir de l’attouchement de la veuë et de l’ouye ; nostre imagination en reçoit des idées tres-distinctes, et nostre entendement, le conçoit tres-clairemẽt. Ce qui ne se peut dire d’aucune des autres choses qui tombent sous nos sens, comme sont les Le Gras, p. 475
Image haute résolution sur Gallica
couleurs, les odeurs, les sons et semblables, car chacune de ces choses ne touche qu’vn seul de nos sens, et n’imprime en nostre imagination qu’vne idée de soy qui est fort confuse, et enfin ne fait point connoistre à nostre entendement ce qu’elle est.

AT IX-2, 319 CCI. Qu’il est certain que les corps sẽsibles sont composez de parties insensibles. On dira peut-estre que je considere plusieurs parties en chaque corps qui sont si petites qu’elles ne peuuent estre senties ; Et je sçay bien que cela ne sera pas approuué par ceux qui prennent leurs sens pour la mesure des choses qui se peuuent connoistre. Mais c’est ce me semble faire grand tort au raisonnement humain de ne vouloir pas qu’il aille plus loin que les yeux. Et il n’y a personne qui puisse douter qu’il n’y ait des corps qui sont si petits qu’il ne peuuent estre apperceus par aucun de nos sens pourueu seulemẽt qu’il considere quels sont les corps qui sõt adjoustez à chaque fois aux choses qui s’augmentent continuellement peu à peu, et quels sont ceux qui sont ostez des choses qui diminuent en mesme façon. On voit tous les jours croistre les plantes et il est impossible de conceuoir comment elles deuiennent plus grandes qu’elles n’ont esté si on ne conçoit que quelque corps est adjousté au leur : mais qui est-ce qui a jamais pû remarquer par l’entremise des sens quels sont les petits corps qui sont adjoustez Le Gras, p. 476
Image haute résolution sur Gallica
en chaque moment à chaque partie d’vne plante qui croist ; Pour le moins entre les Philosophes ceux qui auoüent que les parties de la quãtité sont diuisibles à l’infiny, doiuent auoüer qu’en se diuisant elles peuuent deuenir si petites qu’elles ne seront aucunement sensibles. Et la raison qui nous empesche de pouuoir sentir les corps qui sont fort petits est éuidente car elle consiste en ce que tous les objets que nous sentons doiuent mouuoir quelques-vnes des parties de nostre corps qui seruent d’organes aux sens, c’est à dire quelques petits filets de nos nerfs, et que chacun de ces petits filets ayant quelque grosseur les corps qui sont beaucoup plus petits qu’eux n’ont point la force de les mouuoir. Ainsi estant assurez que chacun des corps que nous sentons est composé de plusieurs autres corps si petits que nous ne les sçaurions apperceuoir, il n’y a ce me semble personne, pourueu qu’il vueille vser de raison, qui ne doiue auoüer que c’est beaucoup mieux philosopher de juger de ce qui arriue en ces petits corps, que leur seule petitesse nous empesche de pouuoir sentir, par l’exemple de ce que nous voyons arriuer en ceux que nous sentons, et de rendre raison par ce moyen de tout ce qui est en la nature, ainsi que j’ay tasché de faire en ce traitté ; que pour rendre raison des mesmes Le Gras, p. 477
Image haute résolution sur Gallica
choses en inuenter je ne sçay quelles autres qui n’ont aucun rapport auec celles que nous sentons, comme sont la matiere premiere, les formes AT IX-2, 320 substantielles, et tout ce grand attirail de qualitez que plusieurs ont coustume de supposer, chacune desquelles peut plus difficilement estre connuë que toutes les choses qu’on pretend expliquer par leur moyen.

CCII. Que ces principes ne s’accordẽt point mieux auec ceux de Democrite qu’auec ceux d’Aristote ou des autres. Peut-estre aussi que quelqu’vn dira que Democrite a des-ja cy-deuant imaginé des petits corps qui auoient diuerses figures, grandeurs et mouuemens, par le diuers meslange desquels tous les corps sensibles estoient composez et que neantmoins sa Philosophie est cõmunément rejettée. A quoy je répons qu’elle n’a jamais esté rejettée de personne pource qu’il faisoit considerer des corps plus petits que ceux qui sont apperceus de nos sens, et qu’il leur attribuoit diuerses grandeurs, figures et mouuemens ; pource qu’il n’y a personne qui puisse douter qu’il n’y en ait veritablement de tels ainsi qu’il a des-ja esté prouué. Mais elle a esté rejettée premierement à cause qu’elle supposoit que ces petits corps estoient indiuisibles ; Ce que je rejette aussi entierement. Puis à cause qu’il imaginoit du vuide entre-deux ; Et je demonstre qu’il est impossible qu’il y en ait. Puis aussi à cause qu’il leur attribuoit de la pesanteur, Le Gras, p. 478
Image haute résolution sur Gallica
Et moy je nie qu’il y en ait en aucun corps entant qu’il est consideré seul, pource que c’est vne qualité qui depend du mutuel rapport que plusieurs corps ont les uns aux autres ; Puis enfin on a eu sujet de la rejetter à cause qu’il n’expliquoit point en particulier comment toutes choses auoient esté formées par la seule rencontre de ces petits corps, ou bien s’il l’expliquoit de quelques vnes, les raisons qu’il en donnoit ne dependoient pas tellement les vnes des autres que cela fit voir que toute la nature pouuoit estre expliquée en mesme façon. (au moins on ne peut le connoistre de ce qui nous a esté laissé par écrit de ses opinions) Mais je laisse à juger aux lecteurs si les raisons que j’ay mises en ce traitté se suiuẽt assez, et si on en peut déduire assez de choses. Et pource que la consideration des figures des grandeurs et des mouuemens a esté receuë par Aristote et par tous les autres aussi bien que par Democrite, et que je rejette tout ce que ce dernier a supposé outre cela, ainsi que je rejete generalement tout ce qui a esté supposé par les autres, il est éuident que cette façon de philosopher n’a pas plus d’affinité auec celle de Democrite qu’auec toutes les autres sectes particulieres.

AT IX-2, 321 CCIII. Comment on peut paruenir à la connoissance des figures, grandeurs et mouuemens des corps insensibles. Quelqu’vn derechef pourra demander d’où j’ay appris quelles sont les figures, grandeurs Le Gras, p. 479
Image haute résolution sur Gallica
et mouuemens des petites parties de chaque corps, plusieurs desquelles j’ay icy determinées tout de mesme que si je les auois veuës, bien qu’il soit certain que je n’ay pû les aperceuoir par l’ayde des sens, puis que j’aduouë qu’elles sont insensibles. A quoy je répons que j’ay premierement consideré en general toutes les notions claires et distinctes qui peuuent estre en nostre entendement touchant les choses matrielles, et que n’en ayant point trouué d’autres sinon celles que nous auons des figures des grandeurs, et des mouuemens, et des regles suiuant lesquelles ces trois choses peuuent estre diuersifiées l’vne par l’autre, lesquelles regles sont les principes de la Geométrie et des Mechaniques, j’ay jugé qu’il faloit necessairement que toute la connoissance que les hommes peuuent auoir de la nature fust tirée de cela seul, pource que toutes les autres notions que nous auons des choses sensibles, estant confuses et obscures, ne peuuent seruir à nous donner la connoissance d’aucune chose hors de nous mais plustost la peuuent empescher. En suite dequoi j’ai examiné toutes les principales differences qui se peuuent trouuer entre les figures, grandeurs et mouuemens de diuers corps que leur seule petitesse rend insensibles, et quels effets sensibles peuuent estre produits par les diuerses Le Gras, p. 480
Image haute résolution sur Gallica
façons dont ils se meslent ensemble ; Et par apres lors que j’ay rencontré de semblables effets dans les corps que nos sens aperçoiuent, j’ay pensé qu’ils auoient pû estre ainsi produits ; Puis j’ay creu qu’ils l’auoient infailliblement esté, lors qu’il m’a semblé estre impossible de trouuer en toute l’estenduë de la nature aucune autre cause capable de les produire. A quoy l’exemple de plusieurs corps composez par l’artifice des hommes m’a beaucoup seruy, car je ne reconnois aucune difference entre les machines que font les artisans et les diuers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dependent que de l’agencement de certains tuyaux ou ressorts ou autres instrumens qui deuant auoir quelque proportion auec les mains de ceux qui les font sont tous-jours si grands que leurs figures et mouuemens se peuuent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour estre apperceus de nos sens. Et il est certain que toutes les regles des Mechaniques appartiennent à la Physique, en sorte que toutes les choses qui sont AT IX-2, 322 artificielles sont auec cela naturelles. Car par exemple lors qu’vne montre marque les heures par le moyen des roües dont elles est faite, cela ne luy est pas moins naturel Le Gras, p. 481
Image haute résolution sur Gallica
qu’il est à vn arbre de produire ses fruits : c’est pourquoy en mesme façon qu’vn horologier en voyant vne montre qu’il n’a point faite peut ordinairement juger de quelques vnes de ses parties qu’il regarde quelles sont toutes les autres qu’il ne voit pas, ainsi en considerant les effets et les parties sensibles des corps naturels j’ay tasché de connoistre quelles doiuent estre celles de leurs parties qui sont insensibles.

CCIV. Que touchãt les choses que nos sens n’aperçoiuent point il suffit d’expliquer cõment elles peuuent estre ; Et que c’est tout ce qu’Aristote a tasché de faire. On repliquera encore à cecy, que bien que j’aye peut-estre imaginé des causes qui pourroient produire des effets semblables à ceux que nous voyons, nous ne deuons pas pour cela conclure que ceux que nous voyons sont produits par elles : Pource que comme vn horologier industrieux peut faire deux montres qui marquent les heures en mesme façon, et entre lesquelles il n’y ait aucune difference en ce qui paroist à l’exterieur, qui n’ayent toutefois rien de semblable en la composition de leurs roües : Ainsi il est certain que Dieu a vne infinité de diuers moyens par chacun desquels il peut auoir fait que toutes les choses de ce monde paroissent telles que maintenant elles paroissent, sans qu’il soit possible à l’esprit humain de connoistre lequel de tous ces moyens il a voulu employer à les faire. Ce que je ne fais aucune difficulté d’accorder : Et je croiray auoir assez Le Gras, p. 482
Image haute résolution sur Gallica
fait, si les causes que j’ai expliquées sont telles que tous les effets qu’elles peuuent produire se trouuent semblables à ceux que nous voyons dans le monde, sans m’enquerir si c’est par elles ou par d’autres qu’ils sont produits : Mesme je crois qu’il est aussi utile pour la vie de connoistre des causes ainsi imaginées que si on auait la connoissance des vrayes, car la Medecine, les Mechaniques et generalement tous les arts à quoy la connoissance de la Physique peut seruir n’ont pour fin que d’appliquer tellement quelques corps sensibles les uns aux autres que par la suite des causes naturelles quelques effets sensibles soient produits, ce que nous ferons tout aussi bien en considerant la suite de quelques causes ainsi imaginées, bien que fausses, que si elles estoient les vrayes, puis que cette suitte est supposée semblable en ce qui regarde les effets AT IX-2, 323 sensibles. Et afin qu’on ne pense pas qu’Aristote ait jamais pretendu de faire quelque chose de plus que cela, il dit luy-mesme au commencement du 7. chap. du premier liure de ses Meteores, que pour ce qui est des choses qui ne sont pas manifestes aux sens, il pense les démontrer suffisamment, et autant qu’on peut désirer auec raison, s’il fait seulement voir qu’elles peuuent estre telles qu’il les explique.

CCV. Que neantmoins on a vne certitude morale que toutes les choses de ce mõde sont telles, qu’il a esté icy demõstré qu’elles peuuent estre. Mais neantmoins afin que je ne face point de Le Gras, p. 483
Image haute résolution sur Gallica
tort à la verité en la supposant moins certaine qu’elle n’est je distingueray icy deux sortes de certitudes. La premiere est apelée morale c’est à dire suffisante pour regler nos mœurs, ou aussi grande que celle des choses dont nous n’auons point coustume de douter touchant la conduite de la vie, bien que nous sçachions qu’il se peut faire, absolument parlant, qu’elles soient fausses. Ainsi ceux qui n’ont jamais esté à Rome ne doutent point que ce ne soit vne ville en Italie, bien qu’il se pourroit faire que tous ceux desquels ils l’ont appris les ayent trompez. Et si quelqu’vn pour deuiner vn chiffre écrit auec les lettres ordinaires s’auise de lire vn B par tout où il y aura vn A, et de lire vn C par tout où il y aura vn B, et ainsi de substituer en la place de chaque lettre celle qui la suit en l’ordre de l’alphabet, et que le lisant en cette façon il y trouue des paroles qui ayent du sens, il ne doutera point que ce ne soit le vray sens de ce chiffre qu’il aura ainsi trouué, bien qu’ il se pourroit faire que celuy qui l’a écrit y en ait mis vn autre tout different en donnant vne autre signification à chaque lettre : car cela peut si difficilement arriuer, principalement lors que le chiffre contient beaucoup de mots, qu’il n’est pas moralement croyable. Or si on considère combien de diuerses proprietez de l’aymant du feu Le Gras, p. 484
Image haute résolution sur Gallica
et de toutes les autres choses qui sont au monde ont esté tres-euidemment déduites d’vn fort petit nombre de causes que j’ay proposées au commencement de ce traitté, encore mesme qu’on s’imagineroit que je les ai supposées par hazard et sans que la raison me les ait persuadées, on ne laissera pas d’auoir pour le moins autant de raison de juger qu’elles sont les vrayes causes de tout ce que j’en ay déduit, qu’on en a de croire qu’on a trouué le AT IX-2, 324 vray sens d’vn chiffre lors qu’on le voit suiure de la significatiõ qu’on a donnée par conjecture à chaque lettre. Car le nombre des lettres de l’alphabet est beaucoup plus grand que celuy des premieres causes que j’ay supposées ; et on n’a pas coustume de mettre tant de mots, ni mesme tant de lettres dans vn chiffre, que j’ai déduit de diuers effets de ces causes.

CCVI. Et mesme qu’on en a vne certitude plus que morale. L’autre sorte de certitude est lors que nous pensons qu’il n’est aucunement possible que la chose soit autre que nous la jugeons. Et elle est fondée sur vn principe de Metaphysique tres-assuré qui est que Dieu estant souuerainement bon, et la source de toute verité, puisque c’est luy qui nous a créez, il est certain que la puissance ou faculté qu’il nous a donné pour distinguer le vray d’auec le faux ne se trompe point lors que nous en usons bien, et qu’elle nous Le Gras, p. 485
Image haute résolution sur Gallica
monstre évidemment qu’vne chose est vraye. Ainsi cette certitude s’estend à tout ce qui est demonstré dans la Mathematique, car nous voyons clairement qu’il est impossible que deux et trois joins ensemble facent plus ou moins que cinq, ou qu’vn carré n’ait que trois costez et choses semblables. Elle s’estend aussi à la connoissance que nous auons qu’il y a des corps dans le monde, pour les raisons cy-dessus expliquées au commencement de la seconde partie ; Puis en suitte elle s’estend à toutes les choses qui peuuent estre demontrées touchant ces corps par les principes de la Mathematique ou par d’autres aussi éuidens et certains au nombre desquelles il me semble que celles que j’ay écrites en ce traitté doiuent estre receuës, au moins les principales et plus generales ; Et j’espere qu’elles le seront en effet par ceux qui les auront examinées en telle sorte, qu’ils verront clairement toute la suite des déductions que j’ay faites, et combien sont éuidens tous les principes desquels je me suis seruy principalement s’ils comprennent bien qu’il ne se peut faire que nous sentions aucun objet sinon par le moyen de quelque mouuement local que cét objet excite en nous ; et que les estoiles fixes ne peuuent exciter ainsi aucun mouuement en nos yeux sans mouuoir aussi en quelque façon toute Le Gras, p. 486 (420)
Image haute résolution sur Gallica
la naturematière qui est entr’elles et nous, d’où il suit tres-éuidemment que les cieux doiuent estre fluides, c’est à dire composez de petites parties qui se meuuent separement les vnes des autres, ou du moins AT IX-2, 325 qu’il doit y auoir en eux de telles parties : Car tout ce qu’on peut dire que j’ay supposé, et qui se trouue en l’article 46 de la troisième partie peut estre réduit à cela seul que les cieux sont fluides. En sorte que ce seul point estant reconnu pour suffisamment demontré par tous les effets de la lumiere, et la suite de toutes les autres choses que j’ay expliquées, je pense qu’on doit aussi reconnoistre que j’ay prouué par demonstration Mathematique toutes les choses que j’ay écrites au moins les plus generales qui concernent la fabrique du ciel et de la terre, et en la façon que je les ay écrites, car j’ay eu soin de proposer comme douteuses toutes celles que j’ay pensé l’estre.

CCVII. Mais que je soumets toutes mes opinions au jugement des plus sages et à l’authorité de l’Eglise. Toutefois à cause que je ne veux pas me fier trop à moy mesme je n’assure icy aucune chose et je soumets toutes mes opinions au jugement des plus sages et à l’authorité de l’Eglise, mesme je prie les Lecteurs de n’adjouster point du tout de foy à tout ce qu’ils trouueront icy écrit, mais seulement de l’examiner, et n’en receuoir que ce que la force et l’euidence de la raison les pourra contraindre de croire.

FIN.