La scolarisation en milieu dit “ordinaire” des élèves à besoins éducatifs particuliers, encouragée depuis 2005, reste un défi majeur pour la communauté éducative. Le pôle pilote de formation des enseignants et de recherche pour l’éducation “100% Inclusion, un Défi, un Territoire” (100% IDT) vise à concevoir et à déployer de nouveaux outils de formation et d’accompagnement, pour mettre en œuvre une politique d’éducation inclusive à la hauteur des ambitions. Rencontre avec Sandrine Rossi, professeure des universités en psychologie cognitive et de l’éducation, responsable scientifique du pôle pilote pour l’université de Caen Normandie.
Quels sont les enjeux du pôle pilote “100% Inclusion, un Défi, un Territoire” ?
Selon la loi de 2005 “pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées”, la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers s’effectue prioritairement dans l’établissement de secteur, en milieu dit “ordinaire”. De cette loi est né le principe de “l’école inclusive” : cette conception de l’enseignement tend vers l’inclusion scolaire de tous les élèves dans une approche universelle. L’école doit, dès lors, créer les conditions pour favoriser la réussite de tous les élèves, dans leur diversité, sans aucune distinction. Cette situation réinterroge inévitablement les pratiques des équipes enseignantes, confrontées à une diversité de profils dans les classes. L’inclusion est donc, aujourd’hui, un enjeu majeur de la formation initiale des enseignants et des personnels éducatifs. Cette démarche est au cœur du projet 100% IDT, débuté en 2020 : c’est en accompagnant, en formant et en outillant l’ensemble de la communauté éducative qu’on parviendra à faire émerger une école véritablement inclusive au bénéfice de chaque élève.
10 ans de recherches, 4 universités, 2 régions académiques, 6 actions… Le pôle pilote 100% IDT est un vaste projet !
Le projet joue la carte de la multidisciplinarité, en réunissant des spécialistes des sciences de l’éducation, d’économie, de sociologie ou encore de psychologie ; mais aussi de l’interprofessionnalité, en mobilisant toutes les parties prenantes (rectorats, universités, INSPÉ, établissements scolaires, associations) et en encourageant la collaboration entre les personnels de l’Éducation nationale, et des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Il fait également le pari du décloisonnement, en créant une dynamique structurante entre deux régions académiques –la Normandie et les Hauts-de-France. Ces deux régions se caractérisent par une forte vulnérabilité scolaire, avec un nombre conséquent d’élèves à besoins éducatifs particuliers, mais aussi avec un taux élevé de décrochage scolaire. Le projet est financé par le Programme des investissements d’avenir (PIA 3) pour une durée de 10 ans : c’est donc un projet qui se déroule sur le temps long pour intensifier la recherche sur l’éducation inclusive, développer la formation initiale et continue des enseignants, créer des ressources pédagogiques, les diffuser et les évaluer, et accélérer le transfert des résultats obtenus.
Quels sont les leviers pour améliorer les pratiques inclusives ?
Les équipes enseignantes se sentent souvent démunies dans la prise en compte des besoins particuliers de leurs élèves. Or, l’inclusion, ce n’est pas la différenciation pédagogique ; ce n’est pas la construction d’enseignements individualisés pour répondre aux troubles neurodéveloppementaux ou aux troubles spécifiques des apprentissages. L’inclusion, c’est penser sa classe compte tenu de la présence d’élèves à besoins éducatifs particuliers. Par exemple, on peut espacer les lettres pour pallier les difficultés neurovisuelles rencontrées par un élève dyslexique et ainsi améliorer le décodage de la lecture : cette adaptation peut être généralisée, en amont, à tous les supports, sans perturber la dynamique globale de la classe. L’idée du projet 100% IDT, c’est de former à l’inclusion et à l’adoption de nouveaux gestes professionnels.
UNICAEN pilote l’action 3, dédiée à la conception d’une offre de formation initiale et continue. Des actions de formation ont-elles déjà été déployées ?
L’action 3, sous la direction de Laurence Leroyer, maitre de conférences en sciences de l’éducation (CIRNEF), a débouché sur la mise en place de trois modules de formation à l’éducation inclusive à destination des personnes chargées d’enseignement en milieu universitaire. Ces modules sont d’ores et déjà disponibles dans le plan de formation proposé par le Centre d’enseignement multimédia universitaire (CEMU) et ont été essaimés dans les trois autres universités partenaires du projet – les universités de Rouen, d’Amiens, et de Lille. Pour autant, l’éducation inclusive ne relève pas uniquement du métier d’enseignant : il faut aussi favoriser les échanges avec les familles et les professionnels des secteurs du médical et du social pour encourager de nouvelles approches. J’ai ainsi participé, aux côtés de l’université de Lille, à la création d’une formation à l’interprofessionnalité (action 4). Cette formation a été co-construite avec les acteurs de terrain, puis déployée, évaluée, révisée et de nouveau déployée : nous travaillons désormais avec l’Académie de Normandie à son essaimage sur le territoire normand. D’une manière générale, les actions seront toutes proposées sur les deux territoires avant d’envisager, à terme, un déploiement plus large à l’échelle nationale. J’œuvre également à la création et l’évaluation de ressources pédagogiques inclusives (action 6). Avec Céline Lanoë, maître de conférences en psychologie du développement (LPCN), nous co-concevons un programme pédagogique aux côtés des personnels de l’Éducation nationale de l’Académie de Normandie pour favoriser, chez les élèves, l’autorégulation cognitive et comportementale ainsi que la métacognition. Ce programme est actuellement évalué dans des écoles caennaises par Odran Guilbert, doctorant financé par le pôle pilote et la Région Normandie.
Le projet 100 % IDT est aujourd’hui à mi-parcours. Quels sont les axes de développement à venir ?
Nous avons de nombreux projets de recherche en cours mais nous sommes toujours ouverts à de nouvelles collaborations – en particulier sur l’analyse des pratiques professionnelles. Ce projet dispose de moyens considérables et se construit sur le temps long – c’est rare, dans la recherche, d’avoir un temps long. C’est aussi une chance d’enrichir ses compétences scientifiques, en s’ouvrant à d’autres domaines. Il est donc toujours possible de rejoindre le projet pour œuvrer collectivement à l’inclusion de toutes et tous. Il y a tellement d’axes de recherche possibles !