HOMME ET LOUP

2000 ans d'histoire

English version

Les loups autour de Paris

 

Les loups sont entrés dans Paris
La Bête du Gâtinais (1652-1657)
De Versailles à Rambouillet : la bête de l'Yveline (1677-1683)
Les derniers loups mangeurs d'homme (1687-1699)
Notes et références

Les environs de Paris ont été en proie à des attaques de loups jusqu'à des périodes récentes. Du XVe au XVIIe siècle, Canis lupus y a fait des victimes, occasionnant, à plusieurs reprises, des épisodes dramatiques. Beaucoup d'attaques ont eu pour théâtre la partie méridionale de l'Île-de-France - le sud des Yvelines comme de la Seine-et-Marne et l'Essonne jusqu'à l'Eure-et-Loir et au Loiret.  D'autres ont pris place dans la capitale même ou à ses portes. L'importance du gibier entretenu par l'aristocratie et la richesse de l'élevage destiné aux consommateurs parisiens, l'étendue de la couverture forestière et la concentration de la population rurale, longtemps vulnérable, y ont maintenu le prédateur.

Les loups sont entrés dans Paris

À la fin de la guerre de Cent Ans, alors que s'entretuent Armagnacs et Bourguignons, les loups font leur entrée dans Paris. En juillet 1421, ils sont si « affamés » qu'ils déterrent une nourriture facile à prendre : les corps des gens qu'on vient d'inhumer aux villages et aux champs (voir document 1).  La nuit, les carnassiers pénètrent dans les « bonnes villes » et, à plusieurs reprises au moins, ils sévissent dans la capitale. L'été 1423, plusieurs d'entre eux sont capturés intra-muros mais le pire intervient entre 1436 et 1440. En région parisienne, on compte 60 à 80 victimes et dans le Valois les loups sortent des forêts pour courir la campagne plusieurs mois durant. L'été 1438, des loups entrent pour la seconde fois dans Paris étranglant et mangeant plusieurs personnes. Dans sa Chronique de Charles VII, Jehan Chartier souligne qu'alors il y « avait ès environs de Paris tant de loups que c'était merveille, lesquels mangeaient les gens ». En décembre 1438, ils y reviennent par la Seine, prennent les chiens et dévorent un enfant non loin des Halles. L'automne 1439, lors d'une quatrième incursion, ils font quatorze victimes fin septembre et les Parisiens ne respirent qu'après la destruction, en novembre, d'un « loup terrible et horrible » appelé « Courtaut » car il avait perdu sa queue. Pourtant, le mois suivant, les ravages reprennent lors de la cinquième vague d'attaques, causée peut-être par des loups enragés.

Lorsque Louis XI arrive sur le trône, les loups restent menaçants en région parisienne. Partout on s'affaire à les chasser. En 1461, alors que la reconstruction de l'Île-de-France s'est déjà engagée, 227 loups sont abattus officiellement dans la vicomté de Paris en à peine six mois : 157 animaux adultes sains, une louve enragée, 64 louveteaux et 5 louvettes.

On saisit assez bien l'extension des populations de loups. La multitude des petits massifs fo­restiers y contribue : dans la forêt de Séquigny - détruite depuis, sur Sainte-Geneviève-des-Bois -, se rassemblent 5 prises et on en compte 22 à Bondy, 4 à Champrosay - en lisière de la forêt de Sénart - et 16 « environ Montlhéry », dans le secteur des buttes boisées du Hurepoix. Mais, en dehors des régions forestières, les plateaux d'openfield sont touchés eux aussi : 8 loups sont abattus à Gonesse et 11 tout autour, 8 à Mitry, 3 à Châtenay-en-France, 2 à Thiais. De part et d'autre de la capitale, le Longboyau et la plaine de France sont alors parcourus par les loups.  Et il en va de même de la proche banlieue : 6 loups « entour Chaillot », 4 « environ la justice de Paris » - c'est-à-dire le gibet de Montfaucon -, 1 « environ Saint-Germain-des-Prés », secteurs encore ruraux aux portes de la capitale. Trois siècles après, on compte seulement 20 prises en moyenne au cours de l'an V et de l'an VI. En moyenne annuelle on serait passé de 450 captures environ à 20 ! Sous Charles VII, les en­virons de Paris rassemblaient vingt à trente fois plus de loups qu'à la fin de la Révolution. Épilogue à ces années noires, la fin des guerres de Religion, avec son cortège de destructions, rapporte le loup dans ses fourgons. En 1595, comme le remarque Pierre de l'Estoile dans ses Mémoires, un loup pénètre à Paris pour dévorer un enfant place de Grève : « chose prodigieuse et de mauvais présage » !

Ensuite, les menaces s'éloignent. Le 24 décembre 1692, alors qu'une vague de loups fait trembler le sud de la région parisienne, à l'ouest de Montlhéry, une petite fille de 15 ans, Angélique Michaut, est mordue par l'un d'entre eux à la messe de minuit à Villejuif. Aux portes de Paris, la consternation est générale et plus de 1 500 personnes se font toucher par le chevalier de saint-Hubert pour éviter la terrible maladie qui n'épargne pas la victime, décédée à Orly le 4 février suivant. Passé cet épisode, les loups ne sont plus qu'un spectacle pour les Parisiens. En novembre 1708 encore, les carrosses se pressaient au Bois de Boulogne pour assister à leur hallali : le Grand Dauphin venait les chasser, pour la dernière fois, au grand plaisir des dames de la capitale.

Documents 1. 1421-1439.Gardez-vous de Courtaud ! Les loups sont entrés dans Paris.

Source : Journal d'un bourgeois de Paris (1405-1449), éd. A. Tuetey, Paris, H. Champion, 1881.

 Juillet 1421 : «  En ce temps [peu après la Saint-Martin d'été, 4 juillet] étaient les loups si affamés qu'ils déterraient à leurs pattes les corps des gens qu'on enterrait aux villages et aux champs ; car partout où on allait, on trouvait des morts aux champs aux villes de la grand pauvreté qu'ils souffraient par la maldite guerre qui toujours croissait de mal en pire » (p. 154).

Fin juillet 1421 : «  En ce temps, étaient les loups si affamés qu'ils entraient de nuit ès bonnes villes et faisaient moult et divers dommages, et souvent passaient la rivière de Seine et plusieurs autres à nu ; et aux cimetières qui étaient aux champs, aussitôt que l'on avait enterré les corps, ils venaient par nuit et les dévoraient et les mangeaient  » (p. 156).

Fin juillet/début août 1423 : « En ce temps, venaient à Paris les loups toutes les nuits, et en prenait-on souvent trois ou quatre à une fois, et étaient portés parmi Paris pendus par les pieds de derrière, et leur donnait-on de l'argent grand foison » (p. 187).

Décembre 1438 : « En ce temps venaient les loups dedans Paris par la rivière et prenaient les chiens, et si mangèrent un enfant de nuit en la place aux Chats, derrière les Innocents » (p. 343).

Septembre 1439 « En celui temps, spécialement tant comme roi fut à Paris, furent les loups si enragés de manger chair d'homme, de femme ou d'enfants que en la dernière semaine de septembre étranglèrent et mangèrent quatorze personnes, que grands que petits, entre Montmartre et la porte Saint-Antoine, que dedans les vignes que dedans les marais ; et s'ils trouvaient un troupeau de bêtes, ils assaillaient le berger et laissaient les bêtes... ».

Novembre 1439 : « La vigile Saint-Martin [10 novembre] fut tant chassé un loup terrible et horrible que on disait que lui tout seul avait fait plus des douleurs devant dites que les autres ; celui jour fut pris et n'avait point de queue, et pour ce fut nommé Courtaut, et parlait autant de lui comme d'un larron de bois ou d'un cruel capitaine, et disait-on aux gens qui allaient aux champs : « Gardez-vous de Courtaut ! ». Icelui jour fut mis en une brouette, la gueule ouverte, et mené parmi Paris, et laissaient les gens toutes choses à faire, fut boire, fut manger, ou autre chose nécessaire que ce fut, pour aller voir Courtaut, et pour vrai, il leur valu plus de 10 francs la cueillette ».

Décembre 1439 : « Le xvie jour de décembre, vinrent les loups soudainement et étranglèrent quatre femmes ménagères, et le vendredi ensuivant ils en affolèrent dix-sept entour Paris, dont il en mourut onze de leur morsure » (p. 348-349).

La Bête du Gâtinais (1652-1657)

En 1652 les opérations militaires liées à la Fronde des Princes mettent les campagnes au sud de Paris à feu et à sang. Au lendemain du siège d'Étampes les cadavres laissés sans sépulture jonchent le plat pays. Le typhus et les maladies épidémiques gonflent les cimetières. Dans ce climat d'insécurité, quelques loups nécrophages s'accoutument à la chair humaine. Ils en viennent, d'après de nombreux témoins, à attaquer les plus faibles des vivants, parmi une population rurale misérable et désemparée (voir document 2 - 1) et(voir document 2 - 2). Dans une vingtaine de villages du Gâtinais, situés entre la forêt de Fontainebleau et les bois du Hurepoix méridional, à cheval sur les départements actuels de l'Essonne et de la Seine-et-Marne, la terreur est à son comble. Les victimes sont nombreuses (voir document 2 - 3).

Loin de se cantonner aux quelques mois de la fin de 1652 -  l'« année terrible » -, la durée effective des attaques se prolonge cinq ans. Plusieurs loups mangeurs d'hommes sont successivement détruits. Le 18 avril 1653, lorsque cessent enfin les ravages après la destruction d'une « bête venimeuse » en forme de loup, un récolement de témoins vient attester la fin de la tragédie. Entre autres témoins, Jean Bareau affirme avoir :

« ... vue ladite bête étant en forme de métir, qui avait le poil blond et le col blanc, se voulant jeter sur ledit Bereau pour le terrasser en venant de Milly audit Moigny, et est celle que l'on a tuée, après avoir vue et considéré il y a environ cinq à six semaines »

C'est ensuite l'imprimé qui s'empare du sujet en le surmontant d'une gravure allégorique destinée à effrayer les esprits.

Pour celle qui devient vite la « bête du Gâtinais », l'image est frappante et la mise en scène efficace. Au fond, un immense désert parsemé d'ossements et de débris de tout âge, grands et petits. Au milieu, un énorme animal, hybride de louve, d'ourse et de lionne, efflanqué, est  qualifié d' « horrible monstre ». Avec ses griffes d'acier il vient de déchirer la poitrine d'une femme morte et de couper la tête à son enfant. Les cheveux épars, les mains crispées, les vêtements en désordre de la malheureuse annoncent une longue lutte : mais le vainqueur est là, la patte sur ce corps que la vie a quitté tandis qu'au loin un animal que l'on identifie plus facilement comme un loup triomphe aussi sur le champ de bataille. D'autres congénères prennent le relais. Le 16 octobre 1655, le grand louvetier de France, Montmorin, marquis de Saint-Hérem est considéré comme un sauveur lorsqu'il détruit « cette vilaine bête ». Mais une autre sévit ensuite car les victimes retrouvées s'égrainent jusqu'en juillet 1657.

 

Dans l'histoire des «bêtes féroces » dont les populations rurales ont longtemps conservé la mémoire, celle du Gâtinais est la première à donner lieu à une importante documentation (voir document 2 - 4). Aujourd'hui, la base de données rassemble 58 victimes de cette bête retrouvées dans les registres paroissiaux (voir document 2 - 5).

Documents 2.

1.      Autour d'Étampes, après la levée du siège le 7 juin 1652 : des cadavres livrés à la nécrophagie des animaux

Source : René Hémard, La guerre d'Étampes en 1652, vers 1670, éd. Paul Pinson, 1884, chap. II, p. 23 (internet).

« Les armées ne furent pas plutôt retirées, que les fumiers, les haillons, les cadavres et les autres puanteurs infectant l'air, réduisirent presque la ville et les environs en un hôpital. Il se forma de vilaines mouches de grosseur prodigieuse, qui étaient inséparables des tables et des lits ; le plus charitable ami et le meilleur parent, étant malade lui-même, n'avait que le cœur de reste pour soulager les siens. C'était une grande pompe funèbre d'être traîné sur une brouette au cimetière, sans bière ni prêtres, au lieu desquels l'on entendit que les croassements en l'air d'oiseaux sinistres et carnassiers, inconnus jusqu'alors au pays, qui se rabattaient à tous moments, dans nos prés, nos terres et nos jardins, pour y faire curée de charognes mêlées des hommes et des bêtes. »

2. La désolation de la région rapportée à Saint-Vincent de Paul.

Source : Recueil des Relations  concernant ce qui s'est fait pur l'assistance des pauvres..., Paris, 1655.

« La misère est telle qu'elle ne se peut exprimer, la mortalité si grande que les cimetières sont trop petits pour recevoir les corps, les loups commencent à y chercher leur pâture et se sont déjà si affamés du sang de l'homme qu'une bête court par les villages voisins et a dévoré trois femmes. »

3. En plein cœur des opérations : 300 à 400 victimes d'après le curé de Videlles

Source : Arch. com. Videlles (Essonne), registre paroissiaux, année 1654.

« Livre des défunts de la paroisse de Saint Léonard de Videlles...  Le 16e du mois d'août 1654 décéda Marie Michaut, fille de Marin Michaut, et de Jeanne Goubé, après avoir été presque dévorée par une louve ravissante... Il est ici nécessaire de laisser ici par écrit, s'il était possible de le faire, le nombre des enfants, petits et grands, femmes même fortes et grandes, que deux bêtes farouches, loups ou louves, qui avaient mangé des corps morts au siège de la ville d'Étampes l'année 1652, [dévorèrent à] Videlles, Mondeville, Moigny, Courances, Dannemois, Soisy, Boutigny, La Ferté-Alais, Saint-Germain, Courdimanche et  jusque près de Milly et quantité d'autres paroisses que  je ne nomme pas. Il y eut bien trois ou quatre cent personnes mangées, dévorées, mises en pièces. Cela dura trois ou quatre années. »

4. La Bête vue par les mémorialistes : les mémoires de Madame de La Guette

Mémoires de Madame de La Guette écrits par elle-même, 2e éd., Paris, Mercure de France, 1982, coll. « Le Temps retrouvé », p. 161-164.

« Un grand loup cervier - sans doute y en avait-il plusieurs - causait par tout le pays une si grande consternation qu'on ne parlait que de la bête du Gâtinais comme d'une chose effroyable... Je me résolus de me retirer à ma maison de campagne, et, avant que d'y aller, je fus requérir mes filles, qui étaient Villechasson, dans le Gâtinais, justement dans le temps que cette misérable bête y dévorait tant de gens qu'une de mes parentes me dit qu'elle en avait déjà fait mourir plus de six cents de compte fait. Elle en voulait particulièrement aux femmes et aux filles, et leur mangeait les deux mamelles et le milieu du front, puis les laissait là. Cela causait par tout le pays une si grande consternation, qu'on ne parlait que de la bête du Gâtinais comme d'une chose effroyable. Quand je fus à Montereau-Fault-Yonne, il y eut des gens qui me voulurent donner l'épouvante de cet animal ; ce qui ne m'empêcha pas de passer outre avec ceux que j'avais menés. Je ne trouvai rien en chemin, qu'un grand nombre de personnes qui allaient par bandes, armées d'épieux, de fourches, de hallebardes, d'épées et de toutes sortes d'armes pour se défendre, en cas qu'ils eussent rencontré ce monstre ».

5. La première victime nommément désignée à Champcueil (Essonne):

Source : Arch. com. Champcueil (Essonne), registre paroissial, 1637-1749/vue 25.

« Le 17e août 1652 Marie Cochereau, femme de Philippe Gaillard, misérablement mangée et dévorée par la bête ravageant tout le pays ».

De Versailles à Rambouillet : la bête de l'Yveline (1677-1683)

D'octobre 1677 à février 1683, sur plus de cinq années, le sud-ouest de l'Île-de-France est plongé dans la terreur. Aux portes de Versailles, nouvelle capitale dont le roi Louis XIV fait achever la construction, femmes et enfants sont dévorés par des « espèces de loups » qui se hasardent jusque dans les villages. Près de 200 y laissent la vie dans des circonstances dramatiques et bien davantage subissent des blessures, plus ou moins graves (voir document 3). Ce sont 157 victimes retrouvées qui apparaissent dans la base de données. Malgré l'action de la louveterie et les chasses organisées sur place, la « bête » court toujours. Le 23 septembre 1682, de passage à Chartres à l'occasion de la naissance du duc de Bourgogne, le roi découvre l'ampleur du drame et accorde 900 livres aux familles de victimes.


Document 3. 190 actes de sépulture présentés à Louis XIV

Source : Archives communales de Bailleau-Armenonville, Inventaire des titres de l'église d'Armenonville-les-Gâtineaux (1638-1840)

« Nous devons faire mention de la désolation que causèrent 8 ou 10 lieues à la ronde une quantité de loups accoutumés à manger de la chair humaine depuis l'année 1680 jusqu'en 85. Comme ce fléau commença après que notre invincible monarque Louis le Grand eut donné la paix à tous ses ennemis, ennuyé qu'il était de vaincre, il est à supposer que ces misérables bêtes qui s'attaquaient plutôt aux hommes qu'aux bestiaux avaient suivi les armées et que s'étant nourries de soldats morts dans les combats, elles ne voulaient plus d'autre nourriture que de chair humaine, et dès lors on peut dire sans exagération que ces loups carnassiers dévorèrent plus de 500 personnes, mais beaucoup plus de femmes et d'enfants que d'hommes parce que, pour peu qu'on se défendît, ils se retiraient ; ce qui sauva la vie à une grande quantité d'hommes et même de femmes et d'enfants qui, ne sortant jamais de chez eux sans se munir de quelques ferrements avaient le courage de leur résister, et ce qui fit qu'il y en eut un très grand nombre de blessés.

Dont Sa Majesté fut touchée lorsqu'elle vint à Chartres en action de grâce de l'heureux accouchement de Madame la Dauphine et de la naissance de Mr le duc de Bourgogne, car ayant eu l'honneur d'être choisi pour faire une recherche seulement à 3 lieues des environs d'Armenonville, l'on présenta au roi les extraits d'enterrements d'ossements de 190 sans y comprendre les blessés, auxquels S. M. fit distribuer une somme de 900 livres, et en même temps ordonna au grand maître de sa louveterie de faire incessamment chasser pour détruire ces désolantes bêtes, ce qui ne peut être fini que longtemps après. Les bonnes gens voulaient que ce fussent des sorciers, soit parce qu'elles attaquaient et dévoraient des personnes à divers endroits au même jour, soit parce que souvent elles s'échappaient des embuscades qu'on leur faisait et passaient au milieu des personnes qu'on postait autour des bois sans qu'on osât les tirer, parce que la peur faisait souvent tomber les armes de la main à bien des gens inusités à les porter.

J'assistai, avec Mr Bruneau, curé de Villiers [le-Morhier], à la prise d'un, que je fis poursuivre par les habitants de Gallardon et les miens dans la vallée qui est entre eux et nous, pour s'être voulu jeter sur un particulier ; et comme cet animal se vit fortement poussé par les taillis de cette vallée, il fut obligé d'en sortir pour gagner le petit bois de Herleville, où ce que nous étions de gens à cheval le poursuivîmes vigoureusement, et plus que personne ledit curé de Villiers qui, étant avantageusement monté, mais sans autres armes que son bâton ferré et l'ayant joint avant qu'il fut parvenu audit bois, lui enfonça heureusement sur le milieu du dos ; de quoi cet animal se sentant mortellement blessé se l'arracha et le grugea en deux ; après quoi, tout hérissé et écumant de rage, faisant ses efforts pour gagner ledit taillis, le sieur curé descendant de cheval, et prenant le reste de son bâton lui relança une seconde fois avec un pareil succès, dont son pas fut tout à fait modéré, et le sieur Delacroix, bourgeois de Gallardon, l'ayant devancé, lui tira un coup de fusil qui le mit à bas. »

 

Les derniers loups mangeurs d'homme (1687-1699)

Jusqu'à la fin du xviie siècle, la présence du loup fait planer des menaces spasmodiques sur la sécurité des populations du sud de l'Île-de-France. De 1687 à 1695, s'allume au nord-ouest de Chartres, un foyer d'attaques sur l'homme. Une « bête féroce », d'une « espèce inconnue » sème la terreur aux confins de la Gâtine et du Thymerais. Des morts tragiques endeuillent les villages, frappant les enfants (12 cas), comme toujours mais aussi des adolescentes (7 filles de 15 à 19 ans) et, ce qui est moins courant, des adultes (1 homme et 17 femmes de 20 à 60 ans). L'éventail des victimes qu'affectionne le prédateur signale, parmi les loups mangeurs d'hommes, un type de comportement spécialisé. Le bois de Bailleau-l'Évêque est au cœur de ses incursions. Bien vite il devient, pour les gens du pays, « La bête de Bailleau ». Le 18 mars 1694, c'est ainsi qu'il est qualifié lorsqu'il surgit aux portes de Chartres, dans le faubourg Saint-Maurice en égorgeant, Lubine Pelletier, la femme d'un charretier, âgée de 40 ans.

À ce moment, une autre zone était rentrée dans la hantise des agressions de loups. Frappant à nouveau la région d'Auneau et de Gallardon, au sud des forêts de l'Yveline, « la bête » s'en prend plus traditionnellement aux enfants qui constituent la totalité des 37 morts retrouvés de 1690 à 1695. Un court instant le danger se rapproche de la capitale puisque le 1er décembre 1692 l'intendant de Paris reçoit l'ordre  de procéder à des battues aux environs de Montlhéry pour tuer « le loup qui mange les enfants ». De fait, du 29 octobre 1692 (Fontenay-lès-Briis)  au 9 mars 1693 (Bures-sur-Yvette), les villages du Hurepoix qui jouxtent à l'est la forêt de l'Yveline sont en état d'alarme. De quelques jeunes gardiennes de vaches, comme Marie Mignet, à Saint-Jean-de-Beauregard, il ne retrouve que la tête (voir document 4). Particulièrement voraces, les animaux prédateurs - deux « bêtes fauves » à Bures -  n'ont laissé, dans tous les cas retrouvés que très peu de restes à enterrer : encore une fois cette indication suggère, une spécialisation chez les agresseurs.

Documents 4. De simples têtes à enterrer

Source : Arch. dép. Essonne, état civil, registre de Saint-Jean-de-Beauregard, BMS 1692-1751 vue 4.

« Ce jourd'hui 3e jour du mois de février 1693 a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse une partie de la tête de Marie Mignet, qui a été trouvée dans les dans les bois de Marcoussis où elle a été dévorée par les loups en gardant les vaches le premier jour dudit mois, âgée de 11 ans ou environ, fille légitime de Jean Mignet et de défunte Claude Laurens. »

 

Source : Arch. dép. Essonne, état civil, registre de Bures-sur-Yvette BMS 1688-1714 vue 111.

« L'an de grâce 1693, le mardi 10e jour du mois de mars, a été inhumé dans la nef de l'église de cette paroisse de Bures, la teste d'Élisabeth Boëte, avec une côte et quelques boyaux ou intestins, âgée de 8 ans ou environ, fille de Thomas Boëte, le r

este du corps ayant été mangé par deux bêtes fauves dans les bois de Montjay, paroisse dudit Bures, le lundi 9e jour dudit mois. »

Un coup d'arrêt à la prolifération des loups : les chasses du Grand Dauphin

Jusqu'au début  du xviiie siècle les loups ont été bien présents aux environs de Paris. Les Bourbons, en y consacrant de nombreuses journées de chasse, en fournissent des preuves éclatantes, notamment le roi Louis XIII puis, à la fin du xviie siècle, le Grand-Dauphin.

Louis XIII chasseur de loups autour de Paris

Dès l'année 1610, quatre mois après la mort de son père, le jeune Louis XIII fait courir deux louveteaux par ses petits chiens aux Tuileries le 23 septembre : il n'a encore que 9 ans. Juste au nord de la capitale, la plaine de France est alors un repaire de loups. Une décennie plus tard ils stimulent l'énergie du monarque, devenu cavalier hors pair et chasseur infatigable. Le 11 mars 1623, Louis XIII court le loup le matin au Plessis-au-Bois (Seine-et-Marne) puis y revient l'après-midi autour de Louvres-en-Parisis (Val-d'Oise). Il recommence le lendemain. Le 26 mars 1624, après avoir pris deux cerfs, le roi chasse le canidé et en force deux avant de terminer la journée par une chasse au renard ! Le 8 avril, c'est à Moussy-le-Neuf (Val-d'Oise) qu'on le retrouve. Des bois de la Goële et des forêts du Valois, les meutes de loups repeuplaient donc régulièrement la vaste plaine de France, qui étalait ses champs de céréalesau nord de Paris2. Mais il est présent en pleine Beauce aussi. Le 25 septembre 1627, remis de maladie, le monarque prend un loup « d'une excessive grandeur » à Janville et, le lendemain, il remonte à cheval pour chasser le loup et le renard avant de gagner le Val de Loire puis La Rochelle3. Un an après la prise de la cité protestante, une attaque de « goutte » ne l'empêche pas de courre le loup le 25 novembre 1629 à Livry, aux portes de Paris. À Saint-Maur, le roi mène la reine à la chasse prendre cinq loups le 12 septembre 1637. Le 7 octobre 1640 encore, il confie au cardinal de Richelieu son vif désir d'aller poursuivre le carnassier, si présent aux portes de Meaux :

« Je vous écris de billet pour savoir de vous s'il n'y a point d'affaires qui me puissent empêcher d'aller mardi à Monceaux, où il y a quatre ans que je n'ai été, où on me mande qu'il y a grande quantité de loups ; vous savez que j'aime bien fort cette chasse4. »

Le Grand-Dauphin : recordman des chasseurs de loups

Après Louis XIII, la densité des loups reste encore forte. L'une des meilleures illustrations est fournie par le tableau de chasse du Grand Dauphin, le fils de Louis XIV. Du 12 juillet 1684 au 16 janvier 1711, Monseigneur courut 1 027 chasses au loup que le marquis de Dangeau a enregistrées dans son Journal. Si l'on excepte Chambord où il n'est venu que cinq fois en 1684 et 1685, toute son activité cynégétique s'est concentrée sur l'Île-de-France. Sur ces 1 022 journées (ou demi-journées) consacrées à poursuivre le prédateur, 61 furent infruc­tueuses : il n'y avait point de loup « détourné » ou bien « on  n'en trouva point ». Toutefois les autres furent couronnées de succès et, dans certains cas, il y eut plusieurs prises : six loups le 10 novembre 1684 et deux le 24 octobre 1687 à Fontainebleau. 

Le tableau de chasse auquel on aboutit - un millier de loups abattus - est d'autant plus impressionnant qu'il ne s'agissait que de sujets adultes et que ces vingt-six années furent interrompues par bien d'autres obligations qui s'imposaient au Dauphin. Pour un personnage de sa situation, elles ne manquaient pas : campagnes militaires sur les frontières du Nord, présence nécessaire aux côtés du roi lors des grandes fêtes et des chasses au cerf ou au sanglier qu'il préférait, et ponctuellement, problèmes de santé ou gelées trop rudes pour sortir l'équipage. En 1686, année pour laquelle Monseigneur put consacrer à son « divertissement »  le plus de temps possible, il sortit 101 fois et 101 fois il revint victorieux. Si l'on observe la répartition géographique de toutes ses chasses, on constate que 78 % d'entre-elles (786/1022) se sont déroulées, en tout ou en partie, à moins de 25 km du cœur de Paris (tableau 1).

Tableau 1.

Les loups autour de Paris à la fin du xviie siècle

Répartition des 1 022 chasses du Grand Dauphin (1684-1711)

Source : Journal du marquis de Dangeau

Lieu

Nombre de chasses

Distance/Notre-Dame (en km)

Anet (forêt de Dreux)

14

65

Bois de Boulogne

5

7,5

Rueil (Buzenval)

1

8

Chantilly

2

37

Compiègne

6

65

Vaux-de-Cernay (Les)

4

37

Fontainebleau (forêt)

181

57

Poissy (bois de l'Authie)

7

30

Lévis-Saint-Nom

1

30

Livry (forêt de Bondy)

20

15

Maintenon

1

62

Marcoussis

2

25

Marly-le-Roi (environs)

132

21

Meudon

35

9

Montmorency

4

18

Montfort-l'Amaury

5

40

Rambouillet

2

45

Saint-Germain-en-Laye

57

21

Saint-Léger-en-Yvelines

3

44

Saint-Maur-des-Fossés

1

14

Sainte-Geneviève-des-Bois
(forêt de Séquigny)

3

25

Sénart (forêt)

106

24

Trappes

1

25

Verrières-le-Buisson

12

13

Versailles (environs)

417

20

L'implantation des résidences royales favorisait une aussi forte concen­­tration : de Versailles, le Grand Dauphin est sorti à 417 re­prises, de Marly 132 fois et de son château de Meudon, 35 autres au moins car, sur ces séjours, le marquis de Dangeau est souvent lacu­naire. Cependant, Monseigneur n'hésitait pas à demander l'hospi­talité à quelques grands personnages pour se rapprocher d'autres lieux de chasse comme la forêt de Sénart ou celle de Livry. Et les loups y étaient bien présents. Ils s'aventuraient encore jusqu'aux portes de la capitale puisqu'à cinq reprises le fils de Louis XIV va les chasser dans le bois de Boulogne. Dans les dernières années de sa vie, lorsqu'il allait « courre » au bois, le déplacement attirait bien des curiosités.  Le 9 novembre 1708, « il vint beaucoup de dames de Paris pour voir la chasse qui fut très belle ». Trois jours plus tard, Monseigneur repartait de Meudon et regagnait le bois de Boulogne pour aller débusquer « un loup qui y était demeuré ». En vue de ne rien perdre du spectacle, les carrosses s'y pressaient de toutes parts. En ce début du xviiie siècle, les loups n'étaient plus très nombreux autour de Paris. Il est vrai que la passion d'un chasseur comme le Grand Dauphin avait contribué à les raréfier : dans les dix der­nières années de son activité, trente-deux sorties furent même infructueuses soit deux fois plus qu'avant 1700. Par rapport aux années 1680 où Canis lupus était si nombreux, le déclin est sensible. Il paraît si manifeste que le Mercure de France n'hésite pas à écrire en janvier 1688 :

« En France, on ne voit que des loups pour tous animaux féroces. Il n'y en a plus guère présentement aux environs de Paris : Monseigneur le Dauphin les en a purgés. »

Cependant, le jugement était trop rapide. Dans les environs de Paris l'équipage du Grand Dauphin ne suffisait pas pour éradiquer les loups qui profitèrent d'un repli de la pression cynégétique causée par le départ de leur chef, appelé à participer à la guerre de la Ligue d'Augsbourg, sur le front du Nord, cinq années de suite, entre mai et octobre, de 1690 à 1694. Avec une vingtaine de sorties annuelles consacrées à courir le loup, le fils du Grand roi a réduit de moitié ses activités. Ainsi, malgré l'essor relatif des chasses infructueuses - que l'on peut interpréter, pour l'essentiel, comme une raréfaction de l'espèce -, le loup n'avait pas déserté l'Île-de-France lorsque succombe son pire ennemi le 14 avril 1711 dans son château de Meudon (tableau 2).

Tableau 2.

Un indicateur relatif de la régression des loups autour de Paris :

Les chasses infructueuses du Grand Dauphin

Source : Journal de Dangeau

Période

Ensemble des chasses (1)

Chasses heureuses
 (2)

Chasses infructueuses (3)

(3)/(1)

1685-1689

287

280

7

2,4 %

1690-1694

113

105

8

7 %

1695-1699

193

183

10

5,2 %

1700-1704

236

212

24

10,2 %

1705-1709

126

118

8

6,8 %


Notes et références

1 BNF Estampes, coll. Michel Hennin.
2 Ibid, 1989, p. 2887-2897.
3 Ibid, 1989, p. 3026.
4 Lettres à Richelieu d'après Comte de Chabot, La Chasse à travers les âges..., 1898, p. 167.