Dossier : L’Écriture, entre rupture et continuité


Un aspect de la concordance dans Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes et Romances sans Paroles de Verlaine : l’hémistiche et le syntagme

Éliane Delente

Université de Caen Basse-Normandie

eliane.delente@unicaen.fr

Résumé : Cet article est consacré à l'évaluation de la concordance entre structure métrique et structure syntactico-sémantique dans les trois premiers recueils de Verlaine : Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes et Romances sans paroles. L'étude s'attache à examiner sytématiquement, dans les 6-6v, la concordance entre hémistiche et syntagmes nominaux avec adjectifs épithètes. On observe une corrélation entre deux phénomènes : une frontière d'hémistiche franchie par ce type de syntagme et un hémistiche 2 discordant entraînent souvent, simultanément à l'interprétation 6-6v, la possibilité d'un autre traitement métrique.

Abstract : This paper aims at assessing the concordance between metric structure and syntactic-semantic structure in the three first collections of Verlaine : Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes and Romances sans paroles. This study will consistently examine the concordance between hemistichs and nouns phrases with epithetic adjectives in twelvesyllabes verses. We intend to show a correlation between two phenomena : a boundary crossed by this type of phrase and a discordance in the second hemistich often lead to the possibility of another metric treatment alongside the common 6+6 meter structure.

L’étude de la concordance entre structuration métrique et organisation syntactico-sémantique d’un texte versifié est sans doute une des questions les plus difficiles aujourd’hui. Brièvement, on peut considérer que la concordance présente des caractéristiques non périodiques, qui s’expriment sous forme de forte tendance affectant l’organisation rythmique des textes métriques français.

L’étude de la concordance entre les structures métriques et les structures linguistiques ne doit pas s’appliquer aux seuls cas de discordance répertoriés dans les traités de versification. C’est aussi l’étude des cas plus nombreux mais plus difficiles à cerner où l’association entre les unités métriques et les unités linguistiques est à mi-chemin entre la concordance maximale et la discordance flagrante.

Cette étude pose d’emblée la question des unités d’analyse à retenir [1] . Le texte versifié étant structuré rythmiquement, et ceci dans son intégralité, on s’attend alors à ce qu’une étude rythmique s’attache à des objets rythmiques c’est-à-dire des formes rythmiques que le lecteur construit mentalement. La construction de formes rythmiques donne naissance à des formes « globales et synchroniques » pour reprendre les termes de Cornulier [2] , exprimables en termes de longueur : un 8v, un 6-6v etc. C’est pourquoi fonder le point de départ d’une étude de la concordance sur une unité grammaticale – la phrase par exemple comme dans certaines études actuelles – ne nous paraît pas satisfaisant. En effet, pour reprendre un argument avancé par Cornulier [3] (2003), quand la phrase « se répartit contextuellement en deux morceaux de vers, elle n’est pas en elle-même, dans son unité, un objet rythmique ». Soit l’exemple (1) :

(1) Depuis huit jours je règne. Et jusques à ce jour
Qu’ai-je
fait pour l’honneur ? J’ai tout fait pour l’amour.
(phrase prononcée par Titus, Bérénice)

L’expression «Et jusques à ce jour / Qu’ai-je fait pour l’honneur ? » met en jeu des unités de nature grammaticale, une phrase, et de nature rythmique, deux hémistiches, dont chacun est associé à un constituant de la phrase. Il faut alors conclure qu’une notion comme celle de « phrase de n syllabes » n’a pas de pertinence rythmique, pas plus que la succession de l’hémistiche 2 d’un vers et de l’hémistiche 1 du vers suivant ne constitue une unité rythmique (métrique).

Notre propos est donc d’aborder une analyse rythmique s’attachant à des objets sentis, reconnus ou encore construits par le lecteur comme rythmiques. Pour aborder l’évaluation de la concordance, je me fonde sur Cornulier [4] qui montre clairement que cette question implique une comparaison de la structure syntaxique-sémantique avec, non pas la séquence métrique mais l’expression métrique (hémistiche et vers).

La division en sous-vers obéit à un principe de Concordance optimale qui explique que le traitement mental auquel le lecteur se livre sur un texte métrique est guidé par la recherche d’expressions métriques (sous-vers, vers, modules, strophes) qui soient le plus cohérentes possibles : ceci implique que les frontières d’unités métriques tendent à coïncider le plus souvent avec les frontières des expressions linguistiques, le repérage des frontières d’unités ayant pour contrepartie positive la cohérence interne de ces unités.

Pour évaluer la concordance, on dispose aujourd’hui de deux méthodes d’analyse ponctuelles et locales, portant sur des points de vue limités certes mais fiables, reproductibles et permettant une exploitation statistique :

1- la métricométrie qui consiste à repérer dans le vers des éléments prosodiques et morpho-syntaxiques inaptes à conclure un séquence métrique ; ainsi des e féminins, des prépositions monosyllabiques, des clitiques et des voyelles prétoniques.

En conformité avec un principe prosodique du français, les e féminins ont un statut non conclusif. Soit l’exemple 2 (fabriqué), qu’on ne rencontre pas avant les années 1870 :

(2) Je viens dans son temple pour prier l’Éternel

Certains éléments morpho-syntaxiques ont un fonctionnement sémantique suspensif : les voyelles prétoniques (exemple 3), les prépositions monosyllabiques (exemple 4) et les clitiques [5] (exemple (5) quand ils sont immédiatement suivis de leur base :

(3) Oui je viens dans sa maison pour voir Adeline
(4) Viens dans son temple pouradorer l’Éternel
(5) Oui, je viendrai dans sontemple pour l’adorer

2- la ponctuométrie qui permet de repérer et quantifier la ponctuation interne et finale des expressions métriques : hémistiches, vers, modules de strophes et strophes.

Ces deux méthodes d’analyse, pour précieuses et fiables qu’elles soient, sont pourtant insuffisantes pour évaluer la concordance des unités métriques et des unités linguistiques. Il est deux cas qu’elles échouent à repérer :

– Une frontière d’hémistiche peu naturelle peut malgré tout produire un H2 consistant, cohérent (exemples 6 et 7) :

(6) Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers (Verlaine, « Effets de nuit », Poèmes Saturniens)
(7) En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur, (Verlaine, « Prologue », Poèmes Saturniens)

Les H2 de (6) et (7) sont concordants puisque H2 de (6) coïncide avec un syntagme prépositionnel, H2 de (7) avec un syntagme nominal.

– Une césure tout-à-fait naturelle et marquée (importante) peut malgré tout produire un H2 divergent (exemple (8) emprunté à Cornulier :

(8)Waterloo ! Waterloo ! - Waterloo ! morne plaine (Hugo)

D’où la nécessité d’ajouter à ces deux méthodes d’analyse – la métricométrie et la ponctuométrie – un examen systématique de la consistance interne des unités métriques. Voici quelques vers de R. Roussel [6] qui illustrent parfaitement que le respect des contraintes métriques à la césure et à la rime ne suffit pas à induire chez le lecteur un traitement rythmique immédiat et évident :

         Une robe de soie
cossaise, un chapeau de velours ; pour une oie
Pareille, c’est vraiment trop fort ! si c’est permis,
Quand quatre mois avant elle avait un commis
Du Louvre pour payer ses dettes.         (v. 727-731)

Les voyelles conclusives de sous-vers (hémistiches) et vers (en gras) respectent les contraintes métriques classiques ; pour autant, il est concevable que le lecteur tâtonne et hésite à reconnaître sans ambiguïté des formes rythmiques 6-6 équivalentes, à cause du défaut de concordance.

On sait aujourd’hui que les unités métriques, quelles qu’elles soient, sont d’autant plus concordantes qu’elles concluent une unité métrique supérieure : H2 conclut le vers, le vers 2 d’un distique conclut le distique ; le dernier module de la strophe conclut la strophe. S’il en est ainsi, on peut dire que la concordance différée à l’époque classique tend à se faire, le plus souvent, selon une voie hiérarchique ascendante mais non descendante : elle se fait préférentiellement, non à la prochaine unité métrique, mais à la première unité métrique supérieure. La concordance obéit donc à un principe hiérarchique s’imposant à la linéarité du discours. Elle peut et doit être l’objet d’un examen systématique sur corpus des différentes unités métriques : hémistiche, vers, modules de strophes et strophes. On peut reprocher à l’étude de corpus, en s’attachant à une unité métrique – le vers par exemple – de l’extraire ainsi de son contexte. Pourtant, le texte versifié constitue un matériau qui relève de la temporalité ce qui implique que, par exemple, dans la suite :

Mais si faut-il mourir et la vie orgueilleuse
Qui brave de la mort sentira ses fureurs (« Sonnets de la mort », Jean de Sponde)

s’il est vrai que le syntagme nominal coïncidant avec H2 du vers 1 « et la vie orgueilleuse » n’est pas complet et se poursuit dans le vers suivant, on doit néanmoins tenir compte du fait qu’en temps de lecture, « et la vie orgueilleuse » est d’abord traité comme un SN, au moins provisoirement. L’unité grammaticale coïncidant avec un hémistiche, fût-ce provisoirement, coïncide avec cet hémistiche, selon la temporalité de lecture qui probablement procède par étapes successives, avec révision éventuelle de l’analyse au fur et à mesure du traitement de chaque nouvelle unité métrique. Provisoirement, l’expression « et la vie orgueilleuse »est traitée comme un syntagme nominal complet. L’étape suivante consistera pour le lecteur, au fur et à mesure qu’il découvre le second vers, à réviser cette analyse en intégrant à ce SN son expansion, point qui sera fait à la fin du vers suivant.

Dans le cadre présenté ci-dessus, je me propose donc d’étudier le principe de concordance dans les trois premiers recueils de Verlaine : Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes et Romances sans paroles [7] . Nombreux sont les aspects du principe de Concordance optimale [8] . C’est le croisement de deux phénomènes qui nous a conduit au choix de l’aspect à étudier.

Premièrement, Beaudouin [9] a montré que chez Racine et Corneille, le nom est la catégorie syntaxique qui, pour près de la moitié des vers, « l’emporte très largement en position 6 et 12 ». L’auteur note encore [10] (2002, 302-305) que la répartition des catégories syntaxiques, bien que semblable dans les deux hémistiches, diffère cependant sur un seul point : les noms et les adjectifs sont plus fréquents dans le second hémistiche, tandis que les verbes, adverbes et noms propres apparaissent plus fréquemment dans le premier hémistiche. Enfin, les verbes y « apparaissent surtout sur les positions centrales ».

Deuxièmement, on sait que le principe de concordance optimale s’exerce prioritairement sur les unités conclusives (H2 pour le vers).

Si l’on croise ces deux phénomènes, on est alors conduit à considérer cette hypothèse selon laquelle le nom et l’adjectif jouent un rôle primordial ou pour le moins non négligeable dans la concordance des unités métriques et des unités syntaxiques. Dans notre terminologie, les noms et adjectifs sont plus fréquents dans les unités conclusives (H2) et ils y jouent un rôle éminemment conclusif (ils sont majoritairement associés à l’unité métrique conclusive).

L’analyse en termes de catégories syntaxiques, pour précieuse qu’elle soit, présente des limites quant à l’étude de la syntagmatique du discours, versifié ou non. En accord avec les éléments exposés ci-dessus, je propose donc d’examiner la distribution du syntagme nominal enchâssant un syntagme adjectival dans les premiers recueils de Verlaine. On sait que les phénomènes de concordance varient selon la longueur des vers. C’est pourquoi, afin d’obtenir des résultats pertinents, nous nous sommes limités à évaluer la concordance dans les seuls 6-6v de Verlaine. Enfin, pour pouvoir comparer ces recueils à des corpus antérieurs, et pour tenter de cerner en quoi Verlaine s’inscrit dans une tradition et en quoi il s’en éloigne, nous avons effectué les mêmes évaluations sur les 6-6v d’Andromaque, des Contemplations de V. Hugo et des Fleurs du Mal de Baudelaire. Le tableau 1 ci-dessous indique, pour chacun des auteurs, le nombre d’occurrences du syntagme nominal enchâssant un syntagme adjectival rapporté au nombre de vers contenant au moins une occurrence du syntagme étudié. En effet, certains vers font apparaître deux occurrences de ce syntagme, comme ce vers de Verlaine :

Liait le Kçhatrya serein au Chanteur calme, (Verlaine, « Prologue », Poèmes Saturniens)

Le SN « le Kçhatrya serein » chevauche la frontière d’hémistiche, alors que le SN « au Chanteur calme » coïncide avec H2. Les chiffres ci-dessous font bien apparaître ces deux occurrences mais le fait qu’elles appartiennent à un seul et même vers n’a pas été retenu comme pertinent.

Le tableau 1 indique le nombre total de vers examinés pour chacun des auteurs. C’est seulement à titre indicatif que nous faisons figurer Andromaque qui, à l’évidence, ne peut représenter à elle seule l’ensemble du théâtre classique. La seconde ligne fait état du nombre de vers sélectionnés pour notre étude : les alexandrins comportant un SN enchâssant un Sadj. et enfin la troisième ligne indique le pourcentage de ce type de vers par rapport à l’ensemble des vers.

Tableau 1

Racine Hugo Baudelaire Verlaine
Nombre total de 12 syllabes 1648 7684 3352 884
Nombre de 12 syllabes avec SN enchâssant un SAdj. 246 2236 1628 489
% de 12 syllabes avec SN enchâssant un SAdj. 14,9 29 48,5 55,3

De Racine à Verlaine, en passant par Hugo et Baudelaire, on observe une progression continue de la présence de SN enchâssant un Sadj. dans leurs 12-syllabes. Chez Verlaine, plus de la moitié de ses 12-syllabes comportent le syntagme étudié.

Le fait que le principe de Concordance optimale s’exerce prioritairement sur les unités conclusives est mis en évidence dans le tableau 2 qui permet d’observer la distribution de ces syntagmes selon les hémistiches. Le tableau 2 indique le nombre et le pourcentage d’hémistiche 1 (désormais H1) et d’hémistiche 2 (désormais H2) comportant le syntagme étudié. À ces deux configurations s’en ajoute une troisième : le SN enchâssant un Sadj. chevauche la frontière d’hémistiche (désormais FH), c’est-à-dire que le début du syntagme en question conclut H1 tandis que la fin du syntagme initie H2 :

Tableau 2

Racine
Andromaque
Hugo Baudelaire Verlaine
Nombre de H1 avec SN enchâssant un Sadj. 73 705 538 151
% de H1 avec SN enchâssant un Sadj. 29,6 32,3 33 28,2
Nombre de H2 avec SN enchâssant un Sadj. 173 1265 987 258
% de H2 avec SN enchâssant un Sadj. 70,3 58 60,6 48,3
Nombre de FH avec SN enchâssant un Sadj. 2 210 137 125
% de FH avec SN enchâssant un Sadj. 1,8 9,6 8,4 23,4

Selon les auteurs, on note une relative stabilité des H1 comportant un SN enchâssant un Sadj. Il en va différemment pour les H2.

Première observation : tous auteurs confondus, les H2 de leurs 6-6v sont beaucoup plus nombreux à comporter un SN enchâssant un Sadj [11] . ce qui confirme les observations précédentes : le SN avec Sadj. enchâssé joue un rôle remarquable dans les unités métriques conclusives.

Deuxième observation : si l’on compare les auteurs entre eux, on observe que le contraste entre H1 et H2 est très marqué chez Racine puisqu’il est de l’ordre de 30 à 70 %. Il diminue chez Hugo (32 / 58 %), remonte un peu chez Baudelaire (33 / 60 %), pour redescendre assez nettement chez Verlaine. Il est remarquable néanmoins que dès les premiers vers, Verlaine affaiblit le contraste entre H1 et H2 (28 / 48). Mais surtout, il est tout aussi remarquable que, s’il y a affaiblissement de ce contraste, il demeure néanmoins très net. C’est dire que ce contraste est un phénomène relativement stable au cours des siècles. H2 comporte une proportion nettement plus élevée de syntagme nominal enchâssant un syntagme adjectival que H1.

Troisième observation : dans Andromaque, la frontière d’hémistiche (désormais FH) n’est franchie par un syntagme nominal enchâssant un syntagme adjectival que deux fois. Il est certain que rechercher ce phénomène sur une seule pièce ne peut fournir qu’un point de vue très limité qu’il faut se garder d’étendre à toute la production classique [12] . Chez les autres auteurs, les FH diminuent en passant de Hugo à Baudelaire alors qu’ils augmentent considérablement dès les premiers recueils de Verlaine. Ce qu’a montré la métricométrie appliquée à la 6e syllabe, à savoir une apparition progressive, à partir de 1860 environ, d’éléments phonologiques et morpho-syntaxiques jusqu’alors inaptes à conclure H1 se retrouve ici observé dans l’association des expressions linguistiques aux unités métriques. La cohésion syntaxique unissant le nom et l’adjectif faisait que les poètes classiques évitaient de conclure H1 par l’un de ces éléments et d’initier H2 par l’autre. Hugo, dans son désir d’insuffler un peu de liberté rythmique dans le vers, s’essaie à cette organisation rythmique qui concerne près de 10 % des occurrences du syntagme étudié. Baudelaire offre sensiblement la même proportion (8,4 %), avec toutefois une légère baisse tandis que Verlaine offre, dès les premiers recueils, une telle augmentation (23,4 %) qu’il faut bien y voir une exploration délibérée.

Quatrième observation : les SN (Adj.) chez Baudelaire sont très nombreux aussi bien en H1 qu’en H2 même s’ils apparaissent, à l’instar des autres auteurs, beaucoup plus nombreux en H2 qu’en H1. Les vers suivants illustrent une telle organisation :

Hugo :

Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l’âme
De ce prodigieux sourire, le soleil !
Les mots sont les passants mystérieux de l’âme

Baudelaire :

Et serai pour ce frêle athlète de la vie
         Aussi, vois ce souris fin et voluptueux
Qui tombe, et rend un son monstrueux, surhumain !

Verlaine :

En grésillant leur triste Idéal qui s’écroule
Et furent de l’énorme et suprême tuerie,
Ululent d’une voix formidable un cantique

On peut essayer d’affiner l’observation en cherchant à savoir quel type de syntagme coïncide avec les hémistiches chez Verlaine. En effet, le SN enchâssant un Sadj. peut prendre trois formes – AN, NA et ANA [13] – selon que le Sadj. enchâssé précède et/ou suit le N. Il s’agit alors d’examiner dans notre corpus la distribution de ces syntagmes dans le vers avec encore une fois quatre possibilités théoriques :

  • coïncidence de H1 avec un syntagme AN, NA ou ANA ;
  • coïncidence de H2 avec un syntagme AN, NA ou ANA ;
  • chevauchement de la frontière d’hémistiche par un syntagme AN, NA ou ANA, c’est-à-dire que H1 est conclu par le début d’un syntagme AN, NA ou ANA et H2 commence par la fin de ce syntagme ;
  • chevauchement de la frontière de vers par un syntagme AN, NA ou ANA, c’est-à-dire qu’un vers est conclu par le début d’un syntagme AN, NA ou ANA et le vers suivant commence par la fin de ce syntagme [14] .

Si la place de l’adjectif, antéposé ou postposé au nom, est reconnue comme une question difficile [15] , il est pour le moins admis que la cohésion entre le Sadj. antéposé et le nom est beaucoup plus forte qu’entre le nom et le Sadj. qui le suit [16] . Il s’agit alors de voir si le traitement métrique que les poètes réservent à ces syntagmes reflète une différence de fonctionnement telle qu’un adjectif concluant H1 suivi du nom qu’il qualifie initiant H2 implique sémantiquement une suspension d’un certain degré [17] . Le traitement métrique de ces deux types de syntagmes n’a pas, à l’heure actuelle, fait l’objet d’études sur corpus suffisamment vastes et complètes qui permettraient de retracer une histoire de l’association entre le syntagme AN ou NA et l’alexandrin. Il n’est pas non plus si aisé de connaître la position des poètes sur cette question. On peut néanmoins tenter de reconstruire la représentation que V. Hugo pouvait se faire de cette construction puisqu’il nous fournit en effet quelques éléments de réflexion à partir de deux textes : Réponse à un acte d’accusation et Quelques mots à un autre. Lesdeux vers suivants manifestent l’intérêt très vif qu’il porte à la question :

J’ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D’épithètes ; dans l’herbe, à l’ombre du hallier,

Hugo se propose de briser métriquement la cohésion syntaxique entre le nom et l’adjectif épithète, voire une enfilade d’épithètes qualifiant le nom. Toutefois les revendications excèdent sa pratique. L’idée véhiculée et revendiquée, c’est que le nom et sa kyrielle d’épithètes peuvent désormais franchir aussi bien la frontière d’hémistiche (« le chien / stupéfait ») que la frontière de vers. Or, pour illustrer cette dernière configuration, Hugo recule et préfère séparer un nom de son complément prépositionnel : « son collier / D’épithètes ». Néanmoins, la représentation qu’Hugo se fait d’un vers audacieux est relativement stable et cohérente comme le montre cet autre vers :

J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin ;

La dislocation suprême passe par la séparation de l’adjectif et du nom à la frontière des hémistiches.

Ici, l’audace est effectivement plus sérieuse. L’’attaque porte d’abord sur un syntagme dans l’ordre AN, plus cohésif que l’ordre NA, puis sur un adjectif monosyllabique-6ième. Par ailleurs, H2 n’est associé à aucun syntagme : « niais d’alexandrin »ne constitue pas en effet une expression cohérente. Pour affaiblir cette audace, on observe qu’à ce traitement métrique 6-6 venant déniaiser l’alexandrin, un traitement rythmique simultané impose trois segments « J’ai disloqué / ce grand niais / d’alexandrin ». Achevons cette reconstruction avec l’analyse du vers suivant :

Que veulent ces affreux novateurs? ça, des vers?

À nouveau, pour Hugo, un vers audacieux se caractérise par le syntagme AN chevauchant la frontière d’hémistiche. Hugo est capable de conclure un H1 par un Sadj. antéposé au nom, le syntagme dans l’ordre AN enjambant la FH. Il est remarquable que cette « audace » figure dans un poème où une écriture nouvelle, « révolutionnaire » est ostensiblement revendiquée et défendue. Cette configuration métrique relativement audacieuse vient ainsi conforter la pertinence de notre analyse : un vers comportant un syntagme AN chevauchant la FH apparaît, avant 1860, comme un vers plus audacieux que celui qui comporte un syntagme NA en FH. Cette analyse implique qu’on étende la recherche afin de s’assurer qu’il s’agit là d’une pratique suivie et raisonnée chez Hugo, afin également d’évaluer l’ampleur du phénomène. Dans Les Contemplations, on compte 9 FH-AN pour 199 FH-NA. L’audace n’est pas si étendue et apparaît même comme soigneusement limitée à une petite dizaine de vers. Il faut souligner également que dans le vers :

« Que veulent ces affreux novateurs? ça, des vers?

Hugo s’autorise cette audace en ayant recours au fonctionnement polyphonique du langage. S’il ose ce traitement métrique, ce n’est pas avec sa voix, mais avec celle des détracteurs qui assument cette audace métrique jugée inacceptable et condamnable. Dans une mise en scène du discours métrique de ses détracteurs dont il se distancie, Hugo manifeste une audace qui dépasse celle qu’il met en œuvre dans sa pratique d’écriture quand le discours est assumé par la voix du poète. Il est d’ailleurs symptomatique qu’on trouve chez Hugo d’autres occurrences de l’adjectif affreux concluant H1 ou initiant H2 mais toujours dans l’ordre NA ou en fonction d’attribut, autrement dit dans une configuration beaucoup plus banale ou si l’on veut plus « classique » :

Assise sous leur crâne affreux, m’est apparue. (« À mes enfants », Les Contemplations)L’hiver doit être affreux dans ce lieu solitaire ; (« À mes enfants », Les Contemplations)Dieu livre, choc affreux dont la plaine au loin gronde, (« Ce que dit la bouche d’ombre », Les Contemplations)Quel monologue affreux, dans l’arbre aux rameaux verts ! (“Ce que dit la bouche d’ombre”, Les Contemplations)

Sans aller jusqu’à soutenir que le syntagme « affreux » enjambant la FH était perçu par Hugo comme une césure affreuse et même peut-être une affreuse césure, la configuration demeure chez Hugo très circonscrite.

Le tableau 3 indique les proportions de syntagmes AN, NA et ANA dans les vers de chaque auteur :

Tableau 3

Racine
Andromaque
Hugo Baudelaire Verlaine
Nombre de AN 108 716 585 128
% de AN sur l’ensemble des vers AN/NA/ANA 43,9 32 35,9 24,5
Nombre de NA 138 1428 1043 379
% de NA sur l’ensemble des vers AN/NA/ANA 56,0 63,8 64,0 72,7
Nombre de ANA 0 103 32 14
% de ANA sur l’ensemble des vers AN/NA/ANA 0 4,6 1,9 2,6

Chez les trois auteurs, la proportion de NA est plus forte que celle des AN, résultat conforme à celui qu’on observe dans d’autres genres discursifs [18] . On observe également une évolution chronologique. Pour se limiter à des repères historiques très grossiers, du XVIIe au XIXe siècle, la proportion de AN diminue tandis que celle des NA augmente assez considérablement [19] . Baudelaire ne participe pas à cette diminution des AN. Il offre même une légère augmentation. Ce phénomène peut être interprété diversement. Soit le phénomène est caractéristique de l’évolution historique et alors la diminution des AN suit une courbe en cloche, soit le phénomène est spécifiquement baudelairien. Cette dernière hypothèse semble confirmée par d’autres chiffres sur lesquels nous reviendrons.

Le pourcentage d’AN sur l’ensemble des AN/NA/ANA est élevé dans Andromaque, il perd 10 points chez Hugo, remonte un peu chez Baudelaire et chute chez Verlaine. C’est dire qu’il y a, dans Andromaque, presque autant d’adjectifs épithètes antéposés que postposés. Les antéposés sont de l’ordre d’un tiers chez Hugo et Baudelaire et de l’ordre d’un quart chez Verlaine.

En revanche, le pourcentage sur la totalité des vers montre qu’il y a très peu d’adjectifs antéposés dans Andromaque (6,5%), ils augmentent un peu chez Hugo, doublent chez Baudelaire pour chuter chez Verlaine qui se situe entre Hugo et Baudelaire. Dans les vers comportant des syntagmes AN/NA/ANA, la proportion de NA ne cesse de croître jusqu’à atteindre près de 73 % chez Verlaine.

Il est remarquable, encore une fois, que Baudelairese rapproche plus d’Andromaque que de Verlaine.

Autre phénomène remarquable : les ANA sont beaucoup plus nombreux chez Hugo que chez Baudelaire et surtout que chez Verlaine.

Pour approfondir l’étude, il faut alors distinguer et chiffrer les hémistiches (H1 et H2) qui comportent les syntagmes étudiés, ce que montre le tableau 4 :

Tableau 4

Racine % Hugo % Baudelaire % Verlaine %
H1- AN 9 25 290 40,5 195 33,3 43 33
AN H2- AN 27 75 411 57,4 375 64,1 70 53,8
FH - AN 0 0 15 2,0 15 2,5 15 11,5
FV- AN 0 0 0 0 0 0 2 1,5
H1 - NA 21 39,6 399 27,9 333 31,9 96 25,3
NA H2 - NA 33 62,2 838 58,6 599 57,4 178 46,9
FH- NA 2 1,8 191 13,3 111 10,6 102 26,9
FV- NA 0 0 0 0 0 0 3 0,7
H1- ANA 0 0 16 44,4 10 31,2 4 28,5
ANA H2- ANA 0 0 16 44,4 11 34,3 6 37,5
FH- ANA 0 0 4 11,1 11 34,3 4 28,5
FV- ANA 0 0 0 0 0 0 0

En ce qui concerne les syntagmes AN, les résultats ne font que confirmer les précédents : ils sont beaucoup plus nombreux en H2 qu’en H1 et ceci chez tous les auteurs. Les FH-AN augmentent régulièrement de Hugo à Baudelaire et considérablement de Baudelaire à Verlaine. S’esquisse ici le mouvement qui conduit Verlaine et ses contemporains à affaiblir les contraintes à la frontière d’hémistiche. Quant à la frontière de vers, enjambée par un syntagme AN, seul Verlaine en offre deux cas :

Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé
Voyageur
qui de l’Homme évite les approches, (« Nevermore », Poèmes Saturniens)

Il est intéressant de remarquer qu’après la discordance finale de H1 du premier vers, la concordance ne se retrouve qu’à la fin du vers suivant non à la prochaine unité métrique qui est H1 du vers 2, conformément au principe de concordance différée. La concordance est généralement différée, non à l’unité métrique suivante mais à la prochaine unité métrique supérieure. Dans les vers suivants :

Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, délicieux
Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore […] (« Épilogue II », Poèmes Saturniens)

la discordance est sans doute plus forte que dans la suite précédente car la concordance se trouve différée, non pas même à l’unité métrique suivante (H1 du deuxième vers) mais au milieu de H1. Discordance somme toute contrebalancée par le fait que l’invocation se poursuit au-delà de cet hémistiche 1 avec un parallélisme syntaxique très net. Tandis que le vocatif « et vous »précède systématiquement chaque SN « Et vous, Rythmes chanteurs », «et vous, délicieux Ressouvenirs » et «et vous,  Rêves », le vocatif est l’objet de divers traitements métriques : en début de H1 et début de H2 puis dans le vers suivant, en fin de H1 et fin de H2.

Les résultats concernant les syntagmes NA confirment les attentes : ils sont beaucoup plus nombreux en H2 qu’en H1 chez tous les auteurs. De même, il n’est pas surprenant que les FH-NA soient plus nombreux que les FH-AN ; ces chiffres illustrent un aspect de la compétence des poètes, plus réticents à faire des vers à césure enjambée par un syntagme AN, lui préférant le syntagme NA. Il faut noter toutefois que le pourcentage de FH-NA double de Hugo à Verlaine. Quant à Baudelaire, quel que soit l’objet examiné, ou l’angle par lequel on examine ses vers, les chiffres sont d’une grande homogénéité et vont tous dans le même sens. Il s’agit de consolider par tous les moyens une coïncidence entre unités métriques et unités syntaxiques, au point qu’il apparaît comme le poète à l’impeccable concordance. Enfin, Verlaine est toujours seul à offrir trois cas de syntagme NA enjambant l’entrevers :

C’est un Tartuffe qui, tout en mettant des roses
Pompons sur les autels des Madones moroses (« Jésuitisme », Poèmes Saturniens)

Selon le temps de lecture, H2 n’est pas senti comme incomplet, même si le NA l’est en réalité puisqu’il se poursuit dans le vers suivant.

Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu’un remords
Épouvantable et vague affole sans relâche, (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)

Ici, l’expression linguistique associée à H2 apparaît bien comme incomplète mais le lecteur retrouve une concordance totale à la fin du vers suivant.

À nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes
Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant […] (« Épilogue III », Poèmes Saturniens)

La frontière de vers sépare le nom « groupes » de l’adjectif « harmonieux » suggérant que le poète est totalement étranger à toute forme d’harmonie collective, qu’une frontière irrémédiable « sépare » d’un côté les promeneurs insouciants au bord des lacs, de l’autre la lueur des lampes et l’étude sans trêve.

Il importe maintenant de distinguer et chiffrer les hémistiches (H1 et H2) qui coïncident intégralement avec ces syntagmes. Pour évaluer la concordance d’un hémistiche avec une unité syntaxique, on utilisera les notions de convergence, divergence et syntagme virtuel [20] .

Le sous-vers est dit convergent quand il coïncide intégralement avec une unité syntaxique (phrase, proposition, syntagme) comme dans l’exemple suivant :

Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens)

Chaque hémistiche de ce vers est convergent puisqu’à chaque unité métrique (H1 et H2) est associé un syntagme nominal.

Le sous-vers peut encore être dit convergent si l’unité grammaticale avec lequel il coïncide apparaît comme incomplète dans le contexte du vers mais pourrait apparaître comme complète, en conservant le même sens, dans un autre contexte, comme dans l’exemple suivant :

Et les prés verts et les gazons silencieux ? (« Monsieur Prudhomme », Poèmes Saturniens)

H2 coïncide avec le groupe nominal « gazons silencieux » qui n’apparaît pas comme complet puisque son déterminant appartient à H1. On pourra pourtant considérer que H2 est somme toute convergent dans la mesure où il coïncide avec un syntagme virtuel. En effet, dans une expression telle que « Il se moque bien des charmilles, prés vers et gazons silencieux ! », le groupe nominal « gazons silencieux » apparaît comme complet, parallèle au groupe nominal « prés vers ». Autrement dit, un vers C6 n’implique pas nécessairement un H2 divergent.

Le sous-vers est dit divergent quand aucune unité grammaticale complète ne lui est associée. Il est divergent à la finale quand l’unité grammaticale débute dans un sous-vers et se poursuit dans le sous-vers suivant, comme dans l’exemple suivant :

Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères
Barbares,
chez les Francs tumultueux, nos pères, (« Prologue », Poèmes Saturniens)

Le syntagme prépositionnel « en des ères Barbares » commençant au milieu de H2 se poursuit jusqu’au milieu de H1 du vers suivant.

Il peut être divergent à l’initiale quand l’unité grammaticale commencée en H1 se termine en cours de H2, comme dans l’exemple suivant :

Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni; (« Nevermore », Poèmes Saturniens)

H2 coïncide en partie avec la fin du syntagme prépositionnel « de tapis mordorés » commencé en H1.

Le principe de Concordance Optimale pesant essentiellement sur les unités conclusives, notre étude portera désormais uniquement sur les H2 des auteurs retenus [21] et sera l’occasion de commentaires portant presque exclusivement sur les trois premiers recueils de Verlaine. Le tableau 5 concerne les H2-AN convergents (y compris ceux qui coïncident avec un syntagme virtuel) et divergents.

Tableau 5

Hugo % sur les H2-AN Baudelaire % sur les H2-AN Verlaine % sur les H2-AN
H2-AN convergents 394 95 368 98,9 58 82,8
H2-AN = syntagme virtuel 11 2,6 1 0,2 5 7,1
H2-AN divergents 8 1,9 3 0,8 7 10

Chez Hugo, 95 % des H2-AN sont concordants tandis que Baudelaire vise la concordance pour la quasi-totalité de ses 6-6v avec près de 99 %. Si les H2-AN convergents chez Verlaine diminuent (81,4 %), ils demeurent néanmoins largement majoritaires. Les pourcentages de H2-AN divergents sont franchement minoritaires chez Hugo (près de 2 %), soigneusement évités par Baudelaire et représentent 10 % des vers chez Verlaine.

Les H2-AN convergents

Chez Verlaine, la coïncidence H2-AN est relativement homogène même si elle offre certaines menues variantes formelles. Dans tous les cas, la tonique d’un syntagme nominal coïncide avec la tonique de H2. C’est dire que le lecteur associe aisément une forme syntaxique globale – un syntagme nominal ou prépositionnel – à une forme métrique globale – un hémistiche –.

Premier cas : 11 vers présentent un H2 associé au seul syntagme AN avec déterminant, dont trois sans déterminant :

Ah! les oaristys! les premières maîtresses! (« Vœu », Poèmes Saturniens)
Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens)
Ce qu’il nous faut à nous, les Suprêmes Poètes (« Épilogue », Poèmes Saturniens)
– Que nous cerne l’Oubli, noir et morne assassin, (« Cavitrî », Poèmes Saturniens)
Ont pris un ton de fiel, ô lamentable sœur, (« Child wife », Romances sans paroles)
Vos échos jamais las, vastes postérités, (« Prologue », Poèmes Saturniens)

Second cas : La tonique de H2 est associée à la tonique d’un syntagme prépositionnel ; 22 vers présentent un H2 coïncidant avec un syntagme AN précédé par :

– une préposition :

Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser. (« Lettre », Fêtes Galantes)
Avec des bruits pareils aux rudes hurlements (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures, (« César Borgia », Poèmes Saturniens)
De Sparte la sévère à la rieuse Attique, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Toute pensée, et quant à la vieille ironie, (« L’Angoisse », Poèmes Saturniens)
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens)
Tout bruit s’apaise autour. A peine un vague son (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)

– des mots grammaticaux comme une interjection (3), le comparatif « comme » (2), une conjonction de coordination (1) :

Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux compli ce! (vers répété deux fois) (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices! (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Cramponnée au projet comme un noble condor (« Épilogue », Poèmes Saturniens)
Bonne part de malheur et bonne part de bile. (« Les Sages d’autrefois… », Poèmes Saturniens)

Troisième cas : 3 H2 coïncident avec un SN enchâssant un syntagme AN dont la DVM est associée à celle de H2. Le SN est :

– introduit directement (1) :

Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)

– introduit par une préposition (1) :

La pensée et la chair de la femme au grand cœur. (« Cavitrî », Poèmes Saturniens)

– précédé par une conjonction de coordination (1) :

Et le bon Olivier et Turpin au grand cœur, (« Prologue », Poèmes Saturniens)

Quatrième cas : 4 H2 coïncident avec un Sadj. enchâssant un syntagme AN dont la DVM est associée à celle de H2. Le syntagme AN est introduit par :

– le comparatif « comme » (1) :

Par l’air et par les ans rouillé comme un vieux sou (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)

– une préposition (3) :

Et le front, large et pur, sillonné d’un grand pli,(« César Borgia », Poèmes Saturniens)
L’Infant, certes, était coupable au dernier point, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
L’horizon élargi plein de vagues chansons,(« Épilogue », Poèmes Saturniens)

Cinquième cas : 5 H2 coïncident avec un SV dont le complément d’objet est un syntagme AN et dont la DVM est identique à celle de H2. Le syntagme AN est :

– introduit directement (3) :

Le printemps des regrets ont fui les noirs hivers (« Vœu », Poèmes Saturniens)
Mais, comme elle, dans l’âme ayons un haut dessein. (« Cavitrî », Poèmes Saturniens)
Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras. (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)

– introduit par une préposition (2) :

Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Parfois de grands varechs filaient en longues branches, (« Beams », Romances sans paroles)

Sixième et dernier cas : 2 H2 coïncident avec une proposition. La DVM de la proposition est identique à la DVM de H2 :

Vois, ô bon Buridan : « C’est une grande dame ! » (« Une grande dame », Poèmes Saturniens)
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux. (« Green », Romances sans paroles)

Les H2-AN coïncidant avec un syntagme virtuel

Quant aux H2-AN coïncidant avec un syntagme virtuel, Verlaine en produit 5 dans ses trois premiers recueils :

Plus en horreur que son éternel coryza, (« Monsieur Prudhomme », Poèmes Saturniens ») 4-8 ; C6
Déroule, mate, ses impeccables accords. (« Un dahlia », Poèmes Saturniens) 4-8 ; C6
Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser ! (« Il bacio », Poèmes Saturniens) 8-4
Notre astre unique et notre unique passion, (« Épilogue », Poèmes Saturniens)4-8 ; C6
Et puis, autour de trois livides prisonniers (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens)

Si ces vers C6 peuvent être perçus comme des 6-6 en contexte 6-6, ils offrent alors un H2 dont la convergence réside dans la coïncidence avec au moins un syntagme virtuel.

Les H2-AN divergents

Les 7 H2-AN divergents présentent une homogénéité formelle limitée du fait que H2 est associé à deux unités grammaticales séparées ou non par un signe de ponctuation, sans relation de dépendance directe. Il n’y a donc plus ici coïncidence de la DVM d’une forme syntaxique globale et de la DVM de H2.

Premier cas : la première unité grammaticale est l’expansion d’un élément de H1, la seconde un syntagme AN.

H2 = un adjectif postposé à un nom appartenant à H1 + syntagme AN complément de ce nom :

Que le gémissement premier du premier homme (« À une femme », Poèmes Saturniens) 8-4

H2 = un complément du nom, expansion d’un N appartenant à H1 + un syntagme AN introduit par une préposition :

Tombent d’un dais de bois d’ébène en droite ligne, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 4-4-4 ou 8-4

H2 = un adjectif postposé à un N appartenant à H1 + ponctuation + groupe AN :

Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)

H2 = un participe passé + ponctuation + syntagme AN

Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle (« Après trois ans », Poèmes Saturniens) 4-4-4

H2 = une structure attributive concluant une phrase dont le début appartient à H1 + ponctuation + syntagme AN :

Donc, c’en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées (« Épilogue II », Poèmes Saturniens) 4-4-4

H2 comporte le morphème terminal d’un mot commencé en H1 (le vers est M6) + ponctuation + un syntagme AN :

La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire, (« Épilogue III », Poèmes Saturniens)

Deuxième cas : la première unité grammaticale est le groupe AN sans déterminant, la seconde un nom, les deux séparées par un signe de ponctuation :

Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur, (« Dans les bois », Poèmes Saturniens) 4-4-4

On conçoit aisément la difficulté d’une évaluation automatique de la concordance dans la mesure où la ponctuométrie s’avère parfois inefficace : l’expression linguistique associée à un H2 divergent ne comporte pas toujours un signe de ponctuation interne comme le montrent les deux vers suivants :

Que le gémissement premier du premier homme (« À une femme », Poèmes Saturniens)
Tombent d’un dais de bois d’ébène en droite ligne, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)

Dans ces deux vers, la DVM d’un syntagme prépositionnel « du premier homme »et « en droite ligne »coïncide avec la DVM de H2.Mais la DVM de ces syntagmes, si elle est la principale du syntagme prépositionnel, si elle est la voyelle fondamentale qui le représente, n’est pas pour autant la tonique de l’adjectif premier ou du complément d’ébène. C’est en ceci que H2 peut être dit divergent à l’initiale. En revanche, 5 vers sur les 7 permettent, sans l’imposer [22] , un mètre de substitution. Le vers « Roule, roule ton flot indolent, morne Seine », 6-6 sans mètre de substitution présente une césure qui manque de vivacité, un peu lente et molle, propre à suggérer le cours languissant de la Seine.

Le tableau 6 concerne les H2-NA convergents (y compris ceux qui coïncident avec un syntagme virtuel) et divergents.

Tableau 6

Hugo % sur les H2-NA Baudelaire % sur les H2-NA Verlaine % sur les H2-NA
H2-NA convergents 810 96,7 580 97,6 160 89,8
H2-NA = syntagme virtuel 7 0,8 5 0,8 8 4,4
H2-NA divergents 20 2,3 9 0,80 10 5,6

Chez Verlaine, les H1-AN sont beaucoup moins convergents que les H2-AN (le rapport est de 67,4 / 81,4). Quant à la distribution des syntagmes NA, elle accuse de façon encore plus nette le contraste entre H1 et H2 puisque le rapport des H1-NA aux H2-NA convergents est de 68,7 / 89,6. Les unités conclusives chez Verlaine demeurent particulièrement concordantes.

Les H2-NA convergents

Premier cas : dans tous ces cas, la DVM de H2 est associée à la DVM du syntagme NA qui coïncide intégralement avec H2. 39 H2 sont associés avec le syntagme NA, avec ou sans déterminant éventuellement suivi d’un complément de N :

Ont entre tous, d’après les grimoires anciens, (« Les sages d’autrefois… », Poèmes Saturniens
Le monde, que troublait leur parole profonde, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Et l’éclat militaire et les splendeurs auliques (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant,(« Prologue », Poèmes Saturniens)
En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur, (« Les sages d’autrefois... », Poèmes Saturniens), P6
Et le soleil dardait un rayon monotone (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant : (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin (« Après trois ans », Poèmes Saturniens)
Les Guerriers saints devant les Poètes sacrés ! (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Et dansant dans l’air noir des gigues nonpareilles, (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens)
Tout en amidonnant ces guimpes amoureuses (« Jésuitisme », Poèmes Saturniens)
Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ; (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Et reflète, les soirs, des boléros légers. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Et qu’il bruit avec un murmure charmant (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Et l’on voit voleter la chauve-souris sombre. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Lançant dans l’air bruni son cri désespéré, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
À vous ces vers de par la grâce consolante (« À une femme », Poèmes Saturniens), P6
Charrie augustement ses îlots mordorés, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Où vient faire son kief l’odalisque lascive. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Sous tes ponts qu’environne une vapeur malsaine (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Prenant l’Hostie avec ses deux mains timorées, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Le moine ensuite dit les formules sacrées (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
- Rime mélodieuse, image étincelante, (« Initium », Poèmes Saturniens)
Pensée, espoir serein, ambition sublime, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Images qu’évoquaient mes désirs anxieux, (« Épilogue II », Poèmes Saturniens)
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor (« Beams », Romances sans paroles)
Et de la brume au loin l’installation lente. (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Et dont l’écho redit les râles alarmants, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Images qu’évoquaient mes désirs anxieux, (« Épilogue II », Poèmes Saturniens)

Deuxième cas : 1 H2 coïncide avec un N enchâssant un syntagme NA :

avec déterminant (1) :

Dardant à temps égaux l’œil des diamants durs. (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)

sans déterminant (1) :

L’Aube-Postérité, fille des Temps moroses, (« Épilogue III », Poèmes Saturniens)

Troisième cas : 75 H2 coïncident avec un syntagme prépositionnel de la forme Prép. + NA éventuellement précédé d’un adverbe :

Où le rayonnement des choses éternelles (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Mêler leur note pure aux cris irrésolus (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Et rouge des éclairs sur le ciel entr’ouvert ! (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Les héros à leur tour, après les luttes vastes, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Faisait voler la grive à travers l’air atone, (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
C’est qu’il se méprenait alors sur l’âme humaine. (« Prologue », Poèmes Saturniens)

Quatrième cas : 30 H2 coïncident avec un syntagme NA précédé :

– d’une conjonction de coordination ou de subordination (14) :

Et l’éclat militaire et les splendeurs auliques (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Ton grand torse reluit ainsi qu’un marbre neuf. (« Un dahlia », Poèmes Saturniens)
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux, (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)
– Puis, tout à coup, ainsi qu’un ténor effaré (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
La main gauche au poignard et la main droite au flanc (« César Borgia », Poèmes Saturniens)

– d’un verbe ou participe présent (12) :

Les Poètes sacrés chanter les Guerriers saints, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Et que l’isolement sied à leur marche lente. (« Prologue », Poèmes Saturniens)
De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux, (« Mon rêve familier », Poèmes Saturniens) 444
Des doux refrains qu’Amour chante en les cœurs ardents (« Il bacio », Poèmes Saturniens)

– d’une formule vocative (1) :

Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore, (« Épilogue II », Poèmes Saturniens)

– d’un adverbe (1) :

Sous un fourré, là-bas, là-bas, des sources vives (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)

– enchâssé dans un syntagme adjectival (2)

D’une ville gothique éteinte au lointain gris. (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens)
Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)

Cinquième cas : 4 H2 coïncident avec une proposition relative dont le sujet est un syntagme NA (4) :

Ici, des rosiers nains qu’un goût docte effila ; (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens)
Parmi ses cheveux blancs  luisent des tons roux (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
C’est le Roi, ce mourant qu’assiste un mire chauve, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Brillent, et maints drapeaux l’oiseau noir s’étale (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)

Sixième cas : 1 H2 coïncide avec deux syntagmes NA juxtaposés, la consistance de H2 étant assurée par la répétition du N :

Des Ténèbres que sous l’Eau sourde, l’Eau profonde, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens) P6

Encore une fois, un H1 divergent à la finale n’entraîne pas nécessairement un H2 divergent. Ce cas est illustré par les vers P6 par exemple, qui présentent une préposition univocalique en 6e syllabe :

En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur (« Prologue », Poèmes Saturniens)

Les H2-NA coïncidant avec un syntagme virtuel

Il est fréquent et banal que la convergence des H2 assurée par leur coïncidence avec au moins un syntagme virtuel NA donne lieu également à des vers C6 :

Par la logique d’une Influence maligne. (« Les sages d’autrefois… », Poèmes Saturniens) 4-8 ; C6
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle. (« Après trois ans », Poèmes Saturniens) 4-8 ; C6
Et tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée. (« Vœu », Poèmes Saturniens)
Ces vers du fond de ma détresse violente. (« À une femme », Poèmes Saturniens) 4-8 ; C6
Et les prés verts et les gazons silencieux? (« Monsieur Prudhomme », Poèmes Saturniens) 4-8 ; C6
Egal à toutes les flammes les plus célèbres (« Lettre », Fêtes Galantes) C6
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, (« Mon rêve familier », Poèmes Saturniens) 4-8 ; C6
Et que le couchant met au ciel des taches rouges, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)

On considère que H2 des deux derniers vers coïncide au moins avec un syntagme virtuel car dans l’énoncé « Frissons glacés de ma pauvre nuque, moiteurs de mon front blême : tel était mon état », le syntagme « moiteurs de mon front blême »y fait sens sans changer de sens et apparaît comme complet. De même dans l’énoncé « Au ciel des taches rouges, sur terre des lueurs sombres », l’expression « Au ciel des taches rouges »conserve son sens et paraît complète au même titre que l’expression « sur terre des lueurs sombres ».

Les H2-NA divergents

Dans les trois recueils, on ne relève que 11 vers ayant un H2-NA divergent. La DVM de H2 coïncide bien avec la DVM d’un syntagme NA mais cette dernière ne représente pas intégralement l’expression linguistique associée à H2 :

Premier cas : H2-NA coïncide avec deux syntagmes juxtaposés, sans lien syntaxique :

Et déroule parmi des bruits sourds l’effroi vert (« Prologue », Poèmes Saturniens)

Deuxième cas : H2-NA coïncide avec un adjectif postposé à un N appartenant à H1 + ponctuation éventuelle + syntagme NA, éventuellement introduit par une préposition ou une conjonction de coordination :

Le Révérend, les bras croisés, tête baissée (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 4-4-4
– Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières, (« Cavitri », Poèmes Saturniens) 8-4
Liait le Kçhatrya serein au Chanteur calme, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ; (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir (« César Borgia », Poèmes Saturniens)
Et c’étaient des éclairs soudains de nuques blanches, (« Les Ingénus », Fêtes Galantes) 8-4
D’autres s’y sentent pris – rêveurs ̵­ d’effrois mystiques. 8-4

Troisième cas : H2-NA est associé avec le complément d’un nom appartenant à H1 + signe de ponctuation + syntagme NA :

Toutes droites ; sylvains de marbre ; dieux marins (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens)

Le tableau 7 indique les proportions de FH-NA convergents, coïncidant avec au moins un syntagme virtuel, et divergents.

Tableau 7

Hugo Baudelaire Verlaine
FH-NA : H2 convergents 89 60 15
% H2 = c sur les FH-NA 45,6 56,6 14,7
FH-NA : H2 divergents 94 40 76
% H2 = d sur les FH-NA 48,2 37,7 70,5
FH-NA : H2 = syntagme virtuel 12 6 13
% H2 = sv sur les FH-NA 6,1 5,6 14,7

Verlaine innove en ceci que ses FH-NA sont très peu concordants en comparaison de ceux de V. Hugo qui produit presque autant de concordants que de divergents. Pour produire un FH-NA convergent, il suffit (cas très majoritaire chez Verlaine dans ses peu nombreux FH-NA convergents) de coordonner plusieurs adjectifs.

Les FH-NA convergents

Dans les 15 vers, la DVM de H2 est associée à la DVM du syntagme adjectival :

Que va poussant la foule obscène et violente, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 4-8
S’incliner, pénitents fauves et timorés, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
O la femme à l’amour câlin et réchauffant, (« Vœu », Poèmes Saturniens)
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant (« Mon rêve familier », Poèmes Saturniens) 4-8
Menant leur ronde vaste et morne et tressautant (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens) 4-8
Me remplit d’une horreur triviale et profonde. (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)
Et dans une harmonie étrange et fantastique (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Parmi le clair-obscur transparent et profond (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Vers l’homme, son sujet pervers et révolté. (« Épilogue I », Poèmes Saturniens)
Balancés par un vent automnal et berceur, (« Épilogue I », Poèmes Saturniens)
Ah ! l’Inspiration superbe et souveraine, (« Épilogue III », Poèmes Saturniens)
L’Egérie aux regards lumineux et profonds, (« Épilogue III », Poèmes Saturniens)
Evoque un avenir solitaire et fatal.(« L’amour par terre », Fêtes Galantes)

Les adjectifs peuvent également être juxtaposés comme dans le vers suivant :

C’est la Volonté sainte, absolue, éternelle, (« Épilogue III », Poèmes Saturniens)

Enfin, l’adjectif peut enchâsser un complément :

Et tu trônes, Idole insensible à l’encens. (« Un dahlia », Poèmes Saturniens)

Ces trois procédés, coordination ou juxtaposition d’adjectifs, complémentation de l’adjectif auquel on peut ajouter un quatrième, attesté chez Hugo et Baudelaire, l’adjectif suivi d’un syntagme comparatif permettent, pour ces vers dans lesquels un syntagme NA chevauche la frontière d’hémistiche, un H2 concordant, c’est-à-dire une concordance différée à la fin du vers.

La seconde caractéristique de Verlaine est qu’il produit autant de H2 coïncidant avec un syntagme virtuel que de H2 convergents.

Les FH-NA coïncidant au moins avec un syntagme virtuel

Dans ces 13 vers, la DVM de H2 ne coïncide avec la DVM d’aucune unité syntaxique mais l’expression linguistique associée à H2 pourrait, dans un autre contexte, constituer une unité syntaxique :

Et tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée. (« Vœu », Poèmes Saturniens) 8-4
La spontanéité craintive des caresses ! (« Vœu », Poèmes Saturniens) 8-4
N’égale sa beauté patricienne, non ! (« Une grande dame », Poèmes Saturniens)Avec la pâleur mate et belle du visage (« César Borgia », Poèmes Saturniens)
Selon le rituel catholique romain ? (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
Éclaire le visage osseux et le front blême, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Et qui faisons des vers émus très froidement, (« Épilogue », Poèmes Saturniens) 8-4
Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues (« L’allée », Fêtes Galantes) 8-4
Frêle parmi les nœuds énormes de rubans, (« L’allée », Fêtes Galantes) 8-4
S’égaie en des sujets érotiques, si vagues (« L’allée », Fêtes Galantes)
Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l’onde, (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)
Ce silence, brouillard complice qui se dresse ? (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4

Dans ces vers FH-NA, H2 isole souvent l’adjectif qualifiant le nom qui conclut H1 et un complément de ce nom. Exemple :

Frêle parmi les nœuds énormes de rubans (« L’allée », Fêtes Galantes) 8-4

L’expression linguistique qui est associée à H2 n’est pas franchement convergente puisque « énormes » se rapporte à « nœuds » et « de rubans » vient compléter « nœuds ». Pour autant, la reconnaissance de H2 comme forme métrique tend à suggérer une autre lecture selon laquelle il serait prédiqué de « nœuds » la propriété « énormes de rubans ». On aurait ainsi une ambivalence interprétative :

1- lesnœuds sont l’objet de deux prédications. Ils sont dits « énormes » et « de rubans ».

2- les nœuds sont l’objet d’une seule prédication : « énormes de rubans ».

On est ainsi autorisé à parler de syntagme virtuel dans la mesure où dans un autre contexte, l’expression coïncidant avec H2 pourrait apparaître comme un syntagme apposé : Et les nœuds ruisselaient, énormes de rubans.

La même argumentation peut s’appliquer au vers suivant :

Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)

L’adjectif « lourd » qualifie le nom « pied » appartenant à H1. De même, la structure comparative « comme la loi » porte plus sur « son pied ferme et pesant et lourd » que seulement sur « et lourd ». Pour autant, « et lourd, comme la Loi » peut être considéré comme un syntagme virtuel puisque dans un autre contexte, il apparaîtrait comme complet et autonome : « Et lourd, comme la Loi, le châtiment tomba ».

Un dernier exemple montre comment le rythme de Verlaine, assez fréquemment, invite le lecteur à une autre lecture :

Et qui faisons des vers émus très froidement, (« Épilogue », Poèmes Saturniens)

Bien que l’adjectif « émus » qualifie les vers, la consistance imparfaite de H2 suggère le syntagme adjectival « émus très froidement », syntagme attesté dans le contexte suivant : « Les comédiens jouaient, émus très froidement ».

Cette hypothèse d’une exploitation chez Verlaine des relations entre un adjectif désarrimé du nom qu’il qualifie pour se rapprocher du complément de ce nom est encore confirmée par l’exemple suivant :

– Chère, – par un beau jour de septembre attiédi. (« À une femme », Poèmes Saturniens)

Dans H2, « attiédi »se rapporte à « jour » et semble pourtant pouvoir qualifier « septembre ».

Les FH-NA divergents

Nombreux sont, chez Verlaine, dès les premiers recueils, les H2 divergents dans les vers FH-NA, c’est-à-dire les vers dans lesquels un syntagme NA chevauche la césure :

76 FH-NA divergents : la DVM de l’hémistiche 2 coïncide avec un syntagme qui n’entretient aucune relation avec les éléments du début de H2.

S’il inclinait vers l’âme humaine son esprit, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 444
De la vie et du choc désordonné des armes (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Liait le Kçhatrya serein au Chanteur calme, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
– Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
Fait retenir, clameur immense qui s’élève, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 444
Empourprent la fierté sereine de leurs poses : (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
De l’Harmonie immense et bleue et de la Force. (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
Encore des héros altiers, et combattaient. (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
De l’Art dont une Palme immortelle est le prix, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Comme le Preux sa part auguste des combats ? (« Prologue », Poèmes Saturniens) 444
– Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
Est-ce que le Trouvère héroïque n’eut pas (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Et sur vos vanités plates ; et si naguères (« Prologue », Poèmes Saturniens)
Et retenant le vol obstiné des essaims, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 4-8
Et je baisai sa main blanche, dévotement. (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
– Grêle, parmi l’odeur fade du réséda. (« Après trois ans », Poèmes Saturniens)
Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
Doit avoir l’abandon paisible de la sœur. (« Lassitude », Poèmes Saturniens) 8-4
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante. (« Lassitude », Poèmes Saturniens) 8-4
L’inflexion des voix chères qui se sont tues. (« Mon rêve familier », Poèmes Saturniens) 4-8
De par votre âme pure et toute bonne, à vous (« À une femme », Poèmes Saturniens)
Que le gémissement premier du premier homme (« À une femme », Poèmes Saturniens) 8-4
Qu’étirent dans le ciel vide les cathédrales, (« L’angoisse », Poèmes Saturniens)
Nourriciers, ni l’écho vermeil des pastorales (« A une femme », Poèmes Saturniens) 8-4
Ni la solennité dolente des couchants. (« L’angoisse », Poèmes Saturniens) 8-4
Secoués par le bec avide des corneilles (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens) 8-4
La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens) 4-8
Quelques buissons d’épine épars, et quelque houx (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens) 8-4
Des chants voilés de cors lointains la tendresse (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens) 8-4
Ces spectres qu’un vertige irrésistible agite, (« Nuit du Walpurgis classique », Poèmes Saturniens)
Qui serpentent au corps sacré des Bienheureuses, (« Jésuitisme », Poèmes Saturniens) 8-4
Et transforme en spectacle amusant mon martyre, (« Jésuitisme », Poèmes Saturniens)
Tout en disant à voix basse son chapelet, (« Jésuitisme », Poèmes Saturniens) 4-8
Ont l’éclat insolent et dur du diamant. (« Une grande dame », Poèmes Saturniens) 8-4
Ni, Çurya, tes rais cruels, ni la langueur (« Cavitrî », Poèmes Saturniens) 8-4
Ou que l’Envie aux traits amers nous ait pour cibles, (« Cavitrî », Poèmes Saturniens) 8-4
Arome, et la beauté sereine de ton corps (« Un dahlia », Poèmes Saturniens) 8-4
Sème de fleurs les bords béants du précipice ; (« Nevermore », Poèmes Saturniens) 444
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ; (« Nevermore », Poèmes Saturniens)
Font un bruit d’assassins postés se concertant. (« Dans les bois », Poèmes Saturniens) 8-4
Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant. (« Dans les bois », Poèmes Saturniens) 8-4
Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux ! (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)
Du saut de l’antilope agile attendant l’heure, (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens) 8-4
Le tigre jaune au dos rayé s’étire et pleure. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens) 8-4
Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens)
Sur une clef de sol impossible juchées, (« Nocturne Parisien », Poèmes Saturniens)
Se penche, en proie aux vents néfastes de l’abîme. (« Nocturne parisien », Poèmes Saturniens) 8-4
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir (« César Borgia », Poèmes Saturniens)
Sans doute de projets formidables rempli, (« César Borgia », Poèmes Saturniens)
De l’Absolution reçue ouvrant déjà (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Les portes d’acajou massif tournent sans bruit, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Raye à l’ouest le ciel mat et rouge qui brunit, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Et les élancements farouches de la Foi (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
L’œil de son âme au jour clair de la certitude, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 4-8
Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
De pomper tout le sang malsain du mourant fauve, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Ainsi que des serpents frileux de leur repaire, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
Ululent d’une voix formidable un cantique. (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens)
– Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche (« L’allée », Fêtes Galantes) 8-4
Et c’étaient des éclairs soudains de nuques blanches, (« Les Ingénus », Fêtes Galantes) 8-4
Le soir tombait, un soir équivoque d’automne : (« Les Ingénus », Fêtes Galantes) 4-8
Egal à toutes les flammes les plus célèbres (« Lettre », Fêtes Galantes)
Or, Madame, un projet impatient me hante (« Lettre », Fêtes Galantes)
Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc, (« L’amour par terre », Fêtes Galantes)4-8
Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge, (« César Borgia », Poèmes Saturniens) 8-4
Le Révérend, les bras croisés, tête baissée (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 444
– Qui dira les pensers obscurs que protégea (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4
En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait, (« Prologue », Poèmes Saturniens) 8-4
De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières, (« Cavitrî », Poèmes Saturniens) 8-4
La spontanéité craintive des caresses ! (« Vœu », Poèmes Saturniens) 8-4
N’égale sa beauté patricienne, non ! (« Une grande dame », Poèmes Saturniens)
Avec la pâleur mate et belle du visage (« César Borgia », Poèmes Saturniens) 8-4
Et la nuit et le jour adorable, Madame ! (« Lettre », Fêtes Galantes)
En poussant d’aigres cris poitrinaires, hélas ! (« Child Wife », Romances sans Paroles)

Il est tout à fait frappant que parmi ces FH-NA divergents, nombreux sont ceux qui offrent, en plus du traitement métrique 6-6, la possibilité d’un autre traitement métrique : 4-4-4, 8-4 ou 4-8. Avant de voir si la divergence de H2 et l’ambivalence métrique peuvent être liés dans les premiers recueils de Verlaine, examinons pour terminer les FH-AN.

On ne sera pas surpris de voir que les FH-AN sont moins nombreux que les FH-NA ; ces chiffres illustrent un aspect de la compétence des poètes, plus réticents à faire des vers à césure enjambée par un syntagme AN, lui préférant le syntagme NA.

Dans l’ordre NA, H1 est conclu par la dernière voyelle masculine (DVM) d’un nom qui est séparé de son expansion adjectivale par la FH. Pour autant, la DVM de H1 coïncide avec la DVM ou la tonique de la tête du syntagme nominal.

En revanche dans l’ordre AN, H1 est conclu par la DVM d’un adjectif qui, à certains égards – phonologique, syntaxique et sémantique – manque d’autonomie par rapport au N qui le suit. La DVM de H1 coïncide alors avec la DVM d’un lexème qui n’est pas la tête du syntagme nominal enchâssant l’adjectif. En effet, dans l’ordre AN, l’adjectif n’est pas l’unité principale du syntagme nominal l’enchâssant. Il en résulte que la suspension sémantique en fin de H1 est plus forte qu’elle ne l’est dans les mêmes conditions mais avec l’ordre NA. On explique ainsi la proportion de FH-AN chez Verlaine qui représentent 11,7 % des AN (quand elle était de 2 % chez Hugo). Si la proportion augmente considérablement d’un auteur à l’autre, le phénomène demeure néanmoins très limité et surtout dans des proportions qui ne sont pas comparables avec l’ordre inverse, NA, qui représentent 27 % des vers AN/NA chez Verlaine. La raison en est évidente : les H2 des FH-AN, de Hugo à Verlaine, ne sont jamais convergents. C’est pourquoi Verlaine ne développe pas les FH-AN alors qu’il multiplie les FH-NA dont les H2 sont chez lui majoritairement divergents.

Tableau 8

Hugo Baudelaire Verlaine
FH-AN : H2 = convergents 0 0 0
% H2 = c sur les FH-AN 0 0 0
FH-AN : H2 = divergents 6 5 7
% H2 = d sur les FH-AN 60 35,7 46,6
FH-AN : H2 = syntagme virtuel 4 9 8
% H2 = sv sur les FH-AN 40 64,2 53,3

Les FH-AN convergents

Il n’y en a aucun chez Verlaine

Les FH-AN coïncidant avec un syntagme virtuel

8 FH-AN = syntagme virtuel : la DVM de H2 coïncide avec la DVM d’un syntagme virtuel :

En grésillant leur triste Idéal qui s’écroule. (« Prologue », Poèmes Saturniens) 4-8
Et furent de l’énorme et suprême tuerie, (« Prologue », Poèmes Saturniens)
C’est qu’hélas ! le hideux cauchemar qui me hante (« Mon rêve familier », Poèmes Saturniens)
Sur le fuligineux fouillis d’un fond d’ébauche. (« Effet de nuit », Poèmes Saturniens) 8-4
Moi, je ne puis, chétif trouvère de Paris, (« Il bacio », Poèmes Saturniens) 4-8
Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser ! (« Il bacio », Poèmes Saturniens) 8-4
Plus noire, tout ce morne et sinistre décor (« Dans les bois », Poèmes Saturniens)
La plaine morne et l’âpre arête des sierras (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 8-4

Les FH-AN divergents

7 FH-AN divergents : la DVM de l’hémistiche 2 ne coïncide avec la DVM d’aucun syntagme :

Ne valent pas un long baiser, même qui mente ! (« Lassitude », Poèmes Saturniens) 444
Mon âme pour d’affreux naufrages appareille. (« L’angoisse », Poèmes Saturniens) 8-4
Le duc CESAR en grand costume se détache. (« César Borgia », Poèmes Saturniens) 444
Ses lèvres font ce sourd et long marmottement, (« La mort de Philippe II », Poèmes Saturniens) 4-8
La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire, (« Épilogue III », Poèmes Saturniens) 8-4 ; M6
Nos pieds glissaient d’un pur et large mouvement. (« Beams », Romances sans Paroles) 4-8

Un vers chez Verlaine échappe en partie à cette configuration. Dans le vers suivant :

Et la tigresse épouvantable d’Hyrcanie 4-4-4 ; M6

l’adjectif ne conclut pas H1, il chevauche la frontière d’hémistiche en produisant aussi bien une divergence finale de H1 qu’une divergence initiale de H2 ; seule l’unité métrique composée qu’est le vers est associée de façon concordante avec un syntagme nominal. Et encore une fois, un traitement rythmique ternaire autre que 6-6 est envisagé, sans exclure à l’évidence le traitement 6-6 en contexte 6-6.

Il est difficile de ne pas souligner que, d’une façon générale, les vers dont H2 coïncident avec un syntagme virtuel et ceux dont H2 est divergent présentent une forte tendance à offrir, en plus du traitement 6-6, la possibilité d’un traitement métrique autre, ternaire ou semi-ternaire. Réexaminons les chiffres précédents :

  • sur les 5 H2-AN coïncidant avec un syntagme virtuel, 3 sont C6 et 4 présentent un autre traitement métrique que 6-6 ;
  • sur les 7 H2-AN divergents, 5 offrent, en plus du traitement métrique 6-6, un traitement métrique autre ;
  • sur les 8 H2-NA coïncidant avec un syntagme virtuel, 6 sont C6 et 5 permettent, en plus du traitement métrique 6-6, un traitement métrique autre ;
  • sur les 11 H2-NA divergents, 7 sont reconnaissables comme des 6-6 et possiblement comme des 4-8 ou des 8-4 ;
  • sur les 13 vers FH-NA dont H2 coïncide avec un syntagme virtuel, 8 autorisent un autre traitement métrique que 6-6 ;
  • parmi les 76 FH-NA divergents, 53 offrent la possibilité d’un autre traitement métrique que 6-6, à savoir 69,7 % ;
  • sur les 8 FH-AN dont H2 coïncide avec un syntagme virtuel, 5 sont reconnaissables comme 6-6 tout en admettant un autre traitement métrique ;
  • Enfin, les 6 vers FH-AN dont H2 est divergent, l’un est M6 et ils admettent tous, en plus d’une lecture 6-6, une autre lecture métrique.

Sur 126 vers dont H2 ne coïncide qu’avec un syntagme virtuel ou est divergent, 88 offre la possibilité d’un traitement métrique ternaire ou semi-ternaire, soit près de 70 %. Ces observations mettent en évidence une corrélation assez étroite entre les vers dont H2 n’est pas parfaitement convergent et la possibilité pour le lecteur de reconnaître dans ces vers, simultanément à la longueur 6-6, une longueur métrique ternaire ou semi-ternaire. Cette corrélation est largement indépendante des propriétés C6 puisque seuls 9 vers présentent cette propriété, auxquels il faut encore ajouter deux vers M6.

Gouvard [23] recense les césures 6-6 affaiblies dans ces trois recueils de Verlaine et évalue les chevauchements à la césure par un syntagme nominal précédé ou suivi d’un adjectif épithète (ces deux cas ne sont pas distingués) comme des attaques très faibles, produisant une légère discordance entre structure métrique et structure syntaxique. Pour l’auteur, les attaques « sérieuses », « d’une tout autre nature » commencent avec les vers CP6. On sait par ailleurs [24] que dans les années 60, le rythme 4-4-4 tend à acquérir un statut de mètre de substitution précisément dans les vers CP6. Le propos de Gouvard (2007) diffère du nôtre en ceci qu’il n’observe que les césures affaiblies et en dresse une typologie selon les degrés de discordance mètre/syntaxe à la césure. Il conclut qu’un vers CP6 offre une discordance autrement plus sérieuse qu’un vers dont le premier hémistiche se clôt par un nom et le second commence par un adjectif épithète.

Notre étude a précisément porté sur cette configuration à la césure mais elle comprend également une évaluation de la concordance de H2 dans ces vers. Or, les résultats de l’analyse obligent à distinguer les vers dont H2 est convergent, offrant rarement un mètre de substitution et les vers dont H2 est divergent ou mal convergent, qui eux, offrent fréquemment un mètre de substitution. L’examen des chevauchements de SN à la frontière d’hémistiche s’avère donc insuffisant et doit être complété par deux autres facteurs influant sur la reconnaissance immédiate du mètre :

1 – l’ordre AN ou NA. Le syntagme NA chevauchant la césure produit des H2 convergents et des H2 divergents. Le syntagme AN chevauchant la césure ne produit que des H2 divergents.

2 – la convergence ou divergence de H2. Il est parfaitement possible de produire des FH-NA tout en ménageant un H2 convergent, ce qu’ont fait Hugo et Baudelaire avant que Verlaine ne le fasse lui-même. Nous rejoignons ici l’évaluation de Gouvard (2007), la discordance à la césure est somme toute légère et Verlaine n’a aucun souci dans ce cas de ménager un mètre de substitution.

L’innovation de Verlaine est sans doute d’avoir combiné cette discordance à la césure (FH-NA) avec un H2 ne coïncidant qu’avec un syntagme virtuel et même un H2 divergent. On peut penser que le cumul des deux phénomènes constitue une entrave plus sérieuse à la reconnaissance de la mesure 6-6 et explique ainsi la possibilité d’un mètre de substitution. Il apparaît donc que chez le jeune Verlaine, les mètres ternaires et semi-ternaires pouvaient être l’objet d’une exploration dans les vers dont H2 était associé à un syntagme virtuel ou divergent [25] . Autrement dit, le principe de la concordance pesant sur H2 était tel pour Verlaine que son non respect, combiné avec une césure légèrement discordante réclamait la possibilité d’un autre traitement métrique simultané.

Le jeune Verlaine, curieux de bricoler les contraintes métriques à la césure n’en conserve pas moins le souci d’une concordance satisfaisante de ses unités métriques conclusives d’où la possibilité d’un autre traitement métrique pour les vers dans lesquels la mesure 6-6 entraîne un second hémistiche associé à un syntagme virtuel ou franchement divergent.

Pour conclure, cette analyse de la concordance entre hémistiche et syntagme nominal AN et NA a porté sur plus de la moitié (55,3%) des 6-6v du premier Verlaine. Elle demande à être étendue afin d’observer les régularités qui fondent les 45% restant.

Il faut souligner le caractère encore grossier de ce type d’analyse qui demande à être affinée en replaçant les vers dans leur contexte et surtout à être complétée par la prise en compte des autres unités métriques : modules de strophes et strophes.

La métricométrie peut et doit être élargie pour tenter de saisir ce qui dans la syntagmatique du discours relève aussi bien de la linéarité que des différents niveaux d’enchâssement. La ponctuométrie en fin de vers et interne au vers doit être convoquée même si, dans de trop nombreux cas, la divergence de H2 ne comporte aucun indice ponctuométrique. On le voit, ces deux méthodes d’analyse, indispensables pour l’analyse de la concordance, sont malgré tout largement insuffisantes et ne peuvent remplacer l’examen systématique de la consistance interne des unités métriques qu’il faudrait, à terme, réussir à évaluer automatiquement.

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Annexe 1

Verlaine % sur les H1-AN
H1-AN convergents 29 67,4 %
H1-AN divergents 12 27,9 %
H1-AN = syntagme virtuel 2 4,6 %

Annexe 2

Verlaine % sur les H1-NA
H1-NA convergents 66 68,7 %
H1-NA divergents 22 22,9 %
H1-NA = syntagme virtuel 7 7,2 %


1

Pour un développement de cette question, voir Delente (à paraître).

2

B. de Cornulier, « La place de l’accent ou l’accent à sa place : position, longueur, concordance », dans Le vers français : Histoire, théorie, esthétique, M. Murat (éd.), Paris, Champion, 2000, p. 70.

3

B. de Cornulier, « Problèmes d’analyse rythmique du non-métrique », Semen, http://semen.revues.org/document2736.html.

4

B. de Cornulier, « La place de l’accent ou l’accent à sa place... ».

5

Au sens de Benoit de Cornulier dans Théorie du vers : Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, Paris, Seuil (Travaux Linguistiques), 1982. Cette classe regroupe les pronoms clitiques et les déterminants définis, indéfinis, contractés, les adjectifs démonstratifs et possessifs.

6

Voir J.-F. Jeandillou (à paraître).

7

P. Verlaine, Fêtes Galantes, Romances sans paroles, précédé de Poèmes saturniens, Édition établie par J. Borel, Paris, Gallimard (Poésie/Gallimard), 2006.

8

En effet, les aspects de l’analyse linguistique retenus et étudiés dans leur association avec une unité métrique peuvent être de divers types : syntaxique, sémantique, pragmatique, énonciatif.

9

V. Beaudoin, Mètres et rythmes du vers classique : Corneille et Racine, Paris, Champion (Lettres Numériques), 2002, p. 288.

10

Ibid., p. 302-305.

11

Provisoirement, nous adoptons la formulation « un H comporte tel type de syntagme » car nous n’avons pas encore observé s’il y a coïncidence intégrale entre les deux types d’unités, hémistiche et syntagme. Cette question sera envisagée plus bas.

12

Noter ces deux vers de Boileau, cités dans Jeandillou (2007) : Au contraire, l’aveugle et folle ambition et encore Répandant son adroite et fine obscurité (Satire XII) qui, pour ne pas être représentifs de la majorité des alexandrins, ne sont pas pour autant uniques.

13

Dans le cadre de cet article, je me contenterai de mentionner les chiffres concernant les syntagmes ANA sans les commenter.

14

On verra que cette dernière configuration n’est exploitée que chez Verlaine.

15

Voir A. Blinkenberg, L’ordre des mots en français moderne, vol. 2, Copenhague, Levin et Munksgaard, 1928, D. Delomier, « La place de l’adjectif en français : bilan des points de vue et théories du XXe siècle, Cahiers de lexicologie, n° 37, 1980, M. Wilmet « La place de l’adjectif épithète qualificative en français contemporain. Étude grammaticale et stylistique », Revue de linguistique romane, n° 45, 1981 ; R. Martin, « Le vague et la sémantique de l’adjectif. Réflexion sur l’adjectif antéposé en français », Quaderni di semantica, vol. VII, n° 2, 1986 ; M. Forsgrén, La place de l’adjectif épithète en français contemporain, Stockolm, Almqvist et Wiksell, 1987 ; Y. C. Morin, « Un cas méconnu de la déclinaison de l’adjectif français : les formes de liaison de l’adjectif antéposé », in Le mot, les mots, les bons mots, A. Clas (éd.), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1992 ; B. Larsson, La place et le sens des adjectifs épithètes de valorisation positive, Lund, Lund University Press (Études Romanes de Lund), n° 50, 1994 ; H. Nølke, « Où placer l’adjectif épithète ? Focalisation et modularité », Langue française, n° 111, 1996 ; J. Goes, L’adjectif. Entre nom et verbe, Paris – Bruxelles, Duculot, 1999 ; M. Noailly, L’adjectif en français, Paris – Gap, Ophrys, 1999 ; É. Delente, « L’épithète de nature ou “Les terroristes sont-ils dangereux” ? », in L’adjectif en français et à travers les langues, J. François (éd.), Caen, Presses universitaires de Caen, 2005.

16

Voir Delente (2006).

17

Sur cette question, voir É. Delente, « Distribution du syntagme adjectival épithète dans l’alexandrin verlainien », in Le sens et la mesure. De la pragmatique à la métrique, Hommages à Benoit de Cornulier, J.-L. Aroui (éd.), Paris, Champion, 2003.

18

Cf. J. L. Manguin, « L’évolution en français de l’adjectif épithète vers la postposition : réalité syntaxique ou trompe-l’oeil lexical ? », in Le poids des mots, G. Purnelle, C. Fairon, A. Dister (éds), Louvain, Presses de l’Université de Louvain, 2004.

19

Encore une fois, ce phénomène est parallèle à celui qu’on observe pour la même époque dans d’autres genres. J. L. Manguin (« L’évolution en français de l’adjectif... », p. 761) montre que pour le roman, la proportion de NA est de 51 % pour la période 1830-1859 ; elle passe à 54,5 % pour la période 1860-1869 et ne cesse ensuite d’augmenter pour atteindre 58,2 % entre 1950 et 1959.

20

Voir B. de Cornulier, Art Poêtique : Notions et problèmes de métrique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1995.

21

Pour qui serait intéressé par une estimation rapide de la concordance en H1 chez Verlaine, se reporter à l’annexe 1 qui montre une proportion de H1-AN convergents nettement plus faible qu’en H2.

22

Cf. J.-M. Gouvard, « Les innovations métriques dans Fêtes galantes et Romances sans paroles », journée d’études du 6 décembre 2007, http://www.fabula.org/colloques/sommaire838.php.

23

Ibid.

24

Voir J.-M. Gouvard, Critique du vers, Paris, Champion (Métrique française et comparée), 2000.

25

Tout comme dans les cas de vers CP6, voir J.-M. Gouvard, Critique du vers...