Citer cette page

POUR FAIRE CESSER LA MENDICITÉ.  [•]
NÉCESSITÉ D’UN BUREAU GÉNÉRAL DES HÔPITAUX, DES COLLÈGES ET DES SÉMINAIRES [•] [•]

§ 1

Je fis imprimer au commencement de 1724 un petit mémoire où je démontrais [•] les grands avantages que produiraient à l’État les travaux des mendiants, et les grands inconvénients qui résultent de leur fainéantise1. Ce mémoire produisit trois mois après une déclaration du roi pour renfermer les mendiants ; elle eut d’abord assez de succès, les fainéants disparurent, mais dès qu’ils s’aperçurent qu’on refusait des pauvres aux hôpitaux faute de revenus suffisants ils reparurent, et, par quelque défaut de la loi qui n’a pas suffisamment pourvu à son observation, nous voyons autant de mendiants qu’avant cette loi2.

§ 2

Il faudrait donc [•] : 1°. Commencer par assigner et assurer aux hôpitaux un revenu suffisant pour les pauvres invalides, et pour les pauvres valides qui manquent de travail.

§ 3

Il faut 2°. Observer dans les hôpitaux que les pauvres valides soient un peu moins bien dans l’hôpital pour les commodités et pour la nourriture qu’ils ne seraient chez eux, afin qu’ils désirent d’y retourner.

§ 4

3°. Il faut que les mendiants fainéants qui ont été pris en mendiant soient punis suffisamment longtemps de leur mendicité [•] dans la maison de correction, afin qu’étant renvoyés chez eux ils craignent suffisamment une seconde correction.

§ 5

Mais le point principal est de pourvoir au revenu suffisant de tous les hôpitaux que l’on peut faire gouverner par des ordres mendiants qui deviendraient ainsi beaucoup plus utiles à la société chrétienne.

§ 6

Or pour avoir l’autorité de pourvoir à l’augmentation et à l’administration de ce revenu, il faut qu’il y ait un Bureau général perpétuel au Conseil, destiné presque uniquement pour les hôpitaux [•] et pour les collèges et les séminaires, et qui sera composé de personnes distinguées par leur capacité et par leur zèle pour le bien public, avec un procureur général de la commission, et des maîtres des requêtes pour rapporteurs. Il y a déjà un président qui est intendant des finances, mais qui ne fait rien et ne peut rien faire faute de [•] procureur général pour requérir, faute de rapporteurs pour être bien instruit, et faute de conseil pour être suffisamment autorisé à faire des articles de règlement.

PREUVES DE LA NÉCESSITÉ D’UN BUREAU DU CONSEIL [•]

§ 7

1°. Les établissements humains quelques sages qu’ils soient peuvent toujours être perfectionnés avec le secours des réflexions et des expériences. Ainsi il n’est pas étonnant que l’on ait remarqué dans la déclaration du 18 Juillet 1724 plusieurs choses à ajouter, et d’autres à modifier3.

§ 8

Or pour faire ces perfectionnements n’est-il pas nécessaire d’y employer l’autorité et les lumières d’un bureau perpétuel chargé de ces sortes d’affaires ?

§ 9

2°. Les hôpitaux [•] [•], les collèges, les séminaires n’ont pas tous les mêmes statuts ; les uns sont plus sages que les autres et de là vient que certains hôpitaux, collèges, séminaires sont mieux administrés que les autres. Or ne faut-il pas une autorité supérieure et permanente pour rendre les bons statuts uniformes par tout où ils conviennent, et pour maintenir toujours l’observation ? Donc un Bureau général et perpétuel pour les hôpitaux [•] [•], collèges, et séminaires est absolument nécessaire.

§ 10

3°. Pour bien juger entre des statuts opposés de leur différente utilité, il faut en comparer les avantages et les inconvénients. Or qui pourra faire cette comparaison avec plus de sagesse qu’une compagnie d’hommes très instruits, et qui auront l’autorité nécessaire pour faire venir ces différents statuts avec les motifs de chacun d’eux ? Donc ce bureau est absolument nécessaire.

§ 11

4°. Il se peut faire qu’un évêque, [•] [•] qu’un premier magistrat d’une ville, par prévention et par erreur, favorise une mauvaise administration d’un hôpital [•], d’un collège, d’un séminaire ; en ce cas il est visible qu’un Bureau général est nécessaire pour recevoir et pour examiner les plaintes, quand on verra qu’elles viennent de la part de gens de bien et éclairés.

§ 12

5°. Il arrive quelquefois qu’il se forme des divisions, et des partis entre les premiers administrateurs au grand dommage de l’hôpital. Or en ce cas n’est-il pas nécessaire qu’il y ait une autorité supérieure pour juger en faveur du parti le plus raisonnable, et pour augmenter son autorité ?

§ 13

6°. Il se trouverait de temps en temps dans les grandes villes des gens de bien d’un excellent esprit, qui pourraient donner des mémoires excellents pour l’utilité de l’hôpital [•] [•], du collège, du séminaire de leur ville, et des autres hôpitaux, s’ils étaient sûrs que leurs mémoires seraient examinés, et qu’ils pourraient procurer quelque avantage au public, mais faute du bureau auquel [•] M. le Chancelier ou M. le Contrôleur général des Finances puisse renvoyer ces mémoires, il ne se fait point de bons mémoires, ou bien ils tombent dans l’oubli, faute d’examen et d’autorité suffisante dans les examinateurs. Il faut donc un Bureau général.

§ 14

7°. Il y a telle ville, qui pour soutenir et pour perfectionner son hôpital [•], son collège, son séminaire désirerait l’octroi d’un droit sur les boissons, ou l’union de quelque bénéfice du voisinage ; mais faute d’un bureau auquel [•] [•] M. le Chancelier ou M. le Contrôleur général, ou enfin le Ministre de ce bureau puisse renvoyer le mémoire, et qui puisse en avoir les éclaircissements nécessaires de l’évêque et de l’intendant, l’hôpital [•] [•], le collège, le séminaire languit et se détruit tous les ans. Donc un tel Bureau général est nécessaire.

§ 15

8°. Si les citoyens gens de bien qui meurent riches et sans enfants, voyaient que par les soins et l’autorité du Bureau général, les hôpitaux [•] [•], les collèges, les séminaires sont beaucoup mieux administrés au grand avantage des pauvres, de la jeunesse, et des ecclésiastiques, ils laisseraient beaucoup plus souvent des legs pieux [•] à ces établissements. Donc un Bureau général est nécessaire.

§ 16

9°. Il y a d’anciens établissements d’hospitaliers en divers lieux. L’intention des fondateurs était de donner pour le soulagement des pauvres, mais ces établissements ne servent plus qu’à nourrir mollement des fainéants assez inutiles à la société chrétienne. On pourrait les réunir aux hôpitaux des villes, en leur défendant de plus recevoir de novices, en leur conservant leurs pensions durant leur vie [•], et en y établissant des religieux mendiants pour administrateurs comptables dépendant de l’administration séculière ; mais il est visible que pour y réussir, il faut un Bureau général [•] [•] qui [se] tienne toutes les semaines, et qui soit bien instruit des faits, et de l’état de tous les hôpitaux du royaume, et suffisamment autorisé pour faire des règlements sur ces unions [•] et sur ces nouvelles administrations au grand avantage du public [•].

§ 17

Le Bureau étant formé, le procureur général de la commission étant nommé, qui doit être peu occupé d’ailleurs [•], et récompensé par une pension, le ministre de ce Bureau n’aura plus qu’à écrire aux intendants d’envoyer au Bureau général l’état des hôpitaux de leur département, ce qui leur manque, soit pour le revenu, soit pour l’administration, et leur avis sur les moyens de remédier à ces défauts.

§ 18

Il est [•] nécessaire pour mettre cette machine en mouvement, et dans un mouvement durable, que le Ministre arrange ce bureau de manière que l’intérêt particulier des membres y soit intimement lié à l’intérêt public. Ainsi il est nécessaire qu’il y ait un procureur général de la commission qu’on puisse louer avec justice, quand on ne verra plus de mendiants, et blâmer avec quelque fondement, quand il en reparaîtra durant quelques mois [•], et quand on verra les collèges, et les séminaires mieux gouvernés, mieux dirigés vers la justice et la bienfaisance ; Il est nécessaire qu’il puisse être nommé conseiller d’État après quinze ans de service, comme ayant été employé utilement à trois des plus importants services de la religion et de l’État.

§ 19

Il est nécessaire que des communautés particulières de différents ordres peu coûteux à l’État aient un intérêt particulier de mieux gouverner leurs hôpitaux [•], leurs collèges, leurs séminaires que ne feront les autres ordres mendiants leurs rivaux, et que leur émulation, ou leur intérêt particulier tourne ainsi au profit du public [•].

§ 20

Il serait à propos que ce Bureau eût le pouvoir de destiner tous les ans certain nombre de pauvres valides des hôpitaux à peupler nos colonies, et de décharger ainsi l’État du trop plein, en procurant en ces pays-là des travaux suffisamment utiles à ceux qui en manquent en ce pays-ci.


1.Sur les pauvres mendiants, s.l.n.d. [Paris, P.-F. Émery, 1724].
2.Sur l’échec de la déclaration de 1724, voir Mendiants, § 59.
3.Déclaration donnée à Chantilly ; voir le texte intégral dans Jean-Pierre Gutton, L’État et la mendicité dans la première moitié du XVIIIe siècle : Auvergne, Beaujolais, Forez, Lyonnais, Saint-Étienne, Centre d’études foréziennes, 1973, annexe, p. 225-230. L’objectif était de mettre un terme à la mendicité des personnes valides, attribuée à la fainéantise.