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Définition de la superstition

Introduction, établissement, présentation et annotation du texte par Carole Dornier

§ 1

L’Antiquité n’avait pas été indifférente à l’analyse de la superstition, comme le montrent le traité que lui a consacré Plutarque, l’injonction épicurienne à se débarrasser des vaines craintes ou les questions posées par Cicéron à la divination1. Cependant la critique du phénomène, opposant science et superstition, se déploie avec le rationalisme classique et les théories modernes de l’imagination. Bacon, Descartes, Spinoza, Malebranche, Bayle et Fontenelle placent la superstition du côté de l’ignorance, de la crainte et des égarements de l’imagination. C’est évidemment à ce courant rationaliste qu’il faut rattacher la définition de l’abbé de Saint-Pierre, cartésien et moderne revendiqué qui rejoint ces prédécesseurs dans son analyse des causes de la superstition. Il avait fait paraître dès 1708 une Histoire d’une apparition, imputant à des causes physiques un phénomène présenté comme surnaturel, et il prolongea l’anecdote par des réflexions sur le fanatisme imputé principalement à « l’ignorance des causes simples, et ordinaires des effets extraordinaires, et prodigieux de la nature »2. Sa définition, publiée en 1741 dans les Réflexions morales contenues dans le tome XV des Ouvrages de politique et de morale, apparaît comme un effort d’analyse et de clarification de réflexions antérieures, à défaut d’apporter un point de vue original sur le phénomène. L’auteur met en avant la crainte et l’espérance comme l’auteur du Traité théologico-politique3, et, dans le sillage de Locke, Bayle et Fontenelle la critique de l’opinion acquise par autorité et tradition ainsi que le lieu commun de l’imposture des prêtres. Au lieu d’avoir recours à des exemples empruntés au registre de la démonologie, des apparitions, de la magie et des manifestations occultes, il associe d’emblée superstition et religion en évoquant les croyances des païens. Cette définition de la superstition correspond à sa conception, qui est celle des déistes, d’une religion rationnelle fondée sur le droit naturel, qui privilégie l’observation de la justice et la pratique de la bienfaisance par rapport aux cérémonies et aux pratiques extérieures de dévotion.

Note sur l’établissement du texte

Manuscrit

Définition de la superstition, archives départementales du Calvados, 38 F 44 (ancienne liasse 6). Mise au net. (A)

Imprimé

Définition de la superstition, in Ouvrages de politique et de morale, Rotterdam, J. D. Beman, 1741, t. XV, p. 168-172. (B)

§ 2

Le texte proposé est celui de l’imprimé (B), avec les variantes du manuscrit (A).


1.Plutarque, Traité de la superstition, 165d ; Lucrèce, De natura rerum, I, v. 62-79 ; Cicéron, De la divination, livre II.
2.Histoire d’une aparition, sl., « 8 janvier 1708 », in-8°, 31 p. ; texte repris et imprimé dans Explication physique d’une apparition, inOPM, t. IV, p. 57-87 ; citation, p. 85.
3.Spinoza, Tractatus theologico-politicus / Traité théologico-politique, Fokke Akkerman, Jacqueline Lagrée et Pierre-François Moreau (éd. et trad.), Paris, Presses universitaires de France, 1999, Préface, p. 57-61.