v. 151-350

Aubert et saint Michel : la fondation du sanctuaire

A-f. 3v 
3vAprof qu’ai fait de cest memoire,
 
Repairier me pleist a m’istoire [1]
 
Et si dirrai de seint Autbert,
 
Quant li angres la vint ou ert [2].
 155
A Avrenches ert une noit
 
Ou se dormeit enz en son liet [3].
 
Iluec li vint angles des ciels
 
– Si quit que ce fut seint Michiels [4]
 
Qui l’esveilla et pois li dist
 160
Que l’endemein au mont venist [5]
 
Et dedesus edefiast
 
Vne chapele et commenchast [6]
 
En l’enor Deu et seint Michiel,
 
Qui poesté a grant el ciel [7],
 165
Que prevoz est de pareïs
 
Et fut, et est, et ert tozdis [8].
Après avoir rappelé cela [1], j’ai plaisir à revenir à mon histoire : je vais évoquer saint Aubert et la venue de l’ange [2] auprès de lui. Alors qu’il se trouvait une nuit à Avranches et qu’il dormait dans son lit [3], un ange descendit des cieux jusqu’à lui – je crois que c’était saint Michel. Il le réveilla et lui dit de se rendre le lendemain au mont et de commencer à construire en son sommet une chapelle en l’honneur de Dieu et de saint Michel, dont la puissance au ciel est grande, car il est préposé à la garde [4] du paradis : il le fut, l’est et le sera toujours.
 
Quant seint Autbert out entendu
 
Bien cest message et retenu [9],
 
Trestot le mist en non chaleir
 170
Tant que avint que, a un seir [10],
 
S’eirt endormi de somme grief
 
Quant li vint l’angles de rechief [11]  ;
 
Si l’a de son sonne escité
 
Et par son dreit non apelé [12],
 175
Et li recommande ensement
 
Cen que dit out premierement [13].
 
Donc se porpense seint Autbert
 
Que se Deus velt qu’en seit plus cert [14]
 
De cen que l’angles dit li a,
 180
La tierce feiz encor vendra [15].
A-f. 4r 
4rQuer plusors feiz est avenuz
 
Que deable a deceüz [16]
 
En tel maniere mainz ermites
 
Et autres genz de granz merites [17].
 185
Et li apostres cen diseit
 
Que nus hoem creire ne deveit [18]
 
Esprit tres que provei eüst
 
S’il iert leals ou de Deu fust [19].
 
Por icen l’a encor teü
 190
Qu’il en cuide estre deceü [20].
Après avoir écouté attentivement et retenu ce message, Saint Aubert ne s’en soucia aucunement jusqu’au moment où, un soir où il s’était endormi d’un profond sommeil, l’ange revint ; il le tira de son sommeil, l’appela par son propre nom et lui répéta exactement l’ordre qu’il lui avait donné la première fois. Aubert considéra alors que si Dieu voulait qu’il fût plus sûr de ce que l’ange lui avait dit, celui-ci viendrait encore pour la troisième fois, car il est arrivé à plusieurs reprises que le diable trompe de cette façon plus d’un ermite et d’autres personnes de grande valeur. L’apôtre lui-même disait que nul ne devait croire un esprit [5] tant qu’il n’avait pas prouvé qu’il était de bonne foi ou qu’il émanait de Dieu. C’est pourquoi il garda encore une fois le silence, pensant être l’objet d’une tromperie.
 
Pois avint si qu’il se dormeit
 
Enz en sa chambre, cum soleit [21] ;
 
Li angles vint, cen li sembla,
 
Iriement, et si bouta [22]
 195
D’un de seis deiz en mié le front :
 
Encore i pert, feiz en rount [23],
 
Icil pertus que il li fist.
 
Quant le bota, icen li dist [24]
 
Que il alast seinz demoreir
 200
Le mostier faire et commencier [25]
 
En son le mont, la ou veirreit
 
Lié un tor qui iluec esteit [26]  :
 
Menez i fut en larrecin.
 
Li tors aveit feit le chemin [27]
 205
Tot entor lui, la ou serait
 
Li fundemenz que il fereit [28].
 
Quant cen out dit, si s’en ala.
 
Donc sout tres bien, pas ne douta [29]
 
Li evesques, que Dex voleit
 210
Que ce fust fait que cil diseit [30].
Voici ce qui se produisit alors : il dormait, comme à son habitude, dans sa chambre, quand l’ange arriva, en colère à ce qu’il lui sembla ; il le frappa d’un de ses doigts au beau milieu du front : le trou [6] de forme ronde qu’il lui fit y est encore visible [7]. En le frappant, il lui dit d’aller sans attendre commencer la construction de l’église au sommet du mont, là où il verrait un taureau qui s’y trouvait à l’attache : il y avait été amené en cachette. Le taureau avait marché tout autour de lui [8]  : c’était là l’emplacement des fondations qu’Aubert réaliserait. Sur ces mots, il s’en alla. L’évêque n’eut alors plus de doute : il sut parfaitement que Dieu voulait que fût accompli ce que disait son interlocuteur.
A-f. 4v 
4vEn l’endemain matin leva,
 
Ses chanoines a sei manda [31].
 
Quant il furent tuit assenblei,
 
Sa vision lor ad contei [32]  ;
 215
Enpreis lor mostre le pertus
 
Qui li fut faiz el chief desus [33].
 
Tuit li dient communement
 
Que il face hastivement [34]
 
Cen que Dex li ad commandé
 220
Et par son angle ammonesté [35],
 
Quer bien viaz en encorreit
 
L’ire de Deu, se il nel faseit [36].
 
Chascun par sei molt s’esbahit
 
De cel pertus que el chief vit [37].
 225
Quant ce unt dit en lor conseil,
 
Sainz Autbert fait son apareil [38].
Le lendemain, il se leva tôt et fit venir ses chanoines [9] auprès de lui ; quand ils furent tous rassemblés, il leur raconta sa vision, puis leur montra le trou qui lui avait été fait au sommet de la tête. Tous lui dirent d’une seule voix de se hâter de faire ce que Dieu lui avait ordonné et réclamé par l’intermédiaire de son ange ; car il encourrait tout aussitôt la colère de Dieu s’il ne le faisait pas. Chacun personnellement fut frappé d’étonnement à la vue de ce trou dans la tête. À l’issue de ces délibérations, saint Aubert [10] fit ses préparatifs.
 
A ses barons icen mostra [39]
 
Et ad vileins trestoz manda [40]
 
Que ovec lui par ban alassent
 230
Et lor ostuiz ou els portassent :
 
Vooges, besches et piscois
 
Et cognies a trenchier bois.
 
Il vint al mont, si l’amonta :
 
Le tor emblé desus trova [41]  ;
 235
Cil qui l’aveit iluec mucié
 
L’out d’une corde lonc lié [42].
 
Por cen l’out fait que il peüst
 
Et par le pestre se teüst [43].
 
Li lerres s’ert bien porpensez
 240
Se il muisist, qu’il fust trovez [44].
A-f. 5r 
5rMolt fut sages qui l’i lia,
 
Asseiz fut plus qui l’enseigna [45].
Il exposa son projet à ses barons et fit avertir publiquement tous ses paysans qu’ils devaient l’accompagner, munis de leurs outils : serpes [11], bêches, pioches, et cognées pour couper le bois. Il se rendit au mont, le gravit et trouva au sommet le taureau volé. Celui qui l’avait caché là l’avait attaché avec une corde d’une bonne longueur : il avait procédé ainsi pour qu’il se nourrît et que, rassasié, il se tût ; le voleur avait bien réfléchi au fait que ses meuglements l’auraient fait découvrir : celui qui l’avait attaché là était bien avisé, mais bien plus encore celui qui avait révélé les faits.
 
Alant, venant entor la place,
 
Li tors out fait une grant trace [46].
 245
Li evesques la veie vit,
 
Si com li angles li out dit [47].
 
Lors prent le tor, si l’a rendu
 
Au proudomme qui l’out perdu [48],
 
Que li angles dit li aveit
 250
Qu’il le rendist quant il l’aureit [49].
 
Donc fist venir les ouvriers sus,
 
Si commanda a metre jus
 
Et ad abatre et ad trenchier
 
Cen qui noiseit ad commenchier [50]
 255
Cele igliese que faire deit.
 
Chescuns de els ovre en sen endreit [51].
 
Quant li leus fut aplanié,
 
Dous roches unt en mié leissié [52]
 
Que il ne poent fors geter
 260
Par nul engieng ne remuer [53].
 
Sainz Autbert est donc esmaié,
 
Meis Damledeu l’a conseillié [54]  :
Par ses allées et venues autour de l’emplacement, le taureau avait réalisé une trace de grande ampleur. L’évêque vit la voie, comme l’ange le lui avait dit. Il prit alors le taureau et le rendit à l’homme qui l’avait perdu, car l’ange lui avait dit de le rendre quand il s’en emparerait. Puis il fit venir les ouvriers là-haut et leur ordonna de faire tomber, d’abattre et de couper ce qui empêchait de commencer cette église qu’il devait édifier. Chacun d’eux se mit à l’ouvrage de son côté. Une fois le lieu nivelé, il leur resta au milieu deux rochers qu’ils ne pouvaient déplacer [12] par aucun moyen ni faire bouger. Saint Aubert en était bouleversé, mais le Seigneur Dieu lui vint en aide.
 
Pres d’iluec out une vilete,
 
Iz aveit non, molt petitete [55],
 265
Baïns i mest, uns païsans,
 
Qui d’enfanz ert assez mananz [56].
 
Douze filz out, granz et petiz,
 
Od lui esteient tuit a Iz [57].
 
En son dormant l’angles li dist
 270
Qu’il levast sus et si venist [58]
A-f. 5v 
5vO ses enfanz la pierre oster
 
Qui a Autbert tout son ouvrer [59].
 
Faire ne velt demorement :
 
L’andemein lieve temprunment [60],
 275
Pois prist ses filz, si sunt alé
 
La ou Dex li out commandé [61].
 
Quant il vint la, si reconta
 
A seint Autbert cen qu’oï a [62]  :
 
Quant li sainz huem cen out oï,
 280
Dex gracia, molt s’esjoï [63].
Il y avait près de là un tout petit village, appelé Itier où demeurait Bain [13], un paysan riche de nombreux enfants : il avait douze fils, grands et petits qui vivaient avec lui à Itier. Dans son sommeil, l’ange lui dit de se lever et de venir avec ses enfants enlever la pierre qui faisait obstacle à l’ouvrage d’Aubert [14]. Bain ne voulut pas tarder : le lendemain, il se leva de bonne heure [15] , prit ses fils et se rendit avec eux là où Dieu le lui avait ordonné. Arrivé sur les lieux, il rapporta à saint Aubert ce qu’il avait entendu. Ses paroles réjouirent le saint homme, qui rendit grâce à Dieu.
 
Dunc vint Baïns, si s’est segniez,
 
Al grant perron s’est apoiez [64]  ;
 
Lui et si filz si vunt botant,
 
Mais il n’esmuet ne poi ne grant [65].
 285
Molt par se peinnent del boteir,
 
Mais il nel pueent remuer [66]  :
 
Botent de cha, botent de la,
 
Mais onc la pierre ne crolla [67].
 
Donc s’i rapresment li villain,
 290
Mais quant que il funt si est en vain [68]  :
 
De l’angoisse sunt tuit sullent,
 
Mais de l’oster est il neient [69].
 
Tirent et botent et hasloent,
 
Mais por neient se travelloent [70].
 295
Li uns d’els l’autre semmonneit :
 
« A, fel, bote de la endreit ! [71] »
Alors Bain s’avança et, après s’être signé, s’appuya contre le gros rocher [16]  ; ses fils et lui se mirent à pousser, sans le faire aucunement bouger ; ils s’évertuèrent à le pousser, mais ne purent le déplacer ; ils poussèrent d’un côté [17], poussèrent de l’autre, mais la pierre ne s’ébranla en aucune façon. Les paysans se joignirent à eux, mais toutes leurs tentatives furent vaines : tous ruisselaient d’angoisse [18], mais impossible de l’enlever ! Ils avaient beau tirer, pousser, peser sur des cordes [19], leurs efforts étaient inutiles. Ils s’interpellaient [20] l’un l’autre : « Ah, vaurien, pousse donc de ce côté-là ! »
 
Quant seinz Autbert a cen veü
 
Que ne lor vaut rien lor vertu [72]
 
Ne nus engiens qui onques seit,
 300
A Baïn est venuz tot dreit [73]  :
A-f. 6r 
6r« Diva, fait il, as tu enfanz
 
Ne meis ces unze ici ovranz [74]  ?
 
– Oïl, dit il, un sol petit,
 
Meis em berz est. Li seint li dit [75]  :
 305
– Si t’aït Dex, va tost por lui,
 
Ou de tes filz i algent dui [76].
 
Aporte lei isnelement,
 
Tant cum cil pueples ci atent [77]. »
Saint Aubert, voyant que leur force était inutile, de même que tous les moyens existants, vint tout droit à Bain : « Dis-donc [21], fit-il, as-tu des enfants, autres que ces onze qui sont ici à l’ouvrage ? – Oui, répondit-il, un seul, un petit, mais il est au berceau ! [22]. Le saint lui dit : – Que Dieu te vienne en aide, va vite le chercher, ou que deux de tes fils y aillent ! Dépêche-toi de l’apporter, pendant ce temps tout le monde t’attend ici ! »
 
Si cum Autbert l’out comandé,
 310
L’enfant li unt tost aporté [78]
 
Ou tot le berz ou il esteit.
 
Au perron l’ont apoié dreit [79]  ;
 
Donc va Baïn et si enfant :
 
La pierre unt prise en solzlevant [80],
 315
Aval le mont l’ont roolee ;
 
Roelant vait, tant qu’arestee [81]
 
S’est enz el val qui desoz ert :
 
Encore i est, tres bien apeirt [82]  ;
 
Alquanz l’apelent le Tombel.
Conformément aux ordres d’Aubert, ils lui apportèrent vite l’enfant avec le berceau dans lequel il se trouvait. Ils l’appuyèrent directement contre le rocher ; Bain et ses enfants s’avancèrent alors, empoignèrent la pierre en la soulevant et la firent rouler en bas du mont. Elle continua à rouler et s’arrêta dans la vallée située au-dessous : elle y est toujours actuellement, on la voit très bien. Certains l’appellent « le Tombeau ».
 320
Ci out miracle et grant et bel [83],
 
Ci ouvra bien la vertu Dé,
 
Qui od un berz a cen osté [84]
 
Que esmoveir sol ne poieit
 
Tout le pueple qui i esteit [85].
Ce fut là un grand et beau miracle : là fut à l’œuvre la puissance de Dieu, qui, avec un berceau, a ôté ce que la foule présente ne pouvait [23] pas seulement faire bouger !
 325
L’autre pierre est tost remuee
 
Quant la granz fut d’iluec ostee [86].
 
Quant aoé orent le mont
 
Congié demandent, si s’en vunt [87].
L’autre pierre fut vite déplacée, après qu’on eut enlevé la grande. Après avoir aménagé le mont [24], ils prirent congé et s’en allèrent.
 
Li boens Baïns et si enfant
 330
S’en vunt, a Deu grace rendant [88],
A-f. 6v 
6vQuer seint Autbert franchi li out
 
Trestout son feu, ou que le sout [89],
 
Fors que de tant que le mostier
 
Seit feiz par an deveit junchier [90],
 335
Et sinn areit ses livraisons
 
Donnees : pain, vin et poissons [91].
 
Li buens Baïn, por tel servise,
 
De seint Autbert rechut franchise [92].
 
Encor ore tienent si heir
 340
Tout lor feu franc a Belveier [93]  :
 
Por junchier tote l’abeïe
 
Iert lor feu franc tote lor vie [94].
 
Jonchier deivent dedenz le cor
 
E la cherche, le riere cuer [95],
 345
Le chapitre et le refector,
 
Et le cloistre trestot entor [96].
 
Les croiz ne la neif del mostier
 
Cel nen est pas de lor mestier [97].
 
Plus unt encor que dit ne ai :
 350
Livreisons ont teles cum sai [98].
Le bon Bain et ses enfants s’en allèrent en rendant grâce à Dieu, car saint Aubert avait entièrement libéré son fief d’impôts [25], quel que soit celui à qui il les payât [26], mis à part ceci : il devait, sept fois par an, couvrir de joncs le sol de l’abbaye ; en échange [27], il aurait des avantages en nature fournis [28] : pain, vin et poissons. Tel était le service qui valut au bon Bain d’être exempté par saint Aubert. Aujourd’hui encore ses héritiers tiennent à Beauvoir [29] un fief libre de redevances : en échange de la jonchée dans toute l’abbaye, leur fief sera exempté toute leur vie. Ils doivent joncher le chœur, la chapelle du déambulatoire [30], l’arrière-chœur, le chapitre et le réfectoire, et tout le pourtour du cloître. Quant au transept et à la nef de l’église, cela n’entre pas dans leurs obligations. Ils ont encore plus d’avantages que ce que j’en ai dit ; pour ceux en nature, je sais ce qu’il en est.

~

1   Grande initiale également dans B : Apres que fet de ce memoire Reperer plest amestioire.

2    E si direi de saint aubert ; li vint ou iert.

3    Aurenches vint une nuit : leit.

4    Illeuc li uint angres de ciel ; cuit ; saint michel.

5    les uella e puis ; lendemain.

6    commensast.

7    le nor ; saint michel ; poste ; eu ciel.

8    Quer preuost ; paradis.

9   Grande initiale également dans B : Quant saint aubert out entendu.

10    Trestout lemist ; Tant quil li auint a vn seir.

11    sert ; grant ; langre.

12    de sonme esuelle.

13    Et si reconmande ; Ce que dit ot.

14    Dont se pourpensa saint aubert Que ce dex veut ; sert.

15    de ce que langre dit li a ; foiz.

16   181 absent dans B : Quer dieable adeceu .

17    hermites : gens de grans merites.

18    diseient Que nus hons creire deueient.

19    Esperit treis ; Sil ert leaus.

20    ice ; etre.

21    Puis auint quil ce dormeit : cum il souleit.

22    Si angre uint si li sembla Isnelement si le bouta.

23    Dun de ses deiz enmi le front Encor i pert. feit en ront.

24    Icel pertus que il i fist Quant le bouta et ce le dist.

25   A : faire . et ; B : sans demouree Le moustier fere et.

26    En sus ; quil la esteit.

27    Meneiz i fu en larerrecin.

28   206 absent dans B.

29    ot dit ; se nala ; dota.

30    uouleit ; fust fet.

31   Grande initiale également dans B : En lendemain matin leua les chanoines a ce manda.

32    a semble.

33    Quil li fut feit eu front de sus.

34    Quil face hatiuement.

35    deu ; conmande : admoneste.

36    en courret ; sil nesteit feit.

37    eu chief.

38   A : Fainz autbert ; B : Saint aubert.

39    ice montra.

40   228-233 absents dans B.

41    si la montei (ou monta, avec correction de ei en a ?) ; emblei.

42    Cil quil laueit illeuc mucie.

43    Pour ce lout feit ; le peistre.

44    pourpenseiz ; bien fust troue.

45    Mout fut sage ; A cez fut plus quil leseigna.

46    ot feit.

47    Li euesque la uoie vit Si comme langre li ot dit.

48    Au proudom quil lauet perdu.

49    Quer li angre.

50    Et abatre eatrenchier Ce que nuiseit a commensier.

51    Celle iglese que fere deit Checun de euls euvre a son endreit.

52    li leu ; ont en mei.

53   A : poest fors ; B : peuent hors ; engin.

54    Saint aubert ; esmoie Mes dame deu la consellie.

55    Pres dileuc ha vne villete Yez ; mout.

56    Bain imaigniet un paisant Qui desfanz ert assez manant.

57    Douze fiz out grans et petiz O lui esteient tuit alez.

58    langre.

59    les esfans la piere ; tout a ouurer.

60    Fere nen vout demonrement Lendemain lieue tempruement.

61    Puis print ses fiz si sunt aleiz La ou li out deu commande.

62    recorda A saint aubert ce que oy a.

63    hons ot cen oy ; 279 absent dans B.

64   A : Au grant perron a poiez ; B : Donc vint bain si cest seigniez Au grant perron sont apoinez.

65    Lui e ses fiz ci vunt boutant Mes il ne meut ne poy ne grant.

66    Mout se parpeinent deu bouter Mes il neu peuent (A : ne puent).

67    Boutent de ca boutent ; Mes onc ; croula.

68    Donc si reprennent li vilain Mes quan que il font.

69    angoesse ; suant ; Mes ; neent.

70    Hurtent et boutent et haloient Mes pour nient se traualloient.

71   A : semmonnent ; B : li vns lautre sermonneit.

72   Grande initiale également dans B : Quant saint aubert veu (vers incomplet).

73    Ne nul engin que euls aient feit ; uenu tout dreit.

74   A : ouranz . ~ (ponctuation) ; B : feit il ; esfans Nemes ces onze ici ouurans.

75   A : emberz est . li seint ; B : vn soul petit ; embers est ; le saint.

76    Si taist ; por li ; fiz ; augent.

77    Aporte le ; sil peuple ici.

78    Sicon aubert lout comandei Lesfant li ont tost aportei

79    O tout le bers ; aporte.

80    ueit ; si esfant ; La pierre ont prins en sozleuant.

81    roulee Roulant vait tant que arestee.

82    eu val ; tres bien ipert.

83    Aucuns lapelent le tumbel ; miracle grant.

84    et oura bien la uertu dei Qui o vn berz a ce ostei.

85   A : poient ; B : Que esmouer ne pouet Tot le peuple qui i esteit.

86    Quant lautre fut dileuc ostee.

87   A et B : aoe (pour areé ?).

88   Grande initiale absente dans B : Li bon bain et si enfant Sen vont.

89    saint aubert ; Trestout sen fieu.

90   A : destant que detant (exponctué) ; B : ditant que le monstier Seipt foiz par an.

91   A : Deniers . pain . uin . et poissons ; B : E sen aureit ses liureisons ; Donnes (ou Dorines ?) pain vin et peissons.

92    Le bons bains ; De saint aubert recut.

93    tiennent ; Tot ; abel ueeir.

94    Pour ; toute ; Ert lor fieu franc en lor uie.

95    Junchier deiuent dedens le cuer Et la cerche et reire cuer.

96    le refetor ; trestout.

97    et la neif de li monstier Ice nest pas.

98    unt omis.

~

1    Aprof, adverbe, préposition et conjonction, du latin ad prope « ensuite, après », est synonyme de apres, du latin ad pressum, « auprès » qui s’est imposé dès l’ancien français. Le copiste de B ne connaît que la forme apres.

2    La forme demi-savante angles, du latin d’origine grecque angelus, est courante dans la version A du Roman. Angres présente un phénomène phonétique d’échange entre les consonnes liquides l et r, plus souvent attesté en Normandie dans les textes des XVIIe et XVIIIe siècles, mais qui est aussi un phénomène du français populaire. Cf. à ce propos René Lepelley, Le parler normand du Val de Saire (Manche), Caen, Musée de Normandie (Cahier des Annales de Normandie ; n° 7), 1974, § 221 p. 84. L’occurrence unique de cette forme dans le manuscrit A est peut-être le fait du copiste. En revanche, celui de B emploie souvent angres.

3    À propos de la rime noit : liet, cf. notre introduction « Traits dialectaux normands », p. 65 sq.

4    Prevost est de pareïs : cf. Revelatio, I, 1 : paradisy praepositus.

5    Esprit : « être immatériel », qu’il soit ange, démon ou fantôme. Cf. Chroniques latines…, Pierre Bouet et Olivier Desbordes (éd.), Revelatio IV, 1, … spiritus prophetarum non semper est prophetis subiectus… : « l’esprit des prophètes n’est pas toujours soumis aux prophètes », reprise sous forme négative d’une phrase de « l’apôtre » Paul (Épître de saint Paul aux Corinthiens, 1 Co 14, 32), spiritus prophetarum prophetis subiecti sunt : « les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes », où spiritus a un autre sens

6    Pertus, du latin pertusiu(m), « trou », en français central pertuis, est attesté aux v. 197, 215 et 224. Cf. notre introduction, « Traits dialectaux normands », p. 65 sq.

7    Cf. Revelatio IV, 2 : Interea tercia admonitione venerandus episcopus pulsatur austerius… Marcel Lelégard note dans « Saint Aubert », p. 49, que si, « dans l’esprit de l’auteur, pulsatur note une « impulsion d’ordre moral et intellectuel », […] pour les moines du XIe siècle, ce verbe est employé comme équivalent de percutitur, et il s’agit d’une « percussion physique » ». La version de la Revelatio dans le ms. 210, 7v intègre ce détail : … pulsatur hausterius, apparente in eiusdem presulis capite usque in hodiernum diem in testimonio foramine… Emmanuel Poulle, dans « Le crâne de saint Aubert entre mythe et histoire », Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, t. 76, 1999, p. 167-177, produit l’avis d’experts en anthropologie selon lesquels le crâne découvert au début du XIe siècle serait celui d’un homme d’une soixantaine d’années, et serait à dater de l’époque médiévale plutôt que du néolithique.

8    Chemin, du gaulois camminus : « voie qu’on parcourt pour aller d’un lieu à un autre » (FEW II, 2, 144 b). L’épisode est résumé en ces termes dans le manuscrit Avranches, BM, 212, f. 46v : … en iceluy lieu estoit un toreau que ung larron y avoit mené, que ce que il trouveroit que le toreau avoit marchié, que il vouloit son esglise estre d’iceluy grant.

9    Cf. TLF V, 507 a, chanoine : « Dignitaire ecclésiastique faisant partie d’une cathédrale, d’une collégiale, ou de certaines basiliques, tenu à l’office du chœur et jouissant parfois d’une prébende » ; de canonicus, latin d’origine grecque « fait suivant les règles », d’où « conforme à la règle d’un ordre religieux », puis « appartenant régulièrement à un diocèse, à une église » et « prêtre, clerc appartenant régulièrement au clergé d’une église » (ive s.), d’où « chanoine » (viiie s.).



10    Le s long minuscule placé par le copiste de A au début du vers pour préparer l’enluminure de la majuscule initiale a été confondu avec un f, d’où la graphie Fainz autbert.

11    Vooge, en français moderne vouge, substantif d’origine gauloise, désigne une serpe à long manche.

12    Le copiste de A a compris le pronom il comme un singulier, d’où la forme de P3 poest ; à comparer avec B : peuent, forme de P6.

13    Itier : Iz ou Itier, actuellement Montitier, se trouve dans la baie, à quelques kilomètres au sud-est du Mont ; cf. Chroniques latines…, Pierre Bouet et Olivier Desbordes (éd.), Revelatio IV, 3, p. 97 : … visio apparuitcuidam homini, nomine Baino,in villa quae dicitur Itius… Bain, dissyllabique dans A, est considéré comme monosyllabique par le copiste de B, qui, de ce fait, remplace le passé simple monosyllabique mest par un imparfait dissyllabique, maigniet.

14    Tout, P3 du verbe toldre ou tolir au présent de l’indicatif : « enlever, saisir, supprimer, empêcher ».

15    Temprunment, adverbe en -ment plus souvent attesté sous la forme temprement, « de bonne heure, bientôt », est formé à partir de tempsprin, ou temprun, littéralement « temps premier », qui désigne généralement le printemps, mais que l’on peut comprendre ici comme « à la première heure ». Temprun est attesté en Normandie continentale, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, et temprim à Jersey (FEW XIII, 1, 189 b, tempus).

16    Nous avons considéré que apoiez, qui rime avec seigniez, au cas sujet singulier, est aussi un cas sujet singulier, conforme à la morphosyntaxe du XIe siècle et avons restitué : Au grant perron s’est apoiez. Lui et ses filz si vunt botant…

17    Cha, « çà » (du latin *eccehac) : cf. notre introduction, « Traits dialectaux normands », p. 65 sq.

18    La tension des ouvriers est autant psychologique que physique : leur tâche est pénible et l’enjeu de leurs efforts est considérable, puisque du déblaiement des deux rochers dépend la construction du sanctuaire.

19    Haler, emprunt du XIIe siècle au germanique occidental *halôn, « amener, aller chercher », appartient à l’origine au lexique de la marine et signifie « tirer avec un cordage ». Il est toujours usité en ce sens en français.

20    Le copiste de A interprète la forme li uns, avec le s de flexion du cas sujet, comme un pluriel, d’où la forme verbale semonnent. B est plus proche de la finale originelle en -eit, garantie par la rime avec endreit ; mais le copiste de B a lu sermonneit de sermonner et non semonneit de semondre. C’est cette dernière leçon qu’il convient de retenir, en écartant sermonneit, verbe en -er, dont l’imparfait aurait la forme sermonout ou sermonot qui ne pourrait rimer avec endreit.

21    Cf. FEW III, 69 b, dicere : les deux impératifs di (dire) et va (aller) constituent l’interjection diva, courante en ancien français au sens général de « eh bien ! » et conservée en français à la fois dans dia et dans (oui) da. Cf. infra, v. 3103.

22    Emberz : le n final de la préposition en est assimilé par la consonne labiale b initiale de berz ; cf. les v. 814, 1591, 2222, 2232, 2316.

23    La rime esteit (v. 324) garantit la leçon poieit que nous retenons pour le v. 323.

24    Plutôt que la correction en aoré suggérée par R. Graham Birrell (Le Roman du Mont-Saint-Michel by Guillaume de Saint-Pair, p. 137), de aorer « prier, adorer », nous proposons areé ou aroé « aménagé », l’erreur du copiste s’expliquant soit par la succession du r et du e, confondus avec un o dans une forme originelle aree, soit par une omission du r, peu lisible, dans aroe. A et B proposent la même leçon : soit B copie A, soit tous deux reproduisent un même manuscrit où figure cette forme aoe.

25    Feu : forme de fief, « domaine noble relevant d’un suzerain », attestée également chez Wace, du germanique fehu « bétail » (FEW XV, 117 a) ; franchir, du germanique franc « qui appartient au peuple franc », puis « libre », « noble », signifie « donner en franche possession » (Godefroy IV, 126 a, franchir) ; il est dit, dans la Revelatio, à propos de Bain : magnum inter suos tenebat dignitatis locum : « il occupait parmi les siens un rang important ».

26    Ou que… a le plus souvent le sens de « quel que soit le lieu où », mais peut aussi, en ancien français et encore en français classique, avoir pour référent un nom de personne. Cf. Philippe Ménard, Syntaxe de l’ancien français, 3e éd., Bordeaux, Éditions Bière, 1988, p. 87-88. Ici, ou qu’il le sout, « quel que soit celui à qui il s’en acquitte », précise que même si le 
seigneur dont dépend le fief change, l’avantage reste acquis à Bain et à ses descendants.

27    En échange traduit l’enclise sinn pour si en : « et ainsi il en aurait… » ; à l’oral, en atone subit une élision de sa voyelle initiale, que Guillaume de Saint-Pair a prise en compte dans la métrique et dont le Roman présente plusieurs autres exemples. Pour Philippe Ménard (Syntaxe de l’ancien français, p. 66), cette enclise « semble surtout une facilité métrique », et pour Gaston Zink (Morphologie du français médiéval, Paris, PUF, 1989, p. 89), « la crase de en ne dépasse pas le XIIe siècle ».

28    La leçon du manuscrit A, deniers, présente l’inconvénient d’être dissyllabique, là où la métrique réclame un trisyllabe. Graham R. Birrell ( Le Roman du Mont-Saint-Michel by Guillaume de Saint-Pair, p. LVII) lit dans B un substantif inconnu, dorines, qu’il analyse comme un dérivé de or (latin aurum ) et qu’il rapproche de doree, « tartine de pain peu épaisse sur laquelle on a étendu une légère couche de beurre ». Mais on constate que l’auteur, dans son énumération, cite ensuite le pain comme étant fourni à Bain et à sa descendance. Graham R. Birrell ( ibid ., p. 97) avance aussi l’hypothèse que dorines soit le nom d’un poisson local ; mais les poissons sont également mentionnés dans le vers. Nous suggérons la forme donnes (que nous corrigeons en donnees ) à relier, au vers précédent, au verbe areit : « et sin areit ses livraisons Donnees ». Le manuscrit d’origine devait pour cette forme présenter une graphie peu lisible, dont chacun des copistes a proposé une interprétation différente.

29    Beauvoir, canton de Pontorson, Manche, « lieu d’où l’on découvre une belle vue », ou peut-être plus simplement « beau à voir » (François de Beaurepaire, Les Noms des communes et anciennes paroisses de la Manche, p. 77). Le lieu est souvent assimilé à Astré ou Astériac. Cf. v. 81, 919 et 937.

30    TL II, 121 donnent cerche avec le sens de « déambulatoire dans le chœur de l’église » et proposent pour étymon le latin tardif *cirticem, altération par métathèse de circitem ; le FEW II, 1, 708 a, présente cherche sous l’étymon circus avec le sens d’« abside de l’église », en datant le terme des XIVe-XVIe siècles. Mais dom Joseph Lemarié (« La vie liturgique au Mont d’après les ordinaires et le cérémonial de l’abbaye », p. 317) indique que dans l’axe du chœur de l’abbatiale « s’ouvrait une chapelle absidale nommée Sancta Maria de circa, “Notre-dame-du-Circuit” – le terme circa désignant le déambulatoire ». Il ajoute en note : « Le terme circata, cercata est courant en Basse-Normandie (Avranches, Coutances) pour désigner la chapelle principale du chevet ». René Lepelley nous a confirmé l’emploi de ce substantif dans la Manche avec le sens de « chapelle du chevet, dédiée à Marie ». Nous avons donc considéré cerche / cherche comme la francisation du latin circa sur le modèle de circare devenu cerchier, puis cherchier, par assimilation du [s] de la première syllabe au [∫] de la seconde.