Je veux écrire un autre miracle en français et le faire figurer dans ce livre : le mont brûla de nuit, jadis
[1] Dans A, sur les huit dernières lignes du f. 45v, figure le dessin à l’encre noire d’une église, orné de volutes à l’encre rouge représentant des flammes. Dom Jean Laporte, « L’abbaye du Mont Saint-Michel aux Xe et XIe siècles », in Millénaire monastique du Mont Saint-Michel, t. I, Histoire et vie monastique, dom Jean Laporte (dir.), Paris, P. Lethielleux, 1966, p. 62 précise : « En 992 en effet, un incendie l’avait dévasté [le monastère]. La bourgade était alors dispersée sur les pentes de l’îlot, celles qui regardaient Genêts et Dragey. L’incendie allumé dans ces cabanes, mais poussé par le vent du nord, avait atteint le monastère et l’église. Les moines rebâtirent et pour la première fois voûtèrent leur église. Richard II fit aussi son devoir en les aidant financièrement ». Voir Paul Gout (Le Mont-Saint-Michel. Histoire de l’abbaye et de la ville. Étude archéologique et architecturale, Paris, Armand Colin, 1910, t. II, p. 393-394), qui considère que les conséquences des incendies ont toujours été exagérées par les chroniques., et ce, je pense, à cause des péchés de ceux qui y demeuraient, car certains menaient une vie déshonnête. Le feu prit dans le bourg, en bas, et atteignit une telle ampleur qu’il ravagea tout, à la seule exception du lieu où saint Aubert avait longtemps reposé. Il ne resta de l’église rien que le feu pût brûler ou détruire. Quand l’incendie se déclara, ceux qui ne voulaient pas attendre davantage (c’est-à-dire les moines et leurs serviteurs), à grands cris, en pleurs, pleins d’affliction, évacuèrent en hâte les ornements et le trésor, les reliquaires
[2] Fieltres présente un échange entre les consonnes liquides l et r qui se produit aussi dans angre pour angle « ange » (latin angelum). d’argent et les vases
[3] Cf. FEW XIV, 190 a, vascellum : afr. mfr. vaissel « vase quelconque, récipient à contenir des liquides ». Cf. aussi, en moyen français, les sens de « ciboire » (Orl. 1360, Tournai 1487) et de « reliquaire » (Miracles de Notre-Dame). d’or, et les mirent en lieu sûr, à l’abri des regards. Ils emportèrent avec le reste des objets la grande châsse recouverte d’or. Après que l’incendie eut été entièrement maîtrisé et éteint, l’abbé Mainard
[4] Mainard II, deuxième abbé du Mont de 991 à 1009. s’abrita comme il put, le mieux possible ; le duc Richard lui vint en aide et mit aussitôt un logement à sa disposition
[5] Le sens de delivrement : « librement, avec empressement » nous incite à préférer la leçon de B : Delivrement le herberja.. Il fit faire un auvent de bois au-dessus de l’autel, pour l’abriter de la pluie. Il savait bien que dans un bourg les maisons brûlent rarement sans attirer des malfaiteurs et qu’au contraire, quand ils entendent crier au feu, ils se précipitent sur place pour voler. Il fit donc vérifier s’il avait bien ses reliques, comme il se devait. Il fit son choix parmi ceux qu’il considérait comme ses meilleurs moines et leur ordonna de voir si les reliques étaient bien là. Chacun, après avoir chanté et célébré sa messe, s’approcha en habit liturgique
[6] Cf. les v. 2598 et 2881. de la grande châsse
qui se trouvait sur l’autel, dignement, richement, avec de fort riches ornements, depuis la fin de l’incendie. À l’intérieur il y avait une petite châsse, et c’est là qu’était la petite boîte où saint Aubert avait mis toutes les reliques qu’il avait demandées. Ils trouvèrent parfaitement intact le fermoir de la grande châsse et le défirent ; ils en sortirent la petite qu’ils posèrent sur l’autel. Ils l’examinèrent sous toutes ses faces et la trouvèrent en parfait état. Un des moines en défit la fermeture et, sous les yeux des autres, regarda à l’intérieur : ils n’y trouvèrent pas la boîte. Je ne sais comment elle avait été enlevée. Ils délibérèrent pour savoir ce qu’ils feraient et décidèrent qu’ils jeûneraient pendant trois jours. La population était plongée dans la prière et les manifestations d’affliction. Ils supplièrent Dieu de les secourir, de les aider
[7] Conseit, avait : subjonctif présent (P3) de conseillier, « conseiller » et aveier, « mettre sur la voie ». à retrouver leur boîte. Ils s’étaient tournés vers le Seigneur et, dans sa bonté, il les entendit. Ils avaient déjà jeûné pendant deux jours et la moitié du troisième était dépassée, quand un homme qui rentrait de la pêche (il pouvait bien être près de l’heure de none
[8] Cf. Michel Feuillet, Vocabulaire du christianisme, Paris, PUF, (Que sais-je ? ; n° 3562), 2001, p. 80 : none, du latin nona hora, « neuvième heure », « cinquième heure de l’Office divin chantée par les moines à la 9e heure du jour (vers 15 heures) ».) regarda devant lui en direction du mont : il vit sous une pierre une lueur qui, venant du ciel, descendait comme un rayon de lumière, tout droit. Il se hâta et, parvenu à l’endroit où il avait vu le rayon, il y vit pénétrer cette lueur. Il jeta tout ce qu’il portait, mais à aucun moment il ne toucha les reliques, se gardant bien d’y porter la main. Il se précipita auprès de l’abbé et lui dit ce qu’il avait trouvé et vu. L’abbé, bouleversé de joie, tout comme ses moines, revêtit en hâte ses habits liturgiques
[9] Cf. les v. 2598 et 2837.. Tout heureux, ils se dirigèrent vers la roche,
sous la conduite du pêcheur, accompagnés de la population tout entière. Ils trouvèrent la boîte déverrouillée, ouverte, entrebâillée. Sous les yeux d’eux tous, elle se referma, si bien qu’à aucun moment nul n’y toucha
[10] Nous analysons la phrase de B Si com ques nul ni tocha comme Si c’onques nul ni tocha, que nous adaptons en Si que onques nul n’i tocha pour les besoins de la métrique. Si que a la valeur consécutive de « si bien que » qui convient au contexte. .