v. 3815-3996

Le miracle des grèves

A-f. 60r 3815
60rQuant Hildebert abes esteit
 
Del mont et poesté aveit [1],
 
Out une fame en Normendie
 
Qui dotose ert molt de sa vie [2].
 
Enceinte esteit. A enfenter
 3820
Aveit poor de devier [3].
 
Ele preia a son seignor,
 
Molt dolcement et par amor [4],
 
Que, si li plaist, congié li dont,
 
Ainz qu’ait enfant, d’aler au mont [5]
 3825
A oreisons, quer grant talent
 
L’en esteit pris novelement [6]  :
 
Augent emsemble, cen diseit.
 
Il li respont que non fereit [7]  :
 
Atende, et souffre, asez ira
 3830
Emprof icen qu’enfant aura [8].
 
« N’est or de cen nule seison,
 
Dist li prodom, asez iron [9] ».
Quand Hildebert était abbé du mont et y exerçait son pouvoir, il y avait en Normandie une femme qui craignait beaucoup pour sa vie : elle était enceinte et avait peur de perdre la vie en mettant son enfant au monde. Elle pria son époux, très doucement, avec déférence [1], de bien vouloir lui accorder l’autorisation, avant qu’elle ait son enfant, d’aller au mont pour y faire ses oraisons, car un grand désir lui en était récemment venu : « Allons-y ensemble », disait-elle. Il lui répondit qu’il n’en ferait rien. Qu’elle attende et patiente, il suffirait qu’elle y aille après la naissance. « Ce n’est vraiment pas le moment, dit l’homme, il suffira que nous y allions plus tard »  [2].
 
Quant la dame vit qu’el n’aureit
 
Congié de cen qu’el requiereit [10],
 3835
Greignor talent idonc l’emprist
 
Et son seignor souvent requist [11]  :
 
Tant l’a preié que veincu l’a.
 
Lor eirre cil tost apresta [12]  ;
 
De ses serjanz a cil menei.
 3840
Al mont vienent, tant unt esré [13].
 
Quant ourent fait lor oreisons
 
Devotement, a genoillons [14],
 
Et lor offrende au mestre autel
 
Et par les autres autretel [15],
A-f. 60v 3845
60vLor cors seignierent et lor vis ;
 
A seint Michiel ont congié quis [16].
 
A grant joie torné s’en sunt,
 
Vers lor païs liez s’en revunt [17].
Quand la dame vit qu’elle n’aurait pas l’autorisation qu’elle demandait, son désir s’en accrut et elle continua à solliciter son mari : ses prières réitérées finirent par vaincre sa résistance. Il fit aussitôt leurs préparatifs, emmenant des serviteurs avec lui et, au terme de leur voyage, ils parvinrent au mont. Après avoir fait leurs oraisons avec dévotion, à genoux, et déposé leur offrande au maître-autel et aux autres tout autant, ils se signèrent, corps et visage, prirent congé de saint Michel et s’en retournèrent pleins de joie, revenant tout heureux vers leur pays.
 
Ja aveient tant espleitié
 3850
Que a bien prof l’une mettié [18]
 
De la greive ourent trespassé
 
Quant une grant adversité [19]
 
Sodosement lor est creüe
 
D’une neule qui est venue [20]  :
 3855
Tant fut espesse, rien ne veient
 
Fors sol la greive ou il esteient [21].
 
La meir montout molt a espleit,
 
Venir l’oent, prof d’els esteit [22]  ;
 
De grant repoint ert, si menout
 3860
Merveillous bruit, quel part qu’alout [23].
 
Poor orent, si se hasteirent,
 
Mes la dame que els meneirent [24],
 
Por l’angoisse grant que ele a,
 
Arestee est, si enfanta [25].
Ils avaient progressé avec tant de hâte [3] qu’ils avaient déjà pratiquement dépassé la première moitié de la grève quand soudain leur arriva un grand malheur, du fait du brouillard qui s’était levé [4]. Il était si épais qu’ils ne voyaient rien d’autre que la grève où ils se trouvaient. La mer montait à toute allure, ils l’entendaient venir, elle était près d’eux, arrivait au galop [5], faisait de toutes parts un bruit impressionnant. Pris de peur, ils se hâtèrent, mais la dame qu’ils accompagnaient [6], sous l’effet de l’intense angoisse qu’elle éprouvait, s’arrêta et mit au monde son enfant.
 3865
Quant li prodom a cen veü,
 
Esmesri s’est e esperdu [26].
 
Il essaia s’il la porreit
 
D’iluec oster en nul endreit [27],
 
Et si serjant tot ensement,
 3870
Meis entretot ne funt neient [28].
 
Quant il virent n’iert remuee,
 
A seint Michiel l’unt commandee [29]  ;
 
Isnelement s’en vunt plorant
 
Quer ja lor iert la meir devant [30].
A-f. 61r 3875
61rPuis que la dame entent et veit
 
Qu’aïe d’els nule n’aureit [31],
 
Ne d’omme nul qui seit soz ciel
 
Del tot s’est prise a seint Michiel [32]
 
Que requis out devotement ;
 3880
Or li prie que isnelment [33]
 
En cel peril li face aïe,
 
Que durement en lui se fie [34]  :
 
« Sire, feit ele, seint Michiel,
 
Secor mei oié, por Deu del ciel [35].
 3885
Ne me leissier ici neier
 
En ceste meir, ne perillier [36].
 
Se ne m’aïes ilnelement,
 
Morir m’estuet hastivement [37].
 
Se je nen ai par tei secors,
 3890
Morir m’estuet tot a estros [38]. »
En voyant cela, l’homme s’affola [7] ; éperdu, il essaya par tous les moyens [8] de la transporter ; ses serviteurs en firent autant, mais leurs efforts conjugués furent vains. Voyant qu’ils ne la déplaceraient pas, ils la recommandèrent à saint Michel
et, en pleurs, se hâtèrent de partir, car la mer était déjà devant eux. La dame, qui comprenait bien qu’elle n’aurait aucune aide de leur part ni de personne au monde, s’en remit entièrement à saint Michel qu’elle avait invoqué avec dévotion [9]. Elle le pria alors de lui venir vite en aide dans ce danger, car elle avait entière confiance en lui : « Monseigneur saint Michel, fit-elle, secoure-moi aujourd’hui [10], au nom de Dieu, qui est aux cieux ; ne me laisse [11] pas me noyer ici, périr dans cette mer ; si tu ne m’aides pas rapidement, il me faut mourir tout de suite ; si je n’obtiens pas ton secours, il me faut mourir sur le champ ».
 
Devotement l’aveit requis,
 
Por cen li fist, cen m’est avis [39],
 
Li archangre si faite aïe
 
Que unc ne fut sa peir oïe [40]  ;
 3895
Quer cele mer l’avironna
 
Meis a lié unques n’atoucha [41]  :
 
Come coronne ert tot entor ;
 
Li floz veneit de grant redor [42].
 
En tant d’espace cum poiet
 3900
Ses braz estendre, nen aveit [43]
 
Environ lié d’aigue une goute.
 
A sec se siet, meis encor doute [44].
 
La mer crut haut, puis resemblout
 
Le cerne ou cele dame estout.
A-f. 61v 3905
61vJa seit icen que molt fust basse,
 
Vne goute vers lié n’en passe [45]  :
 
Quant des qu’al cerne l’unde alout,
 
En es lepas s’en retornout [46]
 
Ou autresi iluec freigneit
 3910
Cum a rochier et fremisseit [47]  ;
 
Bien demostrout que forz esteit
 
Cil qui issi la destreigneit [48].
Elle l’avait invoqué avec dévotion, c’est pourquoi, je pense, l’archange lui apporta une aide exceptionnelle et jamais égalée [12]. Car la mer la cerna mais sans jamais l’atteindre : elle l’entourait entièrement, comme une couronne, le flot arrivait avec une extrême rapidité [13]. Mais, dans un espace dans lequel elle pouvait étendre ses bras, elle n’avait pas une goutte d’eau autour d’elle. Elle était assise au sec, mais encore en proie à la crainte. La mer continua de monter, elle poursuivait ses assauts [14] contre le cercle où se trouvait la dame. Mais bien que cette dernière fût placée très bas, pas une goutte ne l’atteignit. Quand la vague parvenait jusqu’au cercle, elle se retirait aussitôt, ou bien alors elle se brisait là, comme sur un rocher, avec un bruit retentissant. Elle démontrait bien la puissance de celui qui la maîtrisait ainsi !
 
Quant la dame est asseüree,
 
Qui molt fut ainz espoantee,
 3915
L’enfant a pris si cum el pout
 
Et de cez undes le lavout [49],
 
Cum d’autre eve prendre poiet
 
De cele mer ou ele esteit [50]  ;
 
Meis la mer n’out poesté pas
 3920
D’aleir sor lié ne sor ses dras [51].
 
Quant ele fut tote montee,
 
De rive en rive est loinz alee [52],
 
En es lespas retraite rest,
 
Si cum saveiz que costume est [53],
 3925
Et la dame sor seche areine
 
Laisa haliegre et tote seine [54].
Quand la dame fut rassurée, après ces moments d’épouvante, elle prit l’enfant comme elle put et entreprit de le laver dans ces eaux : elle pouvait puiser dans cette mer-là, comme dans n’importe quelle autre eau,
mais la mer était dans l’impossibilité de l’atteindre, elle et ses vêtements. Quand elle fut entièrement montée et se fut avancée loin, de rive en rive, elle se retira à nouveau aussitôt (c’est l’habitude, comme vous le savez) et laissa la dame saine et sauve [15] sur le sable sec.
 
Al miracle des treis enfanz
 
Puet estre bien cil resemblanz [55]  :
 
En la fornaise cil esteient
 3930
Cum li Caudeu mis les aveient [56].
 
Dedenz aveit feus merveillous
 
Et nequenden, cen sachiez vos [57],
 
Ne pout a els plus habiteir
 
Qu’a ceste fame pout la meir [58].
A-f. 62r 3935
62rAs lians rumpre et depechier
 
Lor fist li feus secors plenier [59]  :
 
A la dame refist la mer
 
Servise a son enfant laver.
 
La delivrance a cels de la
 3940
A Deu servir le rei torna [60],
 
Dan Nabuchor quis out norriz [61]
 
Et quis perdeit molt a enviz ;
 
Et de ceste le salvement
 
Escommeü a meinte gent [62]
 3945
De Damledeu criendre et amer
 
Et seint Michiel molt enorer [63].
Ce miracle est comparable à celui des trois enfants : ceux-là étaient dans la fournaise [16] où les Chaldéens [17] les avaient mis [18]. Il y avait à l’intérieur un feu impressionnant et pourtant, sachez-le, il ne put les atteindre [19], pas plus que la mer ne le fit à cette femme. Le feu leur fut d’un parfait secours pour rompre leurs liens et s’en délivrer : la mer aussi rendit service à la femme pour laver son enfant. La délivrance de ceux-là incita le roi à servir Dieu : c’était Monseigneur Nabuchodonosor qui les avait élevés et qui les perdait bien à contrecœur ; et le sauvetage de celle-ci en a poussé [20] plus d’un à craindre et aimer Notre Seigneur et à vénérer saint Michel.
 
Des que la mer retraite fu
 
Li prosdons est sempres meü [64]  ;
 
Si compaignun ouvec lui vunt
 3950
Et dient meis ne recrerrunt [65]
 
De ci qu’a la qu’aient trouvé
 
Le cors sa fame et enterré [66].
 
Au leu tot dreit ou la leissa
 
Va li prodon ou cels que a [67]  :
 3955
Iluec la trovent tote seine
 
Et entor lié seche l’areine [68].
 
Entre ses mains l’enfant teneit
 
Que enfanté iluec aveit [69].
 
De la dame que trovei unt
 3960
Saine et haliegre esbahi sunt [70]  :
 
Esperance nule n’aveient
 
De cen trover que or veieient [71].
 
Quant un petit unt demoré
 
Merciz rendent grandes a Dé [72]
A-f. 62v 3965
62vEt seint Michiel loent forment
 
Qui guari a apertement [73],
 
Ce veient bien, sa pelerine
 
De mal, de mort, en cel marine [74].
Dès que la mer se fut retirée, l’homme se mit immédiatement en marche avec ses compagnons, jurant de ne pas renoncer avant d’avoir retrouvé et enterré le corps de sa femme. Il alla directement avec ses gens à l’endroit où il l’avait laissée… et là, ils la trouvèrent en parfaite santé, entourée de sable sec, tenant dans ses bras l’enfant qu’elle avait mis au monde en ce lieu. Ils furent ébahis d’avoir trouvé la dame saine et sauve, alors qu’ils n’avaient aucun espoir de trouver ce qu’ils voyaient là ! Au bout de quelque temps, ils rendirent grâce à Dieu et adressèrent de ferventes louanges à saint Michel qui avait, à l’évidence, ils le voyaient bien, protégé sa pèlerine du malheur, de la mort, sur ce rivage.
 
Si cum il unt parlé assez,
 3970
La dame dist : « Seignors, oiez [75],
 
Si vos dirai cum fui guarie [76].
 
Se Damledeu me beneïe,
 
Tant cum la mer ici esteit,
 
Avis me fut que il aveit
 3975
Vne cortine entor mei, blanche
 
Molt plus assez que nois sor branche [77]  ;
 
A semblanche de mur esteit :
 
La mer passer ne la poieit [78] ».
Une fois qu’ils eurent bien exprimé leur reconnaissance, la dame dit : « Messieurs, écoutez, je vais vous dire comment j’ai été protégée. Que le Seigneur me bénisse, tout le temps où la mer était ici, j’ai eu le sentiment qu’il y avait autour de moi un rideau, bien plus blanc encore que neige sur branche ; il ressemblait à un mur : la mer ne pouvait le franchir ».
 
Quant seint Michiel ont gracié,
 3980
En es lepas sunt repairié [79]
 
Et cest miracle recunterent
 
A trestoz cels que il troverent [80].
Après avoir rendu grâce à saint Michel, ils s’en retournèrent aussitôt et racontèrent ce miracle à tous ceux qu’ils rencontrèrent.
 
Li enfes fut Perilz nomez
 
Por cen que il fut en peril nez [81].
 3985
Des que out aié, ce m’est avis,
 
A escole fut sempres mis [82].
 
Tant a apris que prestre fu ;
 
En Liesvin a porroisse eü [83].
 
De sa vile out quatre loetes
 3990
Tres qu’a Lisiés molt petitetes [84].
 
Des que il out entendement
 
A seint Michiel vint liement [85]
 
Chascun an puis a oreisons.
L’enfant fut nommé Péril, parce qu’il était né en plein péril. Dès qu’il en eut l’âge [21], je pense, on le mit à l’école. Il s’instruisit tant qu’il devint prêtre d’une paroisse dans le Lieuvin. De son village, il y avait quatre petites lieues, vraiment toutes petites, jusqu’à Lisieux. Dès qu’il fut en âge de comprendre, il vint tout joyeux à Saint-Michel, chaque année, pour y faire ses prières.
 
De cest miracle ci leirons [86]
B-f. 102v 3995
102vEt un autre reconteron
 
Briément si com oÿ l’avon.
Nous allons laisser ce miracle pour en raconter brièvement un autre, exactement comme nous en avons entendu le récit.

~

1   Grande initiale également dans B  : Quant hildebert abbez esteit deu mont et poste en aueit.

2   A : dotose ert mol de ; B : dotouse esteit de.

3   A : Enceinte esteit . a enfenter ; B : Et creinte esteit ia desfanter Poor aueit.

4    Elle ; Mout docement.

5    se li plest ; Ains que ait.

6   A : A oreisons . quer grant talent ; B : Quer el en aueit grant talent ; 3826 absent dans B.

7    ensemble ce.

8   A : Atendre . et souffre ; B : Atende et seufre assez ira Empres ice que enfant aura.

9    de ce nulle seson ; le prodon assez.

10    de ce que eul requereit.

11    len prist ; souent.

12    Lor erre tost apresta.

13    mene Au mont ; ont erre.

14    orent feit ; agenollons.

15    Et lor offrendes au metre autel.

16    Lor corps segnierent ; O saint michel ; congie prins.

17    sen reuont.

18    esplete ; preuf ; mite.

19    de la greue orent.

20    Soudousement.

21    Tant espesse rien ; la greue.

22   A : esteieit ; B : Lamer ; tot a espleit ; loient pres deus esteit.

23    Meruellous.

24    se hasterent ; que eus menerent.

25    que el a ; esfanta.

26    li prodons ; ce veu Esmaye cest.

27    Il esseya sila porreit Dilleuc.

28    ces serianz tout ; Mes entre tant ne font neent.

29    Quant eu virent nert remue A saint michel lont commandee.

30    sen vout ; ert lamer.

31    Que aie deus nulle.

32    dome ; sor ciel Deu tout cest prinse a saint michel.

33    Or li preie ; isnelement.

34    Quer ; en le.

35    saint michel Secorez moy por de deu ciel.

36   A : En ceste meir . ne ; B : lessiez ; En ceste mer ne.

37    isnelement ; mesteut.

38    mesteut.

39    Por ce ; ce mest.

40    Quer onc ; sa per.

41    lauirona Mes ale onques ne tocha.

42    Come corone tot entor Li floz.

43    comme poeit.

44    En viron le deue ; Assec ; mes.

45    ice ; Vne gote vers le ne passe.

46    desquau cerne londe ; Inesle pas.

47    illeuc fregniet.

48    fort ; eissi la destreigniet.

49    ces vndes.

50    Con ; prendre en pouet ; ou el esteit.

51    Mes ; poste ; Daler soz le ne soz ses dras.

52    enle fut toute ; loign.

53    Isneslepas retreite ; sauez.

54    sus seiche areigne Lassa halegre et toute seine.

55   A : Puent ; B : Au miracle ; esfans Peut etre cest resemblant.

56   A : Cu li candeu ; B : En la fornese ; Com les mauues.

57    feu meruellous ; ne que deit se sachiez vous.

58    Ne peut a eus ; peut la mer.

59    Es lianz ; depecier ; le feu ; planier.

60    a cex ; A deu seruir les retorna.

61    nabugor qui out norriz.

62    le sauuement Esconmeu.

63    De damedeu creindre ; saint michel ; hennorer.

64    retrete ; Li prodons ; empres.

65    Ses compaignons ouec li uont ; mes ne retorront.

66    Desi que la que aient troue Le corps.

67    ou lassa Va li prodons o ceux qui la.

68   A : seina ; B : Illeuc la treuue ; saine ; entor lei seiche lareigne.

69    esfante illeuc.

70   3959-3960 absents dans B.

71   A : ueient ; B : nulle ; ce ; veient.

72    ont.

73    saint michel ; gari a.

74   A : De mal . de mort ; B : Deu mal demort en la marine.

75   A : siegnors ; B : il out ; seignors oez.

76   A : sui ; B : Si vous direi com se garie Se damedeu.

77    Mout ; neif sus branche.

78    semblance ; poeit.

79    saint michel ; Isnelement ; reperie.

80    reconterent ; ceux.

81    pereliez nomez Por ce.

82    age ; empres mis.

83   A : Tant a april que ; B : Tant apris que ; parroisse.

84   A : Tres qua lisies petites ; B : sa uille ; quatre leuettes Desqua lisees molt petitetes.

85    saint michel.

86    Checun ; si lerons.

~

1    Par amour : locution adverbiale : « de bonne grâce, aimablement », ou formule d’interrogation équivalente à « s’il vous plaît » (Godefroy I, 275 a et VIII, 111 c amor).

2    Le sens courant d’assez : « autant qu’il faut, très, beaucoup » (Godefroy I, 443 c et VIII, 202 c) ne convient pas ici. Nous suivons plutôt l’interprétation de Tobler et Lommatzsch, TL I, 592-596 dans ce passage précis : späterhinzur Genüge : « plus tard suffisamment ».

3    Espleitier, esploitier, latin populaire *explicitare « accomplir » a ici le sens, courant en ancien français, d’« agir avec empressement ».

4    Cf. supra v. 3120 : Comme fait nule par grant vent.

5    De grant repoint : voir notre introduction, p 90.

6    La leçon que els /eus meneient, dans les deux manuscrits, avec le pronom personnel tonique au cas régime pluriel laisse envisager une leçon quo (= qu’o) els meneient (« qu’ils menaient avec eux ») dans le texte d’origine.

7    Esmesri, du verbe esmarir (dérivé de marir « égarer, affliger », francique *marrjan « fâcher ») : « faire perdre la raison, troubler ».

8    En nul endreit : cf. le v. 2624.

9    Cf. les v. 3840-3848.

10    Durement est ici synonyme de molt : « très », « beaucoup » ; pour oié, cf. notre introduction : « Traits dialectaux normands », p. 65.

11    Infinitif prohibitif, comme au v. 3600.

12    Littéralement : « on n’entendit jamais évoquer sa pareille », « une aide pareille », du latin par : « égal ».

13    Redor, rador, f., dérivé de l’adjectif rade (FEW X, 66, rapidus) : « vitesse, impétuosité, courant de l’eau ».

14    Resembler, composé du verbe embler (latin involare, « voler, dérober », cf. FEW IV, 804 b) et du préfixe re(s)- à valeur itérative. La mer tente à plusieurs reprises de « voler », d’« emporter » le cercle.

15    Sain et (h)aliegre : « sain et sauf ». La graphie avec un h de haliegre « gai ; dispos, en bonne santé », du latin alacer, est due à l’influence du germanique hail, de même sens (FEW I, 56 b, alacer).

16    Cf. FEW III, 725 a, fornax (« four ») : fournaise a en ancien français le sens de « grand four où brûle un feu ardent ».

17    Candeu, pour Caudeu « les Chaldéens ».

18    Daniel 3 : trois enfants juifs, qui avaient refusé d’adorer une statue d’or élevée par le roi de Babylone Nabuchodonosor, furent jetés dans un four sur ordre du roi et en sortirent indemnes, protégés par leur foi.

19    Le verbe est un composé de bit(t)er « toucher à », du scandinave bita « mordre » (FEW XV, 121 a). Si le verbe simple n’est attesté qu’à partir du XVe siècle, et principalement en Normandie et dans les régions avoisinantes, le composé (h)abiter (a) figure déjà dans Alexis (XIe s.) avec le sens d’« approcher de ». Il a pu être confondu avec habiter (du latin habitáre), proche phonétiquement et sémantiquement par un de ses sens, « avoir des relations sexuelles ». Godefroy III, 394 c, mentionne le sens d’habiter « atteindre » qui « se disait encore au XVIIe siècle ».

20    Escommeü, participe passé de escommoveir (-voir), composé de commovoir (latin commovere) « ébranler ».

21    Aié, graphie du copiste de A pour , du latin aetate(m) « âge ». Age (la leçon de B), est issu d’aetaticu(m), dérivé en latin tardif d’aetatem.