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Pensées 1272 à 1276

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume II

1272

Du changement de mœurs arrivé dans la nation françoise[1].

A mesure que la puissance royal se fortifia la noblesse quitta ses terres

Mœurs

. Ce fut la principale cause du changement de mœurs qui arriva dans la nation. On laissa les mœurs simples du 1er tems pour les vanités des villes les femmes quitterent la laine et mepriserent tous les amusemens qui n’êtoient pas des plaisirs.
Le desordre ne vint qu’insensiblement il commença sous François 1er il continua sous Henri second, le luxe et la mollesse des Italiens {f.128v} l’augmenta sous les regences de la reine Catherine[2]

Femmes

, sous Henri III un vice qui n’est malheureusement inconnu qu’aux nations barbares se montra à la cour[3], mais la corruption et l’independance continua[4] dans un sexe qui quelquefois tire avantage des mepris mêmes[5]. Jamais le mariage ne fut plus insulté que sous Henri IV. La devotion de Loüis 13 fixa le mal ou il êtoit ; la galanterie grave d’Anne d’Autriche l’y laissa encore ; la jeunesse de Loüis 14 l’accrut la severité de sa vieillesse le suspendit ; ses digues furent rompues à sa mort.
Les filles n’ecouterent plus les traditions de leurs meres. Les femmes qui ne venoient auparavant que par degrés à une certaine liberté l’obtinrent toute entiere dés les premiers jours du mariage. Les femmes et la jeunesse oisive veillerent toutes les nuits et souvent le mari {f.129r} commençoit le jour où sa femme le finissoit : on ne connut plus les vices ; on ne sentit que les ridicules et on mit au nombre de ces ridicules une modestie gênante ou une vertu timide.
Chaque partie de souper cacha quelque convention nouvelle ; mais le secret ne duroit que le tems qu’il falloit pour la conclure avec les femmes de condition on n’evitoit plus les dangers dans ce changement continuel le goût fut lassé, et on le perdit enfin a force de chercher les plaisirs.
L’education des enfans

Education des enfans

ne fut plus mise au rang des soucis des meres ; la femme vecut dans une indifference entiere pour les afaires du mary toutes les liaisons de parenté furent negligées ; tous les egards furent ôtés plus de visite de bienseance toutes les conversations devinrent {f.129v} hardies, tout ce qu’on osa faire fut avoüé et l’unique impolitesse fut de n’oser de ne vouloir ou de ne pouvoir pas.
La vertu d’une femme fut en pure perte pour elle : elle fut même quelquefois comme une espece de religion persecutée[6].
Tout ceci n’êtoit pas le dernier degré de dereglement. Elles furent infideles dans le jeu comme dans leurs amours et joignirent à ce qui deshonore leur sexe tout ce qui peut avilir le nôtre.

Main principale E

1273

Des dignités.

Un autre changement arrivé de nos jours, c’est l’avilissement des dignités

Dignités

, il y a un certain tour d’esprit qui est le soutien de toutes les dignités et de toutes les puissances, quand une place a eû de l’autorité et qu’elle l’a perdüe, on la révére encore depuis qu’elle l’a perdüe jusques à ce que quelque {f.130r} petite circonstance fasse appercevoir de l’erreur, pour lors on s’indigne contre soy meme et on veut abbatre en un seul jour ce qu’on croit avoir respecté trop longtems.
Dés que Loüis 14 fut mort la jalousie parut contre dles rangs. Le peuple ajoûta à ce que l’autorité royale avoit déjà fait on voulut bien s’avilir devant le ministre du prince, mais on ne voulut rien ceder à l’officier de la Couronne et on regarda avec indignation toute subordination qui n’êtoit pas une servitude[1].
Les grands étonnés ne trouverent d’egards nulle part ; toute dignité devint pesante et au lieu de l’honneur qui y êtoit attaché, il n’y eut que du ridicule à prétendre.
La haute noblesse non titrée qui contribua le plus à cet avilissement, crut y gagner beaucoup mais en faisant revenir les gens titrés jusques à elle, elle fit monter aussi au même niveau une foule de gens qui n’y auroient jamais pensé[2]. Tout fut Montmorency. Tout fut Chatillon.[3]

Main principale E

1274

{f.130v} De la raillerie[1]

Raillerie

Tout homme qui raille veut avoir de l’esprit ; il veut même en avoir plus que celui qu’il plaisante. La preuve en est que si ce dernier repond il est deconcerté.
Sur ce pied là il n’y a rien de si mince que ce qui sépare un railleur de profession d’un sot ou d’un impertinent.
Cependant il y a de certaines regles que l’on peut observer dans la raillerie qui bien loin de rendre le personnage d’un railleur odieux peuvent le rendre trés aimable.
Il ne faut toucher que certains defauts que l’on n’est pas faché d’avoir ou qui sont recompensés par de plus grandes vertus.
On doit repandre la raillerie egalement sur tout {f.131r} le monde pour faire sentir qu’elle n’est que l’effet de la gayeté ou nous sommes et non d’un dessein formé d’attaquer quelqu’un en particulier.
Il ne faut point faire de raillerie trop longue et qui revienne tous les jours ; car on est censé mepriser un homme de cela seul qu’on lui a donné sur tous les autres la preference continuelle de recevoir les saillies qui viennent.
Enfin il faut avoir pour but de faire rire celui qu’on raille et non pas un tiers.
Il ne faut pas se refuser a la plaisanterie car souvent elle egaye la conversation ; mais aussi il ne faut pas avoir la bassesse de s’y livrer trop et être comme le but ou tout le monde tire.

Main principale E

1275

La ga
{f.131v} La galanterie[1]

Galanterie

La bienseance manquée aux femmes a toujours êté la marque la plus certaine de la corruption des mœurs.
Il faut avoir bien de l’esprit pour de la galanterie et pour leur aprêter des conversations qu’elles puissent soutenir.
Les nations qui ont le plus abusé de ce sexe sont celles qui lui ont le plus epargné la peine de se deffendre.
Elles sont exposées a des insultes dont elles ne peuvent se garantir.

Main principale E

1276

A l’egart des grands autrefois, on n’avoit qu’a conserver la liberté ; aujourd’huy il est difficile d’allier la familiarité ou tout le monde vit avec les egards qu’il faut faire sortir de cette familiarité :

Main principale E


1272

n1.

Cf. nº 1340.

1272

n2.

Cf. Réflexions sur le caractère de quelques princes et sur quelques événements de leur vie, OC, t. 9, p. 61, l. 230-231.

1272

n3.

Cf. Réflexions sur le caractère de quelques princes et sur quelques événements de leur vie, OC, t. 9, p. 60, l. 228-229.

1272

n4.

Lire : continuèrent.

1272

n5.

Les auteurs du parti nobiliaire dénoncent le développement de la Cour sous François Ier, l’importance qu’y prirent les femmes (voir Boulainvilliers, « Le luxe sous François I. perd la Noblesse en l’attirant à la Cour », Dissertation sur la noblesse de France, dans Essais sur la noblesse de France, Amsterdam, 1732, t. II, p. 219-221 – Catalogue, nº 2912 bis), la régence « italienne » de Catherine de Médicis et les favoris d’Henri III (ibid., p. 242-244) ; voir aussi Louis Le Gendre, Mœurs et coutumes des Français dans les différents temps de la monarchie française, Paris, J. Collombat, 1712, p. 242-246 – Catalogue nº 2949 ; extrait perdu (BM Bordeaux, ms 2506/3, f. 3, dans De l’esprit des loix (manuscrits), II, OC, t. 4, p. 760).

1272

n6.

Ce tableau de la corruption des mœurs qui fait négliger les devoirs de la conjugalité et de la parentalité et encourage l’inconstance et l’infidélité devint un lieu commun de la première moitié du XVIIIe siècle, exploité par Montesquieu dans les Lettres persanes (LP, 53 [55]), par les auteurs des romans-listes du libertinage mondain (Crébillon, Duclos) et de comédies (Destouches, Nivelle de la Chaussée) : voir la note de Paul Vernière à son édition des Lettres persanes (Paris, Garnier frères, 1960, p. 117, note 1) et Jacques Rustin, Le Vice à la mode, Paris, Ophrys, 1979, p. 47-53.

1273

n1.

Sous Louis XIV, les honneurs et distinctions accordés aux bâtards du roi, le choix des ministres, révocables, dans la robe (voir ci-après : « s’avilir devant le ministre du prince »), et la montée en puissance, dans les provinces, des intendants (nº 977), à côté des gouverneurs choisis parmi les princes et les grands, étaient considérés par les partisans du pouvoir nobiliaire comme autant de signes de « l’avilissement des dignités ». Vestiges du pouvoir de la haute noblesse dans les institutions monarchiques, les grands offices de la couronne étaient inamovibles et certains restaient dans la possession des princes du sang ou des plus grands seigneurs du royaume (Condé, Bouillon, Guise…) ; voir DAR, art. « Grands Officiers de la Couronne ». En 1717, un parti de la noblesse se forma contre les prérogatives des princes du sang et des ducs et pairs, que Saint-Simon jugeait manipulé par les bâtards légitimés et par le Parlement (Saint-Simon, t. VI, p. 246-265).

1273

n2.

La noblesse « titrée » ou noblesse de dignité désigne les princes, ducs, comtes, marquis, vicomtes et barons, dont le titre est attaché à une terre, en vertu de lettres patentes d’érection.

1273

n3.

La maison de Montmorency est la première de France, dans la hiérarchie des barons grands feudataires du royaume, ce qui valait aux aînés les titres de premier baron de France et premier baron chrétien (Jean Baptiste Pierre Jullien de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, Paris, l’auteur – A. Bertrand – Treuttel et Wurtz, 1822, t. II, « De Montmorency », p. 1-2). Les ducs de Châtillon, l’une des branches de la maison de Montmorency, étaient issus des ducs de Montmorency-Luxembourg (père Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la Maison royale de France, des pairs […], Paris, Compagnie des libraires, 1728, t. III, p. 591). Sur les prétentions généalogiques de MM. de Laval-Montmorency et de Châtillon, à la tête du parti de la noblesse qui s’opposait aux prérogatives et distinctions des ducs en 1717, voir Saint-Simon, t. VI, p. 249-250 et 267-274.

1274

n1.

Si l’article nº 309 affirme la malveillance de la raillerie, Montesquieu définit ici, comme dans les traités et les romans du XVIIe siècle, un bon usage de cette pratique, conçue comme un agrément de la conversation ; sur cet article et son contexte, voir Carole Dornier, « Des dangers de la raillerie et de la corruption des mœurs », dans Le Rire ou le Modèle ? Le dilemme du moraliste, J. Dagen et A.-S. Barrovecchio, Paris, H. Champion, 2010, p. 521-537.

1275

n1.

Dans L’Esprit des lois, Montesquieu analysera le phénomène à la lumière de la typologie des gouvernements et de la notion de mœurs et d’esprit général : la galanterie caractérise l’éducation des monarchies (IV, 2) ; elle est corruptrice dans les républiques (VII, 8) ; composante de l’esprit de la nation française, elle est source de richesses (XIX, 5) ; son origine en souligne l’aspect civilisateur (XXVIII, 22) ; voir Carole Dornier, « Montesquieu et l’esthétique galante », RM, nº 5, 2001, p. 5-21 [en ligne à l’adresse suivante : http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article327].