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Pensées 1617 à 1621

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume II

1617

Cette lettre n’a pu etre mise dans les Lettres persanes, 1º parce qu’elle resemble trop aux autres, et 2º parce qu’elle ne fait que redire ce qui y est mieux dit. Je la mets icy a cause de certains fragmens que j’en pouray peut etre tirer et quelques endroits vifs qui s’y trouvent[1].
Le Grand Eunuque a Janum a ***.
Je prie le Ciel qu’il te ramene en ces lieux, et te derobe à tous les dangers.
Destiné a remplir une place dans le serail qui m’est soumis, tu iras peut etre quelque jour au poste que j’ocupe, c’est la que tu dois porter tes vües.
S Songe donc de bonne heure a te former, et à t’atirer les regards de ton maitre, compose toy un front severe ; laisse tomber des regards sombres, parle peu, que la joye fuye de tes levres, la tristesse sied bien a notre condition, tranquile en aparance fais de tems en tems sortir un esprit inquiet, n’atend pas les rides de la vielesse pour en montrer les chagrins
{f.466v} C’est en vain que tu te plirois à une lache complaisance nous sommes tous hays des femmes, et hays jusqu’à la fureur crois tu que cette rage implacable soit l’effet de la severité avec laquelle nous les traitons, ah ! Elles pardoneroient nos caprices si elles pouvoient nous pardonner nos malheurs.
Ne te piques point d’une probité trop exacte, il y a une certaine delicatesse qui ne convient gueres qu’aux hommes libres ; notre condition ne nous laisse pas le pouvoir d’etre vertueux : l’amitié la foy, les serments le respect pour la vertu sont des victimes que nous devons sacrifier a tous les instans, obligés de travailler sans cesse a conserver notre vie et à detourner de dessus notre tête les chatimens. Tous les moyens sont legitimes, la finesse, la fraude, l’artifice sont les vertus des malheureux comme nous.
Si tu viens jamais a la premiere place, ton principal objet sera de te rendre maitre du serail, plus tu seras absolu plus tu auras de moyens pour rompre les brigues, et la fureur de la vengance, il faut commancer par abatre le courage et ensevelir toutes les passions dans l’etonnement et dans la crainte.
{f.467r} Tu n’i reusiras jamais mieux qu’en annimant la jalousie de ton maitre, tu luy feras de tems en tems de petites confidances, tu arreteras son esprit sur les soupçons les plus legers, tu l’y fixeras ensuite par quelques nouvelles circonstances, quelquefois tu l’abandonneras a luy même, et laisseras pour quelque tems floter son esprit incertain, tu te presenteras ensuite, et il sera charmé de trouver en toy un mediateur entre son amour et sa jalousie, il te demandera tes avis ; doux ou severe tu te feras une protectrice, ou tu humiliras une enemie.
Ce n’est pas que tu puise toujours jeter a ton gré les soupcons de quelque intrigue criminelle, des femmes abatues sous tant de regards ne peuvent guêres etre acusées de certains crimes avec apparance, mais il faut les aller chercher dans les resources que l’amour desesperé se procure quand l’imagination furieuse va se prendre a tous les objets qu’elle trouve, ne crains point d’en trop dire, tu peus etre hardy à feindre, depuis tant d’années que je gouverne j’ay apris, j’ay vu meme des choses incroiables, mes yeux {f.467v} ont été temoins de tout ce que la rage peut inventer, et de tout ce que le demon d’amour peut produire.
Si tu vois que ton maitre capable du joug de l’amour determine son coeur sur quelqu’une de ses femmes relache un peu a son egard de ta severité ordinaire, maïs apesantis toy sur ses rivales, et tache de luy rendre agreables et ta douceur et ta severité.
Mais si tu vois que peu constant dans ses amours il use en souverain de toutes les beautées qu’il possede qu’il aime, quite, et reprenne qu’il detruise le matin les esperances du soir, que le caprice suive le choix, le mepris le caprice pour lors tu seras dans la plus heureuse situation ou tu puise etre ; maître de toutes ses femmes traite les comme si elles vivoient dans une perpetuelle disgrace et ne crains rien d’une faveur qui se perd a mesure qu’elle se donne.
C’est donc a toy d’aider son inconstance il arive quelque fois qu’une beaute triomphe et arrete le coeur le plus volage, il à beau s’echaper elle le rapelle toujours des retours si constans menacent d’un attachement eternel il faut a quelque prix qu’il en soit rompre ces nouvelles chaines : ouvre le serail {f.468r} fais y entrer à grands flots de nouvelles rivales, fais diversion de toutes les parts, confond une superbe maitresse dans le nombre et reduit la à disputer encore ce que les autres ne pouvoient plus deffendre.
Cette politique te reusira presque toujours par ce moyen tu useras si bien son coeur qu’il ne sentira rien, les graces seront perdues, tant de charmes secrets pour tout l’univers le seront encore plus à ses yeux mêmes, en vain ses femmes a l’envie essaieront sur luy les traits les plus redoutables, inutiles à l’amour elles ne tienderont a son coeur que par la jalousie
Tu vois que je ne te cache rien quoy que je n’aye jamais guêres connu cet engagement qu’on appelle amitié et que je me sois envelopé tout entier dans moy même, tu m’as pourtant fait sentir que j’avois encore un coeur et pendant que j’etois de bronze pour tous ces esclaves qui vivoient sous mes loix, je voiois croitre ton enfance avec plaisir.
Je pris soin de ton education la severité toujours inseparable des instructions te fit long tems ignorer que tu m’etois cher, tu me l’etois pourtant et je dirois que je t’aimois comme un pere aime {f.468v} son fils, si ces noms de pere et de fils, n’etoient pas plus propres à nous rapeller à tous deux un souvenir affreux qu’a nous marquer une douce et secrete simpatie.

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Main principale P

1618

Rica à Usbeck[1]

V
Voicy une lettre qui est tombée entre mes mains.
Ma chere cousine deux hommes tout de suite m’ont quittée, j’ay attaqué celuyi que vous sçaviés mais il à été comme un rocher, mon coeur s’indigne des affronts qu’il recoit chaque jour
Que n’ayi je point fait pour l’attirer, j’ay cent fois rencheri sur les politesses que j’ay coutume de faire, bon Dieu! disoi-je en moy même se peut il que moy a qui on disoit autrefois tant de douceurs je fasse aujourdhuy tant de restitutions pour rien.
Vous avez ma chere cousine deux ans moins que moy et vos charmes sont bien au dessus des miens mais je vous conjure de ne me point abandonner dans la resolution que j’ay prise de quiter le monde vous etes confidente de tant de secrets, je suis depositaire de tant d’autres {f.469r} il y a plus de trente ans que notre amitié triomphe de toutes les petites brouilleries que produisent necesairement dans une société la variété des intrigues, et la multiplicité des interests.
Je vous l’ay dit souvent ces petits maitres que j’ay tant aimés je ne puis plus les soufrir ils sont si contents d’eux mêmes et si peu de nous, ils metent à un si haut prix leur sotise et leur figure... ma chere cousine sauvez moy leur mepris.
Je commance a prendre un tel goust a la societé des gens devots qu’elle fait toute ma consolation, je n’ay point encore assez rompu avec le monde pour qu’ils aient confiance en moy, mais à mesure que je m’en detache, ils s’aprochent de moy un peu, quel douceur dans ce nouveau genre de vie au lieu du tumulte et le bruit du monde imposteur.
Je vais ma chere cousine me livrer a eux toute entiere, je leur decouvriroy l’etat d’un coeur qui prend toute les impressions qu’on luy donne, il n’est point en moy d’eteindre toutes mes passions, il ne s’agit que de les regler.
Il y à une chose qui est le principe fondamental de la vie devote, c’est la supression totale des {f.469v} agremens etrangers, car quoy qu’entre nous ils soient toujours beaucoup plus inocents dans le tems qu’on les quite que lorsququ’on commance a s’en servir cependant ils marquent toujours une certaine envie de plaire au monde que la devotion deteste, elle veut que l’on paraise devant luy avec toutes les injures du tems pour luy faire voir à quel point on le meprise, pour nous ma chere cousine, il me semble que nous pouvons encore nous montrer telles que nous sommes, je vous l’ay dit cent fois que vous eties charmante lorsque vous paroissiés le plus negligée, et qu’il y avoit en vous beaucoup d’art a n’en mettre point.
Puisse cette lettre vous toucher le coeur et vous inspirer des resolutions que je n’ay prises qu’apres les avoir longtems combatües adieu
La devotion qui dans certaines ames est une marque de force, dans d’autres en est une de foiblesse, elle n’est jamais indifferente car si d’un coté elle orne les gens vertueux elle acheve la degradation de ceux qui ne le sont pas.
A Paris le 25. de la lune de Rhebiab[2] 1717.
{f.470r} Une page blanche
{f.470v} Une page blanche

Main principale P

1619

{f.471r} Usbeck à Zelis

Fragment de la lettre
Vous demandez devant le juge votre separation[1]. Quel exemple donnez vous à votre fille[2] ! Quel sujet d’entretien pour tout le serail vous m’insultés bien moins en faisant voir le peu d’amour que vous avez pour moy que le peu de respect que vous avez pour vous même.
Croies vous que la vertu coute moins à vos compagnes qu’à vous, que leur vie soit moins laborieuse, non sans doute mais les combats souferts sont inconnus, les douleurs d’une victoire trop contestée sont secretes, et la vertu lors même qu’elle tiranise parait en elles sous un maintien modeste et un visage tranquille.
Je crois bien que vous soufrés toutes les rigueurs de la la continence mais ce secret que les femmes qui ont un peu de modestie cachent avec tant de soin comment avez vous l’imprudance de le divulguer continence
Je compte sur la vigilance de mes eunuques ils respectoient votre age, ils vous croioient maitresse de vos passions, mais a present qu’ils en connoisent l’empire, il ne faut pas douter qu’ils ne redoublent leurs soins pour vous soutenir, ils vous traiteront comme si vous eties encore dans les perils de la jeunesse, et recommanceront à vous plier à une education dont vous vous ètes si fort ecartée.
{f.471v} Defaites vous donc de vos idées, et sachez qu’il ne vous reste plus que mon amour et le repentir ; car je ne suis point homme à soufrir qu’une femme que j’aime passe dans les bras d’un autre, quand je deverois être regardé comme le plus barbare de tous les hommes...
Je n’en dis pas davantage, vous connoissez mon coeur et vous m’entendez.
De *** le 1er de la lune de Zilhagé[3] 1718.
{f.472r} [Passage à la main M] Ce qui fait
[f.472v-473] Trois pages blanches

Passage de la main P à la main M

1620

{f.474r} Continuation de mes refflections

Ce qui fait que je ne puis pas dire avoir passé une vie malhureuse c’est que mon esprit a une certeine action qui lui fait faire come un saut pour passer d’un estat de chagrin dans un autre un autre estat et de faire un autre saut d’un estat hureux a un autre estat hureus

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Main principale M

1621

Autre fois le stile epistolaire[1]

Stile epistolaire

estoit entre les mains de pedents qui ecrivoint en latin  Balzac prit le stile epistolaire et la maniere d’ecrire des lettres de ces gens la[2] Voiture en degouta et come il avoit l’esprit fin il y mit de la finesse et une certeine affectation qui se trouve toujours dans le passage de la pedentrie a l’air et au ton du monde[3] Mr de Fontenelle presque contemporain de ces gens la mela la finesse de Voiture un peu de son affectation avec plus de conoissances et de lumieres et plus de philosophie[4] on ne conoissoit point encor madame de Sevigne[5]. Mes Lettres persanes aprirent a faire des romans en lettres.
[f.474v-490] Trente-trois pages blanches

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Main principale M


1617

n1.

Voir LP, lettre supplémentaire 1 (15), p. 545, note 1. Version rejetée d’une lettre supplémentaire qui reprend à peu près la Lettre [5] du Grand Eunuque à Janum, publiée dans Le Fantasque en 1745 (LP, p. 586-588).

1618

n1.

Entre 1748 et 1750 (secrétaire P), Montesquieu fait recopier ici cette lettre parue dans Le Fantasque en 1745 (LP, p. 590-592).

1618

n2.

Le mois de mai (LP, p. 72). Dans la chronologie du roman, la lettre s’insère entre les lettres 101 (104) et 102 (105).

1619

n1.

La licéité du divorce chez les musulmans est évoquée dans les Lettres persanes (« barrière qui sépare […] le Nazaréen et Mahomet », LP, 113 [117]) ; sur cette question, voir les sources du roman : Jean-Baptiste Tavernier, Les Six Voyages de Jean Bat. Tavernier [...], en Turquie, en Perse et aux Indes, La Haye, H. Scheurleer, 1718, t. I, 1re partie, liv. V, chap. XVIII, p. 720 ; Paul Rycaut, Histoire de l’état présent de l’Empire ottoman, Amsterdam, A. Wolfgank, 1670, p. 372-373 ; Jean Chardin, Journal du voyage du chevalier Chardin en Perse et aux Indes orientales, Londres, M. Pitt, 1686, p. 328.

1619

n2.

LP, 60 (62), p. 295. Zélis, seule des femmes d’Usbek à être mère, inspire un prolongement à l’intrigue du sérail (LP, lettre supplémentaire 10 [158], p. 565). Il semble que Montesquieu ait imaginé de sa part une demande de divorce à laquelle répond cette lettre d’Usbek.

1619

n3.

Février. Dans la chronologie du roman, la lettre s’insère entre les lettres 105 (108) et 106 (109).

1621

n1.

Ce passage sur le style épistolaire rejoint les remarques de l’abbé Trublet qui, mentionnant les mêmes auteurs dans sa partie intitulée « Caractère et apologie de Balzac » (Balzac, Voiture, Fontenelle, Mme de Sévigné), souligne l’évolution du goût des lecteurs de son temps, comparé à celui du public du siècle passé (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, t. I, p. 147-158).

1621

n2.

Le discrédit de la prose de Balzac au XVIIIe siècle semble général, de l’aveu même de l’abbé Trublet (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, 1re partie, p. 147) ; de la partie épistolaire de l’œuvre de Balzac, Montesquieu possédait les Lettres familières à Chapelain (Amsterdam, L. et D. Elzevier, 1661 – Catalogue, nº 2274).

1621

n3.

Sur le rapprochement entre le style de Voiture et celui de Balzac, voir l’abbé Trublet (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, t. I, p. 153-154).

1621

n4.

Montesquieu se montra sévère pour les Lettres du Chevalier d’Her*** [1683] : voir nº 692.

1621

n5.

L’abbé Trublet remarque combien les lettres de Mme de Sévigné ont contribué à faire goûter le naturel du style épistolaire (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, t. I, p. 85-86). Montesquieu possédait les quatre premiers volumes du Recueil des lettres de Mme la marquise de Sévigné à Mme la comtesse de Grignan, sa fille (Paris, N. Simart, 1734 – Catalogue, nº 2306).