AT II, 322

A MONSIEUR *****.

LETTRE CIII.

MONSIEUR,
Ie vous remercie des Lettres que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer, et ie suis bien aise d’apprendre que Monsieur de Balzac se souvient encore de moy ; I’estois quasi en dessein de luy écrire à ce voyage, mais i’ayme mieux attendre encore quelque temps, et cependant si par occasion vous le voyez, vous m’obligerez de l’assurer de mon service. Ie vous Clerselier II, 465 prie aussi de faire mes baise-mains à M. Sarrazin, et luy dire que ie le remercie tres-humblement du Livre qu’il a eu autrefois intention de m’envoyer, et que ie n’eusse pas manqué de luy écrire pour l’en remercier, si celuy auquel il l’avoit baillé eust eu soin de me le faire tenir.

Pour les Lunettes, ie vous diray que depuis la condamnation de Galilée, i’ay reveu et entierement achevé le Traité que i’en avois autrefois commencé ; et l’ayant entierement separé de mon Monde, ie me propose de le faire imprimer seul dans peu de temps : Toutesfois pource qu’il s’écoulera peut-estre encore plus d’un an, avant qu’on le puisse voir imprimé, si M. N. y desiroit travailler avant ce temps là, ie le tiendrois à faveur, et ie m’offre de faire transcrire tout ce que i’ay mis touchant la pratique, et de luy envoyer quand il luy plaira.

Premierement ie ne m’estonne pas que la moüelle de Sureau pese quatre ou cinq cens fois moins que l’or ; mais ie ne laisse pas de vous remercier de la communication de vostre experience, et seray tousiours bien aise de sçavoir celles que vous aurez faites. AT I, 323 Secondement ie ne sçay point si le Sureau, ou le Sapire rendent un son plus aigu que le cuivre ; mais ie croy generalement que selon que les Cors sont plus secs et plus roides, c’est à dire plus disposez à recevoir en eux un tremblement plus prompt, ils ont le son le plus aigu. 3. Et ce son ne se fait point par la division des parties de l’air, mais par son agitation seulement, laquelle accompagne celle du Cors resonnant. 4. C’est autre chose des tours et retours d’une corde attachée par les deux bouts, et autre chose de ceux d’une corde attachée seulement par un bout, et qui a un poids à l’autre bout : Car celle-cy se meut de bas en haut par l’impetuosité ou l’agitation qui est en elle, et ne commence point de retourner de haut en bas, que cette agitation n’ait esté entierement surmontée par la pesanteur qui l’a fait descendre ; Ce qui est cause qu’elle va fort lentement lors qu’elle acheve de monter ; et toutefois ie ne croy point pour cela qu’elle s’arreste aucun moment avant que de redescendre. Clerselier II, 466 5. Ie ne croy point aussi que le mouvement de la corde attachée par les deux bouts, décrive tousiours des Cercles parfaits, ou des Ellipses parfaites ; mais que toutes les inégalitez de ces cordes, et les diverses façons dont elles peuvent estre touchées, apportent de la variété en la figure de leur mouvement. 6. Pour la chaleur ie ne croy point qu’elle soit la mesme chose que la Lumiere, ny aussi que la Rarefaction de l’air ; mais ie la conçoy comme une chose AT I, 324 toute differente, qui peut souvent proceder de la lumiere, et de qui la rarefaction peut proceder. Ie ne croy point non plus, que les Cors pesans descendent par quelque qualité réelle, nommée pesanteur, telle que les Philosophes l’imaginent, ny aussi par quelque attraction de la Terre ; mais ie ne sçaurois expliquer mon opinion sur toutes ces choses, qu’en faisant voir mon Monde avec le mouvement deffendu, ce que ie juge maintenant hors de saison ; et ie m’étonne de ce que vous proposez de refuter le Livre contra Motum Terræ , mais ie m’en remets à vostre prudence.

AT I, 177 Ie vous assure que tant s’en faut que i’aye témoigné au sieur N. que vous m’eussiez parlé de luy, qu’au contraire i’ay tasché de luy en oster tout soupçon, car ie ne luy mande point du tout qu’on m’ait rien dit de luy, sinon que ie mets en ma premiere Lettre : Ie vous redemanday l’année passée mon Traité de Musique, non pas à la verité que i’en eusse besoin : mais pource qu’on m’avoit dit que vous en AT I, 178 parliez, comme si vous me l’eussiez apprise ; Toutesfois ie ne voulus point vous en écrire aussi-tost, de peur de paroistre trop défiant, si ie doutois de la fidélité d’un Amy sur le simple rapport d’autruy. Mais maintenant que par plusieurs autres témoignages i’ay reconnu que vous preferez une vaine ostantation à la verité ; et à l’amitié qui a esté iusques icy entre nous, ie veux vous donner icy un petit mot d’advis, qui est, que si vous vous vantez d’avoir enseigné quelque chose à quelqu’un, encore que ce que vous dites soit veritable, cela ne laisse pas d’estre odieux ; mais si ce que vous dites est contre la verité, il est encore plus odieux ; Et enfin si vous avez appris de luy la chose mesme que vous vous vantez luy avoir apprise, certainement cela est tout à fait Clerselier II, 467 odieux , etc. Ce qu’il ne peut dire venir de vous, car ie mets l’année passée que vous n’estiez pas encore venu icy ; et l’on m’avoit dit, et non pas écrit, pource que i’adjouste cela m’avoir esté confirmé par le témoignage de plusieurs, etc. afin qu’il ne vous le puisse attribuer. Ie mets en ma Lettre suivante : Ie desire que vous sçachiez que ce n’est ny de luy ny de personne, mais de vos Lettres mesmes que i’ay appris ce que ie trouve à reprendre en vous : Comme en effet dans les deux Lettres qu’il m’a écrites, ie croy qu’il y a assez de preuves de sa vanité, pour le faire declarer tel que ie dis, devant des juges équitables. Ie n’ay pas sceu depuis de ses nouvelles, et ne pense pas luy écrire iamais plus.

I’ay pitié de la disgrace de M. N. encore qu’il la merite. Pour la Lettre où ie vous parlois de luy, ie ne suis pas marry que vous l’ayez fait voir à M. N. puis que vous l’avez iugé à propos ; Mais i’eusse esté bien aise que vous ne luy eussiez point mise tout à fait entre les mains, tant à cause que mes Lettres sont ordinairement écrittes avec trop peu de soin, pour meriter d’estre veuës par d’autres que ceux à qui elles sont addressées, comme aussi pource que ie crains qu’il n’ait iugé de là que ie veux faire imprimer la AT I, 179 Dioptrique : Car il me semble que i’en mettois quelque chose ailleurs qu’à la fin, que vous dites avoir osté ; Et ie serois fort aise qu’on ne sceust point du tout que i’ay ce dessein : car de la façon que i’y travaille, elle ne sçauroit estre préte de long-temps. J’y veux inserer un discours où ie tâcheray d’expliquer la Nature des Couleurs et de la Lumiere, lequel m’a arresté depuis six mois, et n’est pas encore à moitié fait ; mais aussi sera-t’il plus long que ie ne pensois, et contiendra quasi une Physique toute entiere ; De sorte que ie pretens qu’elle me servira pour me dégager de la promesse que ie vous ay faite, d’avoir achevé mon Monde dans trois ans, car s’en sera quasi un Abregé ; Et ie ne pense pas aprés cecy me resoudre iamais plus de faire rien imprimer, au moins moy vivant : Car la Fable de mon Monde Clerselier II, 468 me plaist trop pour manquer à la parachever, si Dieu me laisse vivre assez long-temps pour cela ; mais ie ne veux point répondre de l’avenir. Ie croy que ie vous envoyeray ce discours de la Lumiere, si-tost qu’il sera fait, et avant que de vous envoyer le reste de la Dioptrique : car y voulant décrire les Couleurs à ma mode, et par consequent estant obligé d’y expliquer comment la blancheur du pain demeure au saint Sacrement, ie seray bien aise de le faire examiner par mes amis, avant qu’il soit vû de tout le monde. Au reste encore que ie ne me haste pas d’achever la Dioptrique, ie ne crains point du tout ; Ne quis mittat falcem in messem alienam : Car ie suis assuré que quoy que les autres puissent AT I, 180 écrire, s’ils ne le tirent des Lettres que i’ay envoyées à M. F. ils ne se rencontreront point du tout avec moy.

Ie vous prie, autant qu’il se pourra, d’oster l’opinion que ie veüille écrire quelque chose à ceux qui la pourroient avoir, et plutost de leur faire croire que ie suis entierement éloigné de ce dessein ; comme de fait aprés la Dioptrique achevée, ie suis en resolution d’étudier pour moy et pour mes amis à bon escient, c’est à dire de chercher quelque chose d’utile en la Medecine, sans perdre le temps à écrire pour les autres, qui se mocqueroient de moy, si ie faisois mal, ou me porteroient envie si ie faisois bien, et ne m’en sçauroient iamais de gré, encore que ie fisse le mieux du monde. Ie n’ay point vû le Livre de Cabeus de Magneticà Philosophia, et ne me veux point maintenant divertir à le lire.

Pour vos Questions, ie n’y sçaurois gueres bien répondre, car mon esprit est entierement diverty ailleurs ; Toutesfois ie vous diray, que ie ne croy pas qu’une corde de luth retournast gueres plus long-temps in Vacuo qu’elle fait in Aëre ; car la mesme force qui la fait mouvoir est celle qui la fait cesser à la fin. Comme quand la corde CD, est tirée iusques à B, il n’y a que la disposition qu’elle a de se racourcir et resserrer de soy mesme, à cause qu’elle est trop estenduë, qui la fait mouvoir vers E, en sorte qu’elle ne de Clerselier II, 469 vroit venir que iusques à la ligne droite CED, et ce qui la fait passer au delà, depuis E iusques à H, AT I, 181 n’est autre chose qu’une nouvelle force qu’elle acquiert par l’impetuosité de son mouvement, en venant depuis B iusques à E, de sorte que H ne peut estre si éloignée de E comme B. Car cette nouvelle force ne sçauroit estre si grande que la premiere. Or encore qu’à chaque retour que fait cette corde, ce soit une nouvelle force qui la fasse mouvoir, il est certain toutesfois qu’elle ne s’arreste point un seul moment entre deux retours ; et la raison que vous apportez que l’air ne peut pousser la corde, à cause qu’il est poussé par la corde est tres-claire et tres-certaine.

I’avois écrit tout ce qui precede il y a quinze jours, et pource que la feüille n’estoit pas pleine, ie ne vous l’avois pas envoyée, ainsi que vous m’aviez mandé dans l’un de vos billets ; Mais ie vous l’eusse envoyée il y a huit jours, sinon que celle que vous m’écriviez me fust renduë trop tard ; Ie ne sçay si ce n’est point que vous l’eussiez mise au paquet de quelqu’autre, car ie n’estois pas au logis quand on l’apporta ; mais quand vous m’obligez de m’écrire, c’est tousiours le plus seur d’envoyer vos Lettres par la voye ordinaire.

Ie vous ay trop d’obligation de la peine que vous avez prise de m’envoyer un Extrait de ce Manuscrit, le plus court moyen que ie sçache pour répondre aux raisons qu’il apporte contre la Divinité ; et ensemble à toutes celles des autres Athées, c’est de trouver une demonstration evidente, qui fasse croire à tout le monde que Dieu est. Pour moy, i’ose bien me vanter AT I, 182 d’en avoir trouvé une qui me satisfait entierement, et qui me fait sçavoir plus certainement que Dieu est, que ie ne sçay la verité d’aucune proposition de Geometrie : mais ie ne sçay pas si ie serois capable de la faire entendre à tout le monde, en la mesme façon que ie l’entens ; et ie croy qu’il vaut mieux ne toucher point du tout à cette matiere, que de la traitter imparfaitement. Le consentement Clerselier II, 470 universel de tous les Peuples est assez suffisant pour maintenir la Divinité contre les injures des Athées, et un particulier ne doit iamais entrer en dispute contr’eux, s’il n’est tres-assuré de les convaincre.

I’éprouveray en la Dioptrique si ie suis capable d’expliquer mes conceptions, et de persuader aux autres une Verité, aprés que ie me la suis persuadée, ce que ie ne pense nullement. Mais si ie trouvois par experience que cela fust, ie ne dis pas que quelque iour ie n’achevasse un petit Traitté de Metaphysique, lequel i’ay commencé estant en Frize, et dont les principaux points sont de prouver l’Existence de Dieu, et celle de nos Ames, lors qu’elles sont séparées du Cors, d’où suit leur Immortalité : Car ie suis en colere, quand ie voy qu’il y a des gens au monde, si audacieux et si impudens que de combattre contre Dieu.

AT I, 258 Ie suis marri que M. F. ait fait croire que i’eusse dessein d’écrire quelque chose, et vous m’obligerez de témoigner tout le contraire, et que ie n’apprens autre chose qu’à escrimer. I’ay compassion avec vous de cét Autheur qui se sert de raisons Astrologiques pour prouver l’immobilité de la Terre ; mais i’aurois encore plus de compassion du siecle, si ie pensois que ceux qui ont voulu faire un article de foy de cette opinion, n’eussent point de plus fortes raisons pour la soûtenir. Pour ce que vous me demandez touchant la Refraction des sons, ie vous diray qu’il s’en faut beaucoup qu’elle se puisse remarquer en eux si facilement qu’en la Lumiere, à cause que le son se transfere quasi aussi facilement suivant des lignes Courbes ou tortuës que des droites. Toutesfois pour en parler absolument, il est certain que les sons souffrent Refraction en passant au travers de deux Cors differens, et qu’ils se rompent ad Perpendiculum dans celuy par lequel ils passent le plus aisément ; mais ce n’est pas tousiours le plus épais et le plus solide par lequel ils passent le plus aisément, ny aussi le moins épais, et i’aurois bien des choses à dire, avant que ie pusse éclaircir cette distinction suffisamment.

Clerselier II, 471 Pour cét Instrument Monocorde qui imite la Trompette, ie voudrois en avoir vû l’experience, pour en oser dire mon opinion ; Mais autant que ie puis conjecturer, tout le secret qui y est ne consiste qu’en ce que le chevalet estant mobile et tremblant, ainsi que vous m’écrivez, le son a quelque latitude, et ne se AT I, 259 determine pas à estre grave ou aigu iusqu’à tel degré, par la seule longueur de la corde, mais principalement aussi par sa tention, qui fait qu’elle presse plus ou moins ce chevalet, et en suite que les tremblemens de ce chevalet sont plus ou moins frequens, avec lesquels se doivent accorder ceux de la corde, et par consequent la hauteur ou la bassesse du son. D’où premierement il est aisé à entendre par les bissections, (comme vous dites que ie vous ay autrefois mandé touchant la Trompette,) pourquoy ce Monocorde estant touché à vuide fait oüir toutes les consonances en mesme temps ; Puis pourquoy estant touché entre les divisions 1. 2. 3. 4. il ne fait ouïr aucun son agreable, si ce n’est le mesme que celuy qu’il fait oüir estant touché sur ces divisions, pour ce que lors les tremblemens de la corde ne peuvent s’accorder avec ceux du chevalet, si ce n’est qu’ils retiennent la mesme mesure que sur ces divisions.

Pour l’experience que vous dites avoir esté faite d’un mousquet, qui perce plus à cinquante ou cent pas qu’il ne fait à dix ou vingt pieds, si elle est vraye, il faut dire, qu’il perce moins à dix ou vingt pieds, à cause que la bale allant trop viste se reflechist si promptement, qu’elle n’a pas assez de loisir pour faire tant d’effet, ainsi qu’un marteau frapant une bale de plomb qui est mise sur une enclume ne l’applatira pas tant, que si elle est mise sur un oreiller. Enfin si le sifflement des bales de Canon ne s’entend pas au commencement AT I, 260 de leur mouvement comme à la fin, il faut penser que c’est leur trop grande vitesse, qui ne faisant mouvoir l’air qu’en un seul sens, et sans luy donner le loisir d’aller et retourner, ne cause aucun son : car vous sçavez que ces tours et retours de l’air sont necessaires pour causer le son. Ie suis,