Clerselier II, 289 AT III, 293

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LIII.

MON REVEREND PERE,
Ce mot n’est que pour vous dire que ie n’ay pû encore pour ce voyage vous envoyer ma Réponse aux Objections, partie à cause que i’ay eu d’autres occupations qui ne m’ont quasi pas laissé un iour libre, et partie aussi que ceux qui les ont faites, semblent n’avoir rien du tout compris de ce que i’ay écrit, et ne l’avoir lû qu’en courant la poste, en sorte qu’ils ne me donnent occasion que de repeter ce que j’y ay desia mis ; Et cela me fait plus de peine que s’ils m’avoient proposé des difficultez qui donnassent plus d’exercice à mon Esprit : Ce qui soit toutesfois dit entre nous, à cause que ie serois tres-marry de les desobliger ; et vous verrez par le soin que ie prens à leur répondre, que ie me tiens leur redevable, tant aux premiers, qu’à celuy aussi qui a fait les dernieres, que ie n’ay receuës que Mardy dernier, ce qui fust cause que ie n’en parlay point en ma derniere, car nostre Messager part le Lundy.

I’ay parcouru le Livret de M. Morin, dont le principal defaut est qu’il traitte par tout de l’Infiny, comme si son Esprit estoit au dessus, et qu’il en pust comprendre les Proprietez, qui est une faute commune quasi à tous, laquelle i’ay tâché d’éviter avec soin, car ie n’ay iamais traitté de l’Infiny que pour me soumettre à luy, et non point pour determiner ce qu’il est, ou qu’il n’est pas. Puis avant que de rien expliquer qui soit AT III, 294 en controverse, dans son seiziéme Theorême, où il commence à vouloir prouver que Dieu est, il appuye son raisonnement sur ce qu’il pretend avoir refuté le Mouvement de la Terre, et sur ce que tout le Ciel tourne autour Clerselier II, 290 d’elle, ce qu’il n’a nullement prouvé ; Et il suppose aussi qu’il ne peut y avoir de nombre infiny, etc. ce qu’il ne sçauroit prouver non plus ; et ainsi tout ce qu’il met iusques à la fin, est fort éloigné de l’evidence et de la certitude Geometrique, qu’il sembloit promettre au commencement. Ce qui soit dit aussi s’il vous plaist entre nous, à cause que ie ne desire nullement lui déplaire.

Ie viens de recevoir votre derniere du dix-neufiesme Ianvier avec le papier de M. des Argues, que ie viens de lire tout promptement. L’invention en est fort belle, et d’autant plus ingenieuse, qu’elle est plus simple ; Car il n’y a pas grande difficulté à reconnoistre qu’elle est conforme à la Theorie, en considerant seulement que ces trois premieres verges, representent trois Lignes droites, en la superficie du Cone que décrit l’ombre du Soleil ce iour là, et que leur rencontre est le sommet de ce Cone ; que le Triangle est imaginé inscrit dans le Cercle de l’Equateur, duquel il trouve le Centre par la rencontre des deux Perpendiculaires, sur les deux costez de ce Triangle, et que la Ligne tirée de la rencontre de ces Perpendiculaires à l’un des Angles, est le rayon de ce Cercle, d’où le reste est evident.

Mais il me semble que pour la Pratique, l’usage de AT III, 295 ces deux fils de Metal n’est pas si exact, que s’il faisoit faire un Triangle de Carton, ou autre matiere, dont on appliqueroit les trois Angles aux trois divisions marquées sur les verges, apres y avoir fait un trou rond de la grosseur du stile, dont le Centre seroit en la rencontre des Perpendiculaires ; Car en passant le stile par ce trou, et le haussant iusques à la rencontre des trois verges, on le poseroit en sa juste situation.

Ie vous prie de l’assurer que ie suis fort son serviteur, et le remercie de ce qu’il a souvenance de moy, pour m’envoyer de ses écrits. Ie n’ay pû encore estudier son Traitté pour la couppe des Pierres, à cause que ie n’en ay pas receu les Figures. Si vous m’apprenez quelque chose de ce qu’il dit avoir trouvé touchant l’Algebre, ie pourray peut-estre iuger ce que c’est en peu de mots, Mais pour ce qui est de se servir en Clerselier II, 291 mesme façon du plus et du minus, c’est chose que nous avons tousiours pratiquéespratiquée. Ie vous suis extremement obligé de tous les bons avis que vous me donnez touchant ma Metaphysique, et autres choses.

Ie pretens que nous avons des Idées non seulement de tout ce qui est en notre Intellect, mais mesme de tout ce qui est en la Volonté : Car nous ne sçaurions rien vouloir, sans sçavoir que nous le voulons, ny le sçavoir que par une Idée, mais ie ne mets point que cette Idée soit differente de l’Action mesme.

Il n’y aura ce me semble aucune difficulté d’accommoder la Theologie à ma façon de philosopher ; car ie n’y voy rien à changer que pour la Transubstantiation, AT III, 296 qui est extrémement claire et aisée par mes Principes ; Et ie seray obligé de l’expliquer en ma Physique, avec le premier chapitre de la Genese, ce que ie me propose d’envoyer aussi à la Sorbonne, pour estre examiné avant qu’on l’imprime : Que si vous trouvez qu’il y ait d’autres choses qui meritent qu’on écrive un Cours entier de Theologie, et que vous le vouliez entreprendre, ie le tiendray à faveur, et vous y serviray en tout ce que ie pourray.

I’ay connu autresfois un M. Chauveau à La Fleche, qui estoit de Melun, ie seray bien aise de sçavoir si ce ne seroit point celuy-là qui enseigne les Mathematiques à Paris ; mais ie croy qu’il s’alla rendre Iesuite, et nous estions luy et moy fort grands amis. I’ay receu il y a desia quelques semaines le Livre de M. de la N. et un autre du dixiesme livre d’Euclide mis en François ; Mais pour vous avoüer la verité, sur ce que M. de Z. m’avoit dit avant que de me les envoyer, qu’ils ne contenoient rien de fort exquis, et que i’avois d’autres occupations, ie les ay laissé reposer, apres avoir lû deux ou trois heures dans le premier, sans y rien trouver que des paroles. Ie ne croy point qu’il faille rien changer de ce que i’ay mis au commencement de ma Metaphysique à l’occasion du sieur N. car c’est le moins que i’ay pû, et que i’ay creu avoir dû dire sur ce sujet. Car ie me serois fait tort de n’en avoir point Clerselier II, 292 du tout parlé, vû que son écrit a esté vû de plusieurs, et ie vous assure que ie me soucie aussi peu qu’il le fasse imprimer, que i’ay fait du Pentalogos que vous avez vû. Ie croy AT III, 297 donc qu’en faisant imprimer ma Metaphysique, il sera bon d’y mettre ce commencement, afin qu’on voye que ce que i’avois écrit dans le discours de ma Methode, n’est que la mesme chose que i’explique plus au long. Mais il est vray que pour faire écrire des copies, ce sera assez de commencer par l’Abregé que ie vous ay envoyé.

Ie seray bien aise qu’on me fasse le plus d’objections, et les plus fortes qu’on pourra, car i’espere que la verité en paroîtra dautant mieux, mais ie vous prie de faire voir ma réponse et les objections que vous m’avez desia envoyées, à ceux qui m’en voudront faire de nouvelles, afin qu’il ne me proposent point ce à quoy i’auray desia répondu. I’ay prouvé bien expressement que Dieu estoit Createur de toutes choses, et ensemble tous ses autres Attributs : car i’ay demonstré son Existence par l’Idée que nous avons de luy ; Et mesme parce qu’ayant en nous cette Idée nous devons avoir esté créez par luy ; Mais ie voy qu’on prend plus garde aux titres qui sont dans les Livres, qu’à tout le reste. Ce qui me fait penser qu’au titre de la seconde Meditation, de Mente humana , on peut adjouster, quod ipsa sit notior quam Corpus , afin qu’on ne croye pas que i’aye voulu y prouver son Immortalité. Et apres en la troisiéme de Deo quod existat ; En la cinquiéme, de Essentia rerum Materialium ; et iterum de Deo quod existat ; En la sixiéme, de Existentia rerum materialium ; et Reali mentis à Corpore distinctione : Car ce sont là les choses à quoy ie desire qu’on prenne le plus garde ; mais ie pense y avoir mis beaucoup d’autres choses. Et ie vous diray entre nous que AT III, 298 ces six Meditations contiennent tous les fondemens de ma Physique ; Mais il ne le faut pas dire s’il vous plaist, car ceux qui favorisent Aristote feroient peut-estre plus de difficulté de les approuver ; Et i’espere que ceux qui les liront, s’accoûtumeront insensiblement à mes Principes, et en reconnoistront la verité avant que de s’appercevoir qu’ils détruisent ceux d’Aristote.