Clerselier II, 293 AT III, 358

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LIV.

MON REVEREND PERE,
I’ay esté deux ou trois voyages sans vous écrire, partie à cause que i’ay eu peu de choses à vous mander, et partie aussi que le sejour de la campagne m’a rendu un peu plus negligent que ie n’estois auparavant ; Ie n’ay pas laissé toutesfois de chercher la question de M. des Argues, car la façon dont vous me l’aviez proposée estoit telle, qu’il n’eust pas esté honneste que ie m’en fusse excusé ; Mais pource que ie n’avois pas encore achevé il y a huit jours, que i’appris par vôtre Lettre, que M. de Rob. l’avoit trouvée, il me sembla que ie ne m’y devois pas arrester davantage, car le calcul en est fort long et difficile, et en effet ie n’y ay pas pensé depuis.

Les lieux de saint Augustin cités par M. Arnauld sont en la seconde page Libri secundi de Libero Arbitrio AT III, 359 capite tertio. Puis en la neufiesme page il cite de Animæ quantitatæ cap . 15. et Sol. l. I, cap. 40. Mais au principal passage qui est en la penultiesme page : Tria enim sunt ut sapienter monet Augustinus, etc. il a oublié de citer le Livre. Ie me remets entierement à vous de ce qui concerne l’Approbation et l’Impression de ma Metaphysique, car ie sçay que vous en avez plus de soin que ie n’en pourrois avoir moy-mesme, et vous pouvez mieux iuger ce qui est expedient, estant sur les lieux, que ie ne puis faire d’icy.

I’admire les objections de vos Docteurs, à sçavoir que nous n’avons point de certitude, suivant ma Philosophie, que le Prestre tient l’Hostie à l’Autel, ou qu’il ait de l’Eau pour baptiser, etc. Car qui a iamais dit, mesme entre les Philosophes de l’Ecole, qu’il y eust autre certitude que Morale de Clerselier II, 294 telles choses ; et bien que les Theologiens disent qu’il est de la Foy de croire que le Cors de JESUS-CHRIST est en l’Eucharistie, ils ne disent pas toutesfois qu’il soit de la Foy de croire qu’il est en cette Hostie particuliere, sinon entant qu’on suppose ex Fide humana quod Sacerdos habuerit voluntatem consecrandi, et quod verba pronunciarit, et sit rite ordinatus, et talia quæ nullo modo sunt de Fide .

Pour ceux qui disent que Dieu trompe continuellement les damnez, et qu’il nous peut aussi continuellement tromper, ils contredisent au Fondement de la AT III, 360 Foy, et de toute notre Creance, qui est que Deus mentiri non potest, ce qui est repeté en tant de lieux dans S. Augustin, S. Thomas, et autres, que ie m’estonne que quelque Theologien y contredise, et ils doivent renoncer à toute certitude, s’ils n’admettent cela pour axiome que Deus nos fallere non potest.

Pour ce que i’ay écrit, que l’Indifférence est plutost un défaut qu’une perfection de la Liberté en nous, il ne s’ensuit pas de là que ce soit le mesme en Dieu ; et toutesfois ie ne sçache point qu’il soit de Fide de croire qu’il est indifferent, et ie me promets que le Pere Gib. deffendra bien ma cause en ce point là, car ie n’ay rien écrit qui ne s’accorde avec ce qu’il a mis dans son Livre de Libertate. Ie n’ay point dit en aucun lieu que Dieu ne concourt pas immediatement à toutes choses, et i’ay assuré expressement le contraire en ma réponse au Theologien. Ie n’ay pas crû me devoir étendre plus que i’ay fait en mes Réponses à l’Anglois, à cause que ses Objections m’ont semblé si peu vray-semblables, que c’eust esté les faire trop valoir, que d’y répondre plus au long.

Pour le Docteur qui dit que nous pouvons douter si nous pensons ou non, aussi bien que de tout autre chose, il choque si fort la Lumiere Naturelle, que ie AT III, 361 m’assure que personne qui pensera à ce qu’il dit, ne sera de son opinion.

Vous m’aviez mandé cy-devant qu’en ma réponse à l’Anglois, i’ay mis le mot Ideam deux ou trois fois fort proche Clerselier II, 295 l’un de l’autre, mais il ne me semble pas superflus, à cause qu’il se rapporte à des Idées differentes, et comme les repetitions sont rudes en quelques endroits, elles ont aussi de la grace en quelques autres.

C’est en un autre sens que j’enferme les Imaginations en la définition de Cogitatio ou de la pensée, et en un autre que ie les en exclus, à savoir : Formæ sive Species Corporeæ, quæ esse debent in Cerebro ut quid imaginemur, non sunt Cogitationes ; sed Operatio mentis Imaginantis, sive ad istas species se convertentis, est Cogitatio.

La Lettre où vous m’écriviez ci-devant les objections du Conarion, doit avoir esté perdue, si ce n’est que vous ayez oublié de les écrire ; car ie ne les ay point, sinon ce que vous m’en avez écrit depuis, à sçavoir que nul Nerf ne va au Conarion, et qu’il est trop mobile pour estre le siege du Sens commun ; mais ces deux choses sont entierement pour moy : car si chaque Nerf estant destiné à quelque Sens ou mouvement particulier, les uns aux yeux, les autres aux oreilles, aux bras etc. Si quelqu’un d’eux se rendoit au Conarion plutost que les autres, on pourroit inferer de là qu’il ne seroit pas le siege du Sens commun, auquel ils se doivent tous rapporter en mesme façon et il est AT III, 362 impossible qu’ils s’y rapportent tous autrement que par l’entremise des Esprits, comme ils font dans le Conarion. Il est certain aussi que le siege du Sens commun doit estre fort mobile, pour recevoir toutes les impressions qui viennent des Sens, mais il doit estre tel qu’il ne puisse estre mû que par les Esprits, qui transmettent ces impressions, et le Conarion seul est de cette sorte.

Anima en bon latin signifie Aërem, sive oris halitum, d’où ie croy qu’il à esté transferé ad significandam Mentem, et c’est pour cela que i’ay dit que sæpe sumitur pro re Corporea.

L’Axiome que Quod potest facere majus, potest etiam minus, s’entend in eadem ratione operandi, vel in ijs quæ requirunt eandem potentiam. Car inter homines, qui doute que tel pourra faire un bon discours, qui ne sçauroit pour cela faire une lanterne.

Clerselier II, 296 Le Mathematicien de Tubinge est Schickardas, auquel i’ay crû faire plus d’honneur en le nommant par le nom de sa Ville, que par le sien, à cause qu’il est trop rude, et peu connu ; Mais pour ceux qui disent que i’ay pris quelqu’autre chose de luy que la simple observation que ie cite, ils ne disent pas la verité : Car ie vous assure qu’il n’y a pas un seul mot de raisonnement en son livret Allemand que i’ay icy, qui fust à mon usage, non plus que dans la Lettre Latine que Monsieur Ga. a écrite à Monsieur R. sur ce mesme Phainomene, car ie iuge que c’est luy qui AT III, 363 vous a fait ce discours. Mais il a tort s’il s’offense de ce que i’ay tâché d’écrire la verité d’une chose dont il avoit auparavant écrit des Chymeres, ou s’il a crû que ie le devois citer en ce lieu-là, où ie n’ay pas eu de luy une seule chose, sinon que c’est de ses mains que l’observation du Phainomene de Rome, qui est à la fin de mes Meteores, est venuë à Monsieur Ren. et de là à moy, comme par les mains des Messagers, et sans qu’il y ait rien contribué ; Et i’aurois crû luy faire plus de tort, si i’avois averty les Lecteurs qu’il a écrit de ce Phainomene, que ie n’ay fait de m’en taire.

Pour les Objections qui pourront encore venir contre ma Metaphysique, ie tâcheray d’y répondre ainsi qu’aux precedentes, et ie croy que le meilleur sera de les faire imprimer telles qu’elles seront, et au mesme ordre qu’elles auront esté faites, pour conserver la verité de l’Histoire, laquelle agréera plus au Lecteur, que ne feroit un discours continu, où ie dirois toutes les mesmes choses. Ie croy avoir icy répondu à tout ce qui a esté dans vos Lettres.

AT III, 382 Ie ne fais point encore réponse aux deux petits feüillets d’Objections que vous m’avez envoyées, à cause que vous me mandez que ie les pourray ioindre avec celles que ie n’ay pas encore receuës, bien que vous me les ayez envoyées il y a huit iours ; Mais à cause que celuy qui demande ce que i’entens par le mot Idea, semble promettre davantage d’Objections, et que la façon dont il commence me fait esperer que celles qui viendront de luy seront des meilleures, Clerselier II, 297 et de plus fortes qui se puissent faire, si par hazard il attendoit ma réponse à cecy, avant que d’en vouloir AT III, 383 envoyer d’autres, vous luy en pourrez faire sçavoir la substance, qui est que par le mot Idea, i’entens tout ce qui peut estre en nostre pensée, et que i’en ay distingué de trois sortes, à sçavoir quædam sunt adventitiæ, comme l’Idée qu’on a vulgairement du Soleil, aliæ factæ vel factitiæ, au rang desquelles on peut mettre celle que les Astronomes font du Soleil par leur raisonnement, et Aliæ innatæ, ut Idea Dei, Mentis, Corporis, Trianguli, et generaliter omnes quæ aliquas Essentias Veras, Immutabiles, et Æternas, representant. Iam vero si ex Ideâ facta, concluderem id, quod ipsam faciendo explicitè posui, esset manifesta petitio Principij, sed quod ex Ideâ Innatâ aliquid erua, quod quidem in eâ Implicitè continebatur, sed tamen prius in ipsâ non advertebam, ut ex Idea Trianguli, quod eius tres Anguli sint æquales duobus rectis ; aut ex Idea Dei, quod existat, etc. tantum abest ut sit petitio Principij, quin potius est etiam secundum Aristotelem modus demonstrandi omnium perfectissimus, nempè in quo vera rei definitio habetur pro medio.