AT III, 415

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LV.

MON REVEREND PERE,
Ie vous renvoye les sixiémes Objections avec mes Réponses, et pource que ces Objections sont de plusieurs pieces, que vous m’avez envoyées à diverses fois, ie les ay transcrites de ma main, en la façon qu’il m’a semblé qu’elles pouvoient le plus commodement estre iointes ensemble ; A sçavoir, vous m’aviez envoyé deux nouveaux articles en l’une de vos Lettres, l’un desquels i’ay adjousté à la fin du cinquiesme point, apres les mots non poterit reperire , ainsi que Clerselier II, 298 vous m’aviez mandé ; Et pour l’autre, à cause que vous n’aviez point marqué le lieu où il devoit estre ; I’ay trouvé à propos de le diviser en deux parties, et de faire le septiesme point de la premiere, et de mettre la seconde à la fin du troisiesme. Puis enfin i’ay trouvé une nouvelle objection dans la seconde copie que vous m’aviez envoyée, de laquelle i’ay composé le huitiesme point.

Pour les fautes de l’Impression ie sçay bien qu’elles ne sont pas de grande importance, et ie vous assure que ie ne vous suis pas moins obligé des soins que vous avez pris de les corriger, que s’il n’en estoit AT III, 416 resté aucune : Car ie sçay que cela vous a donné beaucoup de peine, et qu’il est moralement impossible d’empescher qu’il n’en demeure toûjours quelques-unes, principalement dans les Ecrits d’un autre. I’approuve fort que vous ayez retranché ce que i’avois mis à la fin de ma Réponse à M. Arnauld, principalement si cela peut aider à obtenir une Approbation, et encore que nous ne l’obtenions pas, ie m’assure que ie ne m’en mettray pas fort en peine.

Pour M. Gas. il me semble qu’il seroit fort injuste s’il s’offensoit de la réponse que ie luy ay faite, car i’ay eu soin de ne luy rendre que la pareille, tant à ses compliments qu’à ses attaques, nonobstant que i’ay tousiours ouy dire que le premier coup en vaut deux ; En sorte que bien que ie lui eusse rendu le double, ie ne l’aurois pas iustement payé. Mais peut-estre qu’il est touché de mes réponses, à cause qu’il y reconnoist de la verité, et moy ie ne l’ay point esté de ses objections pour une raison toute contraire ; si cela est, ce n’est pas ma faute. Pour ce que i’ay mis, que satis commodè possum respondere, le mot satis commodè ne regarde pas la force des raisons, mais seulement la facilité que i’auray à les trouver, et ainsi il ne signifie autre chose que facile, mais il m’a semblé plus modeste. Et l’autre, que Existentia Dei partem Divinæ Essentiæ facit, il est bien clair que ie n’entens pas parler de parte Physica, mais seulement qu’ Existentia est, comme vous dites, de Intrinseco Conceptu Essentiæ Divinæ. Et pour ceux qui Clerselier II, 299 voudroient fonder des objections de telles pointilles ils ne feroient que témoigner par là qu’ils n’auroient rien à dire qui fust solide, et ainsi se feroient plus de tort qu’à moy. Au reste, i’ay lû vostre Hyperaspistes, auquel ie répondray tres-volontiers ; Mais pource que ces réponses se font pour estre imprimées, et ainsi que ie dois considerer l’interest du Lecteur, lequel s’ennuyroit de voir des redites, ou des choses qui sont hors de sujet ; obligez-moi, s’il vous plaist de le prier auparavant de ma part, de revoir ses objections, pour en retrancher ce à quoy i’ay desia répondu ailleurs, et ce où il a pris tout le contraire de mon sens, comme en son huitiesme article, et ailleurs ; ou du moins s’il iuge que ces choses ne doivent point en estre retranchées, qu’il permette qu’on imprime son nom, pour me servir d’excuse envers les Lecteurs ; ou bien enfin ie luy répondray pour vous prier de luy faire voir ma réponse, et à ceux qui auront vû ses objections, mais non point pour les faire imprimer, de crainte qu’on ne m’accuse d’avoir voulu grossir le livre de choses superfluës.

Ie n’entens pas bien la question que vous me faites, sçavoir si nos Idées s’expriment par un simple Terme, car les paroles estant de l’invention des hommes, on peut tousiours se servir d’une ou de plusieurs, pour expliquer une mesme chose ; Mais i’ay expliqué en ma AT III, 418 réponse ad primas Objectiones, comment un Triangle inscrit dans un Quarré peut être pris pour une seule Idée, ou pour plusieurs, et enfin ie tiens que toutes celles qui n’enveloppent aucune affirmation ny negation, nous sont Innatæ ; car les organes des Sens ne nous rapportent rien qui soit tel que l’Idée qui se réveille en nous à leur occasion, et ainsi cette Idée a dû estre en nous auparavant. Ie suis,
M. R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.