AT III, 436

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LVII.

MON REVEREND PERE,
Ie vous suis extremement obligé de tous les soins que vous prenez pour moy, et du zele que vous témoignez avoir pour ce qui me touche ; Mais pour ce que i’en ay incomparablement moins que vous, ie croirois commettre une iniustice, Clerselier II, 302 si ie manquois à vous supplier de mépriser entierement tout ce qu’on vous peut dire à mon desavantage, et de ne prendre pas seulement la peine de l’écouter, ny de m’en écrire : Car pour moy, il y a si long-temps que ie sçay qu’il y a des sots dans le Monde, et ie fais si peu d’estat de leur iugemens, que ie serois tres-marry de perdre un seul moment de mon loisir ou de mon repos à leur sujet.

Et pour ma Metaphysique ie cessay entierement d’y penser, dés le iour que ie vous envoyay ma réponse ad Hyperaspisten ; en sorte que mesme ie ne l’ay pas euë depuis ce temps-là entre mes mains ; et ainsi ie ne puis répondre à aucune chose, de tout ce que vous m’en écriviez il y a huit iours, sinon que ie vous supplie de n’y penser non plus que moy. I’ay fait en la publiant ce à quoy ie pensois estre obligé pour la gloire de Dieu, la décharge de ma Conscience ; Que si mon dessein n’a pas réüssi, et qu’il y ait trop peu de gens au monde qui soient capables d’entendre mes raisons, AT III, 437 ce n’est pas ma faute, et elles n’en sont pas moins vrayes pour cela ; mais il y auroit de ma faute, si ie m’en fâchois, ou que i’employasse davantage de temps à répondre aux impertinentes Objections de vos gens.

I’admire que vous vous soyez avisé de m’envoyer une des Lettres de feu M. N. apres sa mort, veu que vous ne les aviez pas iugé dignes que ie les visse pendant sa vie ; Car cét homme n’a iamais esté capable de rien écrire que des Paralogismes tres impertinents, quand il a mesme cherché la vérité : Ce seroit merveille s’il l’avoit rencontrée en n’ayant dessein que de médire d’un homme qu’il haïssoit, et ie ne répons autre chose à sa belle Lettre, sinon qu’il n’y a pas un seul mot contre moy qui ne soit faux, et sans preuve. Ie serois bien marri que vous prissiez la peine de m’envoyer ses autres Lettres, car nous avons icy assez de papier pour le dernier usage, et elles ne peuvent servir à autre chose. Si le Ieune Schooten ne les entend pas ce n’est pas ma faute, et en vous le recommandant ie ne croy pas vous avoir assuré qu’il fust fort iudicieux, et fort savant. Ie vous ay desia mandé Clerselier II, 303 touchant la question de Geo. que ie n’ay que faire de perdre du temps AT II, 438 à enseigner des gens qui ne m’en sçauroient point de gré, et i’adjouste que ie les reconnois fort peu capables d’estre enseignez, vû qu’ils n’ont pas mesme sceu comprendre que Quadratum AK æquatur Quadratis ex KH et AH ; Car AH estant la Perpendiculaire qui tombe du sommet du Cone sur le Centre de l’Ellipse cherchée, et HK estant la commune section de cette Ellipse et de la Parabole donnée, il est évident que l’angle AHK est droit ; et pour la ligne PB, elle n’a garde d’estre Perpendiculaire sur AH, à cause qu’elle n’est pas dans le mesme Plan, mais elle est Parallele à sa Perpendiculaire. Ie vous prie derechef de ne m’envoyer plus ny aucunes objections contre ma Metaphysique, ny touchant la Geometrie, ny choses semblables, ou du moins de n’attendre plus que i’y fasse aucunes réponses.

M. R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.