MON REVEREND PERE,
Ie n’ay point receu de vos Lettres à ces deux derniers voyages, et i’ay peu de chose à vous répondre touchant celles que i’avois receuës auparavant ; mais i’ay à vous dire que mes Meditations s’impriment en ce païs, et qu’ayant esté averty par un de mes Amis que plusieurs Libraires en avoient envie, et que ie ne les pourrois empescher, dautant que le Privilege du Libraire n’est que pour la France, et qu’ils usent icy de toute liberté, en sorte mesme qu’un Privilege des Estats ne les retiendroit pas ; i’ay mieux aimé qu’il y en eust un qui Clerselier II, 304 le fist avec mon consentement et mes corrections, que non pas que d’autres le fissent sans mon sceu, et avec beaucoup de fautes : Ce qui m’a fait consentir qu’un Libraire d’Amsterdam appellé Elzevier l’imprimast, à condition toutesfois qu’il n’en envoyeroit aucuns Exemplaires en France, afin de ne point faire de tort au Libraire, duquel toutefois ie n’ay pas de satisfaction, en ce qu’il ne m’a encore envoyé AT III, 449 aucun Exemplaire, ny au Maire non plus ; car il m’a dit il y a cinq ou six iours, qu’il n’avoit pas seulement encore receu advis du Libraire qui luy en eust envoyé par mer, mais qu’il luy avoit seulement écrit il y a deux ou trois mois, que le Livre s’imprimoit ; et qu’il luy en envoyeroit. Ainsi il ne doit pas trouver mauvais qu’on l’imprime icy, puis qu’il n’y en veut point envoyer. I’ay seulement à vous demander si vous iugez à propos que i’y fasse adjouster ce que vous aviez retranché de la fin de ma réponse à M. Arnauld, et l’Hyperaspistes avec ma réponse ; Et en suite de cela que ie fasse mettre au titre Editio seconda, priori Parisiis factà emendatior, et auctior. Cette Impression ne sera achevée de deux mois, et si les cent Exemplaires que vous m’avez mandé que AT III, 450 le Libraire envoyoit icy sont par les chemins, ils pourront aisément estre debitez avant ce temps-là, et s’ils n’y sont pas, il les peut retenir si bon luy semble. I’ay une priere à vous faire de la part d’un de mes intimes amis, qui est de nous envoyer le Plan du Iardin de Luxembourg, et mesme aussi des Bastimens, mais principalement du Iardin ; On nous a dit qu’il y en avoit des Plans imprimez, si cela est vous m’obligerez s’il vous plaist de m’en envoyer un, ou s’il n’y en a point, de tâcher de l’avoir du Iardinier qui l’a fait, ou si vous ne pouvez mieux, de le faire tracer par le ieune homme qui a fait les Figures de ma Dioptrique, et de lui recommander qu’il observe bien toute l’ordonnance des arbres, et des parteres, car c’est principalement de cela qu’on a affaire ; Ie me serviray des adresses de Monsieur P. pour faire donner à Paris l’argent que cela coustera, et ie ne plaindray pas d’y employer sept ou huit pistoles, si cela ne se peut faire à moins.
Clerselier II, 305 Pour vos questions, la premiere est touchant une boule de mail, à qui i’ay dit qu’un mail de deux fois autant de matiere, AT III, 451 n’imprime que le tiers de son mouvement : Ce qui vous sera facile à entendre, si vous considerez le mouvement, ou la force à se mouvoir, comme une quantité qui n’augmente ny ne diminuë iamais, mais qui se transmet seulement d’un Cors en un autre, selon qu’un Cors en pousse un autre, et qui se répand également en toute la Matiere qui se meut de mesme vitesse. Car vous m’avoüerez que pendant que le mail touche et pousse la boule, ils se meuvent ensemble, et ainsi que toute la force à se mouvoir qui estoit auparavant dans le mail seul, est alors répanduë également en toute la Matiere du mail et de la boule ; et que celle qui compose la boule n’estant que le tiers de toute cette matiere, dautant que le mail est supposé double de la boule, elle ne peut aussi recevoir que la troisiéme partie de cette force. Il est certain qu’un goute d’eau peut estre si petite, qu’elle ne pourra descendre dans l’air ; et i’en ay veu l’experience en des broüillards, que ie voyois à l’œil n’estre composez que de fort petites goutes d’eau, qui ne descendoient point ; mais l’air, estant tant soit peu émû, elles se ioignaient plusieurs AT III, 452 ensemble, et ainsi devenant plus grosses descendoient en pluye.
Pour vostre experience de la boule A, qui estant poussée contre les boules B et C, pousse la petite par l’entremise de la grosse, sans faire quasi mouvoir cette grosse B, la raison s’en peut aisement rendre : Car bien qu’au premier moment que ces deux boules B et C sont touchées elles se meuvent sans doute de mesme vitesse ; toutesfois à cause que B est plus pesante que C, elle est beaucoup plus arrétée par les inégalitez du Plan sur lequel elles roulent, et ce sont ces inégalitez qui arrestent la boule B, et qui ne sont pas capable d’arrester la boule C ; mesme encore que ces deux boules fussent de mesme grosseur, celle de devant Clerselier II, 306 pourroit aller plus viste que l’autre ; car toutes les inégalitez du Plan qui luy resistent, resistent aussi à celle qui la suit, et elles employent conjointement leurs forces pour les surmonter ; mais ce qui resiste à la suivante, n’empesche point pour cela la precedente, qui pour ce sujet se peut éloigner d’elle incontinent.
Les enfans en remuant les jambes montent sur AT III, 453 les chevaux, à cause que ce remuëment leur aide à remuer les costes et les muscles de la poitrine, par l’aide desquels il se glissent sur le dos du cheval, mais non pas parce qu’il battent l’air avec les jambes. Ie ne trouve rien de plus en vos Lettres, à quoy ie puisse répondre, car pour la descente des eaux ie ne m’en suis pas encore éclaircy moy-mesme, et c’est une estude que ie veux faire à la premiere occasion. Ie suis,
M. R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.