A MONSIEUR ***.

LETTRE LXXXI.

MONSIEUR,
AT I, 300 Ie ne doute point que vous ne puissiez rendre raison beaucoup mieux que moy, de ce que l’eau qui est dans l’instrument ABCD, que vous m’avez décrit, ne descend point par le AT I, 301 trou D ; Mais puis qu’il vous plaist entendre la mienne, ie vous diray que ie considere premierement, qu’il n’y a point de Vuide en la Nature, et que par consequent lors qu’un Cors se meut, il doit necessairement entrer en la place de quelques autres ; et que celui-cy en estant chassé, doit au mesme instant occuper celle d’une autre, et celuy-cy derechef celle d’une autre, et ainsi de suite, iusques à ce que le dernier occupe la place qui est laissée par le premier ; En sorte que tous les mouvemens qui se font Clerselier II, 363 au monde sont en quelque façon Circulaires. En suite de quoy, pour sçavoir si quelque Cors se peut mouvoir ou non, il faut prendre garde à ce qui doit arriver en tout le Cercle de son mouvement, en cas qu’il se meuve : Comme icy par exemple, si la goutte d’eau qui est vers D descendoit, il faut prendre garde que non seulement cette eau devroit occuper la place de l’air qui est au dessous, mais en suite qu’une partie de cét air, aussi grosse que cette goutte d’eau, devroit occuper la place de la superficie de l’eau qui est dans le vase A, pource qu’elle doit necessairement passer par là, pour parfaire le Cercle de ce mouvement, et que cette eau de la AT I, 302 superficie de ce vase devroit occuper la place d’une autre goutte d’eau, et celle-cy d’une autre, en montant le long du tuyau ABC, iusques à ce que la derniere occupast la place qui seroit laissée par celle qui est vers D ; Mais pource que la superficie de l’eau, qui est dans le vase A, est supposée plus basse que l’ouverture D, si cela se faisoit, il y auroit plus grande quantité d’eau qui monteroit depuis A iusques à B, qu’il n’y en auroit depuis B iusques à D qui descendist, c’est pourquoy il ne se fait pas. Et toute l’eau qui est dans la capacité du vase C, ne presse point du tout celle qui est vers le trou D : car chaque partie de cette eau est appuyée sur la partie de ce vase qui est directement au dessous d’elle.

AT I, 597 AT I, 334 Il a fait ce matin un peu de Soleil, qui m’a donné moyen d’éprouver vostre Verre ; mais vous me pardonnerez s’il vous plaist, si i’ose assurer que le Tourneur ne luy a point donné la figure que vous avez prescrite, et vous le verrez facilement, si vous prenez la peine de couvrir celuy de ses costez qui est plat de cette carte, où il y a divers petits trous, et que l’exposant au Soleil, vous le teniez derriere l’autre carte, où il y a plusieurs Cercles et lignes qui Clerselier II, 364 marquent les lieux, où les rayons du Soleil passant par ces trous doivent donner : Car en l’approchant ou reculant, vous verrez que ceux qui passent par les trous du plus petit Cercle, s’assemblent dés la distance de cinq ou six pouces, et ceux du second beaucoup plus loin, lors que ceux du premier commencent desia derechef à s’escarter ; et ceux du troisiesme et quatriesme encore plus loin, lors que ceux du premier et du second sont AT I, 335 desia fort escartez, au lieu qu’ils devoient AT I, 598 s’assembler tous à la distance de quatorze pouces. Et ie vous dirois bien, que i’ay voulu voir si cela ne procedoit point, de ce qu’en traçant l’hyperbole, vous auriez supposé la refraction du verre plus ou moins grande qu’elle n’est, à cause que ie n’ay point sceu, si vous avez pris la peine auparavant de la mesurer ; mais ie trouve que cela ne peut estre : Car si vous l’aviez supposée trop petite, et que le Tourneur eust bien observé vostre figure, les rayons du milieu s’assembleroient plus prés que quatorze pouces, comme ils font ; mais ceux qui passent par les bords, s’assembleroient encore plus prés que ceux du milieu, tout au contraire de ce qu’ils font ; Et si vous l’aviez supposée trop grande, il est vray que ceux des bords s’assembleroient plus loin que ceux du milieu, comme ils font ; mais ceux-cy mesme s’assembleroient plus loin que quatorze pouces, au lieu qu’ils s’assemblent beaucoup plus prés ; Et ainsi ce verre ne peut avoir la figure d’une hyperbole, si ce n’estoit d’une dont le poinct brûlant exterieur fust seulement éloigné de six pouces, et l’interieur de beaucoup plus que six : Car la refraction du reste estant presque de deux à trois, si la distance qui est entre le sommet de l’hyperbole, et son poinct brûlant exterieur, est de six pouces, celle de l’interieur ne doit estre tout au plus que de de pouces ; Et celle de l’exterieur estant de quatorze, celle de l’intérieur doit estre . Il y a desia huit ou neuf ans que ie fis aussi tailler un AT I, 336 verre par le moyen du Tour, et il reüssit parfaitement bien ; car nonobstant que son diametre ne fust pas plus grand que la moitié du vostre, il ne laissoit pas de brûler avec AT I, 599 beaucoup de force à la distance Clerselier II, 365 de huit pouces, et l’ayant mis à la mesme épreuve d’un morceau de Carte avec de petits trous, on voyoit que tous les rayons qui passoient par ces trous, s’approchoient proportionnellement iusques à la distance de huit pouces, où ils se trouvoient assemblez en un tres-exactement ; Mais ie vous diray les précautions dont on usa pour le tailler. Primò, ie fis tailler trois petits triangles tous égaux, qui avoient chacun un angle droit, et l’autre de trente degrez, en sorte que l’un de leurs costez estoit double de l’autre, et ils estoient l’un de cristal de Montagne, l’autre de cristallin ou verre de Venise, et le troisieme de verre moins fin ; puis ie fis faire aussi une regle de cuivre avec deux pinnules, pour y appliquer ces triangles, et mesurer les refractions, ainsi que i’ay expliqué en la Dioptrique ; et de là i’appris que la refraction du cristal de Montagne, estoit beaucoup plus grande que celle du cristalin, et celle du cristalin que du verre moins pur. Mais ie ne me souviens point particulierement de la grandeur de chacune ; Aprés cela M. Mydorge, que vous avez peut-estre oüy nommer, et que ie tiens pour le plus exact à bien tracer une figure de Mathematique qui soit au monde, décrivit l’hyperbole, qui se rapportoit à la refraction du cristal de Venise, sur une grande lame de cuivre bien polie, et avec des compas dont les AT I, 337 pointes d’acier estoient aussi fines que des aiguilles ; puis il lima exactement cette lame, suivant la figure de l’hyperbole, pour servir de patron, sur lequel un faiseur d’Instrumens de Mathematiques, nommé Ferrier, tailla au Tour un moule de cuivre encavé en rond de la grandeur du verre qu’il vouloit tailler ; et afin de ne corrompre point le premier modele en l’adjustant souvent sur ce moule, il coupoit seulement dessus des pieces de Cartes, dont il se servit en sa place, iusques à ce qu’ayant amené ce moule à sa perfection, il attacha son verre sur le tour, et l’appliquant auprés avec du gres entre deux, il le tailla ; mais voulant aprés en tailler un concave en la mesme façon, il luy fust impossible, à cause que le mouvement du Tour estant moindre au milieu qu’aux extremitez, le verre s’y usoit tousiours Clerselier II, 366 moins, bien qu’il s’y dûst user davantage ; mais si i’eusse alors consideré, que les defauts du verre concave ne sont pas de si grande importance que ceux du convexe, AT I, 601 ainsi que i’ay fait depuis, ie croy que ie n’eusse pas laissé de luy faire faire d’assez bonnes Lunettes avec le Tour. Pardon, Monsieur, si ie vous ay ennuyé de ce long et mauvais discours, c’est vous mesme qui avez attiré sur vous cette importunité, et le desir que i’ay de vous témoigner que ie suis,