AT II, 190

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXXXVIII.

MON REVEREND PERE,
I’ay mis dans les deux feüillets precedens ce que i’ay crû que vous pourriez faire voir à d’autres, et ay reservé le reste pour cetuy-cy, où i’ay à vous dire touchant M. N. et vos autres Geometres, que ie suis si las, et si peu satisfait de leur conference, et que ie remarque si peu de fonds, et tant de vanterie en leur fait, que ie seray bien aise de n’avoir plus du tout de communication avec eux, bien que ie n’aye pas voulu le mettre ouvertement dans l’autre feüille de ma Lettre, afin de ne les point offenser. Et pour la piece ie vous jure que ie l’ay trouvée encore plus impertinente que ie n’ay sceu l’écrire ; en sorte que ie m’étonne que cét homme puisse passer entre les autres pour un Animal raisonnable : Au reste i’ay à vous dire que mon Limousin est enfin arrivé il y a déja huit ou dix iours, et qu’il m’a apporté la Geostatique avec la Lettre que vous m’avez écrite par luy, en laquelle vous avez mis un raisonnement de M. F. pour prouver la mesme chose que le Geostaticien ; Mais soit que vous ayez obmis quelque chose en le décrivant, soit que la matiere soit trop haute pour moy, il m’est impossible d’y rien comprendre, sinon qu’il semble tomber dans la faute du Geostaticien, en ce qu’il considere AT II, 191 le centre de la terre, ainsi que si c’estoit Clerselier II, 381 celuy d’une balance, ce qui est une tres grande méprise. Vous mettez aussi à la fin de cette Lettre que M. des Argues vous avoit donné quelque papier pour m’envoyer, touchant quelques difficultez qu’il trouve en l’intelligence de ma Geometrie, mais ie ne l’ay point receu ; et toutefois i’en eusse esté tres-aise, afin de pouvoir prendre cette occasion de luy témoigner combien ie l’estime, et combien ie me ressens son obligé. Ie passe à trois autres de vos Lettres, l’une dattée de la veille de la Pentecoste, l’autre du trentiesme May, et l’autre du cinquiesme Iuin, lesquelles i’ay receuës toutes trois cette semaine, et ie croy que cela vient de ce qu’elles passent par Leyde, où elles demeurent quelques iours avant qu’ils ayent commodité de me les envoyer : C’est pourquoy ie seray bien aise s’il vous plaist, que vous les addressiez doresnavant à Haerlem, au logis de M. Blœmard. C’est un Prestre grand amy de M. Bannius, qui ne manquera pas de me les faire tenir promptement, car il faut passer par Haerlem pour venir de Leyde où ie suis. Vous me demandez si les Estrangers m’ont fait de meilleures Objections que les François, à quoy ie vous diray que ie n’en conte aucunes que i’aye receu de France, sinon celles de M. Morin. Car pour le sieur N. il a monstré seulement qu’il vouloit contredire, sans rien entendre en la matiere qu’il attaquoit ; et AT II, 192 sinon qu’il ne s’est principalement estendu, que sur ce que i’ay écrit de l’Existence de Dieu ; i’avois resolu de faire un essay de raillerie en luy répondant, mais pource que cette matiere est trop serieuse pour la mesler parmy des mocqueries, il en sera quitte à meilleur marché. Ie scay que ce qui fait que M. N. l’estime, est seulement que la matiere qu’il traitte luy agrée ; Mais ie vous assure que ie les estime fort peu, et l’un et l’autre. Pour les Estrangers, Fromondus de Louvain m’a fait diverses Objections assez amples ; et un autre nommé Plempius, qui est Professeur en Medecine, m’en a envoyé touchant le mouvement du Cœur, qui ie croy contiennent tout ce qu’on me pouvoit objecter sur cette matiere. De plus un autre aussi de Louvain, qui n’a point voulu Clerselier II, 382 mettre son nom, mais qui entre nous est Iesuite, m’en a envoyé touchant les couleurs de l’Arc-en-Ciel ; Enfin quelqu’autre de La Haye m’en a envoyé touchant diverses matieres : c’est tout ce que i’en ay receu iusques à present. I’ay beaucoup d’obligation à M. d’Igby, de ce qu’il parle si avantageusement pour moy, comme vous me mandez ; mais ie vous assure que i’aime beaucoup mieux me vanger de ceux qui médisent de moy en me mocquant d’eux, qu’en les battant, car il m’est plus commode de rire que de me fâcher.

AT II, 193 Pour M. N. son procede me confirme entierement en l’opinion que i’ay euë dés le commencement, que luy et ceux de Paris avoient conspiré ensemble, pour tâcher à decrediter mes Ecrits le plus qu’ils pourroient ; peut estre à cause qu’ils ont eu peur, que si ma Geometrie estoit en vogue, ce peu qu’ils sçavent de l’Analyse de Viete ne fust méprisé : Comme en effet ie pense connoistre maintenant la portée de leurs esprits, et ie ne doute point qu’il n’y en ait plusieurs autres, qui pourront aller beaucoup plus loin qu’eux, lors qu’ils auront un chemin ouvert qui ne sera pas moins bon que le leur. I’admire qu’ils osent encore se vanter devant moy ; car ie ne sçache pas avoir obmis à leur répondre directement à aucune chose qu’ils m’ayent objectée ou proposée, et eux au contraire ne m’ont iamais répondu à aucune, mais ont seulement changé de discours, et parlé de choses hors de propos. Ie seray bien aise de sçavoir si les réponses de M. N. ont satisfait davantage Monsieur de sainte Croix que les miennes ; Mais pour moy, ie trouve plaisant que de quatre questions, n’y en ayant qu’une qu’il resoud à peine, en donnant un nombre qui y satisfait, il ne laisse pas de faire des bravades sur ce sujet, disant qu’il ne se contente pas de soudre ces questions à la mode de Monsieur de sainte Croix, etc. et en propose une autre toute semblable, et mesme qui est bien plus aisée. Pour ce qu’il dit que ie n’ay pas satisfait à la AT II, 194 question de Nombre, il ne s’accorde pas avec Monsieur Rob. qui à ce que vous m’avez dit cy-devant, n’estimoit pas M. de N. pour avoir trouvé la demonstration Clerselier II, 383 de ce Theoréme, mais pource qu’il s’en estoit avisé le premier : car il dit au contraire que Monsieur Bachet sur Diophante, avoüe n’en sçavoir point la demonstration, et ainsi Monsieur Bachet s’en estoit donc avisé avant luy. Mais il leur est permis de se vanter : Pour moy ie commence à me lasser de leur conference, et vous supplie de m’en délivrer autant qu’il se pourra faire civilement. Vostre derniere Lettre ne contient que des observations sur le livre de Galilée, ausquelles ie ne sçaurois répondre, pource que ie ne l’ay point encore vû ; mais si-tost qu’il sera en vente, ie le verray, seulement afin de vous pouvoir envoyer mon Exemplaire apostillé, s’il en vaut la peine, ou du moins vous en envoyer mes observations. Gillot est tout resolu d’aller à Paris, en cas que ie luy conseille, et si la condition de Monsieur de sainte Croix ou quelqu’autre vous semble propre pour luy, ie luy conseilleray ; Ie seray bien aise que vous preniez copie de ce que i’ay écrit à Monsieur Mydorge, touchant les objections AT II, 195 de Monsieur F. et ie m’assure qu’il ne la refusera pas, s’il l’a encore, et s’il ne l’a plus ie vous la pourray envoyer, car i’en ay retenu une.

RÉPONSE DU SIEUR GILLOT

Au Theoréme auquel Monsieur N. a iugé
que ie n’avois pas satisfait.

Ayant esté demonstré qu’aucun des nombres qui sont d’une unité moindres que ceux qui font divisibles par 4. ne peut estre composé de deux nombres quarrez entiers, il reste à prouver que le mesme ne peut estre composé de deux nombres quarrez rompus. Et pour ce faire, il faut considerer que s’il estoit possible, il faudroit que tant les Numerateurs, que les Nominateurs de ces fractions, fussent Clerselier II, 384 des nombres quarrez, par consequent aussi le Nominateur de leur somme ; et par mesme raison il faudroit aussi que le Numerateur de cette somme fust composé de deux nombres quarrez : Or cela est impossible, car le Nominateur de cette somme estant un nombre quarré, il sera impair, ou pair ; s’il est impair, il excedera d’une unité un nombre divisible par 4. Et son Numerateur n’estant autre chose que le Produit de ce Nominateur multiplié par le nombre proposé, lequel par l’hypothese excede de trois un nombre divisible par 4, il s’ensuit necessairement que ce Numerateur ou Produit excede aussi de 3, un nombre divisible par 4, et par consequent il ne peut estre composé de deux nombres quarrez. Que si ce AT II, 196 Nominateur est un nombre pair, estant quarré, il sera divisible par 4, et par consequent son Numerateur le sera aussi ; et s’il est composé de deux nombres quarrez, ils seront tous deux divisibles par 4 : Cela estant, ainsi posé, on imaginera ces quarrez estre divisez par 4, et on mettra pour la somme de leurs Quotiens, le Quotient de leur somme, qui sera necessairement composé de deux quarrez, si ledit Numerateur l’estoit, etc. iusques à ce que le dernier Quotient du Nominateur soit un nombre impair. Or il appert clairement de ce que nous venons de dire, que si le premier Numerateur, qu’on a commencé à diviser, estoit composé de deux nombres quarrez, le Numerateur de ce nombre impair trouvé le seroit aussi, mais nous avons prouvé que cela estoit impossible, etc. On pourra tout de mesme demonstrer qu’aucun nombre, qui sera d’une unité moindre qu’un nombre divisible par 8. ne pourra estre composé d’un, ny de deux, ny de trois nombres quarrez rompus, sans qu’il faille rien changer au discours precedent, que quelques caracteres, et choses semblables.