A MONSIEUR PLEMBPIUS.
LETTRE VII. Version.
MONSIEUR,
I’ay receu vos Leteres avec les Reflexions de Monsieur Fromondus, qui m’ont esté tres-agreables ; mais pour vous dire la verité, ie ne pensois pas devoir les recevoir si tost. Car i’avois apris peu de semaines auparavant, que vous n’aviez pas encore veu mon Livre ; et plusieurs de ceux à qui ie l’ay icy donné pour en faire la lecture, m’ont témoigné n’avoir pû en faire aucun jugement equitable, qu’apres l’avoir lû et relû plusieurs fois. C’est pourquoy ie me sens auiourd’huy d’autant plus obligé à Monsieur Fromondus et à vous ; mais à vous sur tout, Monsieur, de l’applaudissement qu’il a receu, et qui est beaucoup au dessus de celuy que i’oserois avoüer qu’il ait pû meriter, mais dont ie ne doute point qu’il ne faille attribuer la meilleure partie à l’affection que vous avez pour moy ; et à Monsieur Fromondus de la diligence qu’il a apportée à le lire, et de la faveur qu’il m’a faite de m’en écrire ses sentimens. Et certes il me semble que dans le iugement d’un si grand homme, et si bien versé dans les matieres que ie traite, ie voy comme ramassées les opinions de beaucoup d’autres. Mais neantmoins pour ce que ie reconnois qu’en plusieurs endroits il ne prend pas mon sens, ie ne puis encore bien conjecturer de là, ce que luy-mesme ny les autres en pourront dire aprés une reveuë plus exacte. Et ie ne puis non plus demeurer d’accord de ce que vous Clerselier II, 34 dites, que mes explications peuvent bien estre rejettées et méprisées, mais non pas combattuës et refutées par raison. Car n’admettant aucuns principes qui ne soient tres-manifestes, et ne considerant rien autre chose que les grandeurs, les figures, et le mouvement, à la façon des Mathematiciens, ie me suis fermé tous les subterfuges des Philosophes, et la moindre erreur qui se sera glissée en mes principes, pourra facilement estre aperceuë, et refutée par une demonstration Mathematique : Mais au contraire, ce qui sera tellemenr vray et asseuré, qu’il ne pourra estre renversé par aucune telle demonstration, ne sera pas, comme i’espere, méprisé impunément, du moins par ceux qui font profession d’enseigner. Car encore qu’il semble que ie ne fasse que proposer ce que ie dis, sans le prouver, il est toutesfois tres facile de tirer des syllogismes de mes Explications, par le moyen desquels les autres opinions touchant les mesmes matieres, seront si manifestement détruites, que si cependant quelques-uns les veulent deffendre, ils auront bien de la peine à répondre à ceux qui entendent mes principes, et peut-estre mesme ne le pourront-ils faire sans s’exposer à la risée de ceux qui les écouteront.
Ie sçay bien que le nombre de ceux qui pourront entendre ma Geometrie sera fort petit, car ayant obmis toutes les choses que ie iugeois n’estre pas inconnuës aux autres, et ayant tasché de comprendre, ou du moins de toucher, plusieurs choses en peu de paroles, (voire mesme toutes celles qui pourront iamais estre trouvées en cette science) elle ne demande pas seulement des Lecteurs tres-sçavans dans toutes les choses qui iusques icy ont esté connuës dans la Geometrie et dans l’Algebre, mais aussi des personnes tres laborieuses, tres ingenieuses, et tres attentives. I’ay appris qu’il y en avoit deux en votre païs, Wendelinus, et Wander Wegen, ie seray bien aise d’apprendre de vous le sentiment qu’ils en auront, et aussi ce que les autres en pourront iuger. I’attens avec grande impatience vos opinions touchant le mouvement du Cœur, et vous prie de me les envoyer au Clerselier II, 35 plustost, et aussi de ma faire sçavoir, s’il vous plaist, si Monsieur Fromondus a esté satisfait de mes réponses ; Vous me ferez plaisir de le salüer de ma part. Pour ce qui est des Philosophes de Leyde, ie ne puis vous en rien dire ; car i’avois quitté le païs avant que mon Livre ne fust publié, et iusques à present, autant que ie le puis sçavoir, vostre Prophetie se trouve veritable, aussi bien pour eux que pour les autres, conticuere omnes, personne ne dit mot. Adieu : Conservez-moy tousiours en l’honneur de vos bonnes graces, car ie suis.