AT II, 431

AU MONSIEUR FERNICLE
Seigneur de Bessy.

LETTRE XCV.

MONSIEUR,
La Lettre que vous avez pris la peine de m’écrire m’oblige beaucoup, et tant ce que vous y mettez des nombres, que ce que le R. P. M. m’en a cy-devant communiqué de vostre part, m’a fait connoistre que vous y sçavez plus que ie n’aurais crû qu’il fust possible d’y sçavoir, sans le secours de l’Algebre, de laquelle on m’a dit que vous n’usez point. Ce qui me feroit fort desirer d’en pouvoir conferer avec vous, si ie pensois en estre capable, et que ce fust une étude où ie m’appliquasse ; mais i’ay peur que vous n’en eussiez pas grande satisfaction : car j’y sçay si peu, AT II, 472 qu’il n’y a pas encore un an que i’ignorois ce qu’on nomme les parties Aliquotes d’un nombre, et qu’il me fallut emprunter un Euclide, pour l’apprendre, au sujet d’une question qu’on m’avoit proposée, qui estoit de trouver une infinité de nombres, qui pris deux à deux fussent reciproquement égaux aux parties l’un de l’autre. Toutesfois à cause que le Problesme que vous proposez regarde la Dioptrique, ie pense estre obligé de faire mon mieux pour le resoudre ; et voicy comme ie m’y prens.

J’expose les nombres 5. 13. 25. 41. 61. 85, etc. lesquels sont composez de ce que Monsieur de sainte Croix nomme le milieu d’un nombre quarré, à sçavoir 5. est le milieu de 9 ; 13. le milieu de 25 ; 25. de 49. etc. Et ie ne commence point cette progression par l’unité, afin de faire que la distance des Clerselier II, 432 points brûlans de l’Ellypse soit tousiours plus grande que celle de son plus petit Diamettre. Puis ie multiplie autant de ces nombres l’un par l’autre, que ie veux avoir d’Ellypses rationnelles, sans toutesfois qu’il soit besoin de reïterer aucune multiplication. Comme apres avoir multiplié 5. par 13. au lieu de multiplier le Produit par 25. il suffit de le multiplier encore par 5. et au lieu de le multiplier par 85. il suffit de le multiplier par 17. (peut-estre faut-il par 13.) et ainsi des autres. Cela fait i’ay un nombre dont le quarré estant multiplié par 4. (ou mesme par quelqu’autre AT II, 473 nombre pair, tel qu’on voudra, pourveu qu’il ne soit point le double d’un nombre quarré, et qu’il ne rende point le Produit divisible par aucun nouveau quarré, dont la racine soit en la progression des nombres exposez) il peut estre pris pour le plus grand Diametre des Ellypses demandées, et satisfait à la question. Par exemple de 5. 13. et 25. i’ay 325. dont le quarré est 105625. que ie multiplie par 4. et il vient 422500. que ie dis estre le plus grand Diametre de trois Ellypses, et non plus ; desquelles les lignes IC, IK, et FL, s’expriment par des nombres entiers, etc. Et pour trouver ces lignes en chaque Ellypse, ie divise premierement ce nombre 422500. par le double de 5. il vient 42250. pour IC ; ce que ie divise derechef par 5. et il vient 8450. pour IK : Et ie multiplie ce mesme IC, par le double de la racine du quarré dont 5. est le milieu, à sçavoir par 6. qui est double de 3. et il vient 253500. pour FL ; voila pour la premiere Ellypse. Ie divise apres cela ce mesme nombre 422500. par le double de 13. pour avoir IC ; puis IC par 13. pour avoir IK ; et ie multiplie IC par 10. pour avoir FL en la seconde Ellypse. Enfin ie le divise par 50. pour avoir IC, puis IC par 25. pour avoir IK ; et ie multiplie IC par 14. pour avoir FL en la troisiesme Ellypse. Ainsi on peut aisement trouver un nombre, qui serve de Diametre à tant de telles Ellipses qu’on voudra ; Et ie pourrois donner une autre regle, pour trouver le mesme en AT II, 474 des nombres plus cours, à sçavoir, en faisant que DC fust le double d’un Clerselier II, 433 nombre quarré ; Mais pour ce que ie croy qu’elle seroit plus longue, ie me suis contenté de celle-cy.

Pour ce que vous écrivez touchant les Multiples, il me fait iuger que vous y estes extremement versé, et peut-estre plus qu’aucun autre ne fust iamais ; Toutesfois ie m’étonne de ce que vous semblez nier, qu’il y ait des nombres non divisibles par 5. dont les parties soient 7. ou 11. ou 17. fois plus grandes qu’eux, et choses semblables : Car ce n’est pas assez de n’en avoir point trouvé, encore mesme qu’on auroit cherché par tous les nombres, iusques à ceux qui s’expriment par mille notes, pour assurer qu’il n’y en ait point, en l’immensité infinie de ceux qui sont au delà : Et ie ne voy aucune raison, pour douter qu’il n’y en ait une infinité de chacune de ces sortes. Il est vray que peut-estre ils sont si longs, que la vie d’un homme ne suffiroit pas pour les écrire ; Mais par l’a, b, c, dont ie me sers, on ne laisseroit peut-estre pas pour cela de pouvoir les exprimer.

Ie m’étonne aussi de ce que vous nommez steriles les deux Theorémes dont i’avois mandé m’estre servy pour trouver les Triples, vû que de quatre doubles, ils m’en avoient fourny six Triples, et ce en un temps auquel le R. P. M. m’avoit mandé qu’on pensoit qu’il fust impossible d’en trouver aucun. Toutesfois i’avoüe que ces Theorémes considerez seuls seroient peu de chose ; Mais d’autant qu’on en peut trouver une infinité d’autres à leur exemple, ils donnent AT II, 475 le moyen de trouver une infinité de Multiples. Et ce n’est point par eux que i’opere, comme vous avez fort bien iugé ; mais la façon dont i’opere en cherchant quelque Multiple, me donne tousiours quelque semblable Theoréme, qui peut servir à en trouver d’autres ; Et cette façon n’est autre chose, que la mesme dont i’use en ma Geometrie, supposant des Lettres pour les quantitez, ou nombres inconnus, et cherchant à en faire des équations avec quelques-autres nombres connus : ce qui se fait en tant de diverses façons, qu’il me seroit mal-aisé de les expliquer icy plus en particulier. Et les nombres Equivalens qui se trouvent par ces Equations sont de tel Clerselier II, 434 usage, que si vous avez trouvé deux cens Multiples sans vous en servir, ie m’assure qu’en considerant seulement les parties semblables ou dissemblables dont ils sont composez, vous en pourrez trouver deux fois autant de nouveaux sans aucun calcul ; comme de l’un des quadruples que le Reverend Pere Mersenne m’a cy-devant envoyé de vostre part, composé de nombres 5. 243. 49. 13. 19. 23. 89. 1024. i’en trouve un autre plus court, composé de 5. 243. 49. 13. 19. 17. 128. car ie sçay que 17. et 128. font ici le mesme que 23. 89. et 1024. et ainsi des autres.

Pour le nombre impair faussement parfait, que ie vous avois envoyé, ie ne vous celeray pas que i’en tiens l’invention pour une des plus belles en cette matiere, ie ne diray pas que ie sçache, car ie n’y sçay presque rien, mais que j’y pusse sçavoir, encore que ie m’y appliquasse entierement : Et ie ne sçay pourquoy AT II, 476 vous iugez, qu’on ne sçauroit parvenir par ce moyen, à l’invention d’un vray nombre parfait : Que si vous en avez une demonstration, i’avouë qu’elle est au delà de ma portée, et que ie l’estime extremement : car pour moy, ie iuge qu’on peut trouver des nombres impairs veritablement parfaits, en la mesme façon que i’ay trouvé celuy-là : Mais il est à remarquer qu’au lieu des nombres 7. 11. et 13. dont i’avois composé la racine du quarré, il faut que chaque nombre qu’on y employe, excepté celuy qu’on prend le premier de tous, soit l’aggregé de deux nombres, qui expliquent la proportion qui est entre le quarré et les parties aliquotes de ceux qu’on a pris auparavant. Comme ayant pris 3. pour le premier nombre, il faut que le second soit 13. qui est l’aggregé de 9. quarré de 3. et de 4. qui sont ses parties, (ou bien ce peut estre aussi le quarré de 13. ou son cube, ou son quarré de quarré, etc. et ce pourroit estre ce mesme nombre, s’il estoit quarré ; ou sa racine, s’il estoit quarré de quarré, etc). Aprés cela, pour ce que les quarrez de 3. et de 13. produisent un nombre, qui est à ses parties, comme 39 à 22. il faut que le troisiesme nombre qu’on prend, soit l’aggregé de ces deux, à sçavoir, 61. (ou bien Clerselier II, 435 derechef son quarré, ou cube, etc. et ainsi de suite.) Au moyen dequoy, on peut enfin composer une racine, dont le quarré soit à ses parties aliquotes, en proportion superparticuliere, et que l’aggregé des deux nombres qui expliquent cette proportion, soit un nombre premier, lequel estant multiplié par le quarré trouvé, produira un vray nombre parfait. Il est vray qu’on AT II, 477 essayera peut estre quantité de nombres, avant que d’en rencontrer qui produisent ainsi un nombre parfait ; à cause que ces aggregez ne sont pas tousiours nombres premiers, et qu’ils ne composent pas toûjours la racine d’un quarré, qui soit à ses parties en proportion superparticuliere : Mais ie ne voy rien qui empesche que cela n’arrive quelquesfois, bien que la recherche en soit fort penible et ennuyeuse. Ie suis,