BREVE RÉPONSE DE MR DESCARTES,
aux Objections et Instances de M. le Conte.
LETTRE XIV. Version.
Ie laisse la premiere Objection, pource qu’il dit avoir dèja esté entierement satisfait par M. Picot.
Ie reconnois par la Seconde, que ie n’ay pas assez expliqué ma pensée dans l’Article 83. Car mon dessein n’a point esté de monstrer en cét endroit, Que les Globes les plus pesans et les plus grands, vont au dessus de ceux qui sont plus petits : Car au contraire, ie n’ay supposé en eux aucune Pesanteur, ny aucune difference quant à la Solidité, mais i’ay seulement tasché de prouver, qu’on ne pouvoit feindre qu’ils eussent esté au commencement si égaux en solidité, en grandeur, et en mouvement, qu’on y trouvast par aprés de l’inegalité, du moins en leur mouvement ; laquelle inegalité i’ay demonstrée, de ce que plusieurs d’entr’eux doivent passer en mesme temps par des chemins tantost plus estroits, et tantost plus larges, et que quelques uns de ceux qui se meuvent également viste, lors qu’ils passent par un chemin fort large, devoient devancer les autres, lors qu’ils viennent à un plus étroit, et ainsi doivent commencer à se mouvoir plus viste ; comme il paroist par l’exemple de la premiere Figure de la Planche 8. Et i’ay apporté deux raisons pour prouver que les chemins par où ils passent, sont tantost plus étroits, tantost plus larges : La I. parce que les Vortices, ou Tourbillons, qui sont à l’entour, ne sont pas égaux : Et la 2. parce que l’endroit du Tourbillon dans lequel ils sont, doit estre plus Clerselier II, 102 étroit vis à vis du Centre de chacun des Tourbillons voisins, que vis à vis des autres parties. Ainsi l’on peut voir dans la Figure de la Planche troisiéme, que les Globes qui se meuvent Circulairement dans le Tourbillon AEIO, passent par un Espace plus étroit entre S et N, qu’entre S et F, parce que ces Tourbillons ne sont pas égaux ; et que l’Espace aussi par où ils passent, est plus étroit dans la ligne droite qui peut estre menée d’S à F, qu’entre celle qui peut estre menée d’S à E. Or de cela seul que quelques Globes ont une fois commencé à se mouvoir plus viste que les autres, encore que du reste on les imagine estre égaux ; i’ay pensé qu’il estoit evident par les Loix du Mouvement que i’avois auparavant établies, qu’ils doivent retenir par aprés cette mesme vitesse, tandis qu’il n’y a point de cause qui la leur puisse oster ; et par consequent, qu’ils doivent occuper le lieu le plus haut, ou le plus éloigné du Centre du Tourbillon, que n’est le Cercle HQ.
Et ie ne mets aucune difference entre un Mouvement et un autre, de ce que l’un est droit et l’autre Circulaire, ainsi qu’il semble que fait M. le Conte, ny aussi entre l’agitation Accidentelle, et celle qui ne l’est pas, comme il fait en son Instance ; d’autant que par quelque cause que ce soit qu’un Cors soit agité, et pour accidentelle que cette cause puisse estre, il ne doit iamais perdre par après son agitation, s’il ne survient quelqu’autre cause qui la luy oste ; Et cette mesme agitation pourra aussi bien faire qu’il se meuve d’un mouvement Circulaire, que d’un mouvement droit, si l’on suppose une cause qui le determine à cela ; Et icy la Figure Circulaire de chaque Tourbillon, et la situation des autres Tourbillons voisins qui l’environnent de toutes parts, sont les causes qui determinent le mouvement des Globes du Second Element, contenus dans chaque Tourbillon, à estre circulaire. Or la mesme raison qui prouve que les petits Globes, les plus éloignez du Centre de chaque Tourbillon, se meuvent plus viste iusqu’à un certain terme, que ceux qui en sont plus proches, sert aussi à prouver au contraire que Clerselier II, 103 ceux-cy se meuvent plus lentement ; mais c’est une autre raison, qui fait qu’il n’en va pas de mesme depuis ce terme iusqu’au Centre du Tourbillon ; dequoy nous parlerons cy-aprés.
Au reste ie ne nie pas que ces differences qui arrivent aux mouvemens de la Matiere celeste, ne soient necessaires pour expliquer les Phainomenes des Planettes et des Comettes, et que cela ne m’ait obligé à les examiner soigneusement : Mais cela n’empesche pas que ie ne croye que la verité n’en ait esté bien demonstrée de ma premiere Hypothese, suivant les Loix de la Mechanique.
A ce qui est objecté contre l’Article 84. Ie répons que la Matiere des Taches et de l’Air qui est autour du Soleil, est à la verité susceptible de fort peu d’agitation, c’est à dire qu’elle ne peut retenir long-temps le mouvement qu’elle a receu, si les autres Cors qui sont autour d’ellesd’elle y repugnent ; mais que neantmoins elle ne laisse pas de suivre plus facilement le mouvement de la Matiere subtile, qui s’eschappe continuellement du Soleil, que ne font les petits Globes du second Element. Tout de mesme que nous voyons que les festus, les feüilles, et les plumes, sont emportées plus facilement par les vents que non pas les pierres, lesquelles neantmoins sont susceptibles d’une plus grande agitation.
Sur ce qui a esté objecté contre l’Art. 95. Page 209.
Il a esté tres bien objecté que dans les Liqueurs qui boüillent, l’Escume est chassée par le boüillon vers les parties ou le mouvement est le plus lent ; mais il a aussi esté tres-bien répondu, que pour cela la Matiere des Taches est chassée par le Soleil vers le Ciel, pource qu’il y a moins de mouvement en luy que dans le Soleil ; et mesme vers l’Eclyptique du Ciel plutost que vers les Poles, à cause que la nouvelle Matiere qui coule continuellement par les Poles vers le Soleil, pousse ces Taches vers l’Eclyptique, ce qui sera peut-estre rendu plus clair par cét exemple. Concevons deux fleuves qui coulent l’un d’A vers S, et l’autre de B vers S, Clerselier II, 104 et que leurs eaux qui se rencontrent en S, et qui ont égale force, ont creusé une grande fosse, à sçavoir d, e, f, g, dans laquelle comme elles sont mélées ensemble, elles tournent en rond, et que de là elles s’écoulent vers M, et vers Y : et pensons que par le choc mutuel qui se fait de ces eaux en l’Espace d, e, f, g, il s’engendre quantité d’escume ; d’où il sera aisé de concevoir, que cette escume ne sçauroit aller vers A ny vers B, c’est à dire vers les Poles, mais qu’elle doit tourner quelque temps sur la superficie de l’eau qui est en S, et aprés cela s’écouler vers M et vers Y, c’est à dire vers l’Eclyptique.
L’Opacité d’un Cors n’empesche pas que d’autres Cors ne puissent passer au travers, mais seulement sa Densité, ou dureté ; laquelle neantmoins n’empesche pas non plus le passage des autres Cors, lors qu’il y a dans ce Cors des pores assez grands pour recevoir ceux qui y doivent passer. Ainsi les parties Canelées passent plus aisement par les pores ou canaux des Taches, pour denses qu’elles soient, que par l’air qui est autour d’elles. Car la densité des particules de cét air, est plus grande que celle des particules de la Matiere du premier Element, qui se rencontre seule dans ces conduits, à cause que c’est d’elle seule qu’ils peuvent estre remplis.
Ce qui est proposé en suite dans l’Instance, peut facilement estre resolu par l’exemple des deux fleuves que ie viens d’apporter. Car si l’eau du fleuve qui vient d’A vers S, estoit d’une autre couleur que l’eau de l’autre fleuve, nous pourrions voir à l’œil, que les particules de l’eau qui viennent Clerselier II, 105 d’A continuent de couler au delà du poinct S, iusques à une certaine petite distance, comme feroit de S vers d, et qu’aprés elle retourne de d par g et par e vers f, et qu’ainsi elle compose un petit Tourbillon. Et que tout de mesme les autres particules qui viennent de B vers S, continuent de couler iusques à f, et non pas au delà vers A ; Ce qui se rapporte entierement à ce que i’ay dit des parties Canelées.
Sur la page 235. Article 119.
Ie n’ay rien à adjouster icy à la réponse qui a esté faite, sinon que la superficie de la Terre que nous habitons, n’a de hauteur ou d’épaisseur, qu’environ une ou deux lieuës, laquelle est peu considerable, si on la compare à sa Cavité Interieure, dont le diametre est de plus de deux mille lieuës. Et si l’on faisoit une Sphere concave de plomb ou d’or, ou de quelqu’autre matiere tres-pesante, dont l’épaisseur n’eust pas plus grande proportion au diametre de la cavité, que celle de 2 à 2000, cette Sphere, comparée avec un Globe solide de la mesme matiere, seroit fort legere. Pour ce qui est de sçavoir, si maintenant dans les Cavitez de la Terre, il s’engendre quelque chose de semblable aux Taches, ou s’il ne s’y en engendre pas, ie ne l’ay point definy dans le troisiéme Article de la quatriéme Partie, où i’en ay traitté ; car on peut apporter des raisons pour et contre. Enfin ie ne voy pas qu’il soit vray-semblable de dire, que les hommes en marchant sur la Terre la rendent plus solide ; car le mouvement est plustost la cause de la Rarefaction, que de la Condensation ; et mesme nous voyons dans les Chairs, dans le Bois, et dans les autres Cors, quels qu’ils soient, que lors qu’ils se corrompent, et qu’il s’y engendre des Animaux, ils Clerselier II, 106 n’en sont pas rendus pour cela plus denses, mais plutost plus rares.
Sur la Figure de la Planche 3.
Ie n’ay aussi rien à adjouster icy, sinon qu’il me semble qu’on peut aussi facilement concevoir, qu’une Comette en passant par divers Tourbillons décrit de tres grands circuits, qu’il est facile de concevoir qu’une Planette tourne tousiours autour du Centre, d’un seul et mesme Tourbillon ; iusques à ce qu’enfin, comme il n’y a rien qui soit immuable dans le monde, et les Comettes, et les Planettes, et mesme les Estoiles Fixes soient détruites.
Sur la Page 275. Article 149.
La Lune n’est point emportèe contre le mouvement de la Matiere Celeste, mais elle luy obeït entierement, bien qu’elle n’en acquierre pas toute la vitesse. Et c’est la raison pourquoy elle ne va pas d’A vers T. Car la Terre et toute la Matiere Celeste, qui est contenuë dans le petit Tourbillon ABCD, tournant autour du Centre T. la Lune qui est emportée par cette Matiere Celeste, doit aussi tourner autour du mesme Centre T, et non pas estre portée vers luy. Et estant parvenuë à C, elle ne doit pas s’écarter vers Z, mais elle doit estre rejettée vers D, pource que la Matiere Celeste dans laquelle elle est contenuë l’y conduit.
Bien qu’il ait esté dit que la Matiere Celeste qui tourne autour du Soleil, se meuve d’autant plus viste qu’elle est plus proche de luy, il ne s’ensuit pas pour cela que les parties de cette Matiere Celeste, qui sont contenuës dans le petit Tourbillon ABCD, doivent estre emportées plus viste autour du Soleil, quand elles sont vers D, que quand elles sont vers B ; d’autant que toutes celles qui sont contenuës dans les petit Tourbillon ABCD, s’accordant toutes ensemble à faire un autre mouvement autour du Centre T, qui fait que tantost elles s’approchent du Soleil, et tantost s’en éloignent, eu égard à cette vitesse qu’elles empruntent du Soleil, Clerselier II, 107 elles ne doivent point estre considerées comme separées les unes des autres, mais comme faisant toutes ensemble un seul Cors, qui tourne tout à la fois en un an autour du Centre S.
Et il n’importe pas que nous croyons, ou que nous ne croyons pas, que la Terre et la Lune soient encore enveloppées de la mesme Matiere Celeste, dont elles estoient enveloppées auparavant qu’elles tournassent autour du Soleil ; pourveu que nous sçachions que la Matiere dont elles sont à present enveloppées, ne peut estre fort differente de celle qui est vers K et vers L. Car estant fluide, si ses parties estoient beaucoup plus subtiles, elles approcheroient davantage vers S ; et si elles estoient beaucoup plus grosses, elles s’en éloigneroient davantage, et d’autres succederoient en leurs places.
Sur la page 289. et sur la Figure de la Planche 13.
Ce que i’ay écrit de la Pesanteur, peut faire aisement concevoir pourquoy le Cors M, ne doit pas s’éloigner davantage du Centre I ; car ie ne nie pas que toutes les parties du Tourbillon M, ne taschent de s’éloigner du poinct I, mais ie nie qu’elles puissent trouver quelque lieu où elles puissent se retirer ; parce que toute la Matiere qui l’environne, tasche aussi de s’éloigner de ce mesme poinct I, et a plus de force pour s’en éloigner, que n’en a le Cors M.
Sur la Figure de la Planche 16.
Il a esté tres-bien répondu, que la Matiere du Tourbillon ABCD, ne se contient pas moins dans ses Limites, que si elle estoit entourée d’un mur d’Airain.
Pour ce qui est du Canal plein d’une eau courante, si l’on met au dedans de luy le Cors dur I, de quelque matiere qu’il soit, pourveu qu’il ne se meuve point, ou ce qui revient à la mesme chose, pourveu qu’il se meuve plus lentement que l’eau, de mesme que la Lune tourne plus lentement que la Matiere Celeste qui l’environne, la presence de ce Globe Clerselier II, 108 fera que l’eau pressera plus les costez de ce Canal en A, et en B qu’aux autres endroits : Au moyen dequoy si ces costez sont de telle nature qu’ils puissent facilement estre pliez, de mesme que la Terre peut facilement estre remuée de sa place, et changer le lieu de son Centre, ils se courberont quelque peu en A et en B ; et là le Canal deviendra un peu plus large ; Il est bien vray que ces costez ne se courberont peut-estre pas davantage en B qu’en A ; mais ie ne voy pas ce que de là on peut conclure contre ce que i’ay écrit.
Sur la page 328. Art. 50.
La diversité des bords, des détroits, et des vents, fournit des raisons assez suffisantes, pour expliquer toutes les varietez des flus et des reflus. Mais ie ne me souviens point d’avoir iamais lû, ny mesme oüy dire, que les flus et les reflus soient plus grands aux Solstices, qu’entre les Equinoxes et les Solstices ; et ie serois bien aise de sçavoir par qui cela a esté observé : Quoy que pourtant ie ne m’estonnerois pas, si cela se trouvoit veritable en quelques endroits, pource qu’il y a plusieurs causes qui peuvent servir à rendre les flus et les reflus plus grands ou plus petits.
Sur la page 330. Art. 53.
Tous les mouvemens de la Terre et de la Matiere celeste, et mesme ceux de l’Eau, et de l’Air, que nous avons dit se faire d’Occident en Orient, n’empeschent pas l’autre mouvement de l’Eau et de l’Air, que nous avons dit aussi se faire d’Orient en Occident, et qui est causé par la pression continuelle de la Lune ; Et nous nous apercevons plus sensiblement de celuy-cy, que de tous ces autres mouvemens, encore qu’il soit beaucoup plus lent qu’eux, à cause que nous sommes mûs nous mesmes de toutes ces autres sortes de mouvemens, et que celuy-là seul n’imprime point son mouvement en nous ; Par la mesme raison qu’estant assis Clerselier II, 109 dans un Vaisseau, nous apercevons plus facilement le mouvement d’une Tortuë, qui va tres lentement dans le mesme Navire, de la Prouë vers la Pouppe, que nous n’apercevons le mouvement mesme du Navire, qui va vers la partie opposée, quoy que son mouvement soit beaucoup plus viste.
Sur la page 426. art. 155. Planche 20. Figure 3.
Nous attribuons plus de vertu au retour des parties Canelées, quand sortant des Poles d’une piece d’Ayman qui a beaucoup de force, elles retournent par les Poles de l’autre, que nous n’en attribuons à leur premier Cours, à sçavoir quand sortant des Poles de la Terre elles entrent par ceux d’un Ayman ; Dont la raison est que la Terre est un Ayman fort foible, pour la raison qui est couchée en l’art. 166. et que nous supposons que l’Ayman, dont nous parlons icy, est beaucoup plus fort ; Et que pour cela mesme nous pensons qu’il y a beaucoup plus de parties Canelées qui s’assemblent autour de cet Ayman, et qui composent comme un petit Tourbillon autour de luy, qu’il n’y en a en pas un autre lieu autour de la Terre, ce qui fait qu’il a beaucoup plus de force et de vertu. Pour l’experience tirée du premier Livre du Pere Fournier, M. Picot y a ce me semble entierement satisfait.
Sur la page 431. Article 163.
Un fer bien battu, trempé, et poly etc. On joint icy plusieurs choses ensemble, qui me semblent devoir estre distinguées. Car un fer qui a esté endurcy par la Trempe, donne plus facilement passage aux parties Canelées, que celuy qui n’a pas esté ainsi endurcy, pource qu’il a des passages bien mieux ordonnez que l’autre, ainsi que i’ay expliqué autre part. Et un fer poly ne reçoit pas en luy plus facilement, ny aussi plus difficilement les parties Canelées, qu’un autre qui n’est pas poly ; mais ces parties Canelées sortant de l’un de ses Poles, pour retourner vers l’autre, gardent entr’elles un ordre plus exact, et moins interrompu ; Ce qui fait que la vertu Magnetique paroist plus grande dans un fer, ou dans un Clerselier II, 110 Ayman, quand il est poly, et qu’il a mesme une Figure oblongue et uniforme, disposée selon son Axe, que dans un autre qui est rude et sans forme. Pour ce qui est du fer qui a esté battu par le Marteau, ie ne pense pas qu’on ait iamais observé qu’il admette plus facilement les parties Canelées, que celuy qui n’a pas esté ainsi battu : Au contraire, si aprés qu’un fer a esté Trempé, on le met aussi-tost sous le Marteau, il perd toute la dureté qu’il a acquise par la trempe, ainsi que m’ont asseuré plusieurs Serruriers ; et ainsi il n’y a point de doute qu’il est rendu moins propre à recevoir les parties Canelées.