MON REVEREND PERE,
Ie commenceray ma réponse par la Lettre de M. Meyssonnier, pource qu’elle est la plus vieille en datte de celles que vous m’avez envoyées. Ie suis fort son serviteur, c’est tout ce que ie puis rendre à ses Complimens : Pour les discours qu’il fait du Sel Aërien, et de la difference qu’il met entre les Esprits Vitaux et Animaux, les comparant au Feu Elementaire, et au Mercure Aërien, ce sont des choses qui surpassent ma capacité, c’est à dire entre nous, qui me semblent ne signifier rien d’intelligible, et n’estre bonnes que pour se faire admirer par les ignorans.
Pour les marques d’Envie, puis qu’elles ne s’impriment point sur l’Enfant, lors que la mere mange du fruit dont elle a envie ; il est bien vray-semblable qu’elles peuvent aussi quelquesfois estre gueries lors que l’Enfant mange de ce fruit, à cause que la mesme disposition qui estoit dans le Cerveau de la mere, et qui causoit son envie, se trouve aussi dans le sien, et correspond à l’endroit qui en est marqué, ainsi que la mere en se frottant à pareil endroit au temps de son envie, y a rapporté l’effet de son imagination. Car AT III, 121 generalement chaque membre de l’Enfant, correspond à chacun de ceux de la mere, comme on peut prouver par raison mechanique, et plusieurs experiences le témoignent, dont i’en ay lû autresfois une fort remarquable dans le Forestus, d’une Dame qui s’estant rompu le bras lors qu’elle estoit enceinte, accoucha d’un fils qui avoit le bras rompu comme elle, et appliquant à ce bras de l’Enfant les mesmes remedes qu’à celuy de la mere, il les guerit tous deux separément.
Clerselier II, 230 Pour les Bestes brutes, nous sommes si accoutumez à nous persuader qu’elles sentent ainsi que nous, qu’il est mal-aisé de nous défaire de cette opinion. Mais si nous estions aussi accoutumez à voir des Automates, qui imitassent parfaitement toutes celles de nos actions qu’ils peuvent imiter, et à ne les prendre que pour des Automates, nous ne douterions aucunement que tous les Animaux sans raison, ne fussent aussi des Automates, à cause que nous trouverions toutes les mesmes differences entre nous et eux, qu’entre nous et les Automates. Comme i’ay écrit Page 56. de la Methode ; Et i’ay deduit tres-particulierement en mon Monde, comment tous les organes qui sont requis pour faire toutes ces actions en Automates, se trouvent dans le Cors de Animaux.
Ie viens à l’autre paquet où estoit la These des PP. Iesuites, avec la Lettre du Medecin, que AT III, 122 i’ay crû vous devoir renvoyer, pource qu’elle semble n’estre qu’une partie d’un plus long discours. Ie croy que M. de Mart. vous aura fait voir ce que i’écris au Recteur de Iesuites à l’occasion de ces Theses ; car vous ne m’en aviez point nommé l’Autheur, et i’ay esté bien aise de l’ignorer, pour avoir plus d’occasion de m’adresser au Cors.
Les Histoires de la Soye qui croist au front d’une Fille, et de l’Espine qui fleurist sur le Cors d’un Espagnol, meritent bien qu’on s’en enquiere tout particulierement : Et pour la Soye, ie ne puis croire que ce soit de la vraie Soye qui croisse, mais ou une excrescence de chair, qui sortant par le trou de la cicatrice où la Soye a esté, en represente aucunement la figure, ou peut-estre du poil qui sort de ce trou, ce qu’on peut aisément iuger à l’œil. Mais pource que vous dites qu’on ne sçauroit expliquer ce Phainomene, en ne mettant point d’autre Principe de vie dans les Animaux que la chaleur, il me semble au contraire, qu’on le peut bien mieux expliquer ainsi qu’autrement ; car la chaleur estant un Principe commun pour les Animaux, les Plantes, et les autres Cors, ce n’est pas merveille qu’elle-mesme serve à faire vivre Clerselier II, 231 un homme et une plante ; au lieu que s’il falloit quelque Principe de vie dans les Plantes, qui ne fust pas de mesme espece que celuy qui est dans les Animaux, ces Principes ne pourroient pas si bien compatir ensemble.
AT III, 123 Pour la Lettre du Medecin de Sens, elle ne contient aucune raison pour impugner ce que i’ay écrit de la Glande, nommée Conarium, sinon qu’il dit qu’elle peut estre alterée comme tout le Cerveau, ce qui n’empesche point qu’elle ne puisse estre le principal siege de l’Ame : car il est certain que l’Ame doit estre iointe à quelque partie du Cors ; et il n’y en a point qui ne soit autant ou plus sujette à alteration, que cette glande, qui bien que fort petite et fort molle, toutesfois à cause de sa situation, est si bien gardée, qu’elle ne peut quasi estre sujette à aucune maladie, non plus que l’humeur cristalline de l’œil : Et il arrive bien plus souvent que des personnes deviennent troublez d’Esprit, sans qu’on en sçache la cause, auquel cas on la peut attribuer à quelque maladie de cette glande, qu’il n’arrive que la veuë manque par quelque defaut de cette humeur cristalline ; outre que toutes les alterations qui arrivent à l’Esprit, comme lorsqu’on dort aprés qu’on a beu, etc. peuvent estre attribuées à quelques alterations qui arrivent en cette glande.
Pour ce qu’il dit que l’Ame se peut servir des parties doubles ie luy accorde, et qu’elle se sert aussi des Esprits, qui ne peuvent pas resider tous en cette AT III, 124 Glande ; car ie n’imagine point que l’Ame soit tellement comprise en elle, qu’elle n’estende ailleurs ses actions : Mais c’est autre chose se servir, et estre immediatement iointe et unie, et nostre Ame n’estant point double, mais une et indivisible, il me semble que la partie du Cors à laquelle elle est le plus immediatement unie, doit aussi estre une et non divisée en deux semblables, et ie n’en trouve point de telle en tout le Cerveau que cette Glande. Car pour le Cerebellum, il n’est un, que superficie et nomine tenus ; et il est certain que mesme son processus vermiformis, qui semble le mieux n’estre qu’un Cors, est divisible en deux moitiez, et que la moëlle de Clerselier II, 232 l’Espine du dos est composée de quatre parties, dont les deux viennent des deux moitiez du Cerveau, et les deux autres des deux moitiez du Cerebellum ; et le Septum lucidum, qui separe les deux ventricules anterieurs, est aussi double.
Pour l’Esprit Fixe qu’il veut introduire, c’est une chose qui ne me semble pas plus intelligible, que s’il parloit d’une Lumiere tenebreuse, ou d’une liqueur dure ; Et i’admire que des personnes de bon esprit, en cherchant quelque chose de probable, preferent des imaginations confuses et impossibles, à des pensées plus intelligibles, et sinon vrayes, au moins possibles et probables ; Mais c’est l’usage de l’Ecole qui luy ensorcele les yeux.
Ie ne trouve rien en sa Lettre touchant les Cercles de l’Eau dont vous m’écrivez ; mais il est certain que AT III, 125 ces Cercles se font beaucoup plus facilement, et plus subtilement, et autrement, en la superficie de l’Eau, qu’ils ne se font au dedans : Car en la superficie ils se font à cause que lors que la Pierre entre dans l’Eau, cette Eau se hausse un peu autour d’elle ; puis à cause qu’elle est plus pesante que l’Air qui la touche elle redescend, partie dans le trou qu’a fait la Pierre, et partie de l’autre costé : Or celle-cy poussant d’autre Eau un peu plus loin tout autour, la fait hausser en un plus grand Cercle, et l’Eau de ce Cercle se rabaissant en cause un autre plus grand, et ainsi ce Cercle s’accroist successivement. De plus, l’Eau qui rentre tout à coup dans le trou qu’a fait la Pierre, s’y hausse derechef un peu plus que le niveau de l’Eau, et en redescendant commence derechef un second Cercle, et ainsi il s’en fait plusieurs qui s’entresuivent : Ce qui n’arrive point dans le fond de l’Eau, ny dans le milieu de l’Air ; mais il s’y fait d’autres Cercles, principalement dans l’Air, par la Condensation et Raréfaction, et ce sont ces Cercles qui causent le son. Car lors qu’un Cors se meut un peu viste dans l’Eau, ou dans l’Air, la partie de cét Air dont il prend la place, ne peut luy ceder si promptement qu’elle ne se condense quelque peu ; puis aussi-tost aprés s’estre condensée, elle se dilate derechef, AT III, 126 et presse l’autre Air qui est un Clerselier II, 233 peu plus loin tout autour en forme de Cercle, lequel derechef se dilatant en presse d’autre, et ainsi de suite. Et un Cors n’a pas besoin de se mouvoir gueres loin, mais seulement de se mouvoir fort viste, et il ne faut que tant soit peu d’Air pour causer de tels Cercles ; D’où il est aisé à entendre, pourquoy le son ne fait point sensiblement mouvoir la flamme d’une Chandelle ; et pourquoy plusieurs mouvemens de grands Cors, qui ne pressent pas l’Air, ny ne sont fort vistes, ne causent point de Son : Et plusieurs Sons ou Cercles peuvent estre ensemble, à cause qu’un mesme Cors est capable de plusieurs mouvemens en mesme temps ; mais neantmoins ils ne sont pas si distincts, comme aussi l’experience le monstre. Ie n’ay pas encore fait imprimer mes cinq ou six feüilles de Metaphysique, quoy qu’elles soient prestes il y a long-temps ; Et ce qui m’en a empesché est, que ie ne desire point qu’elles tombent entre les mains des Ministres, ny doresnavant en celles des PP. NN. (avec lesquels ie prevoy que ie vais entrer en guerre) iusqu’à ce que ie les aye fait voir et approuver par divers Docteurs ; et si ie puis, par le AT III, 127 Cors de la Sorbonne : Et pour ce que i’ay eu dessein de faire un tour cét Esté en France, ie me proposois d’en estre moy-mesme le Porteur, et ne les ay voulu faire imprimer que lors que ie me verrois sur le poinct de partir, de peur que le Libraire en debitast cependant quelque Exemplaire sans mon sceu ; Mais l’Esté est desia si avancé, que i’ay peur de ne pouvoir faire ce voyage, et en ce cas, ie vous en envoyeray dix ou douze Exemplaires, ou plus, si vous iugez qu’il en soit besoin, car ie n’en feray pas imprimer davantage, et ie vous prieray d’en estre le Distributeur et Protecteur, et de ne les mettre qu’entre les mains des Theologiens que vous iugerez les plus capables, les moins préoccupez des erreurs de l’Ecole, les moins interessez à les maintenir, et enfin les plus gens de bien, et sur qui la verité et la gloire de Dieu ait plus de force, que l’Envie et la Ialousie.
Ie viens à vostre troisiesme Pacquet. Ie suis fort mécontent de l’écrit de N. car il n’objecte pas un seul mot contre Clerselier II, 234 ce que AT III, 128 i’ay écrit, mais il me fait dire des sottises ausquelles ie n’ay iamais pensé, et aprés il les refute, qui est une chose tres-honteuse en un Particulier, et bien plus en un Philosophe comme luy. Ie vous prie de me mander si c’est luy qui vous a donné cét Ecrit pour me l’envoyer, ou comment vous l’avez eu, et si ce n’est point la Preface qu’a recitée le Repondant au commencement de la Dispute ; En effet s’il prend ce chemin, de m’attribuer des choses que ie n’ay point dites pour les refuter en presence de ses Disciples, c’est bien le moyen de me décrier, pendant qu’ils ne sçauront pas mieux ; Mais si ie ne meurs dans peu de temps, ie vous assure que i’auray soin de publier la verité de son procedé ; Et par provision ie seray bien aise qu’il soit sceu de tous ceux ausquels il vous plaira monstrer ma Réponse.
Pour l’Objection de ce qu’on peut voir divers Objets et diversement colorez par un mesme trou, ie pense l’avoir assez resoluë en ma Réponse à M. Morin : Et il faut remarquer que ce trou ne doit pas estre extremement petit, comme ces chercheurs de Cavillations le supposent, mais assez grand, ou autrement qu’on ne pourroit gueres voir par luy qu’une couleur ; Mais ie voudrois bien qu’il nous expliquast mieux cela par ses Especes Intentionnelles, ou par quelqu’autre moyen AT III, 129 que ce puisse estre : Car s’il y a là quelque difficulté, elle est en la chose mesme, et non en la façon dont ie l’explique, à cause qu’il est impossible de rien trouver de moins materiel, ny par consequent dont plusieurs puissent mieux estre ensemble en un mesme sujet, que les diverses impressions qui sont receuës en un mesme Cors. Pour ce qu’il dit, Ut Causa ad Causam, ita Effectus ad Effectum, ie luy accorde tres-volontiers, mais cela n’explique rien ; car toute la difficulté est de monstrer icy comment les Causes sont l’une à l’autre.
Pour ce qu’il dit que c’est la densité du milieu qui cause la Refraction, cela peut estre manifestement convaincu de fausseté, parce que la Refraction d’un rayon de Lumiere qui entre dans l’eau se fait versus Perpendicularem, et celle d’une bale s’y fait à Perpendiculari ; De façon que la mesme Clerselier II, 235 Densité auroit à ce conte deux effets du tout contraires.
Pour votre Objection, pourquoy le mobile qui va d’A vers B ne retourne pas de B vers A, ie répons qu’il ne peut iamais toucher B en un poinct indivisible, mais tousiours in parte inadæquatè sumptâ, sur laquelle il appuye autrement à Angles inégaux qu’à Angles droits. Et il ne peut aussi glisser de B vers E, car la force dont il appuye sur le poinct B le fait remonter vers F. Mais AT III, 130 pour sçavoir combien il remonte, cela se conclud de ce qu’il doit faire tant de chemin en general dans un tel temps, et tant en particulier vers la main droite dans le mesme temps ; Et c’est ce que i’ay écrit en ma Dioptrique.
Pour l’Ingenieur de race dont vous m’écrivez, ie voudrois voir les effets pour en croire les propositions. On peut bien faire tenir un Cors en l’air quelque temps, mais non pas qu’il y puisse demeurer ferme, s’il n’est au moins retenu par en bas ; comme le fer qui se tiendra süspendu à la presence d’un seul Ayman, sans courir iusques à luy, il sera sans doute retenu avec un simple fil de soye si delié, et si hors du iour qu’il ne pourra estre vu, ce qui est Puerile ; Mais pour les Oyseaux, ils battent l’air plus ou moins, selon qu’il en est besoin pour s’arrester en mesme lieu, ce qui ne peut estre imité par aucune machine faite de main d’homme.
Vous nommez le sel, l’huile, et le souffre pour les Principes des Chimistes, où vous mettez l’huile au lieu du Mercure, car ils prennent l’huile et le souffre pour une mesme chose, comme aussi l’Eau et le Mercure. Or ces Principes ne sont rien qu’une fausse imagination, fondée sur ce qu’en leurs Distillations, ils tirent AT III, 131 des Eaux, qui sont toutes les parties les plus glissantes et pliantes des Cors dont ils les tirent, et ils les rapportent au Mercure ; Ils en tirent aussi des huiles, qui sont les parties en forme de branches, qui sont assez deliées pour pouvoir estre separées, et ils les rapportent au Clerselier II, 236 souffre ; Et les parties plus deliées de ce qui reste, qui se peuvent méler et comme incorporer avec l’Eau, ils les rapportent au sel ; Puis enfin les parties plus grossieres qui demeurent, sont leur Caput mortuum, ou Terra damnata, qu’ils ne content point. Au reste ie ne conçoy point ces parties indivisibles, ny autrement differentes entr’elles, que par la diversité de leurs Figures.
I. Ie viens à vostre derniere du quinziesme Iuillet, où vous me menacez de m’envoyer quelqu’écrit du Geometre qui a écrit contre Monsieur des Argues, ce que ie vous prie de ne point faire : car ie suis assuré que tout ce qui vient de luy ne peut rien valoir, et ie ne desire pas seulement voir ce qu’il écrira contre moy. 2. Ie conçoy que la Matiere subtile tourne par tout à peu prés de mesme vitesse, et d’Occident vers l’Orient, et plus viste que la Terre ny la Lune, qui sont AT III, 132 soûtenuës par elle, ainsi que les oyseaux par l’air. 3. La largeur de tout un Tuyau ne se doit mesurer que par l’endroit le plus étroit, principalement si cét endroit plus étroit est sa sortie, ny sa hauteur que depuis la superficie de l’eau qu’il contient, iusques au niveau de l’endroit par où elle sort : comme si l’ouverture C, du Tuyau ABC, n’est pas plus large que E, celle du Tuyau DE, et que les deux lignes AD et CE, soient paralleles à l’Horison, encore que tout le reste de l’un de ces Tuyaux soit plus large, et qu’aucun endroit de l’autre ne soit plus large, pourveu qu’il ne soit pas aussi plus étroit, ils ne ietteront point plus d’eau l’un que l’autre en mesme temps, pourveu qu’on les suppose tousiours pleins : Mais i’ay ici deux choses dont ie doute, et qui peuvent aisement estre experimentées : L’une sçavoir si l’eau ne s’écoulera point plus viste par le trou E, du Tuyau FE, ou autre vaisseau, lors qu’elle coule perpendiculairement de haut en bas, que lors Clerselier II, 237 qu’elle est détournée vers en haut par le AT III, 133 moyen du robinet EG, que ie suppose par tout un peu plus large que ce trou E, à cause que sa trop grande largeur ne change rien, et s’il estoit plus étroit cela changeroit beaucoup ; Et ie suppose aussi son ouverture G, estre exactement à mesme hauteur ou niveau que le trou E. L’autre est sçavoir si l’eau contenuë dans le Tuyau H, s’écoulera également viste par les deux Tuyaux IK et MN, entre lesquels ie ne suppose autre difference, sinon que l’endroit le plus étroit de l’un est en I, et celuy de l’autre est en N, et ces deux ouvertures I et N sont égales.
Ie croy qu’il y a grande difference entre l’eau qui coule par un lieu penchant, sans estre enfermée, et celle qui est enfermée dans un Tuyau, et aussi entre la descente d’une boule. Car par exemple, si les Tuyaux ABDE, et BCFG, mis entre les Paralleles AC, et DG, ou entre leurs ouvertures, ou bazes, égales et semblables, AT III, 134 encore que le plus long soit plus étroit que le plus court, ie croy qu’ils ietteront autant d’eau l’un que l’autre ; Mais en l’Air libre, l’eau couleroit moins viste par la pente BF, que par la Perpendiculaire Clerselier II, 238 BE, et non pas toutesfois de tant moins, qu’une boule iroit moins viste de B en F, que de B en E, dont les raisons seroient trop longues à mettre icy.
Pour les rivieres, si leur lit estoit par tout égal, ie ne vois point qu’elles dussent couler moins viste au fond, qu’en leur superficie ; Mais pource qu’elles sont ordinairement plus profondes en un lieu qu’en l’autre, il est certain qu’où elles sont plus profondes, elles doivent aller plus lentement au fond qu’au dessus, à cause que l’eau du fond y est arresté ainsi que dans une fosse : Et ie ne croy point aussi qu’on puisse iuger de leur pente par l’inégalité de leur vitesse, mais seulement en la mesurant avec un niveau.
Ie voy bien que ie ne me suis pas assez expliqué en vous disant ce que ie prens pour la Pesanteur, que ie dis venir de ce que la Matiere subtile tournant fort AT III, 135 viste autour de la Terre, chasse les Cors Terrestres vers le Centre de son Mouvement, ainsi que vous pourrez experimenter en faisant tourner de l’eau en rond en quelque grand vaisseau, et iettant dedans quelques petits morceaux de bois ; vous verrez qu’ils iront vers le milieu de l’eau, et s’y soustiendront comme la Terre se soustient au milieu de la Matiere subtile, ce qui n’a rien du tout de commun avec la Lumiere : Mais ie ne puis expliquer exactement l’un et l’autre dans une Lettre.
Tous les Cors estant de mesme matiere, deux parties de cette matiere de mesme grosseur et figure, ne peuvent estre plus pesantes l’une que l’autre ; De façon que si l’on pouvoit tirer de l’Or, une partie qui ne fust pas plus gran Clerselier II, 239 Clerselier II, 239 (béquet) de qu’une partie d’Air, elle ne peseroit pas davantage ; Mais pour les feüilles d’or battu qui volent en l’air, cela ne vient que de leur figure, car elles ne laissent pas d’estre plus pesantes ; Et dans un Air où il n’y auroit point du tout de vent, elles descendroient peu à peu ; Et ce qui les empescheroit d’aller viste, est que la feüille ABC, par exemple, ne peut tant soit peu descendre que l’Air qui est dessous vers B, n’aille vers A, ou vers C pour en sortir, ce qu’il ne peut faire AT III, 136 en peu de temps, s’il n’est fort pressé, à cause qu’il y a beaucoup de chemin : Mais dans l’Air ordinaire, qui est toujours mû par le Vent, ces feüilles sont aisément emportées en haut avec l’Air qui les environne, lors qu’il monte plus viste, qu’elles ne peuvent descendre.
AT III, 143 C’est un abus de croire que nous nous souvenons mieux de ce que nous avons fait en jeunesse que de ce que nous avons fait depuis : Car nous avons fait en ce temps-là une infinité de choses dont nous ne nous souvenons plus du tout : Et pour celles dont nous nous souvenons, ce n’est pas seulement à cause des impressions que nous en avons receuës en jeunesse, mais principalement à cause que AT III, 144 nous les avons repetées et renouvellées depuis, en nous en ressouvenant à divers temps.
AT III, 146 Pour l’Ayman qu’on a vû en Angleterre qui tire les épées d’un fourreau de dix piez, ie croy qu’il y a un peu de fable parmy.
Pour la vitesse de la corde d’un Arc qui se debande, ie ne doute point qu’elle ne soit en sa plus grande vitesse au point E, et qu’elle ne commence à diminuer en allant d’E vers C ; Mais ie ne sçay pas s’il n’y AT III, 147 a point quelque endroit Clerselier II, 240 entre E et D, comme vers 2. où elle commence à estre en sa plus grande vitesse, en sorte qu’elle n’augmente ny ne diminuë, depuis 2. iusques à E : Car cela est une question de fait, et ne peut estre determiné par raison.
Pour répondre au billet que vous m’avez envoyé de la part de quelques-uns de vos Medecins, ie vous diray icy en peu de mots, que AT III, 139 la raison qui m’a fait iuger que quelques-unes des plus penetrantes parties du sang sont portées dans l’Estomach, et dans les Intestins par les Arteres, pour aider à la dissolution des viandes, est que i’ay remarqué que la salive qui vient en grande abondance dans la bouche, quand on mange, ou seulement quand on en a le desir et l’Imagination fort presente, n’y vient pas seulement des amandes qui sont à l’entrée de la gorge (d’où peut-estre elle ne va que vers le gosier, si ce n’est qu’on l’attire dans la bouche avec les Muscles de la langue) mais des Arteres qui descendent aux gencives : Car i’en ay fait l’experience tres claire, et ie n’ay pû douter que ce ne fust le mesme des Arteres qui se rendent aux Intestins et au Ventricule, veu qu’on voit que les Purgatifs font descendre quantité d’humeurs de tout le Cors par les Intestins, et qu’il n’y a point d’autres voyes, que ie sçache, pour ces humeurs que les Arteres : Car pour les Veines elles ont mille Valvules qui en empeschent, comme on peut éprouver en liant les unes et les autres dans le Mesentaire d’un Chien vivant : Car on verra que les Arteres se desenfleront entre les Intestins et le lien, et non au delà, et que les Veines, lactées et autres, feront le contraire. Or ces parties du sang qui entrent ainsi dans l’Estomach n’en AT III, 140 doivent point retenir la couleur rouge, non plus que la salive (qui ayde aussi dans la bouche à la dissolution des viandes qu’on mâche) ny les larmes, ny la sueur, etc. qui se separent du sang en mesme façon, en passant par les extremitez des Arteres, à cause que cette rougeur dépend des plus gluantes de toutes ses parties, lesquelles ie croy avoir des figures fort irregulieres et estre comme des branches, qui s’entrelassant les unes dans les autres ne peuvent passer par Clerselier II, 241 des trous si étroits, mais bien les plus penetrantes, que ie conçoy comme de petites Anguilles, qui se glissent par les plus petits trous. Et l’experience monstre assez la facilité de leur separation dans le sang tiré des Veines ; Car on voit que la serosité s’en separe d’elle-mesme, et demeure toute claire, pendant que le reste, qui est rouge ou noir, se congele.
Pour la cause qui fait entrer le Chyle dans les Veines, ie ne croy point qu’elle soit autre, que la mesme qui fait sortir les boyaux du Ventre, quand il est percé d’un coup d’épée, c’est à dire que la Pression des peaux, ou autres parties qui les contiennent ; Outre que les plus coulantes parties de ce Chyle y peuvent passer sans cette Pression par leur seule Pesanteur, ainsi que l’eau sort du lait caillé par les trous d’une Vaisselle, et aussi par leur agitation Naturelle : Car ie conçoy que chaque petite partie des liqueurs est en continuel Mouvement. Et enfin l’action des Muscles y aide beaucoup, en ce qu’elle fait que les parties AT III, 141 du Chyle viennent vis à vis des trous par où elles peuvent entrer dans les Veines, tant les lactées, que les autres : Car ie ne mets point de difference entr’elles, sinon que le suc est blanc dans les lactées, à cause qu’elles n’ont point d’Arteres qui les accompagnent ; et rouge dans les autres, à cause qu’il s’y mesle avec le sang qui vient des Arteres. Or ie compte icy entre les Muscles, non seulement tous ceux du Ventre et de la Poitrine, et le Diaphragme, mais aussi presque tout le Cors des Intestins et du Ventricule ; Et i’ay remarqué dans les Chiens ouverts tout vifs, que leurs boyaux ont un mouvement reglé quasi comme celuy de la respiration. Au reste ce mouvement des Muscles n’est point icy entierement necessaire, comme il est necessaire de mouvoir un crible pour en faire sortir la poudre, à cause que les parties du Chyle se meuvent desia d’elles-mesmes, ce que ne font pas les parties de la poudre. Mais la comparaison de ce crible me semble fort propre pour faire entendre les diverses separations du sang, qui se font dans le reservoir de la bile, dans les Reins, et autres endroits (d’où i’excepte la Rate, à cause que ie ne croy pas que l’humeur Clerselier II, 242 Clerselier II, 242 (béquet) Melancholique y vienne par separation, mais plutost que le Sang y prend cette qualité) car on fait des cribles par où il ne passe que la poussiere et les grains ronds ; D’autres par où l’avoine peut passer et non le seigle ; D’autres au contraire, par où le seigle passe et non l’avoine, etc. selon la grandeur ou figure de leurs trous ; A l’exemple dequoy ie m’imagine que les petits passages, par AT III, 142 où la Bile entre en son reservoir, sont faits d’autre figure que ceux par où passe la serosité dans les Reins, etc. Et pour le Pus, quand il s’en remarque dans l’urine, il ne vient ordinairement que des Reins, ou de plus bas : Et s’il vient iamais de plus haut, on peut connoistre de cela mesme qu’il est composé de parties plus penetrantes que celles qui rendent le sang rouge, veu qu’elles passent par un lieu par où celles-cy ne peuvent passer. Car quelle faculté pourroit-on imaginer, qui eust la force d’empescher le sang de couler par des ouvertures qui seroient assez grandes pour le recevoir. Ie suis,
M. R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.