AT III, 253

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XLIX.

MON REVEREND PERE,
Ie ne puis manquer de vous renvoyer la Lettre Françoise du P. B. puis que vous la demandez ; mais ie ne sçay comment vous la luy pourrez rendre, à cause que vous avez écrit dessus, et qu’il y a aussi à la marge un Apostille de ma main, que j’y ay mis cy-devant, en l’envoyant à un de mes Amis pour la luy faire voir : car ie ne vous puis celer que ie l’ay monstrée à plusieurs : Et comme les Iesuites ont par tout des intelligences, et mesme qu’il y en a un en cette ville fort familier à un de mes Amis (duquel pourtant il n’a rien appris, que l’autre ait crû AT III, 254 estre à mon prejudice, car c’est un Amy qui m’est tres-fidelle), peut-estre qu’ils sçavent desia que vous m’avez envoyé cette Lettre ; c’est pourquoy, sauf meilleur avis, il seroit ce me semble aussi bon de luy dire franchement que vous me l’aviez envoyée, pensant luy faire plaisir en cela : Car en effet, il ne peut y avoir aucune raison, au moins qui luy soit honneste à confesser, pour laquelle il puisse dire vous l’avoir envoyée, que pour la mesme il n’ait dû Clerselier II, 272 aussi trouver bon que ie la visse ; et il ne le peut trouver mauvais, qu’il ne témoigne par là que le sujet qui luy a fait écrire, a esté pour vous faire croire qu’il vouloit maintenir des choses contre moy, qu’il n’ose pourtant ny ne peut maintenir devant moy. Et cependant il en a composé de gros Traittez pour les debiter à ses Disciples ; car un Danois m’a dit icy, en avoir vû un entre les mains d’un des Soûtenans, nommé Potier, duquel il s’estoit promis d’avoir copie, mais il n’a pû ; peut-estre que le Pére B. l’a empesché. Mais ie vous envoye derechef la réponse que i’avois faite à leur Lettre Latine, afin que vous leur puissiez faire voir toute seule, s’il vous plaist ; Car il me semble necessaire qu’ils sçachent en quel sens i’ay pris leurs paroles, et si vous trouvez bon d’avoüer au Père B. que vous m’aviez envoyé sa Lettre, vous pourrez aussi luy faire voir en confidence la réponse que i’y avois faite, et luy dire que vous n’avez pas voulu luy monstrer auparavant, à cause que vous la AT III, 255 iugiez trop rude, et craigniez que cela n’empeschast que nous ne pussions devenir amis ; Et enfin en confessant toute la pure verité, ie croy que vous ferez plaisir à l’un et à l’autre : Car i’espere que voyant que i’ay bec et ongle pour me deffendre, il sera d’autant plus retenu quand il voudra parler de moy à l’avenir. Et bien qu’il me seroit peut-estre plus advantageux d’estre en guerre ouverte contre eux, et que i’y sois entierement resolu, s’ils m’en donnent iuste sujet, i’ayme toutesfois beaucoup mieux la paix, pourveu qu’ils s’abstiennent de parler.

Au reste ie suis extremement obligé à M. des Argues de ce qu’il veut prendre la peine de catechiser le Pere B. c’est la meilleure invention qu’il est possible, pour faire qu’il chante la Palinodie de bonne grace, au moins s’il se veut laisser convertir ; S’il le fait, ie seray tres-aise de dissimuler le passé, et mesme d’estre particulierement son serviteur ; Et i’en auray beaucoup meilleure opinion de luy et des siens.

Pour la Musique de M. Bau. ie croy qu’elle differe de l’Air de Bosset, comme la Creye d’un Escolier qui a voulu Clerselier II, 273 pratiquer toutes les regles de sa Rethorique, differe d’une Oraison de Ciceron, où il est mal-aisé de les reconnoistre ; Ie luy en ay dit la mesme chose, et ie croy qu’il l’avouë à present ; Mais cela n’empesche pas qu’il ne soit tres-bon Musicien, et d’ailleurs fort honneste homme, et mon bon Amy, ni aussi que les Regles ne soient bonnes, aussi bien en Musique qu’en Rethorique.

AT III, 256 Ie vous remercie de la Lettre qu’il vous a plû faire transcrire pour moy ; Mais ie n’y trouve rien qui me serve, ny qui ne me semble aussi peu probable que la Philosophie de l’Ecole. Pour vostre difficulté, à sçavoir pourquoy les Parties tres-subtiles s’applatissent plutost pour remplir les Angles des Cors, que ne font celles qui sont plus grosses, nonobstant que la Matiere des unes et des autres ne differe rien du tout, elle est aisée à soudre par cette seule consideration, que plus un Cors est petit, plus il a de superficie à raison de la Quantité interieure de sa Matiere : Comme par exemple, un Cube qui n’aura que la huitiesme partie d’autant de Matiere qu’un autre, n’aura pas seulement un huitiesme de sa superficie, mais deux huitiesmes, ou un quart, et ainsi des autres Figures : Car c’est de la Quantité interieure que dépend la Dureté, ou resistance à la division ; et c’est au contraire la grandeur de la Superficie qui la facilite, et avec cela l’extreme vitesse de cette matiere tres-subtile.

Ie ne connois pas assez la nature de l’Or, pour determiner comment se meuvent ses parties dans l’Eau forte, autrement que par l’exemple de celles du Sel, que i’ay décrites en mes Meteores. Mais il y a un milion d’Experiences qui peuvent prouver le mouvement des parties de l’eau, qu’on ne voit point à l’œil : Comme quand on a dissout dedans du salpestre, comment est-ce que toutes les parties de ce Sel se vont attacher en formes de bastons au fonds et aux costez du vaisseau, si elles ne se remüent en y allant ; enfin iettez une goute de vin rouge dans de l’eau, et AT III, 257 vous verrez à l’œil comme il coule par tout pour se mesler avec elle. Ie croy bien que les parties de l’Or, et des autres Cors durs, ont quelque Clerselier II, 274 mouvement, à cause de la Matiere subtile qui passe par leurs Pores, mais non pas qui les separe, comme les feüilles et branches des arbres sont ébranlées par le vent, sans en estre détachées.

Pour la Pression de la Lune, elle ne peut estre sensible sur les Lacs, à cause qu’ils n’ont aucune Proportion avec toute la masse de la Terre, à laquelle cette Pression se raporte.

Le sieur Saumaise a grand tort, s’il me prend pour Amy de H. auquel ie n’ay encore iamais parlé, et que i’ay sceu avoir aversion de moy il y a long-temps, à cause que i’estois Amy de Balzac et qu’il est Pedant. Mais M. Saum. est ingenieux à se forger des adversaires ; H. a fait imprimer un Vers à la fin de son Livre sur le Nouveau Testament, composé en sa faveur par M. de Z. Il a declamé contre ce vers en la Preface de son second Tome De Usuris, que ceux qui flatent ainsi les Autheurs des Livres qu’ils n’ont point veus, Utrem inflare pergunt etc. M. de Z. s’en plaignit à M. Rivet, auquel Monsieur Sau. écrivit une Lettre, non AT III, 258 tant pour s’en excuser, que pour se deffendre ; et M. de Z. a fait quelques Remarques sur cette Lettre, lesquelles il m’envoya pour me les faire voir, et ie luy en manday mon sentiment, en telle sorte que ie suis assuré, bien que ie ne me souvienne plus de ce qui étoit en ma Lettre, qui estoit si peu estudiée que ie n’en avois pas fait de broüillon, de n’y avoir rien mis au desavantage de M. de Saumaise, sinon peut-estre qu’il estoit un peu trop aisé à offenser : Ce qu’il verifie en s’offensant de moy pour cette Lettre ; car c’est celle qu’il dit avoir veuë, et ie n’ay d’ailleurs iamais eu une grande familiarité avec luy.

Ie ne suis pas marry que les Ministres fulminent contre le mouvement de la Terre, cela conviera peut-estre nos Predicateurs à l’approuver ; Et à propos de cecy, si vous écrivez à ce M. du C. de B. ie serois bien aise que vous l’avertissiez que rien ne m’a empesché iusques icy de publier ma Philosophie, que la deffense du mouvement de la Terre, lequel ie n’en sçaurois separer, à cause que toute ma Physique en dépend ; Mais que ie seray peut-estre bien-tost contraint de la Clerselier II, 275 publier, à cause des calomnies de plusieurs, qui faute d’entendre mes Principes, veulent persuader au monde que i’ay des sentimens fort éloignez de la Verité ; et que vous le priez de sonder son Cardinal sur ce sujet, à cause AT III, 259 qu’estant extrémement son serviteur, ie serois très marry de luy déplaire, et qu’estant tres-zelé à la Religion Catholique, i’en revere generalement tous les Chefs. Ie n’adjouste point que ie ne me veux pas mettre au hazard de leur censure ; car croyant tres-fermement à l’infaillibilité de l’Eglise, et ne doutant point aussi de mes raisons, ie ne puis craindre qu’une Verité soit contraire à l’autre.

Vous avez raison de dire que nous sommes aussi assurez de nostre libre Arbitre, que d’aucune autre notion premiere, car c’en est veritablement une. Quand une chandelle s’allume à une autre, ce n’est qu’un mesme feu qui s’estend d’une mesche à l’autre, pource que les parties de la flamme, agitées par la Matiere tres-subtile, ont la force d’agiter et de separer celles de cette autre mesche ; et ainsi ce feu s’augmente, puis il est divisé en deux feux quand on separe ces deux mesches. Mais ie ne puis bien expliquer le feu, qu’en donnant toute ma Philosophie, et ie vous diray entre nous, que ie commence à en faire un Abregé, où ie mettray tout le Cours par ordre, pour le faire imprimer avec un Abregé de la Philosophie de l’Ecole, tel que celuy du F. Eust. sur lequel j’adioûteray mes Notes à la fin de chaque Question, qui contiendront les diverses Opinions des Autheurs, ce qu’on en doit croire de toutes, et leur utilité ; Ce que ie croy pouvoir faire en telle sorte, qu’on verra facilement la comparaison de l’une avec l’autre, et que ceux qui n’ont point AT III, 260 encore appris la Philosophie de l’Ecole l’apprendront beaucoup plus aisément de ce Livre que de leurs Maistres, à cause qu’ils apprendront par mesme moyen à la mépriser, et tous les moindres Maistres seront capables d’enseigner la mienne par ce seul Livre. Si le Pere E. à S. P. vit encore, ie ne me serviray pas de son Livre sans sa permission ; mais il n’est pas encore temps de la demander, ni mesmes d’en parler, à cause qu’il faut voir auparavant Clerselier II, 276 comment mes Meditations de Metaphysique seront receuës.

Tout ce que vous m’écrivez touchant la Reflexion et la Refraction est entierement selon mes pensées, et ie suis bien aise que ce qu’a écrit le Pere B. vous ait convié à les mieux examiner ; et ce que vous dites des deux diverses Determinations, l’une d’A vers D, qui demeure tousiours la mesme, et l’autre d’A vers B, qui changeant tant qu’on voudra, n’empesche pas que le Mobile n’arrive tousiours en temps égal à quelque Point de la ligne D C, est une chose si claire, et une si belle façon pour expliquer ma Demonstration que le Pere B. ne l’ayant pas voulu entendre, a monstré par là qu’il aime mieux que ce soit M. des Argues que vous, qui ait l’honneur de sa conversion. Ie croy que ce que ie vous écris pour eux en Latin AT III, 261 est suffisant pour l’obliger à m’envoyer ses Objections, s’il en a envie, sans qu’il soit besoin que ie luy en écrive plus particulierement : Car ie mande que puis qu’il n’y a rien eu qui l’ait empesché de me les envoyer, sinon qu’il n’avoit pas lû la page 75. de ma Preface, ou de ma Methode, ie me promets qu’il n’y manquera pas d’oresnavant, puis qu’il sçait ce qu’elle contient.

Ie verray S. Anselme à la première occasion ; Vous m’aviez cy-devant averty d’un Passage de S. Augustin, touchant mon Ie pense, donc ie suis , que vous m’avez ce me semble redemandé depuis ; il est au Livre onziéméonzième de Civitate Dei , chap. 26. Ie suis,
M. R. P.