MONSIEUR,
La franchise que i’ay pû remarquer en vostre humeur, et les obligations que ie vous ay, me convient à écrire icy librement ce que ie puis conjecturer du Traité des Sections Coniques, dont le R. P. M. m’a envoyé le Projet. Vous pouvez Clerselier II, 170 avoir deux desseins, qui sont fort bons et fort loüables ; mais qui ne requierent pas tous deux mesme façon de proceder L’un est d’écrire pour les Doctes, et de leur enseigner quelques nouvelles proprietez de ces Sections, qui ne leur soient pas encore connües ; et l’autre est d’écrire pour les Curieux qui ne sont pas Doctes, et de faire que cette Matiere qui n’a pû iusques icy estre entenduë que de fort peu de personnes, et qui est neantmoins fort utile pour la Perspective, la Peinture, l’Architecture, etc. devienne vulgaire et facile à tous ceux qui la voudront estudier dans vostre Livre. Si vous avez le premier, il ne me semble pas qu’il soit necessaire d’y employer aucuns nouveaux Termes Car les Doctes estant desia accoustumez à ceux d’Apollonius, ne les changeront pas aisément pour d’autres, quoy que meilleurs, et ainsi les vostres ne serviroient qu’à leur rendre vos Demonstrations plus difficiles, et à les détourner de les lire. Si vous avez le second, il est certain que vos Termes qui sont François, et dans l’invention desquels on remarque de l’esprit et de la grace, seront bien mieux receus par des personnes non préoccupées, AT II, 555 que ceux des Anciens ; et mesme ils pourront servir d’attrait à plusieurs, pour leur faire lire vos Ecrits, ainsi qu’ils lisent ceux qui traitteut des Armoiries, de la Chasse, de l’Architecture etc. sans vouloir estre ny Chasseurs, ny Architectes, seulement pour en sçavoir parler en Mots propres. Mais si vous avez cette intention, il faut vous resoudre à composer un gros Livre, et à y expliquer tout si amplement, si clairement et si distinctement, que ces Messieurs qui n’estudient qu’en baaillant, et qui ne peuvent se peiner l’Imagination pour entendre une Proposition de Geometrie, ny tourner les feüillets pour regarder les Lettres d’une Figure, ne trouvent rien en vostre discours, qui leur semble plus malaisé à comprendre, qu’est la Description d’un Palais enchanté dans un Roman. Et à cét effet il me semble que pour rendre vos Demonstrations plus Triviales, il ne seroit pas hors de propos d’user des Termes et du Calcul de l’Arithmetique, ainsi que i’ay fait en ma Geometrie Car il y a bien plus de Clerselier II, 171 Gens qui sçavent ce que c’est que Multiplication, qu’il n’y en a qui sçavent ce que c’est que Composition de raisons, etc.
Pour vostre façon de considerer les Lignes Paralleles, comme si elles s’assembloient à un but à Distance infinie, afin de les comprendre sous le mesme Genre que celles qui tendent à un Point, elle est fort bonne, pourveu que vous vous en serviez, comme ie m’assure que vous faites, pour donner à entendre ce qui est obscur en l’une de ces Especes, par le moyen de l’autre, où il est plus clair, et non au contraire. Ie n’adjoûte rien de ce que vous écrivez du Centre AT II, 556 de gravité d’une Sphere car i’ay assez mandé cy-devant au R. P. M. ce que i’en pensois, et vous mettez un mot à la fin de vos corrections, qui montre que vous voyez ce qui en est Mais ie vous demande pardon, si le zele m’a emporté à vous écrire si librement toutes mes pensées, et ie vous prie de me croire,