MON REVEREND PERE,
Quoy que i’aye receu trois de vos Lettres depuis ma derniere, ie n’y trouve pas toutesfois assez de matiere, pour remplir cette feüille, car la premiere du quatriesme Mars, ne contient que l’observation des declinaisons de l’Ayman, qui varient en Angleterre, avec un raisonnement qu’un Mathematicien que vous ne nommez point, a fait sur ce sujet, lequel raisonnement est fort bon pour en découvrir la cause à l’avenir ; Mais si vous attendez que ie vous die par provision Clerselier II, 217 ma conjecture, comme ie ne croy pas que les declinaisons de l’Ayman viennent d’ailleurs que des inégalitez de la Terre ; aussi ne croy-je point que la variation de ces Declinaisons ait une autre cause que les alterations qui se font en la masse de la Terre, soit que la mer gagne d’un costé et perde de l’autre, ainsi qu’on voit à l’œil qu’elle fait en ce païs, soit qu’il s’engendre d’un costé des mines de fer, ou qu’on en épuise de l’autre, ou soit seulement qu’on ait transporté quelque quantité de fer, ou de brique, ou d’argile d’un costé de la Ville de Londres vers l’autre : car ie me souviens que voulant voir l’heure à un Quadran, où il y avoit une aiguille frottée d’Ayman, estant aux champs proche d’un logis qui avoit de grandes grilles de fer aux fenestres, i’ay trouvé beaucoup de variation en l’aiguille, en m’éloignant mesme à plus de cent pas de ce logis, et passant de sa Partie Orientale vers l’Occidentale, pour en mieux remarquer la difference. Pour le Ciel, il n’est pas croyable qu’il y soit arrivé assez de changement en si peu d’années, pour causer cette variation ; AT III, 47 car les Astronomes l’auroient aisément remarquée. Ie vous remercie pour la seconde fois de la graine de l’herbe Sensitive, que i’ay trouvée en cette lettre, aprés en avoir receu huit iours devant dans une autre. I’ay receu aussi l’Essay touchant les Coniques du fils de M. Pascal, et avant que d’en avoir lû la moitié, i’ay iugé qu’il avoit apris de Monsieur des-Argues ; ce qui m’a esté confirmé incontinent aprés, par la confession qu’il en fit luy-mesme.
Vostre seconde lettre du dixiesme Mars, en contenoit une autre de Monsieur M. auquel ie ferois réponse, si ie pensois que celle-cy vous dûst encore trouver à Paris ; mais si elle vous doit estre envoyée plus loin, il n’y a pas d’apparence de la charger tant, et ie puis mettre icy en peu de paroles, tout ce que i’ay à luy faire sçavoir, ce qui sera s’il vous plaist pour lors que vous luy écrirez ; Qui est (aprés mes remercimens pour la bien-veillance qu’il me témoigne) que pour les especes qui servent à la memoire ; ie ne nie pas absolument qu’elles ne puissent estre en partie dans la Glande, nommée Conarium, Clerselier II, 218 principalement dans les Bestes brutes, et en ceux qui ont l’Esprit grossier : Car pour les autres, ils n’auroient pas ce me semble tant de facilité qu’ils ont, à imaginer une infinité de choses qu’ils n’ont iamais veuës, si leur AT III, 48 ame n’étoit iointe à quelque partie du cerveau, qui fust fort propre à recevoir toutes sortes de nouvelles impressions, et par consequent fort mal propre à les conserver. Or est-il qu’il n’y a que cette Glande seule, à laquelle l’Ame puisse estre ainsi iointe ; car il n’y a qu’elle seule en toute la teste, qui ne soit point double. Mais ie croy que c’est tout le reste du cerveau, qui sert le plus à la Memoire, principalement ses parties Interieures, et mesme aussi que tous les Nerfs et les Muscles y peuvent servir ; en sorte que par exemple, un Ioüeur de Luth a une partie de sa Memoire en ses mains ; car la facilité de plier et de disposer ses doigts en diverses façons, qu’il a acquise par habitude, aide à le faire souvenir des passages, pour l’execution desquels il les doit ainsi disposer. Ce que vous croyrez aisement, s’il vous plaist de considerer que tout ce qu’on nomme Memoire Locale, est hors de nous ; En sorte que lors que nous avons lû quelque Livre, toutes les especes qui peuvent servir à nous faire souvenir de ce qui est dedans, ne sont pas en nostre Cerveau, mais il y en a aussi plusieurs dans le papier de l’Exemplaire, que nous avons lû ; Et il n’importe pas que ces Especes n’ayent point de ressemblance avec les choses dont elles nous font souvenir ; car souvent celles qui sont dans le Cerveau n’en ont pas davantage, comme i’ay dit au quatriéme Discours de ma Diopt. Mais outre cette Memoire, qui dépend du Cors, i’en reconnois encore une autre, du tout Intellectuelle, qui ne dépend que de l’Ame seule. Ie ne trouverois pas estrange que la Glande Conarium, AT III, 49 se trouvast corrompüe en la Dissection des Lethargiques, car elle se corrompt aussi fort promptement en tous les autres ; et la voulant voir à Leyde, il y a trois ans, en une femme qu’on anatomisoit, quoy que ie la cherchasse fort curieusement, et sceusse fort bien où elle devoit estre, comme ayant accoustumé de la trouver dans les Animaux tous frais Clerselier II, 219 chement tuez, sans aucune difficulté, il me fut toutesfois impossible de la reconnoistre : Et un vieil Professeur qui faisoit cette Anatomie, nommé Valcher, me confessa qu’il ne l’avoit iamais pû voir en aucun Cors humain ; ce que ie croy venir de ce qu’ils employent ordinairement quelques iours à voir les Intestins, et autres parties, avant que d’ouvrir la Teste. Pour la mobilité de cette glande, ie n’en veux point d’autre preuve que sa Situation : car n’estant soustenuë que par de petites Arteres qui l’environnent, il est certain qu’il faut tres peu de chose pour la mouvoir ; mais ie ne croy pas pour cela qu’elle se puisse beaucoup écarter, ny çà, ny là.
Pour les Marques d’envie, ce qui vous fait croire qu’elles ressemblent fort parfaitement aux Objets, ne vient que de ce que vous trouvez étrange qu’elles puissent tant ressembler qu’elles font ; Mais si vous les comparez avec les Portraits des plus mauvais Peintres, vous les trouverez encore beaucoup plus defectueuses. Mais pour l’urine des Enragez, c’est une Question de fait, en laquelle ie ne voy rien d’impossible ; Non plus qu’en ce que vous m’écrivez de la fecondité d’un grain de Blé, apres avoir esté trempé AT III, 50 dans du sang, ou du suc de fumier. Et pour ce que le Sieur N. vous a dit de la pierre d’Ayman, il suffit que vous m’ayez nommé vostre Autheur pour m’empescher d’y adjoûter foy.
Je viens à vostre derniere du vingtiesme Mars, où vous mandez me renvoyer le petit Catalogue des Plantes que ie vous avois envoyé, que ie ne trouve pas toutesfois avec vostre Lettre, mais aussi n’en ay-ie nullement affaire, non plus que de celuy des Plantes du Iardin Royal, que vous avez pris la peine de m’envoyer, sans que ie l’aye encore receu ; mais i’apprens qu’ils l’ont à Leyde. Ie n’ay point du tout oüy parler de ce que vous me mandez qu’on vous a écrit d’Angleterre, qu’on estoit sur le point de m’y faire aller : Mais ie vous diray entre nous que c’est un Païs dont ie prefererois la demeure à beaucoup d’autres ; et pour la Religion on dit que le Roy mesme est Catholique de volonté c’est pourquoy ie vous prie de ne point détourner leurs bonnes Clerselier II, 220 Clerselier II, 220 (béquet) intentions. Ie ne me sçaurois maintenant remettre aux Mathematiques, pour chercher le Solide de la Roulette mais ie ne le croy point impossible. Ie vous ay mandé en ma precedente l’unique raison que ie sçache, qui puisse empescher qu’un mousquet ne fasse tant fort proche qu’un peu loin, et il n’y a aucune apparence de verité, en celle que vous me mandez de M. Myd. Ie suis.