Clerselier III, 591 (béquet) AT III, 750

A MONSIEUR ****

Lettre CVII.

MONSIEUR,
Ie tiens à une extréme faveur que parmy tant de diverses occupations, et tant d’importantes affaires qui doivent passer AT III, 751 par vostre Esprit, vous daigniez encore vous souvenir d’une personne si inutile comme ie suis. Et ie ne Clerselier III, 592 doute point que les Lettres que vous avez pris la peine de procurer pour le Tourneur n’ayent porté coup ; mais il n’en a pas encore senty les effets, sinon en tant que Messieurs de cette Ville n’ont iusques icy donné à personne la place qu’il desire, et que le visage de ceux ausquels il a parlé ne luy en a point osté l’esperance. Ie m’estonne qu’on vous ait dit que ie faisois imprimer quelque chose de Metaphysique, pour ce que ie n’en ay encore rien mis entre les mains de mon Libraire, ny n’ay mesme rien preparé, qui ne soit si peu, qu’il ne vaut pas le parler ; et enfin on ne peut vous en avoir rien rapporté qui soit vray, si ce n’est ce que ie me souviens vous avoir dit dés l’Hyver passé, à sçavoir, que ie me proposois d’éclaircir ce que i’ay écrit dans la quatriéme partie de la Methode, et de ne le point publier, mais d’en faire seulement imprimer douze ou quinze Exemplaires, pour les envoyer à douze ou quinze des principaux de nos Theologiens, et d’en attendre leur iugement. Car ie compare ce que i’ay fait en cette matiere aux demonstrations d’Apollonius, dans lesquelles il n’y a veritablement rien qui ne soit tres-clair et tres-certain, lors qu’on considere chaque point à part ; Mais à cause qu’elles sont un peu longues, et qu’on ne peut y voir la necessité de la conclusion, si l’on ne se souvient exactement de tout ce qui la precede, on trouve à peine un homme en tout un païs qui soit capable de les entendre. Et toutesfois à cause que ce peu qui les entendent, assurent qu’elles sont AT III, 752 vrayes, il n’y a personne qui ne les croye. Ainsi ie pense avoir entierement demonstré l’existence de Dieu, et l’immaterialité de l’Ame humaine ; Mais pour ce que cela depend de plusieurs raisonnemens qui s’entre-suivent, et que si on en oublie la moindre circonstance, on ne peut bien entendre la conclusion, si ie ne rencontre des personnes bien capables, et de grande reputation pour la Metaphysique, qui prennent la peine d’examiner curieusement mes raisons, et qui disant franchement ce qu’ils en pensent, donnent par ce moyen le branle aux autres, pour en iuger comme eux, ou du moins pour avoir honte de leur contre Clerselier III, 593 dire sans raison, ie prevoy qu’elles feront fort peu de fruit. Et il me semble que ie suis obligé d’avoir plus de soin de donner quelque credit à ce traitté, qui regarde la gloire de Dieu, que mon humeur ne me permettroit d’en avoir, s’il s’agissoit d’une autre matiere. Au reste, ie croy que ie m’en vais entrer en guerre avec les Iesuites, car leur Mathematicien de Paris a refuté publiquement ma Dioptrique en ses Theses ; Sur quoy i’ay écrit à son Superieur, afin d’engager tout leur Corps en cette querelle ; Car bien que ie sçache assez il y a long-temps qu’il ne fait pas bon s’attirer des adversaires, ie croy pourtant que puis qu’ils s’irritent d’eux-mesmes, et que ie ne le puis éviter, il vaut mieux une bonne fois que ie les rencontre tous ensemble, que de les attendre l’un apres l’autre, en quoy ie n’aurois iamais de fin. Cependant mes affaires domestiques m’appellent AT III, 753 en France, et si ie puis trouver commodité pour y aller dans cinq ou six semaines ie me propose de faire le voyage. Mais Vassanaer ne desire pas que ie parte avant l’impression de ce que l’opiniâtreté de son adversaire l’a contraint d’écrire ; et quoy que ce soit une drogue dont ie suis fort las, l’honneur toutesfois ne me permet pas de m’exempter d’en voir la fin, ny le service que ie dois à ce païs d’en dissimuler la verité. Vous la trouverez icy dans sa Preface, dont ie luy feray encore differer l’impression quinze iours, ou plus s’il est besoin, afin d’en attendre vostre iugement, s’il vous plaist me faire la faveur de me l’écrire, et il nous servira de Loy inviolable. Cependant ie vous prie de croire tres-assurément que son adversaire a tres-bien sçeu que tout son Livre ne valoit rien, avant mesme que de le publier, comme les subterfuges de sa gajeure l’ont assez monstré, et qu’il a eu la science de Socrate, en ce qu’il a sçeu qu’il ne sçavoit rien ; mais il a avec cela une impudence incroyable à calomnier, et à se vanter de sçavoir des choses impossibles et extravagantes, qui est à mon iugement la qualité la plus dangereuse, et la plus nuisible qu’un homme de sa condition sçauroit avoir ; et ie pense estre obligé de vous mander en cela mon iugement ; car
Ie suis,