AT V, 258

A MONSIEUR ****

Lettre CX.

AT V, 259 MONSIEUR,
Ie vous suis tres-particulierement obligé, pour les Notes que vous m’avez fait la faveur de me procurer et de m’envoyer. Ie m’estonne de la precipitation et de l’aveuglement de ces gens qui pensent voir des choses dans mes écrits, qui ne sont iamais entrées en mon imagination. Ie n’ay point décrit en detail dans mes Principes tous les mouvemens de chaque Planette ; Mais i’ay supposé en general tous ceux que les observateurs y remarquent, et i’ay tasché d’en expliquer les causes. Ainsi dautant que toutes les Planettes ont cela de commun, qu’elles s’écartent irregulierement du cercle regulier qu’on imagine qu’elles doivent décrire, la Lune autour de la Terre, et les autres autour du Soleil, ce qui a fait qu’on leur a attribué divers Apogées ou Aphelies, et Perihelies ou Perigées, i’ay donné des raisons de ces Apogées qui sont communes pour toutes les Planettes, et les ay mises dans la page 181 et 182. Puis, à cause qu’outre Clerselier III, 601 toutes les irregularitez qu’on observe en la Lune, tout de mesme qu’en chacune des autres Planettes, on y observe encore cela de particulier, que toutes ces irregularitez, que ie nomme en Latin aberrationes à motu medio, sont plus grandes en ses quarties, que lors qu’elle est pleine ou nouvelle, il m’en a fallu donner une raison particuliere ; Et celle que i’ay donnée est que le Ciel qui la contient a la figure d’une ellipse ; Car ce Ciel estant fluide, et portant tellement la Lune AT V, 260 avec soy, qu’elle ne laisse pas d’estre aussi cependant quelque peu poussée ou disposée à se mouvoir par d’autres causes, la raison veut que ces autres causes produisent un plus grand effet, quand elle est aux endroits où son Ciel est le plus large, que quand elle est aux endroits où il est le plus estroit. Tout de mesme que si l’on imagine en la figure de la page 220. que la matiere qui est entre les deux lignes ABCD, 5 6 7 8 est l’eau d’une riviere qui tourne en rond d’A par B vers C, puis vers D et vers A, et que la Lune soitVoyez la fig. de l’art. 49. de la 4. partie des Principes. un bateau qui est emporté par le cours de cette riviere, il est evident, que si quelqu’autre cause dispose tant soit peu ce bateau à s’approcher davantage de l’un des bors de cette riviere que de l’autre, cette mesme cause agissant contre luy, lors qu’il sera entre B et 6, ne le fera pas tant écarter du lieu où le seul cours de l’eau le conduit, que lors qu’il sera entre C et 7. Et il est evident aussi que si ce bateau se meut plus lentement que l’eau de la riviere, ainsi que i’ay dit que la Lune se meut plus lentement que la matiere de son Ciel, il augmentera davantage la vitesse de cette eau, quand il sera entre B et 6, que quand il sera entre C et 7 ; mais il ne l’augmentera point davantage s’il est proche du bord de cette riviere marqué B, que s’il est proche du bord 6. En suitte de quoy tout ce que i’ay écrit de la Lune, et du flux et reflux de la Mer me semble si clair, que ie n’y voy aucune occasion de douter.

Pour la description de l’animal, il y a long-temps AT V, 261 que i’ay quitté le dessein de la mettre au net, non point par negligence, ou faute de bonne volonte, mais pour ce que i’en Clerselier III, 602 ay maintenant un meilleur. Ie ne m’estois proposé que de mettre au net, ce que ie pensois connoistre de plus certain touchant les fonctions de l’animal, pour ce que i’avois presque perdu l’esperance de trouver les causes de sa formation ; Mais en meditant là dessus, i’ay tant découvert de nouveaux païs, que ie ne doute presque point que ie ne puisse achever toute la Physique selon mon souhait, pourveu que i’aye du loisir et la commodité de faire quelques experiences.

Ie ne sçay quelles correspondances vous pouvez avoir en Suede, mais elles vous font entendre des choses de moy que ie ne sçay pas moy-mesme. Ie ne sçay aussi d’où m’est venu un Livre de Metaphysique, sur le couvert duquel i’ay trouvé vostre nom, l’Autheur se nomme Georgius Ritchel Bohemus, et ie ne puis croire que ce soit luy qui ait voulu que ie visse son Livre, pour ce que ie n’y trouve rien qui me puisse fort attirer à le lire ; et ayant veu que dés le commencement il dit plusieurs fois hic subsistendum, i’ay voulu luy obeïr, et n’ay pas continué de le lire, mais ie continueray toute ma vie d’estre,