AU REVEREND PERE MERSENNE,
au sujet de l’Escrit precedent.
LETTRE LIX.
Mon Reverend Pere,
I’ay receu l’écrit des Amis de Monsieur de Fermat, et ie n’y fais point de réponse, à cause que ie voy que celuy qui l’a composé se pique ; Mais lors que sa colere sera passée, vous pourrez, s’il vous plaist, luy faire connoistre le peu de raison qu’il a eu de s’échauffer à vouloir prouver que la ligne EB n’est pas absolument AT II, 155 parlant la plus grande ; au lieu que ne pouvant nier qu’elle ne fust au moins la plus grande sous certaines conditions, il eust dû monstrer comment on la peut trouver par la regle de Monsieur de Fermat, veu qu’il avoit assuré que cette regle enseigne à trouver les plus grandes sous toutes sortes de conditions, et que la question estoit de sçavoir si elle estoit bonne ; Dequoy il n’a donné aucune autre preuve en ces deux Escrits, sinon qu’il dit que c’est un témoignage de sa bonté, de ce qu’elle ne reüssit pas en cét exemple. S’il croit que cela soit bien raisonner, ie serois marry qu’il ne dist pas qu’il raisonne tres-mal ; Mais ie voy bien que c’est la passion qui l’a transporté, et qui luy a fait nommer toutes choses par d’autres noms qu’il ne devoit. Ainsi, à cause que pour éclaircir et confirmer ce que i’avois mis dans mon premier Escrit, i’ay adjoûté dans le second qu’encore que ce ne fust pas le point B qui fust donné, mais le point E, la regle de Monsieur de Fermat ne reüssiroit pas mieux pour cela en cét exemple, il dit que ie me suis corrigé, et que i’ay reconnu la faute que i’avois faite. Ainsi il m’accuse d’avoir tres-mal raisonné en l’exemple de l’Ellipse et de l’Hyperbole, que ie n’ay proposé que comme Clerselier III, 323 tres-mauvais pour le mettre en parallele de celuy de Monsieur de Fermat touchant la parabole, et monstrer qu’il n’y raisonne pas bien. En quoy il fait tout de mesme que s’il accusoit un Predicateur d’avoir juré, à cause que pour monstrer l’enormité du peché AT II, 156 des blasphemateurs, il auroit dit en Chaise qu’ils ne jurent pas seulement le nom de Dieu, mais aussi par la mort, par le sang, par la teste, etc. Ainsi enfin ayant changé de discours pour censurer les essais que i’ay fait imprimer, il ne s’apperçoit pas qu’en pensant les mépriser, il donne plus de sujet d’en avoir bonne opinion, que ne font les loüanges de ceux qui les approuvent : Car on peut penser que les choses qui plaisent à ceux-cy, les empeschent de voir, ou bien leur font dissimuler les défauts qu’ils pourroient sans cela y remarquer ; Au lieu que luy, qu’õ voit assez à son stile n’avoir pas eu dessein de m’épargner, y reprend seulement deux choses, qui n’estant point du tout sujettes à reprehension, font iuger qu’il n’y a reconnu aucune faute ; bien que ie ne veüille pas dire pour cela qu’il n’y en ait point ; Et de plus, ce que i’ay écrit en Geometrie est un peu au delà de sa connoissance. Car pour ce qu’il nomme une faute en la page 347. c’est une verité tres-certaine, et dont il ne pourra ignorer la demonstration, lors qu’il aura assez estudié ce que i’ay écrit au troisiéme Livre touchant la nature des Equations. Et pour ce qu’il dit que i’ay obmis en la page 404. à sçavoir, la compagne de la ligne courbe que i’y décris, i’aurois commis une grande faute si i’avois manqué de l’y obmettre : Car il est tres-certain que cette compagne n’a point de lieu en la regle que i’ay donnée, ny ne peut iamais estre couppée par le cercle en la façon que ie le décris, et en supposant, comme i’ay fait, que toutes les racines de l’Equation AT II, 157 soyent vrayes, et que la quantité connuë du troisiéme terme soit plus grande que le quarré de la moitié de celle du second. (voyez page 403). Et on ne peut dire que ie n’aye pas connu cette ligne : Car ie l’ay mise tres-expressément en la figure de la page 338. où elle a lieu, et où ie la nomme la contreposée de l’autre, à cause qu’elle en est Clerselier III, 324 separée par une assymptote, à la façon des hyperboles opposées. Mais ce qui l’a fait se méconter en cecy, c’est qu’il n’a pû s’imaginer que cette ligne pust estre couppée en six endroits par le cercle, ce qui est neantmoins tres-vray ; Et il arrive infailliblement, toutes et quantesfois que les six vrayes racines de l’Equation sont réelles, sans qu’il y en ait aucune de celles que ie nomme imaginaires ; comme il pourra voir en examinant la demonstration, qui commence en la page 408. Mais la figure de la page 404. a aidé aussi à le tromper, à cause que la courbe n’y est couppée par le cercle qu’en quatre endroits ; ce qui vient de ce que supposant les quantitez données suivant les mesures de cette figure, il y a deux racines en cette Equation qui ne sont qu’imaginaires ; Et ie l’ay ainsi fait faire tout à dessein, à cause qu’aux exemples où les six vrayes racines sont réelles, le cercle couppe si obliquement la ligne courbe, qu’on ne peut bien distinguer les points de l’intersection, comme i’ay adverty en la page 412. ligne 15. Mais il faut qu’il ait fort mauvaise opinion de moy, et fort bonne de soy-mesme, de se fier assez sur ses pures imaginations, et sans demonstration, pour reprendre des choses que AT II, 158 i’ay écrites en Geometrie. Vous ne lasserezlaisserez pas de l’assurer, s’il vous plaist, que ie suis son tres-humble serviteur, et que ie ne m’offense non plus de tout ce qui est en son papier, qu’on fait ordinairement dans le jeu, de la colere de ceux qniqui perdent. Mais comme il n’y a pas de plaisir à joüer contre ceux qui se faschent, ainsi ie ne répondray iamais à aucun Escrit, où ie remarqueray plus de passion, que d’envie de connoistre la verité, et ie ne prendray pas mesme la peine de les lire, lors que ie sçauray qu’ils seront tels.
Ie suis,