AT II, 104

ESCRIT DE QUELQUES AMIS
de M. de Fermat, servant de Réponse à la precedente.

LETTRE LVIII.

Quand Monsieur Descartes aura bien entendu la Methode de Monsieur de Fermat, De Maximis et minimis, et de inventione tangentium linearum curvarum, alors il cessera d’admirer que cette Methode ait trouvé des deffenseurs, et admirera la Methode mesme, qui est excellente et digne de son Autheur. Or il n’est pas vray-semblable que M. Descartes l’ait entenduë iusques icy, puis qu’ayant fait des objections absurdes allencontre par son premier Escrit, ausquelles nous avons répondu suivant l’intelligence que nous avons de la mesme Methode, il replique de sorte, qu’il s’enveloppe dans d’autres, autant ou plus absurdes que les premieres ; et tant aux unes qu’aux autres, il fabrique des raisonnemens à sa mode, lesquels il pretend déduire de cette Methode, et suppose que Monsieur de Fermat en auroit fait de pareils en pareilles questions ; quoy que ces raisonnemens soient contraires, non seulement à la mesme Methode, mais aussi à la Methode generale de raisonner en tous sujets, ayant des défauts contre les regles ordinaires de la Logique. En quoy Monsieur Descartes ne peut éviter l’un des deux, sçavoir, ou qu’il ignore la Methode, suivant laquelle il raisonne si mal, en des questions ausquelles il est tres-facile de bien raisonner suivant la Methode mesme, Clerselier III, 314 ou bien qu’il ne procede pas de bonne foy, si n’ignorant pas l’excellence de la Methode, AT II, 105 il raisonne mal exprés pour avoir occasion de blasmer l’Authaurl’Autheur ; Mais nous ne pouvons croire ce dernier, parce qu’il ne pourroit pas éviter que le blasme ne retombast sur luy-mesme, sinon qu’il eust affaire à des ignorans ; et nous estimons qu’il a trop de prudence pour s’exposer à ce danger.

Pour venir au fait, Monsieur Descartes fait deux objections, toutes deux absurdes ; La premiere est, qu’il suppose que la ligne EB, qui touche la parabole au point B, est la plus grande qui puisse estre menée du point E donné dans le Diametre, iusques à la parabole. Car nous voulons bien que ce soit le point E qui soit donné dans le Diametre, au lieu qu’il avoit dit dans son premier Escrit, que le point donné fust B, en la parabole, ce qu’il a corrigé en son second Escrit. En quoy nous reconnoissons qu’il n’a pas bien consideré nôtre Réponse, dans laquelle nous avons mis en 2. mots, que l’un et l’autre estoit également, absurde de pretendre de mener du point B iusques au Diametre, la plus grande ligne, ou la plus grande du point E iusques à la parabole, dautant qu’en l’une et en l’autre sorte, cette plus grande est infinie, et partant impossible ; AT II, 106 D’où l’excellence de la Methode paroist dautant plus, puis qu’en des questions absurdes, elle fait découvrir des absurditez, qui est tout ce que l’on peut esperer d’une bonne Methode en pareil cas. Or qu’il soit absurde que BE soit la plus longue ligne qui puisse estre menée du point B iusques au Diametre, Monsieur Descartes le confesse par son Escrit, et il faut Clerselier III, 315 qu’il avoüe de mesme, que EB n’est pas la plus longue qui puisse estre menée du point E donné au Diametre iusques à la parabole, puisque luy-mesme y mene EP, plus longue que EB, le point E estant au Diametre, et le point P en la parabole, et ainsi EP est menée du point E donné au Diametre iusques à la parabole, à laquelle elle se termine au point P. Car quant à ce qu’il dit que cette ligne PE n’est pas tirée iusques à la parabole seulement, mais outre la parabole, cela est aussi absurde que de dire que le point P est outre la parabole, lequel toutefois est dans icelle, ainsi qu’une infinité d’autres, plus et plus éloignez à l’infiny, ausquels on peut mener des lignes droites du point donné E, lesquelles croistront tousiours, sans que l’on puisse determiner la plus grande.

On pourroit par une mesme absurdité soûtenir que d’un point donné hors un cercle dans le plan d’iceluy, la plus grande ligne que l’on puisse mener iusques à la circonference est la touchante, et ainsi donner un dementy à Euclide, qui a demonstré que cette plus grande est celle qui est menée du mesme point par le centre iusques à la circonference concave ; de laquelle plus grande on pourroit dire par la raison de Monsieur Descartes, qu’elle n’est pas seulement menée AT II, 107 iusques à la circonference du cercle, mais outre la circonference, quoy qu’elle se termine en un point d’icelle circonference. De dire aussi que par la plus grande ligne, il entend celle qui ne rencontre la parabole qu’en un point, c’est se contredire, puisque ce n’est pas la plus grande ligne : Et en tout cas c’est abuser du mot de plus grande, assignant pour icelle la touchante, laquelle Monsieur de Fermat a trouvée par un raisonnement propre à ce faire, comme il paroist par son Escrit ; Et ainsi pour faire paroistre que Monsieur de Fermat auroit tort, Monsieur Descartes fabriqueroit un raisonnement à sa mode, voulant faire croire que ce seroit le raisonnement de Monsieur de Fermat ; ce qui ne se peut attribuer qu’au defaut de connoissance de Monsieur Descartes, touchant la Methode dont est question ; Clerselier III, 316 Car nous ne voulons pas soupçonner sa mauvaise foy ; Partant nous desirerions qu’il considerast la Methode de plus prés, et il verroit que pour trouver la plus grande, Monsieur de Fermat a employé le raisonnement propre pour la plus grande ; et que pour trouver les touchantes, il a employé le raisonnement propre pour les touchantes, n’abusant pas du mot de plus grande, pour celuy de touchante, ainsi que feroit Monsieur Descartes en cette occasion, si par la plus grande il entendoit celle qui ne rencontre la parabole qu’en un point.

La seconde objection de Monsieur Descartes est contre la Methode, par laquelle Monsieur de Fermat trouve les touchantes des lignes courbes, et particulierement contre l’exemple qu’il en donne en la parabole, duquel Monsieur Descartes avoit dit par son AT II, 108 premier Escrit, que si seulement au lieu de Parabole et Parabolen, on met par tout Hyperbole et Hyperbolen, ou le nom de quelqu’autre ligne courbe, telleque ce puisse estre, sans y changer au reste un seul mot, le tout suivroit en mesme façon qu’il fait touchant la parabole ; Clerselier III, 317 dequoy toutesfois il s’ensuivroit une absurdité. Mais ayant veu nostre Réponse, et connu sa faute, il pretend la corriger par son second Escrit, persistant tousiours en son objection. En quoy il reüssit si mal, qu’au lieu d’une faute, il en fait deux signalées ; La premiere est que voulant fabriquer un raisonnement à sa mode appliqué à l’Ellipse, pour le mettre en parallele avec celuy que Monsieur de Fermat fait en la parabole, afin d’en déduire une absurdité contre sa Methode, apres avoir supposé que la ligne BE touche l’Ellipse au point B donné, et rencontre le Diametre AT II, 109 CD au point E, il dit, Ergo sumendo quodlibet punctum O, in recta BE ; Et ab eo ducendo ordinatam OI, a puncto autem B ordinatam BC ; Major erit proportio CD ad DI, quam quadrati BC ad quadratum OI, quia punctum O est extra Ellipsim. Ce raisonnement n’est pas vray en l’Ellipse de tous les points qui sont en la ligne BE universellement parlant comme le veut la Methode ; Et c’est ce qui a trompé Monsieur Descartes, qui n’a consideré le point O qu’entre les points BE, et non pas aussi au delà du point B, comme il le falloit : Car en cette figure en laquelle le point O est dans la ligne BE, au delà du point B, il est faux, qu’il y ait plus grande raison de CD à DI, que du quarré BC au quarré OI. Or pour raisonner suivant la Methode, il faut qu’il soit vray de tous les points qui sont en la ligne BE, de part et d’autre du point B, ce qui arrive en la parabole seule, à laquelle cette proprieté est specifique ; C’est pourquoy M. de Fermat s’en est servy en la parabole, ce que M. Descartes ny aucun autre ne peut faire en l’Ellipse, ny en aucunes autres lignes courbes, ausquelles cette proprieté n’est point specifique ; voire mesme elle ne leur convient nullement ; et partant elle est inutile pour conclure d’autres proprietez specifiques des mesmes lignes. Que si au lieu d’une Ellipse, on avoit proposé une Hyperbole, ayant pris le point O dans la ligne BE, au delà du point B, alors il y auroit eu plus grande raison de DC à DI, que du quarré BC au quarré OI ; Mais le point O estant pris entre les points BE, le raisonnement auroit pû Clerselier III, 318 estre faux, et l’auroit esté en effet lors que le point AT II, 110 O seroit assez proche de B ; Partant il est clair que ce raisonnement ne vaut rien, ny en l’Ellipse ny en l’Hyperbole ; et c’est faillir contre la Methode, de vouloir l’employer en icelle, comme fait Monsieur Descartes ; En quoy il y a une chose digne de remarque, sçavoir, qu’ayant raisonné par une proprieté specifique de la parabole, et laquelle ne convient pas à l’Ellipse ny à l’Hyperbole, la force du raisonnement luy a fait conclure une autre proprieté specifique de la parabole, que CE est double de CD ; Que s’il veut raisonner par une proprieté specifique de l’Ellipse, ou de l’Hyperbole, telle qu’est celle-cy, posant le Diametre DF, le centre A, et le reste de la figure comme auparavant, il y a plus grande raison du rectangle F CD, au rectangle F I D, que du quarré BC au quarré OI, (ce qui est vray de quelque part que soit pris le point O à l’égard du point B) alors par la force de ce raisonnement, il conclura une autre proprieté specifique de l’Ellipse, ou de l’Hyperbole, sçavoir, que AC sera à CD, comme F C est à CE, laquelle proprieté est vraye en l’Ellipse, ou en l’Hyperbole seule, et se trouve directement par la Methode de M. de Fermat, ayant substitué comme il a fait, les quarrez EI et EC, au lieu des quarrez OI et BC, et donné un nom, comme C, au Diametre DF, AT II, 111 demeurans les autres noms comme ils sont dans les Escrits, tant de Monsieur de Fermat, que de Monsieur Descartes.

La seconde faute de Monsieur Descartes est encore pire Clerselier III, 319 que la premiere, et fort considerable en luy, qui a traitté de la Methode de bien raisonner, pource qu’elle est directement contre les preceptes du bon raisonnement et de la vraye Logique ; laquelle enseigne que pour conclure une proprieté specifique de quelque sujet que ce soit, il faut dans les propositions, desquelles les argumens sont composez, employer au moins une autre proprieté specifique du mesme sujet, c’est à dire, qu’elle soit tirée de sa nature propre, et qu’elle ne convienne qu’à luy ; Autrement, si on ne raisonne que sur des proprietez generiques, et qui conviennent à d’autres sujets, on ne conclura iamais des proprietez specifiques du sujet dont il est question ; C’est une verité que doivent sçavoir tous ceux qui font profession de bien raisonner, et laquelle Monsieur de Fermat n’a pas ignorée, puisque dans son traité il n’y a rien qui ne luy soit conforme, et qu’il employe dans son raisonnement des proprietez specifiques de son sujet, lesquelles estant dextrement meslées avec des proprietez generiques et universelles, servent pour conclure les autres proprietez specifiques desquelles il a besoin.

Au contraire M. Descartes, voulant à tort contredire M. de Fermat, sur le sujet des tangentes de l’Hyperbole, fabrique un raisonnement à sa mode, auquel il n’employe que des proprietez si universelles, qu’elles conviennent non seulement à toutes les sections AT II, 112 coniques, mais encore aux lignes droites, sans se servir d’aucune proprieté specifique. Nous laissons à iuger des consequences qui se peuvent tirer d’un raisonnement si imparfait, contraire non seulement à la Methode dont est question, mais aussi aux regles universelles de raisonner en toutes sortes de sujets. Le raisonnement est comme s’ensuit. Ayant supposé la construction de la fig. comme cy-devant, il dit Major est proportio CD ad DI, quam BC ad OI, quia punctum O est extra Hyperbolen ; Cette proprieté de la plus grande raison de la ligne CD à la ligne DI, que de la ligne BC à la ligne OI, outre qu’elle ne seroit pas vraye si le point O estoit pris de l’autre part du point B, qui est une faute pareille à la premiere, ne convient Clerselier III, 320 pas à l’Hyperbole seule, mais aussi à la Parabole, et à l’Ellipse ; et de plus aux lignes droites BE et CE, quand il n’y auroit ny Parabole, ny Ellypse, ny Hyperbole ; Partant par cette proprieté si universelle, ainsi employée sans autres plus specifiques, il est impossible de trouver les tangentes de l’Hyperbole, qui dependent de la Nature et des proprietez specifiques d’icelle. Si quelqu’un vouloit dire, qu’au moins la Methode seroit défectueuse, en ce que l’Autheur n’avertit point qu’il faut raisonner par des proprietez specifiques, nous luy répondons, que ceux qui se AT II, 113 meslent de raisonner, ne doivent point ignorer cette condition, qui est de la pure Logique, laquelle il suppose estre connuë par ceux qui liront son Traitté, autrement il les renvoye aux écoles, pour y apprendre à raisonner, et les avertit qu’ils ne se meslent point de reprendre ses Escrits, qu’ils n’entendent bien la Logique, et le sujet dont il traitte.

Pour changer de discours, nous avons lû assez attentivement le Livre de Monsieur Descartes, qui contient quatre traittez, desquels le premier se peut attribuer à la Logique, le second est meslé de Physique et de Geometrie, le troisiéme est presque purement Physique, et le quatriéme est purement Geometrique. Dans les trois premiers, il déduit assez clairement ses opinions particulieres, sur le sujet de chacun ; Si elles sont vrayes ou non, celuy-là le sçait qui sçait tout ; Quant à nous, nous n’avons aucunes demonstrations, ny pour ny contre, ny peut-estre l’Autheur mesme, lequel se trouveroit bien empesché, à ce que nous croyons, s’il luy falloit demonstrer ce qu’il met en avant ; Car il Clerselier III, 321 pourroit trouver que ce qui passe pour principe à son sens, pour fonder ses raisonnemens, sembleroit fort douteux au sens des autres ; Aussi semble-t’il s’en soucier fort peu, se contentant d’estre satisfait soy-mesme ; en quoy il n’y a rien que d’humain, et qu’un pere ne fasse paroistre tous les iours envers ses enfans. Ce ne seroit pas peu, si ce qu’il dit pouvoit servir comme d’Hypotheses, desquelles on pust tirer des conclusions qui s’accordassent aux experiences ; Car en ce cas l’utilité n’en seroit pas petite. Dans le quatriéme traitté nous luy marquerons une AT II, 114 omission, et une chose qui nous semble une faute, l’omission est aux pages 404. 405. et 406. où il dit que le cercle IP peut coupper la courbe ACN en six points, laquelle toutesfois il ne peut coupper qu’en quatre ; Mais il a obmis sa compagne, décrite de l’autre part de la ligne BK, par l’intersection de la parabole, et de la regle, qui se fera au point F, laquelle compagne le cercle pourra couper en deux points pour achever les six. La faute est en la page 347, où ce qu’il dit d’une équation qui a deux racines égales, estant vray aux équations planes, et en celles qui en dependent, il nous semble faux aux cubiques et en celles qui en dependent. Qu’il y pense, s’il croit que la chose en vaille la peine, et s’il desire communiquer sur ce sujet, ou autres, il aura en nous avec qui traitter amiablement. Nous trouvons tres-bon qu’il nous recuse pour iuges en la cause de Monsieur de Fermat, pource qu’il ignore que nous ne connoissons ny luy ny Monsieur de Fermat que de reputation. Que s’il nous doit soupçonner, c’est pour ce que nous prononcerons en faveur du bon droit, de quelque part qu’il soit ; Nous voulons bien aussi qu’il fasse imprimer tout ce qui viendra de nous, pourveu qu’il ne change rien, sinon qu’au lieu du nom de Monsieur de Fermat, il mette l’Autheur du traitté De Maximis et minimis, Nous sommes ses tres-humbles serviteurs, R.


Monsieur Pascal est absent.