MON REVEREND PERE,
I’ay veu ce qu’il vous a plû me communiquer des AT II, 175 Lettres que Monsieur de Fermat vous a écrites, et premierement, pour ce qu’il dit avoir trouvé des paroles plus aigres en mon premier papier, qu’il n’en avoit attendu, ie le supplie tres-humblement de m’excuser, et de penser que ie ne le connoissois point ; Mais que son De maximis, me venant en forme de cartel, de celuy qui avoit desia tasché de refuter ma Dioptrique, avant mesme qu’elle fust publiée, comme pour l’estouffer avant sa naissance, en ayant eu un exemplaire que ie n’avois pas envoyé en France pour ce sujet, il me semble que ie ne pouvois luy répondre avec des paroles plus douces que i’ay fait, sans témoigner quelque lascheté, ou quelque foiblesse. Et comme ceux qui se déguisent au Carnaval, ne s’offensent point qu’on se rie du masque qu’ils portent, et qu’on ne les saluë pas, lors qu’ils passent par la ruë, ainsi qu’on feroit s’ils estoient en leurs habits accoûtumez, il ne doit pas, ce me semble, trouver mauvais que i’aye répondu à son Escrit, tout autrement que ie n’aurois fait à sa Personne, laquelle i’estime et honore comme son merite m’y oblige. Il est vray que ie m’estonne extremement, non pas de ce qu’il approuve les raisons de Messieurs Pascal et de Roberval, car la civilité ne luy permet pas de faire autrement, et en effet ie ne sçache point qu’on en pust donner de meilleures pour le sujet, mais de ce que n’y en adjoûtant aucunes autres, il veut supposer que celles-là AT II, 176 m’ont plainement persuadé, et se servir de cette raison pour s’abstenir d’envoyer la tangente de la ligne courbe, que ie luy Clerselier III, 337 avois proposée. Car i’ay assez témoigné par toutes mes Lettres, qu’ils n’avoient répondu directement à aucune de mes objections ; et que de s’amuser à disputer, si la ligne EB doit estre nommée absolument la plus grande, ou bien seulement sous condition, ce n’est pas prouver que la regle qui enseigne à trouver cette plus grande soit bonne ; Et enfin que ce n’est pas un témoignage de la bonté de cette regle, que de dire qu’elle ne reüssit pas en cét exemple, qui est l’unique raison qu’ils en ont donnée. Et pour tous les autres exemples que vous m’avez mandé à diverses-fois vous avoir esté envoyez par Monsieur de Fermat, encore qu’ils fussent vrais, ce que ie suppose, puisque ie ne les ay point veus, ils ne peuvent prouver que sa Methode soit generalement bonne ; mais seulement qu’elle reüssit en certains cas, ce que ie n’ay iamais eu intention de nier, au moins pour sa regle Ad inveniendam maximam ; Car pour la façon dont il cherchoit la tangente de la parabole, sans considerer aucune proprieté qui luy fust specifique, i’ay conclu comme ie devois, que Semper fallit ista methodus ; Et la glose qu’il y adjoûte en cette derniere Lettre, se rapportant à ce que i’ay dit par mes precedentes devoir y estre corrigé, monstre assez qu’il avoüe tacitement que i’ay eu raison, aussi bien en cela, qu’au reste, à quoy il ne répond rien du tout. De façon que la civilité m’obligeroit à n’en parler plus, et à ne AT II, 177 le point presser davantage sur ce sujet, n’estoit que nonobstant cela, il assure au mesme lieu, que sa Methode est incomparablement plus simple, plus courte, et plus aisée, que celle dont i’ay usé pour trouver les tangentes. A quoy ie suis obligé de répondre, que i’ay donné en mon premier Escrit, et aux suivans, des raisons qui monstrent le contraire, et que ny luy ny ses deffenseurs n’y ayant rien du tout répondu, ils les ont assez confirmées par leur silence ; De façon que si la verité ne l’offense point, ie croy pouvoir dire sans blaspheme, qu’il fait tout de mesme que si ayant esté jetté à terre par quelqu’un, et n’ayant pas mesme pû encore se Clerselier III, 338 relever, il se vantoit d’estre plus fort et plus vaillant que celuy qui le tiendroit renversé.
Au reste, encore qu’on reçoive sa regle pour bonne estant corrigée, ce n’est pas à dire qu’elle soit si simple, ny si aisée, que celle dont i’ay usé, si ce n’est qu’on prenne les mots de simple et aisée, pour le mesme que peu industrieuse, en quoy il est certain qu’elle l’emporte, à cause qu’elle ne suit que la façon de prouver, qui reduit ad absurdum, comme i’ay averty dés mon premier Escrit ; Mais si on les prend en un sens contraire, il en faut par mesme raison iuger le contraire. Et pour ce qui est d’estre plus courte, l’experience s’en pourra faire en l’exemple de la tangente, que ie luy avois proposée, si tant est qu’il vous l’envoye, ainsi qu’il offre de faire ; Car moy vous l’envoyant aussi en mesme temps, vous pourrez voir lequel de nos deux AT II, 178 procedez sera le plus court. Et afin qu’il n’use plus d’aucune excuse, pour ne la point envoyer, vous l’assurerez, s’il vous plaist, que ie maintiens tousiours comme devant, que ny cette tangente, ny une infinité d’autres semblables, ne peuvent estre trouvées par sa Methode, et qu’il ne doit pas se persuader, que ie change d’avis, lors que ie l’auray mieux comprise ; Car ie ne croy pas la pouvoir iamais entendre mieux que ie fais ; Et ie puis dire avec verité, que ie l’ay sceuë vingt ans devant que d’avoir veu son Escrit, sans m’en estre iamais estimé beaucoup plus sçavant, et sans avoir crû qu’elle meritast tant de loüanges qu’il luy en donne. Mais ie ne crains pas, que ceux qui voudront iuger de la verité par les preuves, ayent aucune peine à connoistre lequel des deux l’entend le mieux, ou celuy qui l’a imparfaitement proposée, et qui l’admire, ou bien celuy qui a remarqué les choses qui devoient y estre adjoûtées pour la rendre bonne, et qui n’en fait qu’autant d’estat qu’elle merite.
Ie n’adjoûte rien davantage, à cause que ie ne desire point aussi continuer cette dispute ; et si i’ay mis icy ou ailleurs quelque chose qui ne soit pas agreable à M. de Fermat, ie Clerselier III, 339 le supplie tres-humblement de m’en excuser, et de considerer que c’est la necessité de me deffendre qui m’y a contraint, et non aucun dessein de luy déplaire. Ie le supplie aussi de m’excuser de ce que ie ne répons point à ses autres questions ; Car comme ie vous ay mandé par mes precedentes, c’est AT II, 179 un exercice auquel ie renonce entierement. Outre que voyant qu’il vous mande, que ie n’ay pas plainement satisfait à son Theoreme des nombres, bien qu’il n’y ait rien à dire, sinon que i’ay negligé de poursuivre à l’expliquer touchant les fractions, apres l’avoir expliqué touchant les entiers, à cause qu’il m’a semblé trop facile pour prendre la peine de l’écrire, ie crains que ie ne pourrois iamais le satisfaire plainement en aucune chose. Mais pour ce qu’il dit, que cela mesme que i’ay obmis comme trop aisé, est tres-difficile, i’en ay voulu faire l’épreuve en la personne du ieune Gillot, lequel m’estant venu voir icy depuis deux iours, s’y est rencontré fort à propos pour ce sujet. Ie luy ay donc fait voir la Réponse que i’avois faite à ce Theoreme de Monsieur de Fermat, et luy ay demandé, si, de ce que i’avois demonstré touchant les nombres entiers, il en pourroit déduire le mesme touchant les rompus, ce qu’il a fait fort aisément, et l’a écrit dans un papier que ie vous envoye, afin que vous connoissiez par son stile, que c’est une personne qui n’a iamais esté nourry aux Lettres, qui a resolu cette grande difficulté, et ie vous jure que ie ne luy ay aidé en aucune façon. Ie luy ay fait aussi chercher la question que Monsieur de Fermat propose à Monsieur de Sainte Croix et à moy, qui est de trouver trois triangles rectangles, desquels les aires estant prises deux à deux, composent trois nombres, qui soient les costez d’un triangle rectangle, et il en a AT II, 180 trouvé la solution en une infinité de façons ; Car, par exemple, il donne le triangle dont les costez sont , , , et l’aire est 7 ; puis celuy dont les costez sont , , , et l’aire est 14 ; avec celuy dont les costez sont 12, , , et l’aire est 21. Car ces trois aires, 7, 14, 21 prises deux à deux font 21, 28 et 35, qui sont les costez d’un triangle Clerselier III, 340 rectangle semblable à celuy dont les costez sont 3, 4, 5, qui est le plus simple qu’on puisse faire. Il a donné aussi les aires 15, 30, 45, lesquelles prises deux à deux composent un triangle semblable au precedent. Item, les aires 14, 21, 70, qui composent un autre triangle semblable à celuy dont les costez sont 5, 12, 13 ; les aires 22, 33, 110 font aussi le semblable, et les aires 30, 45, 150. Item, les aires 39, 65, 156 en composent un semblable à celuy dont les costez sont 8, 15, 17 ; et les aires 126, 210, 504, et les aires 330, 550, 1320, font aussi le mesme ; et enfin les aires 330, 440, 2310, en composent un semblable à celuy dont les costez sont 7, 24 et 25. Ie croy que ces neuf exemples suffisent pour monstrer qu’il en peut aisément trouver une infinité ; C’est pourquoy il n’a point desiré que ie vous envoyasse sa regle. Ie luy ay dit aussi qu’il cherchast les centres de Gravité de quelque fig. à cause que M. de Fermat a desiré qu’on m’en proposast quelques-uns ; et ayant choisi celuy du Conoïde, qui a pour base un cercle, et est décrit par une parabole qui tourne autour de son aissieu, à cause que vous m’avez mandé en quelqu’une de vos precedentes que le mesme vous a esté envoyé AT II, 181 par Monsieur de Fermat, il a trouvé que le centre de gravité de ce corps divise son essieu en trois parties égales, en sorte que la distance, depuis ce centre iusques au sommet de ce Conoïde, est double de celle qui est depuis ce mesme centre iusques à la base. N’étoit que Gillot doit partir d’icy demain matin, ie luy en ferois encore chercher d’autres, car il les peut trouver tous, autant qu’il est possible, avec assez de facilité. Mais pour ce qu’il ira peut-estre à Paris dans quelque temps, i’aime mieux qu’il attende iusques à ce qu’il y soit, tant afin de n’estre point icy obligé de luy aider, qu’afin qu’on puisse voir qu’il n’a point en cela besoin de mon aide.
Ie luy ay aussi proposé la quatriéme question de Monsieur de Sainte Croix, qui est de trouver deux nombres, chacun desquels, comme aussi la somme de leur aggregat, ne soit que de trois tetragones, à cause que vous me mandez que Clerselier III, 341 c’est celle qui a semblé à Monsieur de Fermat la plus difficile ; Mais il n’a sceu non plus que moy y trouver si grande difficulté, ny iuger qu’elle se doive entendre en autre sens que celuy auquel ie l’ay resoluë, et auquel il pourroit aussi la resoudre en d’autres façons, si ce n’est peut-estre qu’on entende que chacun des nombres demandez soit tellement composé de trois tetragones, qu’il ne puisse estre divisé sans fraction en trois autres tetragones ; Mais encore en ce sens-là, il la peut aisément resoudre, et en une infinité de façons, comme il a monstré par les neuf exemples suivans, AT II, 182 chacun desquels y satisfait. 3, 19, 22 ; et 3, 45, 46 ; et 6, 24, 30 ; et 6, 42, 48 ; et 11, 19, 30 ; et 11, 24, 35 ; et 11, 35, 46 ; et 11, 46, 57 ; et 22, 35, 57 ; Car on ne peut diviser 22 qu’en trois tetragones, qui sont 9, 9, 4 ; ny 35 qu’en trois autres qui sont 25, 9, 1 ; ny enfin leur aggregat 57, qu’en trois qui sont 49, 4, 4, et ainsi des autres.
Ie passe maintenant à la Geostatique, laquelle i’ay enfin receuë, et bien que ce soit un Escrit dont les fautes sont si grossieres, qu’elles ne sçauroient surprendre personne, et qui pour ce sujet doivent estre plustost méprisées que contredites, toutesfois puisque vous desirez en sçavoir mon opinion, ie la mettray icy en peu de mots.
Ie n’ay trouvé en tout ce beau Livre Infolio, qu’une seule proposition, bien que l’Autheur en conte 13 ; Car pour les trois premieres et la dixiéme, ce ne sont que des choses de Geometrie, si faciles et si communes, qu’on ne sçauroit entendre les Elemens d’Euclide sans les sçavoir ; les 5. 6. 7. 8. 9. et onziéme ne sont que des suittes ou des repetitions de la quatriéme, lesquelles ne peuvent estre vrayes, si elle ne l’est ; Pour la 7. la 12. et la 13. il est vray qu’elles ne dependent pas ainsi de cette quatriéme, mais pour ce que l’Autheur s’en sert pour tascher de les prouver, et mesme qu’il ne se sert pour cela que d’elle seule, et que d’ailleurs elles ne sont, non plus que les autres, d’aucune importance, elles ne doivent point estre AT II, 183 contées. Si bien qu’il ne reste que la quatriéme toute seule à considerer ; Et elle a desia esté si bien refutée par Clerselier III, 342 Monsieur de la Brosse, qu’il n’est pas besoin d’y rien adjoûter. Car de cinq ou six fautes qu’il y remarque, la moindre est suffisante, pour faire voir que le raisonnement de cét Autheur ne vaut rien du tout. Et i’eu grand tort l’année passée, en voyant cette refutation de Monsieur de la Brosse, sans avoir veu le Livre qu’il refutoit, de ne la pas approuver. Mais la seule raison qui m’en empescha, fut, que ie ne pouvois m’imaginer que les choses qu’il reprenoit fussent si absurdes qu’il les representoit ; et ie me persuadois qu’il exageroit seulement quelques omissions, ou fautes commises par inadvertance, et qu’il ne touchoit point aux principales raisons de l’Autheur ; Mais ie voy maintenant que ces principales raisons, que ie supposois devoir estre en son beau Livre, ne s’y trouvent point. Et bien que i’aye veu beaucoup de quadratures du cercle, de mouvemens perpetuels, et d’autres telles demonstrations pretenduës, qui estoient fausses, ie puis toutesfois dire avec verité, que ie n’ay iamais veu tant d’erreurs jointes ensemble en une seule proposition. Dans les Paralogismes des autres, on a coûtume de ne rien rencontrer à l’abord qui ne semble vray, en sorte qu’on a de la peine à remarquer, entre beaucoup de veritez, quelque petit meslange de fausseté, qui est cause que la conclusion n’est pas vraye ; Mais icy tout au contraire, on a de la peine à remarquer aucune verité, sur laquelle cét AT II, 184 Autheur ait appuyé son raisonnement, et ie ne sçaurois deviner autre chose, qui luy ait donné occasion d’imaginer ce qu’il propose, sinon qu’il s’est équivoqué sur le mot de Centre ; et qu’ayant oüy nommer le centre d’une balance, aussi bien que le centre de la terre, il s’est figuré que ce qui estoit vray au regard de l’un, le devoit estre aussi au regard de l’autre ; Et par consequent, que comme en la balance FGD le poids D pese dautant moins que le poids F, qu’il est moins éloigné que luy du centre G, Clerselier III, 343 ainsi en general dans le monde, chaque Corps pese dautant moins ou dautant plus, qu’il est plus proche, ou plus éloigné du centre de la terre ; Et cette vision luy a semblé si belle, qu’il s’est sans doute imaginé qu’elle est vraye. Mais afin de la faire mieux recevoir par les autres, il a voulu l’habiller à la guise d’une demonstration Mathematique ; et à cét effet il a choisi cette figure, en laquelle A represente le centre du monde, G celuy d’une balance, dont G F et GD sont les 2. bras, puis mettant un poids au point F, et un autre attaché au point D, qui pend plus bas iusques au point E, il s’est efforcé de prouver que ce poids E pese dautant moins, qu’il est plus proche du centre de la terre. En quoy il a commis les fautes suivantes.
La premiere est, qu’encore qu’il fust vray qu’un AT II, 185 poids ainsi posé, pesast moins au regard des autres poids qui luy seroient opposez dans cette balance, il ne s’ensuit aucunement pour cela qu’il dust peser moins estant consideré tout seul hors de la balance. § La seconde est, qu’il se sert de ce qu’ont dit Archimede, Pappus, etc. touchant le centre de Gravité, à sçavoir, que celuy de deux corps pesans joints ensemble, divise la ligne droite qui conjoint leurs centres en raison reciproque de leurs pesanteurs, bien que cela ne puisse estre vray, ny n’ait iamais esté pris pour tel par Archimede, ny par aucun autre qui ait tant soit peu d’intelligence des Mechaniques, qu’en cas qu’on suppose que les corps pesans tendent en bas par des lignes paralleles, et sans s’incliner vers un mesme point ; Au lieu que pour son dessein, il faut supposer tres-expressément le contraire, à cause que tout son raisonnement n’est fondé que sur la consideration du Centre de la Terre. Et il a Clerselier III, 344 rendu cette faute inexcusable, en ce qu’il a tasché de l’excuser, sans apporter pour cela d’autre raison, sinon qu’il nie qu’Archimede ait supposé dans les Livres De Æquiponderantibus, que les corps pesans descendent par des lignes paralleles. Car il monstre par là, qu’il n’entend rien, ny dans Archimede, ny en general dans les Mechaniques.
Sa troisiéme faute paroist, en ce que si sa proposition estoit vraye, ce qu’il dit du centre de Gravité seroit faux, et ainsi il ne peut aucunement s’en servir pour la prouver. Car par exemple, si les poids F et D AT II, 186 sont égaux, leur commun centre de Gravité sera selon Archimede au point G, qui divise la ligne FD en parties égales ; au lieu que selon cét Autheur, quand le poids D est plus proche du centre de la terre, que le poids F, ce centre de Gravité doit estre entre F et G. Et quand il en est plus éloigné, ce centre doit estre entre G et D.
Sa quatriéme faute consiste, en ce qu’ayant supposé le poids I, estre au poids B, lors qu’ils sont à pareille distance du centre de la terre, comme la ligne EH est à F H, il ne les met pas à pareille distance, mais à une distance fort diverse, à sçavoir, l’un au point F, et l’autre au point E ; Puis il suppose que le point H est leur centre de Gravité, tout de mesme que s’ils estoient à égale distance. Et ainsi pour prouver que ce changement de distance change la pesanteur, il suppose Clerselier III, 345 qu’il ne la change point, et se contrarie à soy-mesme.
La cinquiéme est, qu’il appuye tout son raisonnement sur ce que le point F est en sa figure plus éloigné du centre de la terre A, que n’est le point E, en sorte que si on l’en suppose plus proche, et qu’on reçoive tout le reste de son discours comme vray, on en conclura tout le contraire de ce qu’il conclud ; et toutesfois en AT II, 187 construisant sa figure, il laisse expressément la liberté d’y faire la ligne AF, de telle grandeur qu’on voudra ; Ce que Monsieur de la Brosse a fait voir fort clairement, et fort veritablement par ses quatre figures diverses.
La sixiéme faute est, que faisant concevoir la ligne FD, comme une balance, dont le centre est G, et mettant un poids au point F, et un autre au point E, qui pend du point D, il cherche le centre de Gravité de ces deux poids en la ligne EF, comme s’ils estoient simplement joints ensemble par cette ligne. En quoy il témoigne deux ignorances tres-grandes. Car en premier lieu, le poids qui pend du point D iusques à E, en sorte que l’angle GDE peut changer, à mesure que la balance incline de part ou d’autre, ne pese en cette balance, qu’autant qu’il tire le point D, et ainsi n’est opposé au point F, que suivant la ligne FD, et non suivant la ligne FE. Puis, en second lieu, bien qu’il supposast que la ligne D E, fust fermement jointe à la ligne GD, en sorte que l’angle GDE ne pust se changer, toutesfois, à cause du point G, qui estant le centre de la balance doit estre fixe, le centre de Gravité des deux poids, l’un en F, et l’autre en E, doit estre tout autre, que s’ils n’estoient point considerez en une balance. Et il monstre en cecy, qu’il n’a pas plus de connoissance de la Statique, dont il écrit, qu’un aveugle en a des couleurs.
Au reste, apres avoir ainsi fort vaillamment demonstré sa proposition, il tasche à la confirmer par des authoritez, dont l’usage est ridicule en telles matieres, et qui estant, sans doute, fausses et desavoüées par AT II, 188 ceux qu’il cite, lesquels Clerselier III, 346 sont encore vivants, il fait voir par là qu’on ne doit pas adjoûter beaucoup de foy à ce qu’il écrit.
Puis en suitte de cela, comme pour répondre aux objections qu’on luy peut faire, il entreprend de refuter l’opinion de ceux qui trouvent que la pesanteur des corps qui sont dans une balance, doit se mesurer par la grandeur des perpendiculaires, tirées du centre de cette balance, vers les lignes suivant lesquelles ces poids tendent à descendre, et ce par trois diverses absurditez qu’il en déduit ; Mais qui different autant l’une de l’autre, qu’un bonnet blanc differe d’un blanc bonnet. Car la premiere est, que les poids B et C, estant soûtenus par le point D (en la figure de la page 11.), seroient en équilibre ; La seconde, qu’estant soûtenus par le point E, ils ne seront pas en equilibre ; Et la troisiéme qu’estant ainsi soûtenus par le point E, le poids qui seroit vers B, seroit plus pesant que l’autre. Or pour prouver que cette consequence, ainsi deguisée en trois plats, est absurde, il n’allegue rien du tout, que la supposition d’Archimede, de Pappus, etc. touchant le centre de Gravité, laquelle il deguise aussi en trois plats, et qui, comme i’ay desia dit, ne peut estre vraye AT II, 189 qu’entant qu’on suppose que les corps pesans tendent en bas par des lignes paralleles ; au lieu que toute cette question n’est fondée que sur ce qu’ils n’y tendent pas ; Et mesme tout ce qu’il cite là d’Archimede, et de Pappus ne peut estre vray, que sa pretenduë demonstration ne soit fausse.
Ainsi ie puis dire pour conclusion, que tout ce que contient ce Livre de Geostatique, est si peu de chose, que ie m’estonne que des honnestes gens ayent iamais daigné prendre la peine de le lire, et i’aurois honte de celle que i’ay prise d’en mettre icy mon sentiment, si ie ne l’avois fait à vostre priere. Ie sçay bien que vous ne me l’avez aussi demandé, qu’à dessein de me faire dire mon opinion de la matiere qu’il traitte, et que vous ne vous souciez pas beaucoup de la façon dont il la traitte ; mais c’est un sujet qui merite bien Clerselier III, 347 que i’y emploie quelqu’une de mes meilleures heures, au lieu que ie n’en ay donné à celuy-cy qu’une de celles que ie voulois perdre. C’est pourquoy i’aime mieux vous l’envoyer separément au prochain voyage. Aussi bien ay-ie encore icy beaucoup d’autres choses à vous écrire.