AT II, 330

AU R. PERE MERSENNE.

LETTRE LXX.

AT II, 135 MON REVEREND PERE,
Monsieur le Roy revenant icy m’a apporté la hauteur de la tour d’Utrech tres-exactement mesurée, et elle est de 350. pieds de Roy, en contant le cocq, ou la giroüette qui AT II, 331 est au dessus, et cette giroüette avec la pomme qui la soûtient est haute de 16. pieds et 7. pouces. Il vous en vouloit écrire, mais pour ce qu’il n’avoit autre chose à vous mander, ie luy Clerselier III, 405 ay promis de vous faire ses baise mains, et ainsi i’ay déchargé mon pacquet dautant de papier. Or entre nous, quoy que vous ne me mandiez point quel est l’Autheur des objections ausquelles ie répons en l’autre feüillet, que vous separerez, s’il vous plaist, de celuy-cy, en cas que vous vouliez le monstrer, ie iuge neantmoins qu’elles viennent du Geostaticien ; car elles sont iustement de sa portée, et contiennent des raisonnemens dignes de luy ; mais ie n’ay pas laissé d’y vouloir répondre civilement : Assurez-vous que i’apprehende fort peu sa colere, et que i’aime mieux que telles gens me soient ennemis declarez, et qu’ils parlent avec animosité contre moy, que non pas que feignant d’estre mes Amis, ils dient froidement qu’ils s’estonnent de ce que i’ay donné si peu de chose, etc. Or ie vous envoye icy des solutions de tout ce que Monsieur de Roberval dit ne sçavoir pas, dans la Lettre dont vous m’avez envoyé la Copie ; mais ie AT II, 332 vous prie de les faire voir à plusieurs avant luy, et mesme de ne luy en point donner l’Original ; car i’ay tant remarqué de procedures indirectes en ces gens là, que ie croy qu’il ne s’y faut pas trop fier ; Et s’il n’avoit pû comprendre ma premiere demonstration de la Roulette, il ne comprendra peut-estre pas non plus tout ce qui est en celles-cy ; Mais il m’eust fallu trop de peine à écrire, pour éclaircir le tout pour des enfans. Ie seray bien-aise de sçavoir ce qu’il aura dit de ma derniere explication de la demonstration de la Roulette ; car ie croy qu’elle est si claire, que s’il la nie, les moindres Escoliers seront capables de s’en moquer.

Pour l’introduction à ma Geometrie, ie vous assure qu’elle n’est nullement de moy, et ie l’ay seulement à peine oüy lire un peu devant que ie l’enfermasse dans mon pacquet ; et i’ay honte de ce que vous avez écrit à M. de Fermat, que i’y ay resolu son lieu plan ; car il est si facile par ma Geometrie, que c’est tout de mesme que si vous luy aviez mandé, que i’ay pû inscrire un triangle dans un cercle. A propos dequoy, s’il vous souvient que ie témoignay en faire estat la premiere fois que vous me l’envoyastes, et que ie Clerselier III, 406 vous manday que son Autheur devoit estre fort sçavant en Geometrie, et que i’esperois qu’il seroit l’un de ceux qui iugeroient le AT II, 333 mieux de la mienne, vous pouvez connoistre par là que ie suis d’une humeur fort differente de la leur, veu que ie loüois en eux une chose, que i’eusse crû estre trop basse pour moy ; et eux au contraire méprisent en moy des choses, qui sont si loin au delà de leur portée, qu’ils ne sont pas seulement capables de les comprendre, lors que ie les ay suffisamment expliquées. I’ay consideré exactement la demonstration pretenduë de la Roulette envoyée par Monsieur de Fermat, laquelle commence par ces mots : Le centre du demy cercle n, le diametre divisé aux parties égales IK, KL, etc. Mais c’est à mon sens la chose la plus embroüillée du monde ; En effet il monstre par là, que n’ayant rien sceu trouver de bon touchant cette Roulette, et ne voulant pas pour cela demeurer sans Réponse, il a mis là un discours embarrassé, qui ne conclud rien du tout, sur l’esperance qu’il a euë que les plus habiles ne l’entendroient pas, et que les autres croyroient cependant qu’il l’auroit trouvée. Si le sieur de Roberval s’estoit contenté de cela, on pourroit bien dire en bon Latin, que mulus mulum fricat. Vous m’aviez mandé il y a un an ou deux, qu’il avoit écrit un Livre contre Galilée, avec un titre fort fastueux, dequoy AT II, 334 ie n’ay plus oüy parler depuis, ie voudrois bien sçavoir ce qui en est reüssi. En effet, que ces gens-là fassent, ou disent, ou écrivent tout ce qu’ils voudront, ie suis resolu de ne m’en pas soucier ; Et au bout du conte, si les François me font injustice, convertam me ad gentes. Ie suis resolu de faire imprimer bien-tost la Version Latine pour ce sujet ; Et ie vous diray que i’ay receu cette semaine des Lettres d’un Docteur que ie n’ay iamais veu, ny connu, qui me remercie Clerselier III, 852 de ce que ie l’ay fait estre Professeur en Medecine dans une Université, où il n’eust jamais osé pretendre sans moy. Ce qui est arrivé, pour ce qu’ayant enseigné en particulier quelque chose de ma Philosophie à des Estudians de ce lieu-là, ils y ont pris un tel goust, qu’ils ont prié le Magistrat de leur donner ce Professeur. Clerselier III, 407 Clerselier III, 407 (béquet) I’en ay receu d’autres, qui entendent et enseignent ma Geometrie, AT II, 335 ce que ie vous mande, afin que vous sçachiez, que si la verité ne peut trouver place en France, elle ne laissera peut-estre pas d’en trouver ailleurs, et que ie ne m’en mets pas fort en peine.

Ie vous prie de faire mes complimens à Monsieur Morin, lequel ie remercie de son observation de l’Arc-en-Ciel, ie luy ferois réponse, mais puis qu’il m’envoyera peut-estre encore quelques repliques à mes Réponses, ie les attendray.

I’ay reçu la Lettre de Monsieur de Zuitlychem, où il me mande touchant Monsieur Hardy, qu’il y aura moyen d’obtenir ce qu’il demande, pourveu, dit-il, qu’il luy plaise d’y contribuer ce qu’on propose : Nempe ut obiter id manu propria testetur, qui est à mon advis, la forme de caution, que les gens d’honneur ont à rendre en ces occurrences. Ce sont cesses mots ; et il m’a envoyé l’extrait de la Lettre que Monsieur Hardy luy avoit écritte sur ce sujet, où il mettoit, ce me semble, quelque mot Latin qui signifie une promesse juridique, ou pardevant Notaires, ie l’ay egaré entre mes papiers, sans cela ie luy envoyerois. I’écrirois aussi à Monsieur Hardy, mais ie n’ay pas le temps ; ie suis son tres-humble serviteur ; et ie le prie de ne point faire voir ce que ie luy ay AT II, 336 mandé cy-devant de la regle De maximis, si ce n’est qu’il l’ait desia fait ; car i’ay mis cy-dessus, en ce que ie répons à la Lettre de Monsieur de Fermat, qu’il n’en sçauroit donner la demonstration, s’il ne l’a apprise de ce que ie luy ay écrit. I’oubliois à vous dire que la nouvelle ligne que ie propose au sieur R. à la fin de la quatriéme page de cette Lettre, est toute la mesme que l’autre, ce que ie fais pour me rire de luy, s’il ne le reconnoist pas, à cause qu’il dit la connoistre comme le cercle. I’ay receu enfin de Leyde le Livre de Galilée, et ay employé deux heures à le feüilleter ; mais i’y trouve fort peu de matiere pour remplir les marges, et ie croy que ie feray mieux de marquer seulement tout ce que i’y trouveray de remarquable dans un petit feüillet de papier, et vous l’envoyer dans une Lettre, car M. de Zuitly Clerselier III, 408 chem n’estant point à La Haye, ie ne sçay par quelle voye ie pourrois vous envoyer le Livre, et ses marges estant toutes vuides vous ne le verriez peut estre pas de bon œil. I’ay receu aussi l’Escrit contre moy par l’Ambassadeur d’Angleterre, lequel ie n’ay pas encore seulement décacheté, et si vous ne me mandez derechef qi’il importe que ie le lise, ie ne luy en veux point faire l’honneur, mais ie vous le renvoyeray tel qu’il est. AT II, 337 Ie suis extremement obligé à Monsieur de Sainte Croix du favorable iugement qu’il fait de moy, ie vous prie de m’entretenir en ses bonnes graces, et de celuy qui vous a donné les nombres dont parties aliquotes font le triple ; Il doit sçavoir une excellente Arithmetique, puis qu’elle le conduit à une chose où l’Analyse a bien de la peine à parvenir. Ie n’avois point remarqué l’erreur de plume qui estoit au dernier de ses nombres ; car i’avois seulement examiné le second, et l’ayant trouvé bon, ie n’avois point douté que les autres ne le fussent aussi ; Mais cela me fait souvenir que ie me suis aussi méconté en ce que i’ay écrit, sur la derniere question à Monsieur de Sainte Croix, que tous les nombres au delà de 33, qui sont composez de trois quarrez, le sont aussi de 4, excepté les quadruples de 6, et de 14. ; Car au lieu de 33, ie devois mettre 41, et lors ce Theoreme est vray ; Comme aussi qu’il n’y a point d’autres nombres qui ne soient composez de quatre quarrez, AT II, 338 excepté les quadruples de deux, comme 8, 32, 128, lesquels ne sont ny quarrez, ny composez de trois, ny de quatre quarrez, mais seulement de deux.

Ie croy que vos Lettres ne se perdent point par Haerlem, car i’en ay desia receu cinq ou six, et ie fais icy réponse à trois, dont la derniere est du douziéme de ce mois, et nous sommes au 23. d’Aoust 1638. Mais ie vous prie de prendre un peu garde à les bien fermer ; Car i’en ay reçu deux ou trois qui avoient, ce me semble, esté ouvertes ; Il est vray qu’il n’y a iamais rien dedans que tout le monde ne puisse bien voir.
Ie suis,