MON REVEREND PERE,
Si ce que i’avois écrit de l’Aristarque, dont ie vous ay envoyé les censures, n’eust esté vray, il ne seroit pas si en colere qu’il est ; Mais c’est la verité qui l’a picqué, et le dépit de n’avoir point de bonnes raisons pour se deffendre, qui le fait passer aux invectives. Il dit premierement que ie me suis contredit ; Mais ses propres paroles suffisent pour faire voir l’injustice de son accusation. Vide supra M usque ad B. Ie nie aussi qu’au regard de l’agitation d’un corps suspendu, Clerselier III, 534 AT IV, 544 il y ait en luy quelque perpendiculaire plus considerable que les autres lignes, i’entens plus considerable, en telle sorte que la direction de tous les points de ce corps luy doive estre rapportée, ainsi que pretendoit l’Aristarque ; Mais ie ne laisse pas d’accorder que le centre de cette agitation est dans la mesme perpendiculaire, à laquelle il a voulu que cette direction fust rapportée, AT IV, 545 et il n’y a en cela aucune apparence de contradiction.
En second lieu, il dit qu’il n’a point pensé à me donner sa demonstration, ny à faire passer son authorité pour objection. Et ainsi il avoüe que le tiers de son premier écrit, qui ne contient rien du tout que cela, est inutile, à sçavoir, depuis ces mots : Nous concevons, etc. iusques à ceux-cy : Mais nostre demonstration est trop longue, etc. Où par ces mots de Nous et de Nostre, il me fait souvenir du Capitan de la Comedie ; et on luy peut dire comme à celuy de Terence, Labore alieno partam gloriam verbis sæpè in se transmittit, qui habet salem, qui in te est.
En troisiéme lieu, il dit qu’il soûtient diverses choses ; Mais pour ce qu’il n’en prouve aucune, on les peut joindre avec sa demonstration pretenduë, qu’il reserve in pectore, et dire que ce sont des discours du Capitan.
En quatriéme lieu, il persiste dans l’erreur de son premier écrit, où il pretend que ce qu’on nomme le centre de gravité contribuë à la determination, de ce que i’ay nommé le centre d’agitation ; Et il la deffend d’une façon fort magistrale, en forgeant un principe Mechanique, lequel il veut que ie respecte comme un Oracle qui sort de sa bouche. Son Principe pretendu AT IV, 546 est, que quand un mesme corps est porté de deux differentes puissances, chacune a son centre particulier ; ce que ie maintiens n’estre pas generalement vray ; Car lors que ces deux differentes puissances sont tellement jointes, que l’une depend entierement de l’autre, comme icy, où l’agitation depend de la pesanteur, elles ne peuvent avoir qu’un mesme centre ; Et son erreur consiste en ce qu’il imagine que le point qu’on nomme le centre de gravité, est Clerselier III, 535 quelque chose d’absolu, qui retient tousiours une mesme force dans les corps pesans, au lieu qu’il est relatif, et ne peut estre dit centre de gravité, qu’entant que toutes les parties du corps où il est sont également libres à descendre, ou sont également empeschées. C’est pourquoy icy, où le costé du mobile par lequel il est suspendu, est moins libre que les autres, ce centre de gravité change de place, et n’est point different du centre d’agitation. Ce qu’on verra fort clairement, si on considere que la pesanteur et l’agitation sont deux puissances, qui concourrent à faire que les corps descendent en ligne droite quand ils sont libres, aussi bien qu’à faire qu’ils aillent et reviennent de costé et d’autre, quand ils sont suspendus ; mais neantmoins que ces deux puissances n’ont qu’un mesme centre ; En sorte que le point qu’on nomme le centre de gravité dans un AT IV, 547 corps qui descend librement en l’air, est aussi le centre de l’agitation qu’il a pour lors ; Et le point que i’ay nommé le centre d’agitation en ceux qui sont suspendus, peut aussi estre nommé le centre de leur gravité, entant qu’ils sont ainsi suspendus.
Au reste, ce qu’il dit que l’experience contredit constamment à mes conclusions, est une chose tres-fausse ; Car en mes conclusions i’ay excepté ce que i’ay dit pouvoir estre nommé l’empeschement de l’air, ou la tardiveté naturelle des corps, ou bien, pour m’expliquer par circonlocution, l’empeschement que font les parties qui sont en équilibre au mouvement de celles qui n’y sont pas ; La quantité duquel empeschement i’ay dit ne pouvoir estre determinée que par l’experience ; Et mesme i’ay employé toute la moitié de ma premiere Lettre à donner le moyen de faire cette experience. Et enfin i’ay dit qu’il n’y avoit que les corps plats, suspendus en la façon que i’ay décrite, où cét empeschement n’est point sensible ; C’est pourquoy, afin que l’experience s’accorde entierement avec mes conclusions, il faut que le calcul que i’ay fait ne se trouve vray qu’aux cas où i’ay dit que cét empeschement n’est pas sensible, et qu’en tous les autres les Vibrations soient plus tardives ; Et pour Clerselier III, 536 ce que cela se AT IV, 548 trouve par experience, il est evident que l’experience s’accorde tres-constamment avec mes conclusions. Mais au contraire, l’Aristarque en se vantant d’avoir determiné par son raisonnement ce qui ne le peut estre que par l’experience, fait voir qu’il n’entend pas assez ce qu’il dit, et qu’il ne sçait quasi rien en cette matiere, que ce qu’il en a pû apprendre de mes Lettres ; il est seulement habile en cela, qu’il retient ses demonstrations in pectore, afin que ie n’en découvre pas les défauts.
Pour ce qu’il adjoûte à la fin, que ie luy ay reproché sa longueur, ie ne l’ay pû lire sans rire ; Car il m’a fait souvenir d’un petit Nain, qui ayant oüy que quelqu’un se mocquoit de sa grosse teste, pensoit que cela fust à son avantage, et qu’on luy reprochoit d’estre trop grand ; I’ay dit en passant qu’il eût pû épargner beaucoup de paroles, s’il eust fait considerer un secteur de cercle, au lieu d’un secteur de cylindre, pour l’avertir honnestement que tout ce qu’il avoit écrit de ce cylindre estoit superflu, et n’est bon qu’à embarasser les Lecteurs ; Et ainsi ie me suis mocqué de voir un écrit de trois petits feüillets, dont les préambules inutiles en contiennent plus de deux, à sçavoir, iusques à ces mots : Le défaut de ce raisonnement, etc. En sorte que c’est un Nain qui a une teste si monstrueuse, qu’elle est deux fois plus grosse que le reste du corps, et en laquelle il y a bien peu de sens. Voilà ce qu’il nomme luy reprocher sa longueur.
AT IV, 549 Il m’a fallu rire aussi en voyant sa conclusion, en laquelle il menace ma Geometrie, et ce que i’ay écrit contre l’Aristarque ; Car il m’a fait souvenir derechef du Capitan, lequel apres avoir esté battu, ne laisse pas de continuer ses rodomontades, et demeure tousiours victorieux et invincible.
La premiere preuve de ses armes qu’il a faite contre moy, ce fut lors qu’il voulut maintenir une regle ad inveniendam maximam, dans laquelle i’avois dit qu’il manquoit quelque chose ; et il y reüssit si mal, que Monsieur de Fermat qui estoit Autheur de cette regle, témoigna le desavoüer, en inserant adroitement dans sa Réponse les choses que i’avois dit manquer à sa regle.
Clerselier III, 537 La seconde, fut lors qu’il pensoit avoir trouvé une omission et une faute dans ma Geometrie ; Où que ie luy fis voir tres-clairement qu’il se trompoit dans l’un et dans l’autre.
Ie puis mettre pour la troisiéme un grand nombre de questions de Geometrie que vous m’envoyastes par apres de sa part, de toutes lesquelles ie vous envoyay AT IV, 550 les solutions telles qu’on les pouvoit donner ; Et en ayant trouvé quelques-unes impossibles, ie reconnu qu’il me proposoit des choses qu’il ignoroit, afin de les apprendre sans m’en sçavoir gré ; Ce qui m’obligea de vous prier que vous ne m’envoyassiez plus aucunes questions de sa part, s’il ne confessoit auparavant qu’il ne les pouvoit soudre, et vous m’en envoyastes trois de cette sorte, la solution desquelles ie vous envoyay sans aucun delay au voyage suivant. Et pour voir iusques où alloit sa science, i’y laissay deux calculs sans estre achevez, desquels il ne se pût iamais demesler, mais il fallut que Monsieur de Beaune luy enseignast la façon de les achever.
La quatriéme preuve de ses armes, est la question que le mesme Monsieur de Beaune proposa par apres à luy et à moy, laquelle ie resolus, mais pour luy iamais il n’y a sceu mordre. Apres ces divers essais qui luy avoient si mal reüssi, s’il ne vouloit pas me rendre la reconnoissance qu’il me devoit, il m’auroit au moins laissé en paix, s’il avoit eu plus de retenuë ; mais pour ce qu’il s’est encore vanté depuis, qu’il avoit trouvé quelque chose à reprendre dans ma Geometrie, i’ay voulu l’obliger à dire ce que c’est ; Et AT IV, 551 pour cét effet, ie vous ay mandé ce que ie trouvois à redire dans les premieres pages de l’Aristarque, où il y a tant de fautes contre le bon sens, que i’aimerois mieux ne me mesler iamais d’écrire, que de voir qu’on pust dire de moy, avec autant de verité, de telles choses ; Mais pour luy, encore qu’il y ait desia sept ou huit mois que cela s’est passé, il se contente toutesfois de persister dans ses vanteries, et de menacer de loin ; Ce qui m’oblige aussi de persister à faire si peu d’estat de tout ce qu’il peut dire, que ie ne daigneray pas mesme lire doresnavant Clerselier III, 538 aucune chose de sa part, si ce n’est que vous, ou quelques autres qui s’y entendent, m’assuriez qu’elle meritera d’estre luë, et qu’il aura mieux rencontré qu’il n’a de coûtume.
ie suis,
MON R. P.
Vostre tres-humble et tres-obeïssant serviteur, DESCARTES.