AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XI. Version de la precedente

MON REVEREND PERE,
I’ay leu la Velitation contre ma Dioptrique, que vostre Reverence m’a fait la faveur de m’envoyer de la part d’une personne qui n’a point voulu estre nommée ; Et certainement ie l’ay leuë avec quelque sorte d’étonnement ; Non pas que ce me soit une chose nouvelle de voir des personnes qui s’efforcent beaucoup, et qui ne font rien, mais parce que ie ne puis comprendre à quel dessein il a desiré que ie la visse. Car il ne fait autre chose que m’attribuer certaines chimeres, que non seulement ie n’ay iamais écrites ny pensées, mais mesme qui sont si éloignées de toute vray semblance, qu’il n’y a pas d’apparence que iamais personne les puisse croire : Et cependant c’est cela seul qu’il refute. En quoy certes il paroist n’avoir pas eu dessein de me tailler beaucoup de besogne, ny mesme de faire paroistre son esprit ou sa sincerité. Car qu’y a-t’il qui me soit plus facile, que de nier que i’aye écrit ce que ie n’ay iamais écrit ; et où est l’addresse qu’il a dû employer soit à inventer soit à refuter des choses qui sont hors de raison, et qui n’ont aucune apparence Clerselier III, 82 de verité ; Et enfin comment a-t’il pû me l’attribuer à faux sans s’en appercenoir. Toutesfois ie luy répondray icy en peu de mots ; Non pas à la verité que i’estime que son écrit soit digne d’aucune réponse, mais parce que son autheur pourroit me l’avoir envoyé sous cette confiance que ie ne luy répondrois point, et que cependant il pourroit se vanter parmy les ignorans que ie n’ay eu aucune réponse à luy faire. Et afin que la verité paroisse toute entiere, ie mettray icy ses propres paroles sans y changer une seule lettre, sur laquelle ie feray ensuite mes observations.


Escrit qui m’a esté envoyé sans le nom de l’Autheur.

A Il semble icy qu’en m’appellant un Autheur Anonyme, il veüille me reprocher de n’avoir pas mis mon nom en mes Escrits ; mais s’il y a de la prudence en cela, ie m’en rapporte ; puisque luy-mesme n’a pas voulu que son nom parust en l’écrit que vous m’avez envoyé de sa part ; Et certainement ie n’ay pas peur que ceux qui sçauront pourquoy luy et moy avons voulu taire nos noms, me blasment plus en cela que luy.

B Ces mots, à sçavoir, La determination vers le bas cesse, et cesse toute seule, etc. ne sont pas rapportez de bonne foy comme venant de moy ; Car i’ay écrit que cette determination estoit changée, sçavoir en ma Dioptrique page 14. ligne 16. et qu’elle estoit empeschée page 15. ligne 12. mais ie n’ay écrit en aucun lieu, qu’elle cessoit entierement. I’ay aussi écrit que la determination vers la droite restoit la mesme, et n’estoit point empeschée, mais non pas qu’elle restoit seule, comme si aucune determination de bas en haut ne succedoit en la place de celle de haut en bas. Et i’admire l’esprit de cét homme, qui me voulant attribuer quelques opinions qu’il pust refuter, m’en a seulement attribué de telles que iamais personne se persuadera vray semblablement que i’aye veües ; et qui non seulement ne servent de rien pour ma conclusion, mais mesme qui luy sont manifestement contraires. Car qui pourra croire que traitant de la Clerselier III, 83 Reflexion, ie n’aye pas sçeu que le mobile qui tendoit en partie en bas lors qu’il estoit meu d’A vers B, tendoit apres cela en partie en haut lors qu’il est refléchy de B vers F ; et quelle vray semblance ie vous prie auroient eu mes raisons, si i’eusse nié cela. Mais ie n’ay pas expliqué le changement qui se fait de la determination de haut en bas, en celle de bas en haut, parce que ce changement est assez clair de soy-mesme ; Car de ce qu’un Corps qui se meut tombe perpendiculairement sur la superficie d’un Corps dur, il s’ensuit qu’il doit de mesme perpendiculairement refléchir ou rejaillir ; ce que personne que ie sçache n’a encore iamais mis en doute ; Et ce n’est pas ma coustume de m’arrester à expliquer des choses qui sont si communes. Et mesme ie n’ay pas dû le faire en ce lieu-là, où ie n’ay parlé de la Reflexion qu’en passant, et seulement par rapport à la refraction, où il n’arrive aucun tel changement, et où une telle determination n’est point changée en celle qui luy est contraire.

CIl continuë encore icy ses Cavillations, et m’attribuë une façon de parler fort impropre, et tout à fait inepte ; Car ce n’est pas cette determination vers la droite qui porte le mobile à quatre pieds, ou qui fait quatre pieds (comme il dit un peu plus bas) mais c’est cette vertu et cette force mesme, entant qu’elle est determinée vers la droite ; et il n’a pû inferer autre chose de mes Escrits ; comme il paroist en la page 15 ligne 12. et en tous les autres endroits où i’ay traité de cette matiere. Car i’ay dit que cette determination estoit cause, non pas que le mobile se must à quatre pieds, ny simplement qu’il se must, comme si elle estoit la cause de son mouvement, mais qu’il se must vers le costé droit ; parce qu’en effet cette determination est la cause, non pas de son mouvement, mais de ce que son mouvement se fait vers le costé droit.

D Il nous apprend icy une chose fort difficile et fort cachée ; comme si de ce qu’ayant dit qu’il faut distinguer la figure de la quantité, il estoit necessaire de m’avertir que ie me ressouvienne que l’une ne peut estre separée de l’autre, et qu’il Clerselier III, 84 ne peut y avoir de Corps estendu qui n’aist aussi sa quantité et sa figure.

E Il se plaint en cét endroit de ce que ie ne suis pas tombé dans la mesme faute, ny dans les mesmes difficultez, où luy-mesme est tombé incontinent apres ; Car il faut remarquer que la rencontre de la superficie CBE, divise bien à la verité la determination en deux parties, et fait changer celle qu’avoit la balle d’aller en bas, en celle d’aller en haut, mais qu’elle ne divise point pour cela la force. Et cela ne doit point sembler estrange ; Car bien que la force ne puisse estre sans determination, toutesfois la mesme determination peut estre jointe à une plus grande ou moindre force, et la mesme force peut rester, quelque changement qui arrive en la determination. De mesme que bien que la superficie n’existe point sans le Corps, elle peut neantmoins estre changée, c’est à dire estre augmenté ou diminué, quoy que le Corps ne change point ; Et bien que par exemple la superficie d’un Cube soit divisée en six faces quarrées, toutesfois ce mesme Cube n’est pas pour cela divisé en six parties, mais tout son Corps repose sur chacune de ces six faces.

F Il argumente icy aussi iustement en forme que s’il disoit, pour écrire il faut necessairement de l’ancre et du papier ; Or est-il que le papier est blanc ; donc il faut aussi que l’ancre soit blanche. A vostre advis n’est-ce pas bien raisonner, et n’est-ce pas bien ajuster les raisons au niveau ou aux regles d’une exacte Analyse ? Et de vray, encore qu’icy où il s’agit seulement de la reflexion, on ne laissast pas de pouvoir tirer une consequence veritable, en feignant que la force et la determination sont conjointement divisées, neantmoins il ne le faudroit pas feindre, parce que la conclusion ne procederoit pas de la force de cette division imaginaire et supposée ; et cela ne serviroit qu’à faire naistre de nouvelles et Clerselier III, 85 inutiles difficultez, quand on viendroit à expliquer, comment ces diverses forces, l’une de trois pieds et l’autre de quatre (ainsi qu’il parle) pourroient, estant jointes ensemble, composer la force de cinq pieds etc. Et de plus, lors qu’il s’agiroit des refractions, on ne pourroit plus de semblables fictions tirer aucunes conclusions veritables, mais seulement d’absurdes et entierement fausses.

G Il demeure icy d’accord de la verité d’une chose, qui seule suffit et est requise pour la force de ma conclusion.

H Il faut remarquer que tout ce qu’il ne veut pas icy admettre, depend du mot de seule, qu’il m’attribuë à tort, et dont il s’est fait une chimere, qu’il a entrepris de combattre ; Ce qui est icy tres-evident, en ce qu’il ne prouve rien autre chose, sinon que la determination vers la droite ne reste pas seule, parce qu’il y en a encore une autre qui tend vers le haut.

I Il ne prouve encore rien icy ; Mais comme s’il estoit lassé du combat, il semble vouloir capituler et traiter des conditions de paix ; Et premierement il demande que ie prouve pourquoy la determination vers la droite demeure tousiours la mesme, sans estre augmentée ny diminuée ; Et secondement, pourquoy la determination de haut en bas se change en celle de bas en haut, sans devenir plus grande ny moindre.

L Or il est aisé de satisfaire à ces deux demandes, tant parce qu’il accorde icy, que parce qu’il a admis un peu auparavant en l’article G. Car certainement puisque la mesme force qui estoit auparavant demeure, et que la superficie CBE n’est point opposée à la determination vers la droite, on ne sçauroit rien imaginer par quoy cette determination puisse estre changée ; et par consequent elle doit perseverer, sans estre augmentée ny diminuée, Et dautant qu’il est impossible que le mobile dans la seconde minute parcoure une ligne de cinq pieds, et qu’en mesme temps la mesme force demeure determinée vers la droite comme auparavant (c’est à dire en telle sorte que le mobile avance de quatre pieds vers la droite pendant cette seconde minute) à moins que la determination de haut en bas ne soit changée en une de Clerselier III, 86 bas en haut qui ne soit ny plus grande ny moindre, il s’ensuit de là qu’elle doit estre ainsi changée.

M Mais neantmoins il se tourne icy derechef vers sa chymere, et se mettant en posture pour la combattre, il y a, dit-il, icy beaucoup de choses embroüillées, il est vray ; Mais c’est luy-mesme qui les a ainsi broüillées et confonduës ; il y en a d’autres, adjoûte-t’il, qui ne sont pas bien liées, i’en demeure d’accord ; Mais ce sont celles qu’il a luy-mesme desunies et detachées ; Il ne trouve rien qui soit bien deduit des antecedants ; Mais il ne s’en faut pas estonner, puis qu’il les a tournez à contre sens par ce miserable mot de seule, qu’il a luy-mesme introduit sur la scene, comme ie le feray voir tout maintenant. Et tout de mesme que les Gentils et Idolatres adoroient des Dieux qu’ils avoient eux-mesmes fabriquez de leurs propres mains, ainsi cét homme redoute un monstre qu’il s’est forgé luy-mesme en sa phantaisie, et qui n’est autre que cette façon de parler impropre que i’ay marquée en C. Cependant pour faire voir combien exacte est l’Analyse dont il se sert, et combien fortes ont esté les raisons qu’il a eu de se figurer un tel monstre, incontinent apres il me met en jeu, et me fait dire, La mesme force demeure ; Et un peu apres, sçavoir en l’article marqué H, La determination vers la droite demeure (car icy le mot de seule ne fait rien au sujet) donc le mobile se mouvra vers la droite, et avancera autant vers ce costé-là en la seconde minute qu’en la premiere, c’est à dire, qu’il avancera de costé-là de quatre pieds, ou qu’il sera autant mû vers la droite qu’auparavant. Mais en tout cela, il n’y a rien d’embroüillé, rien qui ne s’entretienne, ou qui soit mal déduit des antecedans. Mais afin qu’il puisse avoir icy un phantosme à combattre, il feint que i’aye dit que la determination vers la droite a fait quatre pieds, ne se ressouvenant pas que cela vient d’estre dit tout à l’heure du mobile, et non pas de la determination.

N Il continuë iusques à la fin de se tourmenter beaucoup, et de ne rien faire ; Il interroge, il presse, il répond, et écrit Clerselier III, 87 de telle sorte, qu’il semble se tremousser, et estre tout en sueur ; Car on ne trouvera pas dans toute cette excellente piece la moindre chose que i’aye ou écrite ou pensée qui soit tant soit peu combattuë ; et tout son feu n’est employé qu’à insulter contre ces deux vaines fictions, que i’ay cy-devant remarquées en B et en C.

O Toutesfois il veut paroistre icy avoir vaincu ; Car il m’a, dit-il, contraint d’avoüer que la force de cinq pieds et la determination vers la droite demeure ; Non plus seule (comme il pretend que i’aye dit) parce qu’à la determination de haut en bas il en succede une autre toute semblable de bas en haut, ce qui devoit, dit-il, avoir esté dit dés le commencement ; oüy bien par luy, s’il eust voulu agir de bonne foy.

Mais ie m’apperçois icy qu’il se dispose à une nouvelle expedition, car ie voy qu’il prepare de nouvelles chymeres, qu’il doit peut estre combattre une autre fois. Car il repete icy qu’une force ou une vertu de cinq pieds est la mesme chose qu’une force de trois pieds, et une autre de quatre ; et qu’à la determination de haut en bas il en succede une autre toute semblable de bas en haut, où dans le mot de semblable il y a de la captation.

Mais certes qu’il combate en l’air tant qu’il luy plaira, s’il ne dit rien meilleur, ie ne croy pas que cela vaille la peine que ie luy réponde davantage. Car ceux qui liront cecy connoistront assez quel il est ; Et encore que ie pusse écrire beaucoup de choses, ie ne pourrois pas neantmoins faire en sorte qu’elles fussent leuës de plusieurs ; Et de plus i’attens des objections sur ce mesme sujet de la part des Reverends Peres Iesuites ; Car i’aprens que depuis peu ils ont impugné dans leurs Theses publiques ce que i’ay écrit de la reflexion et de la refraction ; C’est pourquoy ie les ay priez il y a huit iours par mes Lettres, de me vouloir apprendre les raisons qu’ils alleguent contre mes opinions, et ie m’assure qu’ils ne refuseront pas de me les apprendre. Et mesme ie vous diray que i’aimerois mieux estre vaincu par ces vieux guerriers armez de toutes pieces, que de triompher de ce carabin armé à la legere.
Ie suis etc.