AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XIII. Version de la precedente.

MON REVEREND PERE,
I’ay veu la réponse des Reverends Peres Iesuites, que le Reverend Pere Bourdin a pris la peine de m’écrire de leur part, et veritablement elle est telle que ie pense leur en devoir de tres-grands remercimens. Ce que ie prendrois moy-mesme plaisir de leur témoigner par mes Lettres, n’estoit que ie craindrois de passer dans leur esprit pour un importun, si ie les sollicitois de nouveau à m’écrire sans sujet. Et dautant que l’ancienne correspondance qui est entre nous, me permet d’user de plus de familiarité avec vous qu’avec eux, ie croy qu’il est plus à propos que ie mette icy les choses que ie suis bien-aise qu’ils sçachent, que de leur écrire à eux-mesmes. Premierement, que ie me réjouïs et que ie les remercie de ce qu’ils ont usé de tant de civilité, et m’ont témoigné tant de bien-veillance dans leur Réponse. Et quant à ce qu’ils adjoûtent qu’ils n’entreprennent, et qu’ils n’entreprendront iamais aucun combat particulier contre mes opinions, que ie ne sçay si ie dois m’en réjouïr ou m’en attrister ; Car s’il estoit vray qu’ils ne s’en abstinsent que pour Clerselier III, 93 m’obliger, comme si i’estois de ceux qui ont de la peine à souffrir qu’on les contredise, ie serois tres-fasché de n’avoir pû encore leur persuader, que ie ne souhaite rien tant que de m’instruire, et de voir des personnes celebres comme eux s’employer à refuter mes opinions, s’il s’en rencontre quelques-unes de fausses, de peur que n’estant pas refutées à temps, elles ne traisnent apres soy une suite d’erreurs. Que s’ils s’en abstiennent pour quelqu’autre raison, comme ie n’en vois plus qu’une seule qu’ils puissent avoir, sçavoir est, pource qu’ils ne trouvent rien dans mes Escrits, ou du moins rien de considerable, qui puisse estre repris de fausseté, i’ay grand sujet de m’en réjouïr. Et à dire le vray, il n’y a que la connoissance que i’ay de mon insuffisance, qui m’empesche de croire que c’est ce qui les a retenus iusques à present : Car il n’est pas vray semblable que pour me favoriser et m’épargner en cecy, ils voulussent negliger le bien et l’utilité que la Republique des Lettres tireroit de la refutation de mes erreurs, s’il y en a quelques-unes dans mes Escrits. Mais quoy qu’il en soit, puisque le Reverend Pere Bourdin confesse luy-mesme dans sa Lettre, n’avoir cy-devant rien accordé à cette invitation solemnelle que i’ay faite dans la page 75. du Discours de la Methode, que parce qu’il ne l’avoit pas encore leuë, du moins i’espere que desormais toutes les fois que quelqu’un d’entre eux croira avoir trouvé quelque chose qui sera contraire à mes opinions, ils me feront la grace de m’en donner la communication par son moyen, avant mesme que d’en avoir parlé à aucun de leurs ieunes disciples ; non seulement parce que ie suis aussi leur disciple, et mesme plus ancien que pas un d’eux, mais aussi parce que, comme nous sommes tous hommes, et par consequent tous fautifs (ainsi que l’exemple du R. P. Bourdin le témoigne) s’il arrivoit par hazard que celuy-là n’eust pas bien pris mon sens, il est bien plus iuste de me prendre moy-mesme pour l’interprete de mes pensées, que de dire aux autres quelque chose de contraire à la verité. Et enfin parce que i’ay tousiours eu beaucoup de respect et de deference pour eux.

Clerselier III, 94 Pour ce qui est de la Lettre Françoise que vous m’avez en mesme temps envoyée, comme vous ayant esté mise entre les mains par le Reverend Pere Bourdin quelques semaines auparavant pour me la faire tenir, encore qu’il n’y ait ny addresse, ny nom, et qu’elle soit ouverte, toutesfois parce que ie voy que c’est celle dont il est fait mention dans cette Lettre Latine, en ces termes : Ie n’adjoûterai rien à ce que i’ay desia fait sçavoir au Reverend Pere etc. et qu’elle est écrite de la main mesme du Reverend Pere Bourdin, ie pense estre obligé d’y faire icy un mot de réponse. Et pour y satisfaire, ie veux bien qu’il sçache que ie ne me suis iamais plaint de ce qu’il a celé mon nom ; au contraire ie croy luy estre bien obligé, de ce que dans les occasions où i’avois à estre mal traité, il m’a tousiours fait paroistre avec le masque sur le visage. Mais ie m’estonne de ce qu’il persiste à dire, sans toutesfois le prouver, qu’il suit de mes Escrits que la seule determination vers la droite demeure dans la reflexion ; Car il est certain que le mot mesme de reflexion porte avec soy cette signification, qu’un Corps qui est poussé en bas, rejaillit, non pas plustost vers la droite que vers la gauche, mais rejaillit necessairement en haut ; Et apres tout, quand bien mesme ie n’aurois point parlé du tout de ce rejaillissement, par quelle Analyse, ie vous prie, suit-il de là que ie l’aye nié. Ainsi donc toutes les fois que les Geometres parlent des angles d’un quarré, sans dire expressément qu’ils sont droits, ou des diametres d’un Cercle, sans adjoûter qu’ils sont égaux entre eux, il faudra croire qu’ils le nient. Et par ce moyen il n’y aura point de demonstration, pour exacte et Mathematique qu’elle soit, où l’on ne puisse tres-facilement trouver des vices et des absurditez. Ie m’estonne aussi de ce qu’il dit : Que la demonstration que i’ay donnée touchant la reflexion est defectueuse, et mesme qu’elle conclud plustost le contraire de ma proposition, veu cependant qu’il ne donne aucune raison de son dire ; Car dautant que si ce qu’il dit estoit veritable, ie devrois passer pour un homme fort mal avisé et de fort peu de sens, comme m’estant si lourdement Clerselier III, 95 trompé dans une chose si claire et si evidente, que de vouloir faire passer pour une demonstration Mathematique des paroles qui prouvent tout le contraire de ce que i’avois dessein de prouver, c’est ce me semble me faire injure que d’avancer cela sans le prouver ; Et les traittez qu’il dit avoir composez sur ce sujet ne l’excusent point, non plus que ce qu’il dit icy, qu’il m’en envoye quelques extraits qu’il en a tirez, car cependant il ne m’envoye rien ; Et il est peu équitable de vouloir que presentement on l’en croye touchant une chose dont il promet les raisons de iour en iour, et peut-estre mesme en un iour qui ne viendra iamais, puisque ses amis, comme il dit luy-mesme, luy conseillent de ne les pas donner. De plus ie m’estonne de ce qu’il adjoûte, Que ma pretenduë demonstration peut estre renduë bonne par de certains moyens qu’il connoist, mais dont il n’a veu aucuns vestiges dans mes Escrits, et mesme que ie rejette, à ce qu’il dit, comme ne faisant rien à mon sujet. Car conferant tout cecy avec ce qu’il dit dans la cinquiéme et sixiéme de ses Theses d’Optique page 9. et avec ce qu’il a dit dans cette velitation qu’il a faite contre ma Dioptrique, ie ne puis me persuader autre chose, sinon qu’il n’a rien enseigné à ses disciples touchant la reflexion et la refraction que ce que i’en ay écrit, et que nul autre avant moy n’avoit demonstré ; ayant seulement changé et détourné le sens de quelques paroles, afin qu’il semblast dire quelque chose de nouveau que ie n’eusse pas dit ; Et qu’il m’a attribué plusieurs fausses opinions, afin d’avoir occasion de les reprendre, et de les corriger par apres. Car qu’il m’ait attribué à faux diverses opinions, cela se voit manifestement par sa velitation ; Qu’il ait changé et détourné le sens de quelques paroles, cela se voit par sa cinquiéme These, où il nomme Angle de refraction, non pas celuy à qui tous les Opticiens et moy avec eux donnons ce nom, mais cét autre qu’on a coustume de nommer Angle rompû. Et où i’ay dit dans la Dioptrique page 21. ligne 8. qu’il faut prendre garde que l’inclination des lignes se doit mesurer par la quantité des perpendiculaires, comme celles Clerselier III, 96 qui marquent la plus courte distance qu’il y a d’un costé à l’autre, et non pas par celle des Angles, ou Arcs de Cercles ; Luy tout au contraire, pour mesurer cette inclination se sert des Angles, et dit qu’il faut mesurer ces Angles par la plus courte distance qu’il y a d’un costé à l’autre. Qu’il n’ait aussi rien enseigné touchant cette doctrine que ce que i’en ay écrit, cela se voit encore par cette velitation dont i’ay desia parlé, dans laquelle il a accordé toutes les choses qui estoient requises pour ma demonstration, et n’a combattu que les chymeres qu’il s’estoit imaginé. Comme aussi par sa sixiéme These, que i’ay desia citée, qui ne contient autre chose que ce que i’ay dit, et qui est le principal de mon invention ; Si ce n’est qu’affectant par trop des termes differens des miens, il s’est grandement mépris, en ce qu’il a dit : Que comme le milieu où se fait l’incidence, est au milieu où se fait la reflexion ou la refraction, etc. Car elles ne se font pas dans les milieux mesmes, ainsi que demeurent d’accord tous ceux qui sçavent tant soit peu d’Optique ; Mais la refraction se fait en la superficie qui est entre les deux milieux ; Et la reflexion se fait en celle qui termine un des milieux : Car iamais, quand il y a reflexion, il n’y a deux milieux, qu’il n’y ait aussi quelque refraction. Et il ne peut icy s’échapper, si ce n’est peut-estre qu’il veüille dire, qu’il appelle la superficie mesme le milieu, parce qu’elle est moyenne entre ces deux espaces que les autres appellent milieux, et qu’ainsi il continuë de changer la signification des mots, et par ce moyen de confondre tout ; Ce que ie remarque icy en passant, afin qu’il sçache, que s’il le desire, il obtiendra de moy sans beaucoup de peine une chose que ie n’ay pû encore obtenir de luy iusques icy, qui est, que volontiers ie luy feray voir les raisons que i’auray à proposer contre ce qu’il écrira et donnera au public. Enfin qu’il ait eu dessein qu’on sceust qu’il a corrigé mes erreurs, cela se voit pas sa Lettre mesme, où il dit que ma pretenduë demonstration peut estre renduë bonne, par de certains moyens qui luy sont connus, mais non pas à moy, qui les ay rejettez comme ne servans de rien à Clerselier III, 97 mon sujet ; Et il est à croire qu’il se vante encore bien plus de tout cecy dans les compagnies, où ie n’ay personne qui me soit amy, et qui me deffende, puisque mesme dans la Lettre qu’il m’a envoyée il n’a pas feint de me l’écrire ; et c’est peut-estre pour cela qu’il l’a laissée ouverte. Au reste ie ne dis pas icy qu’il ait suivy en tout mes opinions, car ie n’ay veu que fort peu de ses écrits ; mais seulement i’ose dire que iamais personne ne dira rien contre ce que i’ay écrit touchant cette matiere, et mesme qu’on n’avancera iamais aucune chose qui ne luy soit pas conforme, que ie ne fasse voir tres-clairement qu’il y a du Paralogisme, ou qu’on use de cavillation. Que le Reverend Pere en fasse maintenant l’épreuve dans un seul exemple, et qu’il choisisse celuy qu’il croira le meilleur de tous ceux à l’occasion desquels il s’est peut-estre vanté avec beaucoup de bruit et de presomption d’avoir refuté mes opinions ; Et ie donneray tres volontiers les mains, et me confesseray vaincu, si ie ne monstre qu’il s’est trompé. Mais si ie le monstre, ou s’il refuse de me faire voir ses raisons, ie le prie tres-instamment de s’abstenir de plus mal parler de moy, de peur qu’enfin il ne m’oblige à deffendre publiquement mon droit ; Car i’aimerois beaucoup mieux oublier le passé, et vivre avec luy et les siens comme une personne qui voudroit les servir.
Ie suis etc.