Clerselier III, 153

AU R. PERE MERSENNE.

LETTRE XXXIV. Version de la precedente.

MON REVEREND PERE,
Quoy que i’esperasse que ce que i’avois dernierement répondu au commencement d’un certain écrit qui vous avoit esté envoyé par un sçavant Anglois, me dust délivrer de la peine de répondre au reste ; Toutesfois parce que i’en viens de recevoir tout maintenant de la part de vostre Reverence les huit dernieres feüilles, et que i’apprens en mesme temps qu’il y en a quelques-uns de ceux que l’on met au rang des doctes, qui tiennent pour de vrayes et legitimes demonstrations ce qui est contenu dans cét Escrit, et qui est contraire à ce que i’ay publié depuis quelque temps touchant les refractions, ie pense qu’il est de mon devoir, de faire voir icy en peu de mots par quelles marques on peut reconnoistre, ce qui doit estre pris en cette matiere pour du verre, ou pour des diamans.

A la fin de la troisiéme feüille, il se sert d’une raison tres-frivole pour refuter ce que i’ay écrit dans la page 19. de la Dioptrique ; Car, dit-il, il s’ensuivroit qu’une balle auroit la connoissance des loix de la Geometrie ; Comme si de ce qu’une chose se fait dans la Nature selon les loix de la Geometrie, il s’ensuivroit pour cela qu’il y eust de l’entendement ou de la connoissance dans les corps où ces loix s’executent. Pour moy i’ay tousiours crû que c’estoit assez pour monstrer ce qui se feroit, que de faire voir que les loix de la Geometrie nous enseigneroient qu’une telle chose se devoit faire. Et il ne dit rien du tout icy de nouveau ; mais seulement il explique un peu plus au long la mesme chose que j’ay dite ; en disant, que lors que l’inclination est grande, la resistance de l’eau Clerselier III, 154 est plus forte que l’impulsion vers le bas ; ce que i’avois negligé d’expliquer, comme une chose que tout le monde peut facilement concevoir. Mais cependant, l’explication qu’il en fait le iette par ses principes mesmes dans une grande difficulté ; sçavoir est, comment selon ses principes la balle rejaillit à la rencontre de l’eau ; Car dira-t’il que cela se fait à cause que la superficie de l’eau se courbe comme fait un arc, et qu’en reprenant sa premiere situation elle repousse la balle.

Dans tout le reste il ne traitte que de la Refraction ; Et dans la premiere hypothese il suppose une chose fausse ; à sçavoir, que toute action est un mouvement local. Car, par exemple, lors qu’estant appuyé sur un baston ie presse la terre, l’action de ma main est communiquée à tout le baston, et passe iusques à la terre, encore que nous supposions que ce baston ne se meuve point du tout, non pas mesme insensiblement, comme il suppose un peu plus bas.

Pour sa cinquiéme hypothese, à sçavoir, que l’air resiste moins au mouvement de la lumiere que ne fait l’eau ou le verre, il ne la prouve point. Et ie demande icy à qui de nous deux on doit adjoûter plus de creance, ou à luy qui n’apporte aucune raison de ce qu’il advance, ou à moy qui ay demonstré le contraire dans ma Dioptrique ; Et l’on ne doit pas s’imaginer qu’il y ait en cela quelque vray semblance, de ce que l’air resiste moins au mouvement de nos mains, que ne fait l’eau ou le verre ; Car l’action de la lumiere n’est pas dans les corps de l’air et de l’eau, mais dans une matiere tres-subtile qui est contenuë dans leurs pores.

Ie veux icy vous advertir par occasion, que quand dans ma Lettre precedente i’ay dit que la lumiere se transmet ou se répand plus facilement dans les corps durs que dans les mols, cela se doit entendre de telle sorte, que cette dureté ne se rapporte pas à l’attouchement de nos mains, mais seulement au mouvement de la matiere subtile ; De peur que peut-estre quelqu’un ne se persuade qu’il s’ensuit de là que la refraction doit estre bien plus grande dans le verre que dans l’eau ; Car Clerselier III, 155 bien que le verre soit beaucoup plus dur que l’eau au respect de nos mains, toutesfois il ne resiste gueres davantage au mouvement de la matiere subtile.

La premiere proposition est tout à fait imaginaire ; et sa preuve se destruit, de ce qu’il se sert pour la prouver de sa premiere hypothese, qui a desia esté refutée.

Si dans la seconde proposition, au lieu de dire que la balle est rejettée, on dit qu’elle est repoussée ; en sorte que cela s’entende seulement de l’impulsion, et non pas du mouvement, cette proposition est vraye, et n’est point differente de la mienne.

Ce qu’il dit dans la troisiéme touchant la Systole, se detruit entierement par ce qui a desia esté dit ; Comme aussi ce qu’il avance dans son Corollaire touchant l’inclination à se mouvoir, qu’il veut estre un mouvement, et cela par une fort belle raison ; à cause, dit-il, que le principe du mouvement est un mouvement ; Car qui a iamais dit que l’inclination à se mouvoir fust le principe ou la premiere partie du mouvement.

Dans la quatriéme proposition il parle mal, quand il dit que le rayon est un espace solide ; Il auroit peut-restre mieux parlé, s’il eust dit que c’est une vertu ou une force répanduë dans un espace solide. Mais il auroit encore mieux fait, si avec tous les Opticiens il l’eust consideré seulement comme une ligne ; Car par apres il ne se sert que de la largeur de ce rayon, comme aussi de sa ligne de lumiere, pour fonder et establir ses raisons imaginaires.

Mais sa principale erreur est dans l’explication de la cause Physique de la refraction des rayons ; Car celle qu’il en apporte est non seulement chymerique, mais aussi contraire aux loix de la Mechanique. Elle est chymerique, parce qu’elle est fondée sur la largeur qu’il attribuë gratuitement aux rayons, et que par apres il leur oste dans sa quatoziéme proposition, et neantmoins il confesse qu’ils se rompent en mesme façon que s’ils en avoient ; Et aussi parce que si cette cause estoit vraye, elle devroit plustost avoir lieu dans le Clerselier III, 156 mouvement d’une balle, que dans les rayons de lumiere, ce qu’il a neantmoins nié auparavant, et qui est contre l’experience ; Comme aussi la raison pour laquelle il a voulu cy-devant qu’une balle se rompist dans l’eau en s’éloignant de la perpendiculaire, se peut mieux appliquer aux rayons de lumiere, ou du moins aussi bien, qu’au mouvement d’une balle ; Car il n’y fait aucune mention du mouvement successif. La seconde cause Physique qu’il apporte de la refraction des rayons, dans laquelle il considere le mouvement successif d’un Parallelogramme imaginaire, est contraire aux loix de la Mechanique ; tant parce qu’il suppose que le mouvement de la partie D, du Parallelogramme ABCD, est autant retardé par la superficie de l’eau EDF, lors qu’elle commence à le penetrer, qu’un peu apres, lors que plusieurs parties de la ligne CD sont enfoncées dans l’eau ; Que parce qu’il veut que la vitesse du mouvement soit augmentée au passage que fait le rayon d’un milieu plus dense dans un plus rare ; et neantmoins il ne sçauroit donner aucune raison de cette augmentation ; Car on conçoit aisément que le mouvement est retardé par la densité du milieu ; Mais il ne s’ensuit pas qu’où il n’y a pas tant de densité le mouvement s’augmente, mais seulement qu’il est moins diminué ; Comme aussi pour d’autres raisons qu’il seroit trop long de rapporter icy.

Sa cinquiéme proposition, à sçavoir, que le rayon qui tombe obliquement doit estre consideré comme ayant de la largeur, a desia esté refutée, et repugne à sa quatorziéme proposition ; Et mesme la preuve n’en vaut rien ; où il avance sans raison et gratuitement qu’on doit prendre garde que le rayon opere ou s’estend plus loin par une partie de son extremité que par l’autre ; ce que iamais personne ne luy Clerselier III, 157 accordera, qui voudra considerer le rayon sans aucune largeur.

Ce qui suit iusques à la quatorziéme proposition suit assez bien, comme se pense, de ses principes ; Ie dis, comme ie pense, parce que ie ne l’ay pas leu avec assez d’attention pour l’oser assurer. Mais ce n’est pas merveille si la verité suit quelquesfois de fausses hypotheses ; Car il a accommodé ces hypotheses à la verité qui luy estoit auparavant connuë.

Sur la fin de cét Escrit, il ne propose rien touchant les Couleurs, que ie n’aye écrit avant luy, si ce n’est qu’il n’explique pas assez cette matiere. Et c’est fort mal à propos qu’il dit, qu’en supposant, comme i’ay fait, de petits globes, i’ay destruit ma premiere hypothese ; Car en les décrivant ie n’ay pas dit qu’il n’y avoit rien dans les espaces que ces petits globes ne remplisissent point ; et ie n’ay pas dû expliquer plus de choses qu’il n’en falloit pour mon dessein. Enfin, pour le dire en un mot, ie n’ay pas trouvé dans tout cét Escrit la moindre raison qui fust differente des miennes, qu’on pust dire estre vraye et legitime.