AU REVEREND PERE MERSENNE,
Réponse aux objections de M. de Fermat.
LETTRE XXXIX.
MON REVEREND PERE,
Vous me mandez qu’un de vos amis, qui a veu la Dioptrique, y trouve quelque chose à objecter ; Et premierement qu’il doute, Si l’inclination au mouvement doit suivre les mesmes loix que le mouvement, puisqu’il y a autant de difference de l’un à l’autre, que de la puissance à l’acte. Mais ie me persuade qu’il a formé ce doute, sur ce qu’il s’est imaginé, que i’en doutois moy-mesme, et qu’à cause que i’ay mis ces mots en la page 8. ligne 24. Car il est bien-aisé à croire que l’inclination à se mouvoir doit suivre en cecy les mesmes loix que le mouvement, Il a pensé que disant qu’une chose est aisée à croire, ie voulois dire qu’elle n’est que probable. En quoy il s’est fort éloigné de mon sentiment. Car ie repute presque pour faux, tout ce qui n’est que vray semblable ; et quand ie dis qu’une chose est aisée à croire, ie ne veux pas dire qu’elle est probable seulement, AT I, 451 mais qu’elle est si claire et si evidente, qu’il n’est pas besoin que ie m’arreste à la demonstrer. Comme en effet on ne peut douter avec raison, que les loix que suit le mouvement, qui est l’acte, comme il dit luy-mesme, ne s’observent aussi par l’inclination à se mouvoir, qui est la puissance de cét acte : Car bien qu’il ne soit pas tousiours vray, que ce qui a esté en la puissance soit en l’acte, il est neantmoins du tout impossible, qu’il y ait quelque chose en l’acte, qui n’ait pas esté en la puissance.
Pour ce qu’il dit en suitte, Qu’il semble y avoir icy une particuliere disconvenance ; en ce que le mouvement d’une balle est plus ou moins violent, à mesure qu’elle est poussée par des forces Clerselier III, 176 differentes, là où la lumiere penetre en un instant les corps Diaphanes, et semble n’avoir rien de successif.
Ie ne comprens point son raisonnement ; Car il ne peut mettre cette disconvenance, en ce que le mouvement d’une balle peut estre plus ou moins violent, veu que l’action que ie prens pour la lumiere peut aussi estre plus ou moins forte ; ny non plus, en ce que l’un est successif et l’autre non ; Car ie pense avoir assez fait entendre par la comparaison du bâton d’un aveugle, et par celle du vin qui descend dans une cuve, que bien que l’inclination à se mouvoir se communique d’un lieu à l’autre en un instant, elle ne laisse pas de suivre le mesme chemin par où le mouvement successif se doit faire, qui est tout ce dont il est icy question :
Il adjoûte apres cela un discours, qui me semble n’estre rien moins qu’une demonstration. Ie ne veux AT I, 452 pas icy repeter ses mots, pource que ie ne doute point que vous n’en ayez gardé l’Original. Mais ie diray seulement que de ce que i’ay écrit que la determination à se mouvoir peut estre divisée (i’entens divisée réellement, et non point par imagination) en toutes les parties, dont on peut imaginer qu’elle est composée, il n’a eu aucune raison de conclure que la division de cette determination, qui est faite par la superficie CBE, qui est une superficie réelle, à sçavoir, celle du corps poly CBE, ne soit qu’imaginaire. Et il a fait un Paralogisme tres-manifeste, en ce que supposant la ligne AF, n’estre pas parallele à la superficie CBE, il voulu qu’on pust nonobstant cela imaginer que cette ligne designoit le costé auquel cette superficie n’est point du tout opposée ; sans considerer que comme il n’y a que les seules perpendiculaires, non sur cette AF tirée de travers par son imagination, mais sur CBE, qui marquent en quel sens cette surperficie CBE est opposée Clerselier III, 177 au mouvement de la balle ; aussi n’y a-t’il que les paralleles à cette mesme CBE, qui marquent le sens, auquel elle ne luy est point du tout opposée. Mais afin qu’on voye mieux la difference qui est entre nos deux raisonnemens, ie les veux appliquer à une autre matiere. I’argumente en cette sorte.
AT I, 453 Premierement, le triangle ABC peut estre divisé en toutes les parties dont on peut imaginer qu’il est composé. Secondement, or on peut aisément imaginer qu’il a esté composé des quatre triangles égaux ADE, FED, EFB, DCF. Troisiemement, et en suitte il est aise à entendre que les trois lignes DE, EF et FD marquent les endroits où ces quatre triangles doivent se joindre pour le composer : Donc, si on tire ces trois lignes, il sera réellement et veritablement divisé par elles en quatre triangles égaux.
Voicy maintenant la façon dont il argumente, ou du moins dont il veut que i’aye argumenté. Le triangle ABC peut estre divisé en toutes les parties, dont on peut imaginer qu’il est composé ; or on peut imaginer qu’il est composé des quatre triangles inégaux AHG, IGH, HCI, IBG. Donc, si on tire les trois lignes DE, EF et FD, elles diviseront ce triangle en quatre autres qui seront inégaux. Ie m’assure que quiconque voudra entendre raison, ne dira point que ces deux argumens soient semblables. Mais de quelque qualité que soient les objections qu’on voudra faire contre mes Escrits, vous m’obligerez, s’il vous plaist, de me les envoyer toutes, et ie ne manqueray pas d’y répondre ; au moins si elles ou leurs Clerselier III, 178 autheurs en valent tant soit peu la peine, et s’ils trouvent bon que ie les fasse imprimer, lors que i’en AT I, 454 auray ramassé pour remplir un iuste volume ; car ie n’aurois iamais fait, si i’entreprenois de satisfaire en particulier à un chacun.
Ie suis,