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La fissure
étroite de la première phrase des Faux-Monnayeurs de
Gide
Stéphane Gallon
Université Rennes
II
Lidile
Résumé : Si le
début des Faux-Monnayeurs est si paradoxal et si
ambivalent, s’il a été tant de fois retravaillé, si Gide prétend que
rien n’y est gratuit, s’il le présente comme le point ultime d’une
démarche régressive allant toujours plus en amont, c’est que, comme il
le dit lui-même, il faut y voir une fissure ouvrant sur de vastes
cavernes : la caverne fiction tout d’abord, puisque par cette phrase
initiale il plonge le lecteur dans un référent qui le déborde de tous
côtés, nous fait découvrir la personnalité complexe de Bernard, met en
place une situation éminemment dramatique ; la caverne esthétique
ensuite, puisque refusant virtuosité et mode, cherchant à s’opposer au
réalisme bourgeois, il féconde le fait par l’idée, choisit une
approche subjective, et, dans la droite ligne des théorisations de
Jacques Rivière, rédige un incipit de roman d’aventures mâtiné de
fantastique. Voulant être plus artiste que poète, Gide n’en dénonce
pas moins, dès sa première phrase, ficelles et stéréotypes romanesques
et fait ainsi pénétrer le lecteur dans une troisième caverne, la
caverne morale, caverne qui aide à comprendre que, comme le
préfigurait le titre du roman, un des enjeux principaux de l’œuvre est
l’ambivalence mensonge / vérité. Si dans l’incipit Bernard essaye en
effet de se faire croire qu’il est lucide et sincère, il n’en reste
pas moins un faux-monnayeur se leurrant sur lui-même, un
faux-monnayeur qui en refusant de voir et donc d’affronter Satan ne
peut ni devenir artiste, ni connaître la sincérité, ni s’abandonner à
ses sens et à l’instant, autrement dit, ne peut pas encore vivre
véritablement, ne peut pas s’approcher de Dieu.
Abstract: If
the beginning of Les Faux-Monnayeurs (The
Counterfeiters) is so paradoxical and so ambivalent, and was
rewritten so many times, if Gide claims that it contains nothing
gratuitous, if he presents it as the ultimate point of a regressive
approach that goes further and further backwards, that is because as
he says himself, it should be considered as a crack opening onto vast
caverns: since Gide plunges the reader by that sentence into a
referent that extends in all directions, uncovers Bernard’s complex
personality, sets up an eminently dramatic situation (the fiction
cavern); since in refusing virtuosity and fashion, in seeking to
oppose bourgeois realism, he fertilises the event by the idea, chooses
a subjective approach, and in direct line from the theorisations of
Jacques Rivière, draws up an incipit of the adventure novel crossed
with the supernatural (the aesthetic cavern). With an ambition to be
more of an artist than a poet, Gide criticises novelistic tricks and
stereotypes from his very first sentences and thus brings the reader
to penetrate into a third cavern, the moral cavern, a cavern that
helps us to understand that as the title of the novel foreshadowed,
one of the main issues of the work is the ambivalence between truth
and untruth. Bernard in the incipit tries to convince himself he is
lucid and sincere, but he remains a counterfeiter who is deluded about
himself, a counterfeiter who by refusing to see and therefore confront
Satan can neither become an artist nor know sincerity, not give
himself up to his senses and the present moment, in other words cannot
yet truly live, cannot approach God.
« C’est le moment
de croire que j’entends des pas dans le corridor », se dit
Bernard. André Gide, Les Faux-Monnayeurs [1]
Épigraphe ambiguë
qui rendit Olivier songeur, mais qu’il était bien libre, après tout,
d’interpréter comme il voudrait. André Gide, Les
Faux-Monnayeurs [2]
Les
Faux-Monnayeurs de Gide commence par une courte phrase qui, à
première lecture, semble d’autant plus insignifiante qu’elle n’est pas
sans points communs avec les autres incipit de cet auteur : « “C’est
le moment de croire que j’entends des pas dans le corridor”, se dit
Bernard. ».
Comme dans Le
Voyage d’Urien, comme dans Paludes, comme dans
Le Prométhée mal enchaîné, Les Caves du Vatican
ou La Symphonie pastorale, nous avons en effet
droit à une référence temporelle et à une évocation spatiale. Comme au
début de La Tentative amoureuse, de L’Immoraliste,
de La Porte étroite et de bien d’autres textes, la
première personne trône au milieu de la phrase. Dans la lignée du
Nathanaël des Nourritures terrestres, du Michel de
L’Immoraliste ou des Gérard, Francis et Anthime
d’Isabelle ou des Caves du Vatican, un
prénom est aussi évoqué. On pourrait ajouter que si la dimension
dramatique de la première phrase des Faux-Monnayeurs
n’est guère présente dans les œuvres de jeunesse de Gide, elle
est indéniablement là au tout début du Prométhée mal enchaîné
(« Au mois de mai 189., deux heures après midi, on vit ceci qui
put paraître étrange […]. » [3]), de L’Immoraliste (« Oui, tu le pensais
bien : Michel nous a parlé, mon cher frère. » [4]) et surtout des
Caves du Vatican. En un mot, au premier regard, dans
cette première phrase, rien de bien original…
Encore que… la
comparaison avec les autres incipit de Gide fait surgir quelques
spécificités. Alors que dans de nombreux textes Gide date les
événements, notifie le moment de la journée et décrit avec une
certaine précision le cadre spatial, dans
Les Faux-Monnayeurs tout reste très vague. La simple
relecture de quelques débuts suffit à en prendre conscience : « Vers
cinq heures le temps fraîchit ; je fermai mes fenêtres et je me remis
à écrire. » [5] ; « Au
mois de mai 189., deux heures après midi, […] sur le boulevard qui
mène de la Madeleine à l’Opéra, un monsieur gras […]. » [6] ; « Gérard Lacase, chez qui nous nous
retrouvâmes au mois d’août 189., nous mena, Francis Jammes et moi,
visiter le château de la Quartfourche […]. » [7] ; « L’AN 1890, sous le pontificat de
Léon XIII, la renommée du docteur X…, spécialiste pour maladies
d’origine rhumatismale, appela à Rome […]. » [8]. Autre
différence notable, Gide semble avoir fui les grands sujets
intellectuels, culturels, esthétiques, moraux, philosophiques,
théologiques qu’il affectionnait dans ses premières œuvres. Nous
sommes loin de : « Les livres ne sont peut-être pas une chose bien
nécessaire ; quelques mythes d’abord suffisaient ; une religion y
tenait tout entière. » [9] ; « Ne souhaite pas, Nathanaël, trouver Dieu ailleurs que
partout. » [10] ; ou « D’autres en auraient pu faire un livre ; mais
l’histoire que je raconte ici, j’ai mis toute ma force à la vivre et
ma vertu s’y est usée. » [11]. En toute cohérence, la langue de
Gide s’est aussi énormément simplifiée. Finis les phrases longues, les
passés antérieurs, les adjectifs non classifiants, les métaphores,
personnifications, allégories et symboles bien appuyés. La première
phrase des Faux-Monnayeurs est à mille lieues de celle du
début du Voyage d’Urien ou de celle de La Tentative
amoureuse :
Quand l’amère nuit
de pensée, d’étude et de théologique extase fut finie, mon âme qui
depuis le soir brûlait solitaire et fidèle, sentant enfin venir
l’aurore, s’éveilla distraite et lassée [12].
Certes, ce ne
seront ni les lois importunes des hommes, ni les craintes, ni la
pudeur, ni le remords, ni le respect de moi ni de mes rêves, ni toi,
triste mort, ni l’effroi d’après tombe, qui m’empêcheront de joindre
ce que je désire ; ni rien – rien que l’orgueil, sachant une chose si
forte, de me sentir plus fort encore et de la vaincre [13].
On pourrait ajouter
que si plusieurs incipit étaient déjà ce que Benvéniste appelle des
discours, que si certains étaient même des lettres ou apostrophaient
directement tel ou tel narrataire, aucun d’eux n’était si
explicitement un discours de l’énonciateur à lui-même, aucun d’eux
n’était si peu déclamatoire, si proche du prosaïque, si proche du
monologue intérieur.
En fait, quand l’on
y regarde de plus près, le début des Faux-Monnayeurs est
même plutôt étonnant. Contrairement à tous les autres incipit de Gide,
il ne décrit ni des sentiments exaltés, ni des prises de position, ni
de grandes idées, ni des événements effectifs mais du supposé, de
l’imaginé, pas de l’actuel, du virtuel. Autrement dit, le récit
commence sur de l’incertain, de l’hypothétique, qui, presque aussitôt
après, est même présenté comme du non réalisé, du fictif, du faux, du
non-être : « Mais non : […]. ». De même, non seulement la période
évoquée n’est pas datée mais, puisqu’elle est de l’ordre de l’instant,
elle a une durée infinitésimale, non mesurable, inexistante. Alors que
les pieds d’une statue sont censés l’ancrer dans le sol et lui donner
force et stabilité, ceux des Faux-Monnayeurs s’avèrent
d’argile. De plus, si l’on se limite à la logique de l’intrigue, on
voit mal l’intérêt de l’événement supposé. Que changerait à la
situation l’arrivée du père, des frères, de la sœur ou de la mère de
Bernard ? Certainement pas sa décision de partir. Nous le voyons,
l’événement emphatisé étant un non-événement, l’emphatisation est, en
soi, paradoxale. Enfin, en nous mettant face à un énonciateur qui
semble à la fois réflexif, analytique, capable de recul, mais aussi
imaginatif, cherchant à se mentir à lui-même et sur le point de se
laisser envahir par ses sentiments, la confrontation des verbes « se
dire » et « croire » révèle une ambivalence des plus troublantes.
À ces quelques
remarques, il faudrait ajouter le fait que Gide a, comme il le dit
lui-même, longuement « baratté » les premières pages de son roman. Ce
qu’il confie en juin 1919 s’avère plus que prophétique : « Je modifie
toujours mes débuts. » [14].
Rappelons qu’à l’origine, il envisage de commencer son roman sur une
« conversation d’ordre général » [15] ayant lieu dans un café ou
plutôt dans un endroit indifférencié comme par exemple le jardin du
Luxembourg. En avril 1921, il croit tenir une des premières phrases de
son texte (« Je parie que vous voyagez sans billet. ») et a alors
l’idée de commencer par une rencontre sur un quai de gare entre
Lafcadio et Édouard. Mais à peine a-t-il énoncé ce projet qu’il
ajoute : « […] tout cela me paraît très médiocre ; du moins fort
inférieur à ce que j’entrevois à présent. » [16]. Peu après, il renonce à Lafcadio et déclare : « Je
risque les premiers pas dans mon roman. C’est une fondrière… » [17]. Dès octobre,
cette affirmation se vérifie. Certes, le 3 octobre, il rédige ce qu’il
pense être les deux premières pages [18], certes, début décembre, il
annonce trente pages et explique qu’il a choisi de commencer par un
dialogue [19] dans lequel Édouard raconte au narrateur le vol de sa
valise [20],
mais c’est pour poursuivre en affirmant qu’il fait « fausse route »
puisque le dialogue en question l’entraîne « dans une région d’où [il
ne va] pas pouvoir redescendre vers la vie » [21]. Il envisage
alors une autre ouverture, une confrontation entre M. Profitendieu et
sa famille, juste après le départ de Bernard [22], confrontation
qu’il juge… « exécrable ». Le 26 juillet 1922, la situation ne semble
guère s’être améliorée : « Vais-je vous lire le premier chapitre ? Il
est très mauvais : ça n’y est pas du tout et je n’entends pas
seulement par là qu’il faut que je le récrive, mais que sans doute
rien de ce qui s’y trouve ne restera. » [23]. En octobre, a heureusement lieu une
révélation qu’il qualifie de capitale : « J’ai découvert que Bernard
est un enfant adultérin ; c’est ce qu’il découvre lui-même, et c’est à
la suite de cette découverte qu’il s’enfuit. » [24]. Alain Goulet de commenter : « C’est sans doute
à ce moment que Gide rédige le Fragment du manuscrit de
Londres (FM, 1, 2 et 3) : le roman démarre par la fuite
de Bernard et sa lettre que lit le père. » [25]. Tout serait-il enfin réglé ?
En décembre 1923, Gide lit à Jacques Rivière les dix-sept premiers
chapitres de son roman et conclut : « les chapitres I et II sont à
refaire complètement » [26]. Nous le voyons, il résume parfaitement la situation
lorsque, en mars 1925, il écrit : « Une des particularités de ce
livre […] c’est cette excessive difficulté que j’éprouve en face de
chaque nouveau chapitre – difficulté presque égale à celle qui me
retenait au seuil du livre et qui m’a forcé à piétiner si
longuement. » [27].
Un début rappelant
de nombreux incipit de Gide, un début malgré tout spécifique, un début
paradoxal, un début longuement mûri, voilà évidemment qui appelle à
s’y intéresser d’un peu plus près et cela d’autant plus que Gide,
évoquant justement le commencement des Faux-Monnayeurs,
laisse entendre que rien n’y est gratuit [28] et surtout qu’il
est une sorte de point premier :
C’est à l’envers
que se développe, assez bizarrement, mon roman. C’est-à-dire que je
découvre sans cesse que ceci ou cela, qui se passait auparavant,
devrait être dit. Les chapitres, ainsi, s’ajoutent, non point les uns
après les autres, mais repoussant toujours plus loin celui que je
pensais d’abord devoir être le premier [29].
Belle invitation à
l’exploration, dans les « Fragments retranchés et ébauches », l’on
voit qu’il va même jusqu’à comparer son début à une fissure étroite
ouvrant sur des cavernes insoupçonnées :
Il me plaît qu’on
entre dans le récit comme par une fissure étroite. Celui qui
s’aventure dans la faille admire si s’ouvrent enfin devant lui de
gigantesques souterrains [30].
J’y suis entré,
disait Édouard, par une très étroite ouverture, comme on entre dans
une grotte par une faille du rocher. On suit la faille quelque temps
sans savoir où elle mène et soudain on découvre une salle immense, et
des splendeurs inespérées et des profondeurs ténébreuses [31].
Une fissure vers
la caverne fiction
Plongeon dans
un corridor
Cette fissure a
bien sûr d’abord une fonction expositive. Elle ancre le lecteur
dans un temps (« c’est le moment de croire ») et dans un espace
(« le corridor ») suffisamment précis pour qu’il imagine un
référent et suffisamment imprécis pour qu’il puisse faire
correspondre ce référent à son propre univers de croyance [32] et démente par la même occasion les propos de
Dhurmer : « Moi, quand il n’y a pas de couleurs, c’est bien
simple, je ne vois rien. » (I, 1, 177).
Le début
in medias res fait que ce référent ne se limite pas à
une seule scène et à un seul lieu et donc qu’en le lisant le
lecteur se retrouve comme plongé dans un monde qui le dépasse
aussi bien spatialement que temporellement et qui n’en est donc
que plus à l’image du réel, plus à l’image de la fin souhaitée par
Édouard : « Pourrait être continué… » (III, 12, 422).
Étant donné que
la valeur déictique du pronom démonstratif place le lecteur au
cœur de la situation d’énonciation, le recours au présentatif
« c’est » amplifie l’impression de vivre en direct la scène
racontée comme l’amplifie également l’utilisation du discours
direct. Le lecteur se retrouve en quelque sorte dans le monde de
l’énonciateur, dans la tête de Bernard, et cela d’autant plus que
Gide utilise une forme verbale ambiguë : « se dit ». La suite du
paragraphe permet bien sûr d’identifier un passé simple, il n’en
reste pas moins que lorsqu’il commence le roman, le lecteur a
l’impression que la scène est racontée au présent et donc se passe
à l’instant même devant lui. Les assonances en [ã] (« j’entends des pas dans le corridor ») et la
multiplication des occlusives (« j’entends des pas dans le corridor ») concourent au même effet : nous
ne sommes pas loin d’entendre nous aussi quelqu’un marcher.
Bernard,
Albéric, Caloub… et Bernard
De plus, par le
biais de la cataphore associative « des pas », cette première
phrase prépare la présentation des différents membres de la
famille Profitendieu :
Mais non : son
père et son frère aîné étaient retenus au Palais ; sa mère en
visite ; sa sœur à un concert ; et quant au puîné, le petit
Caloub, une pension le bouclait au sortir du lycée chaque jour.
(I, 1, 175)
Mais surtout,
en focalisant notre attention sur Bernard, l’incipit du roman fait
de ce dernier un potentiel personnage essentiel.
Il esquisse
aussi plusieurs traits de sa personnalité et, conformément aux
intentions de Gide, dévoile son état intérieur :
Dès la première
ligne de mon premier livre, j’ai cherché l’expression directe de
l’état de mon personnage – telle phrase qui fût directement
révélatrice de son état intérieur – plutôt que de dépeindre cet
état. L’expression pouvait être maladroite et faible, mais le
principe était bon [33].
Comme pressenti
plus haut et comme le souligne un peu plus loin Bernard lui-même,
le personnage qui se dessine devant nous est sous le sceau de
l’ambivalence :
Il n’y a pas
bien longtemps encore, je m’analysais sans cesse, j’avais cette
habitude de me parler constamment à moi-même. […] Je pense que ce
monologue, ce « dialogue intérieur », comme disait notre
professeur, comportait une sorte de dédoublement. (III, 5,
375-376)
Le verbe
« croire », la référence à des bruits plus ou moins imaginaires,
le scénario qu’il commence à s’inventer, le « je » qui rayonne au
milieu de la phrase et qui révèle un certain égocentrisme (voire,
si l’on songe à la teneur de la lettre qu’il destine à celui qui
l’a élevé, un égoïsme [34] certain) laissent deviner le grand enfant qu’il est
encore, un grand enfant qui lutte avec son sur-moi et semble
balancer entre peur de la réprimande et désir plus ou moins
conscient de présence voire de soutien ou de réconfort. Cette
première phrase ne révèle-t-elle pas aussi que Bernard tente de
croire une dernière fois que ses parents sont là, tout près de
lui, et prend en même temps conscience qu’il est en fait seul,
qu’il ne peut plus compter que sur lui-même, que le temps de
l’enfance est fini ? Ne sent-on pas aussi dans ces deux lignes,
comme dans la lettre qu’il laisse à son père, « du dépit, du défi,
de la jactance » (I, 2, 186), mais également une indéniable force
de caractère. Le narrateur, un peu plus loin, ne s’y trompe pas :
« Je crois qu’il faut lui faire encore crédit. Beaucoup de
générosité l’anime. Je sens en lui de la virilité, de la force ;
il est capable d’indignation. » (II, 7, 338) ; « […] cet acte
d’insoumission, malgré la peine qu’il m’a causée, n’a fait que
m’attacher à lui davantage ? J’ai su y voir une preuve de courage,
de valeur… » (III, 12, 428). Le recours à la modalité épistémique
comme le fait que cette modalité est aussitôt remise en cause, est
effectivement une préfiguration du Bernard qui se rebelle contre
les idées reçues, qui refuse d’en rester aux apparences, qui ne
manque pas d’esprit critique, qui s’oppose constamment aux autres
comme à lui-même mais aussi, belle illustration de la citation qui
ouvre le troisième chapitre de la première partie [35], s’endurcit : « Bernard
sentait en lui une grande force d’opposition. Il prenait position
contre tout, s’affirmait dans la protestation et prétendait ne
tenir pour dit rien qu’il n’eût approuvé par lui-même. » [36] ; « Surtout, il s’indignait, peut-être,
d’avoir été trompé. Il ne supportait pas d’être dupe. » [37].
Cependant, il
n’en reste pas moins un petit-bourgeois, un « Monsieur Bernard ».
Pour preuve, quand il recense les potentiels arpenteurs de
corridor, il n’évoque pas celui qui pourtant est là, mais
visiblement « ne compte pas » pour lui, Antoine, le « fidèle
serviteur », le « simple domestique », « l’autre » (I, 2,
182-183). Cet incipit ne met-il pas aussi en scène un Bernard qui
refuse d’écouter, qui refuse de croire ce que son corps perçoit,
un Bernard qui s’arrête net dans son entreprise de création et
qui, en se contentant d’imaginer que les pas entendus sont ceux de
ses parents, s’avère plus paresseux [38] qu’inventeur ou novateur : « Bernard est
assurément beaucoup trop jeune encore pour prendre la direction
d’une intrigue. » (II, 7, 338) ; « C’est un très bon élève, mais
les sentiments neufs ne se coulent pas volontiers dans les formes
apprises. Un peu d’invention le forcerait à bégayer. » (II, 7,
338-9) ? Le révolté, le rebelle qu’il est censé être se révolte et
se rebelle contre la révolte et la rébellion de son corps et de
ses sens, ce qui l’amène à refuser l’inadmissible, une présence
autre que celle de ses proches :
J’aurais dû me
méfier d’un geste aussi excessif que celui de Bernard au début de
son histoire. Il me paraît, à en juger par ses dispositions
subséquentes, qu’il y a comme épuisé toutes ses réserves
d’anarchie qui sans doute se fussent trouvées entretenues s’il
avait continué de végéter, ainsi qu’il sied, dans l’oppression de
sa famille. À partir de quoi il a vécu en réaction et comme en
protestation de ce geste. L’habitude qu’il a prise de la révolte
et de l’opposition, le pousse à se révolter contre sa révolte
même. (II, 7, 338)
Ce refus, ce
retour au conventionnel, est bien sûr en soi révélateur d’une peur
profonde :
Je sens en moi,
confusément, des aspirations extraordinaires, des sortes de lames
de fond, des mouvements, des agitations incompréhensibles, et que
je ne veux pas chercher à comprendre, que je ne veux même pas
observer, par crainte de les empêcher de se produire. (III, 5,
375)
Préjugés
bourgeois, rationalisme étroit, négation du corps, conservatisme,
paresse, jeunesse, rébellion prématurée, peur, refus de comprendre
et d’observer, crainte de ce qui pourrait arriver, font que le
Bernard de l’incipit est un Bernard encore « poétique » (I, 8,
225) dirait Édouard, un Bernard qui « n’existe pas vraiment » mais
qui « imagine qu’[il est] », qui parvient difficilement à croire
en « sa propre réalité », un Bernard qui « s’échappe sans cesse »
et qui est beaucoup plus « contemplateur » qu’« acteur » (I, 8,
225).
Nous avons dans
les lignes qui précèdent une parfaite confirmation de certains des
propos de Gide sur la vacuité et l’inutilité des descriptions. Ce
qui vient d’être dit ne montre-t-il pas en effet qu’il n’est nul
besoin de prosopographie ou d’éthopée pour camper un
personnage ?
Eh bien il me
paraît que la description des personnages ne fait pas
partie du roman. Il me paraît que le romancier pur n’a pas
à les décrire plus que ne fait le dramaturge. […] Je prétends que
l’on ne peut entendre Tartuffe s’écrier
Laurent,
serrez ma haire avec ma discipline sans aussitôt le
voir (et je choisis un des exemples les plus gros). […] Et
même j’irai plus loin : je dirai que le personnage peut être
extrêmement vivant, encore que l’on ne sache pas
exactement comment il est. Voyez Hamlet ! Est-il
maigre ou gros ? Noir ou blond ? […] – En général, le roman
moderne ne laisse pas assez de possibilités au lecteur [39].
Notons aussi
que tout en cultivant son goût pour l’anecdotique, Gide réussit à
donner de l’épaisseur à son début comme à son personnage et donc
parvient à neutraliser ce qu’il jugeait justement de plus
problématique dans un tel commencement :
Partir d’une
anecdote, c’est le plus simple ; tout tient dans un récit bien
fait ; mais l’inconvénient de cette méthode c’est qu’elle invite à
ne tenir compte, dans les caractères, que de ce qui peut
aider à l’action. Je néglige dès lors le confus,
l’indistinct, le touffu des êtres, tout ce qui ne sert pas à
l’intrigue et ne trouve pas à s’engrener [40].
Ancrage dans un
référent, découverte d’un personnage complexe… Le recours à
l’anecdotique permet de prendre conscience d’une troisième
caractéristique de l’incipit de Gide : sa dimension
dramatique.
Suspense, peur
et angoisse…
Déjà, le fait
d’opter pour un commencement in medias res aiguise la
curiosité du lecteur qui non seulement a alors envie de comprendre
ce qui est en train de se passer, mais se demande qui approche et
quelles seront les conséquences de cette arrivée impromptue. La
scène est d’autant plus inquiétante qu’étant donné que nous sommes
au tout début du roman le lecteur ignore tout de la situation.
Vu qu’un
corridor, par opposition à par exemple une rue ou un jardin
donnant sur une chambre, est à la fois un lieu que l’on ne peut
apercevoir de l’intérieur d’une pièce et une frontière symbolique
séparant le monde intérieur du monde extérieur, c’est-à-dire, le
connu, le rassurant, le familier, de l’inconnu, de l’inquiétant,
du potentiellement dangereux, le choix de cette partie de la
maison est lui aussi vecteur de dramatisation. D’ailleurs, souvent
associé à la thématique des pas, Gide, dans son œuvre, l’utilise
constamment dans un contexte anxiogène : « un grand bruit se fit
entendre dans le corridor » [41] ; « Rêve-t-il ? N’a-t-il pas entendu frapper à sa
porte ? La porte, que jamais il ne ferme la nuit, doucement
s’ouvre, pour laisser une frêle forme blanche avancer. » [42] ; « J’imagine ton coup de sonnette, ton pas
dans l’escalier, et mon cœur cesse de battre ou me fait
mal… » [43] ; « Le
crépitement de la bougie qui achevait de se consumer m’éveilla ;
ou, peut-être, vaguement perçu à travers mon sommeil, un
ébranlement sourd du plancher : certainement quelqu’un avait
marché dans le couloir. » [44].
Notons au passage que sans cesse, dans l’œuvre de Gide, nous avons
aussi droit à des situations très proches de celle qu’est en train
de vivre Bernard, à savoir un ou des « héros » qui découvrent en
cachette des documents secrets et ont peur d’être surpris ou,
inversement, des « héros » qui surprennent au détour d’un corridor
le secret d’un ou plusieurs autres protagonistes :
Il attendit
encore un instant, prêtant l’oreille, puis n’entendant rien venir
– contre son gré, contre ses principes, mais avec le sentiment
délicat du devoir – il amena le tiroir de la table dont la clef
n’était pas tournée [45].
« Je vais vous
montrer quelque chose », dit-il en faisant jouer un ressort et
glisser un tiroir dont il connaissait le secret ; puis, ayant
fouillé parmi des rubans et des quittances, il me tendit une
fragile miniature encadrée […] [46].
Quelques
instants après j’achevais d’émietter le lambris. Avec les débris
de bois, une enveloppe tomba sur le plancher […]. J’en sortis deux
feuillets couverts d’une grande écriture désordonnée […] [47].
Je pousse la
porte, qui cède silencieusement. La chambre est déjà si sombre que
je ne distingue pas aussitôt Alissa […] [48].
La porte est
ouverte devant laquelle il faut passer ; un rais de lumière sort
de la chambre et coupe le palier de l’escalier ; par crainte
d’être vu, j’hésite un instant, me dissimule, et plein de stupeur,
je vois ceci : au milieu de la chambre aux rideaux clos […] [49].
Dans la phrase
que nous étudions, la dimension dramatique ne vient cependant pas
que de la situation décrite, elle est aussi engendrée par la
dynamique communicationnelle. En mettant en avant,
via le présentatif, l’indication temporelle, Gide
retarde l’annonce de l’événement attendu par le lecteur, à savoir
les pas, et cela d’autant plus que la modalisation prolonge encore
un peu plus l’attente en question. Il faut, de même, patienter
jusqu’à la toute extrémité de la phrase pour découvrir la source
de l’énonciation et identifier qui se cache derrière le « je » de
la première moitié de l’incipit. C’est donc même au niveau
microstructural que Gide applique certains des principes
dramatiques énoncés dans le Journal des
Faux-Monnayeurs :
Ne pas amener
trop au premier plan – ou du moins pas trop vite – les personnages
les plus importants, mais les reculer, au contraire, les faire
attendre. Ne pas les décrire mais faire en sorte de forcer le
lecteur à les imaginer comme il sied. […] Le sentiment doit ici
précéder la connaissance [50].
Gide amplifie
enfin la dramatisation de son incipit en jouant sur la surenchère.
On pourrait en effet pasticher la phrase initiale par :
« Maintenant que je viens de découvrir que mon père n’est pas mon
père, maintenant que je viens d’apprendre que ma mère a fauté,
maintenant que toutes mes certitudes sont en train de s’effondrer,
que le chaos et l’apocalypse menacent, il ne manquerait plus que
ma famille arrive, que tous me surprennent en train de fouiller
des lettres et que mon père apprenne que son épouse l’a trompé. ».
Avec cette lecture, l’incipit devient le sommet d’une gradation
implicite qui évidemment ne rend que plus terrible l’instant
qu’est supposé vivre Bernard.
Une fissure vers
la caverne esthétique
Sus aux
esthétiques passées
Par son
incipit, Gide ne cherche cependant pas qu’à créer un référent,
qu’à camper un personnage ou qu’à donner quelques frissons à ses
lecteurs. S’arrêter là serait oublier que dans son
Journal il écrit : « Le point de vue esthétique est
le seul où il faille se placer pour parler de mon œuvre
sainement. » [51].
Si la première
phrase des Faux-Monnayeurs se réduit à une phrase
courte, à un vocabulaire et une syntaxe relativement simples, ce
n’est pas pour rendre le récit plus haletant ou plus crédible,
mais par refus des procédés voyants, par refus du complaisant, de
l’affecté, de la préciosité, par exécration d’une fausse habileté
à la Passavant voire, si l’on suit Gide, à la Cocteau :
Je me redis la
phrase d’Armance : « Je parlais beaucoup mieux depuis
que je commençais mes phrases sans savoir comment je les
finirais. » Il faudrait même consentir à quelque impropriété dans
le choix des mots et quelques incorrections de syntaxe. Il
faudrait surtout ne pas céder à ce nombre qui mesure mes phrases
et souvent décide du choix des mots [52].
Le style des
Faux-Monnayeurs ne doit présenter aucun intérêt de
surface, aucune saillie. Tout doit être dit de la manière la plus
plate, celle qui fera dire à certains jongleurs : que trouvez-vous
à admirer là-dedans [53] ?
Je voudrais
obtenir de moi de ne concéder rien à la mode, à l’usage, ni
surtout à la virtuosité [54]…
Il est sans
doute possible de voir dans ces affirmations une réaction
épidermique à la rhétorique guerrière ou politique qui, sous
l’impulsion de Barrès, Maurras et bien d’autres, a fleuri autour
de la Première Guerre mondiale [55], mais le passage qui précède cet
extrait et surtout un des feuillets de 1921 prouvent que la
justification première d’une telle prise de position est avant
tout esthétique :
Je ne veux plus
connaître rien que de naturel. Une voiture de maraîcher charrie
plus de vérités que les plus belles périodes de Cicéron [56].
L’art le plus
subtil, le plus fort et le plus profond, l’art suprême est celui
qui ne se laisse pas d’abord reconnaître. Et comme « la vraie
éloquence se moque de l’éloquence », l’art véritable se moque de
la manière qui n’en est que la singerie [57].
Si le début des
Faux-Monnayeurs est si dissemblable au début du
Voyage d’Urien ou au commencement des
Nourritures terrestres, c’est parce que le Gide des
années 1920 n’est plus le Gide des années 1890. Il ne se complaît
plus dans une écriture « généré[e] par la poésie, émanation du
rêve et manifestation du monde des Idées » [58] et, chaque
jour, s’éloigne un peu plus du lyrisme, un peu plus de
l’esthétique symboliste :
[…] mes
Nourritures […]. L’on me juge d’ordinaire d’après ce
livre de jeunesse […], comme si, moi tout le premier, je n’avais
point suivi le conseil que je donne à mon jeune lecteur : « Jette
mon livre et quitte-moi. » Oui, j’ai tout aussitôt quitté celui
que j’étais quand j’écrivais Les Nourritures […] [59].
Et la moindre
épithète précieuse, la moindre recherche d’écriture, tout effort
vers la littérature devait en être banni. Il allait à l’encontre
de tout ce qu’aimait le « symbolisme » [60].
De même, les
imprécisions spatiales et temporelles, l’absence de propositions
relatives ou d’adjectifs qualificatifs caractérisants, la
non-présence de « petits faits vrais » à la Zola, de détails sur
telle ou telle crispation du visage, tel ou tel tremblement des
mains, appellent une relecture d’ordre esthétique. N’a-t-on pas en
effet là une parfaite illustration de certains des propos de
Gide : « En localisant et en spécifiant, l’on restreint. […] il
n’y a d’art que général. » (II, 3, 312) ? L’auteur des
Faux-Monnayeurs refuse le particulier qui n’est que
particulier, il refuse aussi le général déduit du particulier.
Dostoïevski [61]
et Nietzsche ne sont pas loin :
Un psychologue
de naissance se garde par instinct de regarder pour voir : il en
est de même pour le peintre de naissance. Il ne travaille jamais
d’après nature, – il s’en remet à son inspiration, à sa
chambre obscure, pour tamiser, pour exprimer le
« cas », la « nature », la « chose vécue »… Il n’a conscience que
de la généralité, de la conclusion, de la
résultante : il ne connaît pas ces déductions arbitraires du cas
particulier. Quel résultat obtient-on lorsqu’on s’y prend
autrement ? Par exemple, lorsque, à la façon des romanciers
parisiens, on fait de la grande psychologie de colportage ? On
épie en quelque sorte la réalité, on rapporte tous les soirs une
poignée de curiosités. Mais regardez donc ce qui en résulte [62]…
Focalisation
sur un simple fait, énonciateur qui n’a pas encore vécu, pas de
substantif conceptualisant, pas d’aphorisme style Grand Siècle,
nulle réflexion théorique, nulle vérité ou révélation
philosophique… Si Gide se méfie du fait particulier, il se méfie
tout autant des idées générales. « Mon erreur était de partir
d’une idée, et [de ne pas me laisser] assez guider par les mots. »
(I, 3, 198) avoue Édouard dans Les Faux-Monnayeurs.
Et, d’ailleurs, nous avons certainement là un des points qui
permet de le différencier de Gide : « Les idées…, les idées, je
vous l’avoue m’intéressent plus que les hommes ; m’intéressent
par-dessus tout. » (II, 3, 315) [63]. Si Gide commence son roman par
un personnage qui est sur le point de perdre ses parents, sa
situation sociale, tout ce qui jusqu’alors l’a formaté, ne
serait-ce pas précisément parce qu’il ne veut pas que son
protagoniste se réduise à une idée, l’idée de bourgeoisie ?
L’ennui,
voyez-vous, c’est d’avoir à conditionner ses personnages. Ils
vivent en moi d’une manière puissante, et je dirais même
volontiers qu’ils vivent à mes dépens. Je sais comment ils
pensent, comment ils parlent ; je distingue la plus subtile
intonation de leur voix ; je sais qu’il y a tels actes qu’ils
doivent commettre, tels autres qui leur sont interdits… mais, dès
qu’il faut les vêtir, fixer leur rang dans l’échelle sociale, leur
carrière, le chiffre de leurs revenus ; dès surtout qu’il faut les
avoisiner, leur inventer des parents, une famille, des amis, je
plie boutique. Je vois chacun de mes héros, vous l’avouerais-je,
orphelin, fils unique, célibataire, et sans enfants. C’est
peut-être pour ça que je vois en vous un si bon héros,
Lafcadio [64].
Les multiples
ambivalences répertoriées plus haut évitent, de même, que Bernard
soit prototypique, allégorique, symbolique, schématique [65]. Même la
psychanalyse ne trouve pas grâce à ses yeux. Pour lui, elle a
justement le tort de n’être qu’une « idée », une idée rendant
insuffisamment compte de la complexité humaine. Certes, l’incipit
des Faux-Monnayeurs révèle une absence / présence du
père, un sur-moi particulièrement fort, peut-être même, si on le
met en vis-à-vis des multiples passages de l’œuvre de Gide où un
jeune surprend des couples ou des comportements suspects, une
obsession de la scène primaire, mais il n’en reste pas moins, et
le présent article en est la vivante preuve, qu’on ne saurait le
réduire à cela.
Refus du fait
particulier, refus de l’idée générale… mais alors que veut Gide ?
Le mélange des deux ou, plus exactement, la fécondation de l’un
par l’autre :
L’œuvre […] ne
naît point non plus d’une idée préconçue, et c’est pourquoi elle
n’est en rien théorique, mais reste immergée dans le réel ; elle
naît d’une rencontre de l’idée et du fait, de la confusion, du
blending, diraient les Anglais, de l’un et de
l’autre, si parfaite que jamais l’on ne peut dire qu’aucun des
deux éléments l’emporte – de sorte que les scènes les plus
réalistes de ses romans sont aussi les plus chargées de
signification psychologique et morale ; plus exactement chaque
œuvre de Dostoïevski est le produit d’une fécondation du fait par
l’idée [66].
– Mais pourquoi
partir d’une idée ? interrompit Bernard impatienté. Si vous
partiez d’un fait bien exposé, l’idée viendrait l’habiter
d’elle-même. (II, 3, 317)
À vrai dire, ce
sera là le sujet : la lutte entre les faits proposés par la
réalité, et la réalité idéale. (II, 3, 314)
Fort bien, mais
comment réussir une telle alchimie ? Dans le Journal des
Faux-Monnayeurs, Gide nous donne lui-même la clé : la
solution du problème passe par le recours au personnage. On ne
peut « féconder » l’idée « qu’en fonction des tempéraments et des
caractères ». Et Gide de continuer : « Persuade-toi que les
opinions n’existent pas en dehors des individus. » [67]. Refus du
théorique, départ d’un fait, immersion dans le réel, surgissement
d’idées habitant ce fait, profusion de significations
psychologiques et, nous le verrons plus loin, morales, recours à
un personnage, utilisation du tempérament et du caractère de ce
personnage…, n’avons-nous pas là une parfaite description de
l’incipit de Gide ?
Oui, mais alors
qu’en est-il du recours à la première personne et de l’utilisation
du discours direct ? Et pourquoi surmarquer ce choix par un verbe
déclaratif ? Qu’en est-il aussi de la remise en cause du perçu et
de la modalité épistémique ? Et pourquoi tant de témoins cachés
dans l’œuvre de Gide ? La préface d’Isabelle aide à y
voir un peu plus clair : « Le roman, tel que je le reconnais ou
l’imagine, comporte une diversité de points de vue, soumise à la
diversité des personnages qu’il met en scène : c’est par essence
une œuvre déconcentrée. » [68]. Utiliser un témoin
caché, utiliser la première personne, c’est emphatiser le concept
de point de vue, c’est montrer qu’une même scène peut être vécue
de l’intérieur mais aussi de l’extérieur, c’est montrer qu’il est
impossible de rendre compte univoquement de la réalité, que toute
description du réel passe par une perception, que, selon le regard
que l’on porte ou plutôt l’oreille que l’on tend, le réel change,
et donc que ce n’est pas parce que Bernard refuse d’entendre des
pas qu’il n’y a point de pas. Par la suite, sous la double
influence de Dostoïevski et Browning, Gide ne cesse de labourer ce
sillon : « Je conçois le roman à la manière de Dostoïevski : une
lutte de points de vue. » [69] ; « Je ne chercherai pas
l’objectivité. Au fond je n’y crois pas. Je voudrais l’atteindre
par une série de subjectivités. » [70]. En toute
cohérence, quand il entreprend Les Faux-Monnayeurs,
il envisage immédiatement une énonciation homodiégétique :
La grande
question à étudier d’abord est celle-ci : puis-je représenter
toute l’action de mon livre en fonction de Lafcadio ? Je ne le
crois pas. Et sans doute le point de vue de Lafcadio est-il trop
spécial pour qu’il soit souhaitable de le faire sans cesse
prévaloir. Mais quel autre moyen de présenter le
reste [71] ?
L’incipit des
Faux-Monnayeurs s’avère donc programme et compendium
de l’esthétique gidienne. En écrivant « “C’est le moment de croire
que j’entends des pas dans le corridor”, se dit Bernard. », Gide
adresse un « non » ferme et catégorique au lyrisme débridé et au
symbolisme. Un « non » ferme et catégorique au roman psychologique
à la Bourget et au roman réaliste bourgeois :
Le roman
psychologique contemporain, comme il est morne et fermé ! C’est
toujours l’étude d’un cas. L’auteur se débarrasse d’abord de tout
ce qu’il y a à dire, il pose les actions de ses personnages ; il
nous les met brutalement entre les mains ; puis il borne sa tâche
à retrouver les sentiments qui les leur ont inspirées. Il
s’installe comme le chirurgien devant sa table de dissection :
voici le cadavre : voyons un peu comment cet imbécile a trouvé
moyen de vivre [72].
Mais combien
rares, a-t-elle ajouté, les poètes, dramaturges ou romanciers qui
savent ne point se contenter d’une psychologie toute faite (la
seule, lui ai-je dit, qui puisse contenter les lecteurs). (II, 2,
304)
[…] je ne serai
satisfait que si je parviens à m’écarter du réalisme plus
encore [73].
Certes, Édouard
est un double de Gide lorsqu’il confie à son auditoire : « Depuis
plus d’un an que j’y travaille, il ne m’arrive rien que je n’y
verse, et que je n’y veuille faire entrer : ce que je vois, ce que
je sais, tout ce que m’apprend la vie des autres et la mienne… »
(II, 3, 313), mais Gide refuse de réduire l’art à une simple
restitution du réel. Pour lui, l’art, c’est : « […] la rivalité du
monde réel et de la représentation que nous nous en faisons. La
manière dont le monde des apparences s’impose à nous et dont nous
tentons d’imposer au monde extérieur notre interprétation
particulière […]. » (II, 5, 327).
À l’aventure,
que diable !
C’est aussi le
refus du réalisme bourgeois qui explique la dimension dramatique
de l’incipit. En effet, c’est par réaction à cette esthétique que
Gide va se tourner vers l’épique et s’intéresser au roman
« dramatique » par excellence qu’est le roman d’aventures :
– Pourquoi me
dissimuler : ce qui me tente, c’est le genre épique. Seul, le ton
de l’épopée me convient et me peut satisfaire ; peut sortir le
roman de son ornière réaliste. […] Le roman s’est toujours, et
dans tous les pays, jusqu’à présent cramponné à la réalité. […]
[Q]uand le roman français s’élance, c’est dans la direction du
Roman bourgeois [74].
Déjà, dans
Les Caves du Vatican, Lafcadio était présenté comme
un aventurier :
Son intention
était de n’aborder Julius qu’après que les journaux auraient parlé
du « crime ». Le crime ! Ce mot lui semblait plutôt
bizarre ; et tout à fait impropre, s’adressant à lui, celui de
criminel. Il préférait celui
d’aventurier, mot aussi souple que son castor, et
dont il pouvait relever les bords à son gré [75].
Relire les
trois articles de la NRF que Jacques Rivière a
consacrés au roman d’aventures permet de préciser l’influence que
ce genre a eue sur l’incipit des Faux-Monnayeurs. Qui
dit roman d’aventures, dit en effet, si l’on en croit Jacques
Rivière, « pas de commentaires », « pas d’analyses d’auteur »
(« se dit Bernard ») :
[…] le roman
d’aventure est errant. L’auteur ne part pas d’une idée, moins
encore d’un plan, mais ayant rencontré un personnage, il l’écoute
et le suit – comme fait le narrateur – sans savoir où il va le
mener. Ainsi le roman sera-t-il « un surgissement perpétuel » [76].
Qui dit roman
d’aventures dit encore « personnages ouverts vers un avenir
incertain » (« croire »), « vivre au présent les événements »
(« c’est le moment »), ne pas être prisonnier de schémas ou
logiques préétablis :
L’aventure,
c’est ce qui advient, c’est-à-dire ce qui s’ajoute, ce qui arrive
par-dessus le marché, ce qu’on n’attendait pas, ce dont on aurait
pu se passer. Un roman d’aventure, c’est le récit d’événements qui
ne sont pas contenus les uns dans les autres. À aucun moment on
n’y voit le présent sortir tout fait du passé ; à aucun moment le
progrès de l’œuvre n’est une déduction. […] Aussi le sens de
l’œuvre n’est-il pas tout de suite bien déterminé ; il change à
mesure qu’elle croît ; il n’y a pas de flèche pour indiquer où
elle va ; elle se forme peu à peu ; elle s’améliore, elle se
corrige. Ce n’est jamais le passé qui explique le présent, mais le
présent qui explique le passé ; je ne veux pas dire simplement
qu’il en éclaire les énigmes ; mais ce qui arrive modifie sans
cesse l’intention et la portée de ce qui est arrivé [77].
Ces
caractéristiques expliquent en partie la propension de Gide pour
les scènes avec témoin caché. En effet, dans de telles situations,
le voyeur est dans l’incapacité de deviner ce qui va se produire.
De même, dans l’incipit, les bruits de pas que croit entendre
Bernard sont de l’ordre de « ce qui advient », de « ce qui
s’ajoute », de « ce qu’on n’attend pas ». Ils s’avèrent même
d’autant plus de l’ordre de « ce dont on aurait pu se passer » que
justement Bernard décide de les ignorer. Le présent sort également
d’autant moins du passé et est d’autant moins déductible de ce qui
précède que nous sommes au début du roman et donc qu’en quelque
sorte la phrase étudiée n’a justement pas de passé. Le sens de
l’œuvre n’est pas non plus déterminé et aucune flèche téléologique
ne semble se dessiner. Pour preuve, dès la troisième phrase, il y
a épanorthose, ce qui au passage est une belle illustration du
fait que :
La vie nous
présente de toutes parts quantité d’amorces de drame, mais il est
rare que ceux-ci se poursuivent et se dessinent comme a coutume de
les filer un romancier. Et c’est là précisément l’impression que
je voudrais donner dans ce livre [78].
Propension à
l’épique, influence du roman d’aventures… Pour marquer son refus
de l’objectivité totale, du rationalisme étroit, de la dictature
de l’idée, de tout conditionnement, du déterminisme, de la
soumission à la cohérence, en un mot, du réalisme bourgeois, Gide
a recours à un autre architexte : « C’est décidément le réalisme
que je n’aime pas, quel qu’il soit. Je ne puis me passer d’un peu
de fantastique. » [79]. Dans le roman que nous analysons, cet
architexte est pleinement revendiqué et pas seulement à la fin de
l’œuvre : « Il y a lieu d’apporter, dès le premier chapitre, un
élément fantastique et surnaturel, qui autorise par la suite
certains écarts du récit, certaines irréalités. » [80]. Si l’on
se rappelle certaines des remarques de Gide à propos de Roger
Martin du Gard, c’est même dès l’incipit que
Les Faux-Monnayeurs glisse vers le fantastique :
Il se montre
extraordinairement anxieux et désireux d’acquérir certaines
qualités qui sont à l’opposé de sa nature : mystère, ombre,
étrangeté ; toutes choses que valent à l’artiste certaines
accointances avec le Diable [81].
Des bruits de
pas dans un corridor…, des pas que l’on entend et qui ne peuvent
pourtant rationnellement provenir d’aucun des membres de la
maison…, l’infinitif « croire », le patronyme « ProfitenDieu », une sensation
d’oppression, la thématique du chaud, du feu (« mis bas sa
veste », « il étouffait », « la fenêtre ouverte », « n’entrait
rien que de la chaleur », etc.), des symptômes comparables à ceux
produits par la peur (« [s]on front ruisselait », « [u]ne goutte
de sueur »), une évocation explicite du démon associé
syntaxiquement à un homonyme du substantif « pas » (I, 1, 175)… Il
faudrait ajouter à cette liste, déjà en soi évocatrice, le fait
qu’à la fin du roman le dialogue avec soi-même est interprété par
un des personnages comme un signe de possession [82] et que dans
Les Caves du Vatican les mêmes bruits et le même lieu
ramènent connotativement à… Satan. Anthime Armand-Dubois non
seulement est un franc-maçon plus que revendiqué mais il malmène
une innocente et se déplace à la manière du prince des ténèbres,
c’est-à-dire en claudiquant : « Véronique s’empresse : il la
repousse d’une main brutale, s’échappe vers la porte qu’il
claque ; et déjà dans le corridor on entend sa marche inégale
s’éloigner avec l’accompagnement de la béquille sourd et
clopant. » [83].
Cependant, si
l’on veut percevoir pleinement la dimension fantastique de la
phrase de Gide, il faut certainement, d’une part, se remémorer son
désir de commencer par un lieu « aussi mythique que la forêt des
Ardennes dans les féeries de Shakespeare » [84] et,
d’autre part, l’omniprésence d’Hamlet dans le roman,
Hamlet que Gide traduit [85] et étudie [86] au moment où il rédige le début des
Faux-Monnayeurs, Hamlet qu’il cite à
plusieurs reprises [87] dans la première partie de
son roman, Hamlet sur le début duquel il attire notre
attention [88], Hamlet dont le personnage éponyme,
surtout, tous les critiques l’ont noté, est un double de Bernard.
Bernard n’imagine-t-il pas en effet un bref instant que les pas
qu’il a cru entendre pourraient être ceux du père qu’il vient de
perdre ? Ne monologue-t-il pas et ne persifle-t-il pas « comme un
enfant chante dans l’obscurité pour ne pas avoir peur » [89] ?
N’est-il pas confronté à un « spectre vengeur qui ressort du
passé » (I, 2, 187) ? Ce n’est donc pas, comme initialement prévu,
la forêt des Ardennes que Gide a finalement choisie comme cadre de
sa première phrase mais bel et bien « le château d’Elseneur ».
Les Faux-Monnayeurs commence en effet exactement
comme le chef-d’œuvre de Shakespeare, à savoir par une
intervention en discours direct de « Bernardo » qui, l’oreille aux
aguets (« écoutons Bernardo » [90]), s’interroge sur les pas qu’il entend (« Qui va
là ? » [91]), interrogation à
laquelle répond un « Non » [92] et qui, quelques
répliques plus loin, est suivie d’une réaction rappelant encore
une fois celle de Bernard : « Horatio prétend que ce n’est qu’une
imagination ; il se refuse à accorder créance à ce spectre
terrible […]. » [93]. Pourtant le spectre n’en
apparaît pas moins, pourtant la mère de Bernard n’en a pas moins
fauté…
Si Gide débute
son roman sur une note dramatique, c’est donc parce que, pour bien
montrer son opposition au roman réaliste bourgeois, il veut faire
des Faux-Monnayeurs un roman d’aventures et un roman
fantastique, un roman d’aventures pour exprimer son refus du
déterminisme, un roman fantastique pour pouvoir dire ce que le
réalisme bourgeois n’arrive pas à dire, pour décrire la complexité
de la situation vécue et permettre, entre autres choses, de rendre
compte de l’étrangeté du moment, du trouble ressenti par Bernard,
du dédoublement de son âme, des forces inconscientes qui le
hantent, de sa quête du père, voire de la présence, en fond
d’horizon, de la mort. Cet architexte ne lui permet-il pas aussi
de dire qu’« Il y a dans l’homme de l’inexpliqué, si tant est
qu’il n’y ait pas de l’inexplicable. » [94],
et que parallèlement à la réalité objective pourrait bien exister
une réalité d’ordre mystique : « […] je crois de toute mon âme
que, sans mysticisme, il ne se fait ici-bas rien de grand, rien de
beau. » (II, 3, 319) ?
Sus au
lyrisme
Ces « Oui » à
la subjectivité, à l’épique, à l’aventure, au fantastique, au
mysticisme ne signifient cependant par pour autant que Gide
succombe aux pièges de l’illusion référentielle et de
l’identification naïve, aux sirènes de l’exaltation effrénée et de
l’inspiration spontanée. Au contraire, son esthétique est une
esthétique de la distanciation, une esthétique de la
« décristallisation » (I, 8, 226). Il estime qu’il n’y a œuvre que
si « l’artiste » supplante « le poète ». Si, au début de l’acte
créatif, l’état lyrique, l’enthousiasme, la possession, « par une
nécessité supérieure ou intérieure qui le contraigne à écrire, et
qui le fait “poète” » [95], sont indispensables,
il faut ensuite que le poète s’efface, que l’artiste s’empare de
la force première et la soumette :
– […] il manque
de lyrisme, dit Édouard irréfutablement. – Que voulez-vous
dire ? – Qu’il ne s’oublie jamais dans ce qu’il éprouve, de
sorte qu’il n’éprouve jamais rien de grand. […] Tenez : je crois
que j’appelle lyrisme l’état de l’homme qui consent à se laisser
vaincre par Dieu. – N’est-ce pas là précisément ce que
signifie le mot : enthousiasme ? – Et peut-être le mot :
inspiration. […] Je consens que Paul-Ambroise ait raison lorsqu’il
considère l’inspiration comme des plus préjudiciables à l’art ; et
je crois volontiers qu’on n’est artiste qu’à condition de dominer
l’état lyrique ; mais il importe pour le dominer, de l’avoir
éprouvé d’abord. (III, 10, 407-408)
La condition de
cette domination est un certain recul critique, recul manifeste
dès l’incipit. Le passage du « je » au « il », du discours au
récit, la présence de guillemets surmarquant la séparation
personnage / narrateur (guillemets qui sont absents dans l’édition
Pléiade de 1958 mais figurent dans celle de 2009), le verbe
« croire », le dédoublement de Bernard en un Bernard qui pense
entendre une présence et un Bernard qui finit par refuser cette
présence, en sont le vivant témoignage.
Et ce d’autant
plus que ce dédoublement en appelle un autre qui, lui aussi,
manifeste une prise de recul :
Il n’y a pas, à
proprement parler, un seul centre à ce livre, autour de quoi
viennent converger mes efforts ; c’est autour de deux foyers, à la
manière des ellipses, que ces efforts se polarisent. D’une part,
l’événement, le fait, la donnée extérieure ; d’autre part,
l’effort même du romancier pour faire un livre avec cela. Et c’est
là le sujet principal, le centre nouveau qui désaxe le récit et
l’entraîne vers l’imaginatif [96].
Ce que je veux,
c’est présenter d’une part la réalité, présenter d’autre part cet
effort pour la styliser, dont je vous parlais tout à l’heure. (II,
3, 313)
Situation
croquée en quelques mots, description d’un événement, analyse de
cet événement, curiosité [97], écoute [98], imagination, supposition, commentaire critique… Dès
l’incipit, Bernard cumule les qualités et caractéristiques d’un
écrivain digne de ce nom, un écrivain qui, comme le révèlent les
occurrences de la lexie « corridor » dans l’œuvre de Gide [99], aspire à
l’évasion, à la liberté, un écrivain qui, puisqu’il n’est pas loin
d’entendre des voix, pourrait d’autant plus tendre vers le
mysticisme que, comme le rappelle Édouard, « La branche mystique,
le plus souvent, c’est à de l’étouffement qu’on la doit. » (III,
6, 378). Si l’on ajoute à ce constat le fait que l’énonciateur
n’est pas nommé au début de la phrase, rien n’empêche d’imaginer
que le « je » évoqué est Gide ou un écrivain qui débute un roman
et tente d’inventer un référent, un écrivain qui, tout en se
laissant envahir par le fictif, a parfaitement conscience d’être
en train de créer. Or, que « se dirait » un tel écrivain si ce
n’est : « [c]’est le moment de croire que j’entends des pas dans
le corridor » ? Cependant si, fort des réflexions de Gide, ce
romancier refusait d’en rester au lyrique, se voulait « artiste »
et cherchait à surmarquer la présence de deux centres, se
contenterait-il de faits bruts ? Ne ferait-il pas percevoir son
point de vue sur les faits en question ? Ne montrerait-il pas
qu’il n’est pas dupe de son histoire ? Ne pointerait-il pas du
doigt les ficelles, stéréotypes et codes romanesques auxquels il a
recours ? Voilà qui amène à relire l’incipit et à le pasticher
comme il suit : « Maintenant que je me suis lancé dans un roman
d’aventures, qui plus est fantastique, maintenant que j’ai campé
une situation de mélodrame, avec lettre cachée, faveurs roses,
adultère, père trompé, fils éperdu, etc. est venu le moment d’en
rajouter une dernière couche, est venu le moment de me faire
croire que j’entends des pas dans le corridor. ». Ce n’est donc
rien de moins qu’un narrateur persifleur, ironique, joueur, adepte
de l’autodérision qui affleure sous le texte. Belle confirmation
que « Ce roman peut devenir aussi la critique du roman, du roman
en général. » [100].
Les Faux-Monnayeurs,
roman remettant en cause le réalisme bourgeois, « roman du
romancier méditant sur le roman » [101] ? Certes. Mais, ne
pourrait-on pas ajouter : « roman du romancier interpellant le
lecteur » ? Tout lecteur ouvrant Les Faux-Monnayeurs
et se plongeant dans le référent de Bernard ne se dit-il pas
effectivement lui aussi : « [c]’est le moment de croire que
j’entends des pas dans le corridor » et cela d’autant plus que,
nous l’avons vu plus haut (voir note 32), le fait qu’il y ait peu
de caractérisants, tout comme comme la dimension lacunaire générée
par le début in medias res, favorisent
l’identification ? Le recours à un point de vue subjectif, les
ambivalences, la modalité choisie, sont également d’importants
facteurs de « décristallisation » :
Je voudrais que
les événements ne fussent jamais racontés directement par
l’auteur, mais plutôt exposés (et plusieurs fois, sous des angles
divers) par ceux des acteurs sur qui ces événements auront eu
quelque influence. Je voudrais que, dans le récit qu’ils en
feront, ces événements apparaissent légèrement déformés ; une
sorte d’intérêt vient, pour le lecteur, de ce seul fait qu’il ait
à rétablir. L’histoire requiert sa collaboration pour
se bien dessiner [102].
Ce n’est point
tant en apportant la solution de certains problèmes, que je puis
rendre un réel service au lecteur ; mais bien en le forçant à
réfléchir lui-même sur ces problèmes dont je n’admets guère qu’il
puisse y avoir d’autre solution que particulière et
personnelle [103].
Le bien
écrire que j’admire, c’est celui qui, sans se faire trop
remarquer, arrête et retient le lecteur et contraint sa pensée à
n’avancer qu’avec lenteur. Je veux que son attention enfonce à
chaque pas dans un sol riche et profondément ameubli. Mais ce que
cherche, à l’ordinaire, le lecteur, c’est une sorte de tapis
roulant qui l’entraîne. Ce que je voudrais que soit ce
roman ? un carrefour – un rendez-vous de problèmes [104].
« Écriture qui
ne se fait pas trop remarquer », « écriture qui arrête et retient
le lecteur », « sol riche et profondément ameubli »,
« carrefour », « rendez-vous de problèmes »…, difficile de mieux
caractériser l’incipit des Faux-Monnayeurs.
Gide n’en est
bien sûr pas pour autant un auteur de roman à thèse. Il respecte
trop le lecteur pour cela :
Je tiens pour
politesse de ne point guider trop le lecteur, et je ne l’estime
pas incapable de deviner rien par lui-même de ces secrets motifs
que le romancier, trop souvent à mon gré, croit de son devoir
d’exposer, fatigant et rebutant le lecteur. J’ai la prétention de
ne m’adresser pas à des sots [105].
Ainsi qu’il le
dit de Dostoïevski, il :
[…] ne cherche
jamais à incliner notre opinion. Il cherche à l’éclairer ; à
rendre manifestes certaines vérités secrètes qui, lui,
l’éblouissent, qui lui paraissent – qui nous paraîtront bientôt
aussi – de la plus haute importance ; les plus importantes sans
doute que l’esprit de l’homme puisse atteindre, non des vérités
d’ordre abstrait, non des vérités en dehors de l’homme, mais bien
des vérités d’ordre intime, des vérités secrètes. D’autre part, et
c’est là ce qui préserve ses œuvres de toutes les déformations
tendancieuses, ces vérités, ces idées de Dostoïevski restent
toujours soumises au fait, profondément engagées dans le réel. Il
garde, vis-à-vis de la réalité humaine, une attitude humble,
soumise ; il ne force jamais ; il n’incline jamais à lui
l’événement [106].
Dans la préface
des Cahiers d’André Walter, nous trouvons des propos
de la même teneur : « C’est pour avertir que j’écris, pour exalter
ou pour instruire et j’appelle un livre manqué celui qui laisse
intact le lecteur. » [107].
Nous le voyons,
de même que le référent, le personnage campé et la dimension
dramatique menaient à un refus du lyrisme, du symbolisme et du
réalisme, décristallisation et distanciation mènent au moral. De
même que le fictionnel conduisait à l’esthétique, l’esthétique
conduit à l’éthique [108]. Les Caves du Vatican le
disait : « Vous ne sauriez croire, vous qui n’êtes pas du métier,
combien une éthique erronée empêche le libre développement de la
faculté créatrice. » [109]. Nous touchons là du doigt une des causes
principales de la rupture de Gide avec le symbolisme :
Désenchantant
la vie de tout ce qu’ils estimaient n’être que leurre, doutant
qu’elle valût la peine d’« être vécue », quoi d’étonnant s’ils
n’apportèrent pas une éthique nouvelle, se contentant de celle de
Vigny, que tout au plus ils agrémentaient d’ironie ; mais
seulement une esthétique [110].
Voyez-vous, la
grande faiblesse de l’école symbolique, c’est de n’avoir apporté
qu’une esthétique ; toutes les grandes écoles ont apporté, avec un
nouveau style, une nouvelle éthique, un nouveau cahier des
charges, de nouvelles tables, une nouvelle façon de voir, de
comprendre l’amour, et de se comporter dans la vie. Le symboliste,
lui, c’est bien simple : il ne se comportait pas du tout dans la
vie ; il ne cherchait pas à la comprendre ; il la niait ; il lui
tournait le dos. C’était absurde, trouvez pas ? C’étaient des gens
sans appétit, et même sans gourmandise. Pas comme nous autres…
hein ? (I, 15, 277-278)
Une fissure vers
la caverne morale
De la sincérité
mensongère au mensonge sincère
Via
l’ambivalence poésie / art, ce glissement de l’esthétique à
l’éthique conduit à une ambivalence d’autant plus fondamentale
qu’elle est au cœur du titre même du roman, l’ambivalence
vérité / mensonge :
Je m’agite dans
ce dilemme : être moral ; être sincère. La morale consiste à
supplanter l’être naturel (le vieil homme) par un être factice
préféré. Mais alors, on n’est plus sincère. Le vieil homme, c’est
l’homme sincère. Je trouve ceci : le vieil homme, c’est le
poète. L’homme nouveau, que l’on préfère, c’est l’artiste. Il faut
que l’artiste supplante le poète. De la lutte entre les deux naît
l’œuvre d’art [111].
Gide est
littéralement hanté par ce dilemme. Il écrit dans son journal :
« “J’ai l’indiscrétion en horreur”, m’a-t-elle dit. – Et moi, le
mensonge plus en horreur encore. C’est pour pouvoir enfin parler
un jour, que je me suis contraint toute ma vie. » [112]. Ses
multiples luttes et prises de position contre la colonisation,
pour l’homosexualité, contre les dérives du communisme témoignent
bien de cette inextinguible soif d’être vrai avec soi-même. De ce
point de vue, Bernard n’est pas sans lui ressembler, lui qui dans
Les Faux-Monnayeurs confie :
Tenez, on me
demanderait aujourd’hui quelle vertu me paraît la plus belle, je
répondrais sans hésiter : la probité. Oh ! Laura ! Je voudrais,
tout le long de ma vie, au moindre choc, rendre un son pur, probe,
authentique. Presque tous les gens que j’ai connus sonnent faux.
Valoir exactement ce qu’on paraît, ne pas chercher à paraître plus
qu’on ne vaut… On veut donner le change, et l’on s’occupe tant de
paraître, qu’on finit par ne plus savoir qui l’on est… (II, 4,
324)
Il m’importe de
me prouver que je suis un homme de parole, quelqu’un sur qui je
peux compter. (III, 14, 434)
Dans l’incipit,
nous l’avons vu, il ne voile effectivement pas sa dualité et ses
ambivalences. Il ne se cache pas l’incertitude de ce qu’il
perçoit. Il ne « renie » pas, ne « réduit » pas les
« inconséquences de sa nature » [113] et va même jusqu’à se moquer de lui.
L’énonciation de son prénom est aussi en soi gage de sincérité. En
effet, comme l’ont fait remarquer bien des critiques, plusieurs
indices conduisent à voir dans ce prénom une référence à Bernard
de Clairvaux, or ce dernier lutta contre les aspirations
fastueuses d’un Suger et contre les dérives morales qui menaçaient
les ordres réguliers. Autrement dit, il chercha à retrouver la
sincérité et la vérité des origines de l’Église. Alain Goulet fait
également remarquer que dans le reste du roman cette sincérité ne
se dément pas : « C’est lui qui a exhibé la vraie fausse pièce,
lui qui a raisonné de façon concrète sur les variations de sa
valeur, lui qui a décrété que “la réalité n’intéresse pas”
Édouard, [… lui qui écrit] “Un bon roman s’écrit plus naïvement
que cela. Et d’abord, il faut croire à ce que l’on raconte, ne
pensez-vous pas ? et raconter tout simplement.” » [114], lui, enfin,
qui, par souci de vérité, refuse la main tendue d’Olivier : « – Si
tu m’aidais ? – Non. Ça ne serait pas de jeu. Il me semblerait que
je triche. » (I, 3, 199).
Et pourtant…,
et pourtant… En nouveau La Rochefoucauld, Gide note dans Si
le grain ne meurt : « Je suis un être de dialogue ; tout en
moi combat et se contredit. Les Mémoires ne sont jamais qu’à demi
sincères, si grand que soi le souci de vérité : tout est toujours
plus compliqué qu’on ne le dit. » [115].
Effectivement, la sincérité revendiquée est-elle si totale ? Dès
l’incipit, Bernard ne serait-il pas un nouveau Prosper Vedel,
personnage qui tout en proclamant « une ère nouvelle de franchise
et de sincérité » s’enfonce « un peu plus avant […] dans la
jobarderie, et […] le mensonge » (I, 12, 252) ? Celui qui se veut
tant « vrai-monnayeur » ne s’avérerait-il pas dès la première
ligne « faux-monnayeur » ? Ce que Bernard dit du projet d’Édouard
ne pourrait-il pas être attribué au roman de Gide et donc à son
propre monologue introductif : « Si j’écrivais Les
Faux-Monnayeurs, je commencerais par présenter la pièce
fausse […]. » (II, 3, 317) ? De nombreux indices amènent à cette
conclusion. « La pièce » par laquelle commence le roman est fausse
parce que, ainsi qu’il le confiera un peu plus tard à Laura,
Bernard est incapable de discerner le vrai du faux :
« […] pensez-vous qu’il y ait rien, sur cette terre, qui ne puisse
être mis en doute ? » (II, 4, 319). Elle est fausse parce qu’à ce
moment du roman, comme Édouard, Bernard confond ce qu’il croit
être avec ce qu’il est réellement [116]. Elle est fausse parce qu’il
n’est alors qu’une sorte d’acteur endossant l’habit du pauvre
bâtard incompris, voire le costume du fier rebelle romantique qui
« s’écoute un peu trop parler […], a trop lu déjà, trop retenu, et
beaucoup plus appris par les livres que par la vie » (II, 7,
338-339) :
Je jouais un
affreux personnage, m’efforçais de lui ressembler […]. Je me
prenais pour un révolté, un outlaw, qui foule aux pieds tout ce
qui fait obstacle à son désir […]. Ah ! si vous saviez ce que
c’est enrageant d’avoir dans la tête des tas de phrases de grands
auteurs, qui viennent irrésistiblement sur vos lèvres quand on
veut exprimer un sentiment sincère. (II, 4, 321)
Comme si chacun
de nous ne jouait pas, plus ou moins sincèrement et consciemment.
La vie, mon vieux, n’est qu’une comédie. Mais la différence entre
toi et moi, c’est que moi je sais que je joue ; tandis que… (III,
16, 448)
Elle est fausse
parce que, comme le prouve la présence du monologue intérieur, il
n’est pas un mais deux :
Quoi que je
dise ou fasse, toujours une partie de moi reste en arrière, qui
regarde l’autre se compromettre, qui l’observe, qui se fiche
d’elle et la siffle, ou qui l’applaudit. Quand on est ainsi
divisé, comment veux-tu qu’on soit sincère ? J’en viens à ne même
plus comprendre ce que peut vouloir dire ce mot. (III, 16,
449)
Du Diable à
l’ange
Elle est
surtout et avant tout fausse parce que, alors que
l’intertextualité shakespearienne, le cotexte, le recours au
monologue [117], la suite du roman, les allégations de Gide [118], tout
crie qu’il a bel et bien eu droit à « un visiteur du soir »,
Bernard refuse de voir, refuse de croire et, par ce refus, comme
Vincent, « enforce » le Diable :
La culture
positive de Vincent le retenait de croire au surnaturel ; ce qui
donnait au démon de grands avantages. Le démon n’attaquait pas
Vincent de front ; il s’en prenait à lui d’une manière retorse et
furtive. (I, 16, 279)
À partir de
quoi, le démon a partie gagnée. À partir de quoi l’être qui
se croit le plus libre, n’est plus qu’un instrument à son service.
(I, 14, 280)
[…] le diable,
lui, n’a pas besoin qu’on croie en lui pour le servir. Au
contraire, on ne le sert jamais si bien qu’en l’ignorant. Il a
toujours intérêt à ne pas se laisser connaître ; et c’est là, je
vous dis, ce qui me chiffonne : c’est de penser que, moins je
crois en lui, plus je l’enforce. Ça me chiffonne,
comprenez-moi bien, de songer que c’est précisément là ce qu’il
désire : qu’on ne croie pas en lui. Il sait bien comment faire,
allez, pour s’insinuer dans nos cœurs, et qu’il n’y peut entrer
d’abord qu’inaperçu [119].
Or, refuser de
reconnaître [120] le Diable est d’autant plus une
erreur que Gide voit en Satan une « explication de [sa] vie, de
tout l’inexplicable, de tout l’incompréhensible, de toute l’ombre
de [sa] vie » [121], une prise de
conscience du danger des prétendues vertus de la trop étroite
morale bourgeoise [122],
une explicitation de la dualité humaine [123], une reconnaissance du manque qui est au fond de
tout homme [124], une confirmation de l’importance de
s’abandonner [125], une sollicitation à se
poser les questions fondamentales qui amènent à sortir du mensonge
et donc à vivre plus authentiquement :
Les grandes
tentations que le Malin nous présente sont, selon Dostoïevski des
tentations intellectuelles, des questions. Et je ne pense pas
m’écarter beaucoup de mon sujet, en considérant d’abord les
questions où s’est exprimée et longtemps attardée la constante
angoisse de l’humanité : « Qu’est-ce que l’homme ? D’où vient-il ?
Où va-t-il ? Qu’était-il avant sa naissance ? Que devient-il après
la mort ? À quelle vérité l’homme peut-il prétendre ? » et même
plus exactement : « Qu’est-ce que la vérité ? » [126]
Mais depuis
Nietzsche, avec Nietzsche, une nouvelle question s’est soulevée,
une question totalement différente des autres… et qui ne s’est
point tant greffée sur celles-ci qu’elle ne les bouscule et
remplace ; question qui comporte aussi son angoisse, une angoisse
qui conduit Nietzsche à la folie. Cette question, c’est : « Que
peut l’homme ? Que peut un homme ? » Cette question se double de
l’appréhension terrible que l’homme aurait pu être autre chose,
aurait pu davantage, qu’il pourrait davantage encore ; qu’il se
repose indignement à la première étape, sans souci de son
parachèvement [127].
« D’où
viens-je ? », « Où vais-je aller ? », « Comment être vrai ? »,
« Que puis-je faire de ma vie ? » sont bien les questions que doit
impérativement et le plus vite possible affronter Bernard. Satan
est d’autant moins à nier ou à fuir qu’il est, enfin, une
reconnaissance du mal et de la souffrance, reconnaissance qui,
selon Gide, est ascèse, chemin de progression vers le Ciel :
Qui comprendra
que le dénuement puisse être attrayant comme un luxe ? Et le
blottissement dans la détresse autant que l’exaltation de
l’amour. C’est le point où le plus haut ciel touche à
l’enfer [128].
Mais,
croyez-moi, dit-il [Walter Rathenau], un peuple n’arrive à prendre
conscience de lui-même et pareillement un individu ne peut prendre
conscience de son âme qu’en plongeant dans la souffrance, et dans
l’abîme du péché [129].
Dostoïevski a
été tourmenté toute sa vie à la fois par l’horreur du mal et par
l’idée de la nécessité du mal (et par le mal, j’entends également
la souffrance) [130].
Dostoïevski ne
voit et n’imagine le salut que dans le renoncement de l’individu à
lui-même ; mais d’autre part, il nous donne à entendre que l’homme
n’est jamais plus près de Dieu que lorsqu’il atteint l’extrémité
de sa détresse. C’est alors seulement que jaillira ce cri :
« Seigneur, à qui irions-nous ! tu as les paroles de la vie
éternelle. » [131]
Nier la
présence du Diable comme le fait Bernard au début de l’incipit des
Faux-Monnayeurs, ce n’est donc pas seulement laisser
transparaître un peu de son caractère, de sa révolte, de son sens
critique, c’est, paradoxalement, retomber dans les idées
préconçues, dans les schémas déterminés, dans l’imitation du
passé, dans une cohérence simplificatrice, dans le réalisme
bourgeois, dans une fausse distanciation, dans une démarche
d’autant plus caractéristique d’un faiseur [132] que, sur les
pas de Blake et Dostoïevski, Gide en arrive à la conclusion
qu’« il n’y a pas d’œuvre d’art sans participation
démoniaque » [133]. C’est aussi se mentir à
soi-même, jouer au sincère sans l’être, basculer dans le clan des
faux-monnayeurs, refuser d’affronter le mal et la souffrance [134] qui
font grandir, refuser d’admettre ce que Gide, lui-même, a bien eu
du mal à accepter, à savoir que pour progresser il ne faut pas
seulement renoncer à la vision du monde bourgeoise, il faut aussi
renoncer à la morale chrétienne traditionnelle, il faut accepter
d’aller voir du côté du… Diable.
De l’instant à
l’éternité
Ce refus de
Satan est d’autant plus problématique que l’enjeu est crucial et
que, comme le révèle l’isotopie du temps, omniprésente dans la
première page [135], les minutes sont plus que comptées. S’il n’y prend
garde, l’horloge que tente de réparer Bernard pourrait bien ne pas
repartir. Il suffit en effet de juxtaposer la référence
intertextuelle au fantôme d’Hamlet, le projet de
Lucien Bercail (« Tu comprends : quelque chose qui donnerait
l’impression de la fin de tout, de la mort… mais sans parler de la
mort, naturellement. », I, 1, 179) et une des métaphores utilisées
par le père de Bernard lorsqu’il évoque justement l’incipit (« ce
cadavre que le flux ramène… », I, 2, 187), pour comprendre que les
pas du corridor ne sont pas dénués de connotations morbides et que
ce qui se niche au cœur de la première phrase des
Faux-Monnayeurs, ce n’est rien de moins qu’une des
obsessions les plus fondamentales de Gide : « Mais, toute ma vie
et sans cesse, j’ai eu et retrouvé partout cette crainte de ne pas
avoir le temps, et que le terrain me manque soudain sous mes
pas. » [136].
Pour y faire
face, Gide se méfie trop de la continuité – qui est pour lui
synonyme de schéma prédéterminé, d’idées préconçues, d’imitation
de soi-même, d’enfermement, de refus de la nouveauté, en un mot,
de réalisme bourgeois – pour choisir la solution de Proust :
Nous agissons
sans cesse comme nous estimons que l’être que nous sommes, que
nous croyons être, doit agir. La plupart de nos actions nous sont
dictées non point par le plaisir que nous prenons à les faire,
mais par un besoin d’imitation de nous-mêmes, et de projeter dans
l’avenir notre passé. Nous sacrifions la vérité (c’est-à-dire la
sincérité) à la continuité, à la pureté de la ligne [137].
D’ailleurs,
dans Les Faux-Monnayeurs, Édouard en arrive aux mêmes
conclusions. Lui aussi associe continuité et mort :
Ce n’est que
dans la solitude que parfois le substrat m’apparaît et que
j’atteins à une certaine continuité foncière ; mais alors il me
semble que ma vie s’alentit, s’arrête et que je vais proprement
cesser d’être […] et [je] ne me sens jamais vivre plus intensément
que quand je m’échappe à moi-même pour devenir n’importe qui. (I,
8, 225)
Déjà, dans
L’Immoraliste, Michel et Ménalque se méfiaient de la
« recherche du temps perdu » :
Regrets,
remords, repentirs, ce sont joies de naguère, vues de dos. Je
n’aime par regarder en arrière, et j’abandonne au loin mon passé
comme l’oiseau, pour s’envoler, quitte son ombre [138].
L’histoire du
passé prenait maintenant à mes yeux cette immobilité, cette fixité
terrifiante des ombres nocturnes dans la petite cour de Biskra,
l’immobilité de la mort. Avant je me plaisais à cette fixité même
qui permettait la précision de mon esprit ; tous les faits de
l’histoire m’apparaissaient comme les pièces d’un musée, ou mieux
les plantes d’un herbier, dont la sécheresse définitive m’aidât à
oublier qu’un jour, riches de sève, elles avaient vécu sous le
soleil [139].
[…] je ne veux
pas me souvenir, répondit-il. Je croirais, ce faisant, empêcher
d’arriver l’avenir et faire empiéter le passé. C’est du parfait
oubli d’hier que je crée la nouvelleté de chaque heure. Jamais,
d’avoir été heureux, ne me suffit. Je ne crois pas aux choses
mortes, et confonds n’être plus, avec n’avoir jamais été [140].
Notons que loin
de limiter cette conception à l’individuel, Gide la généralise et
voit dans le retour au passé et dans la recherche à tout prix de
la continuité, deux des maux qui frappent la France :
Voici mon avis
bien net : la France est perdue si elle se cramponne au passé ;
j’ai confiance au contraire qu’elle aura la force de pousser
outre. Tout ce qui représente la tradition est appelé à être
bousculé. Et ce n’est que longtemps après que l’on pourra
reconnaître, à travers le bouleversement, la continuité, malgré
tout de notre tempérament, de notre histoire. C’est à ce qui n’a
pas eu de voix jusqu’alors, à parler. C’est une lâche erreur
de croire que nous ne pouvons lutter contre l’Allemagne qu’en nous
retranchant dans notre passé. Rimbaud, Debussy, Matisse, etc.,
peuvent ne ressembler en rien au passé de notre tradition, sans
cesser pour cela d’être français ; ils peuvent différer de tout ce
qui a représenté la France jusqu’à aujourd’hui et exprimer encore
la France. Si la France n’est plus capable de nouveauté, pour quoi
serait-ce qu’elle lutte ? […] Il ne s’agit plus de ce que
nous étions ; il s’agit de ce que nous sommes [141].
Gide ne
préconise cependant pas pour autant de vivre pour l’avenir voire
dans l’avenir. Bien au contraire. Pour preuve, il caractérise
l’autobiographie de Mark Rutherford par l’adjectif « admirable »
et s’extasie sur le passage suivant :
En devenant
vieux, je compris mieux combien folle était cette perpétuelle
course après le futur, cette puissance du lendemain, cette remise
de jour en jour, ce report en avant, du bonheur. J’appris enfin,
quand il était déjà presque trop tard, […] à ne pas chercher à
m’inquiéter sans cesse du futur ; mais au temps de ma jeunesse,
j’étais victime de cette illusion, que pour une raison ou pour une
autre entretient en nous la nature, qui fait que, par le plus
radieux matin de juin, nous pensons aussitôt à des matins de
juillet qui seront plus radieux encore [142].
A
contrario, Gide privilégie le présent, l’instant, le
« moment ». Il y voit la source de la nouveauté, il y voit, pour
le pire ou le meilleur, la cause de tout changement. On retrouve
là le sujet qui préoccupe tant Armand : « Une heure, comme tu y
vas ! Je suppute l’instant extrême […], la tentation. L’on tient
encore ; la corde est tendue jusqu’à se rompre, sur laquelle le
démon tire… Un tout petit peu plus, la corde claque : on est
damné. » (III, 7, 387-388). On trouve aussi là ce qui intéresse
tant Gide dans le roman d’aventures. D’ailleurs, dans Les
Faux-Monnayeurs, « aventure » et « instant » ne sont pas
loin de former une molécule sémique : « Dans un instant se dit-il,
j’irai vers mon destin. Quel beau mot : l’aventure ! Ce qui doit
advenir. Tout le surprenant qui m’attend. » (I, 6, 214) ; « Je ne
peux pas dire que j’aime le danger, mais j’aime la vie hasardeuse
et veux qu’elle exige de moi, à chaque instant, tout mon courage,
tout mon bonheur et toute ma santé… » [143].
Mais pourquoi
privilégier ainsi l’instant ? Parce qu’il permet de dépasser les
ambivalences, parce qu’étant donné qu’il est coupé du passé et du
futur, réussir à le capturer, c’est réussir à être un artiste
sincère, c’est aussi, puisque lui seul retranscrit l’immédiateté,
l’imprévisibilité et la spontanéité, réussir à représenter la
vie : « […] souvenirs ou regrets, espérance ou désir, avenir et
passé se taisaient ; je ne connaissais plus de la vie que ce qu’en
apportait, en emportait l’instant. – Ô joie physique !
m’écriais-je ; rythme sûr de mes muscles ! santé !… » [144]. La juxtaposition est révélatrice. Seuls sens et
corps permettent l’accès à l’instant, permettent l’oubli total du
passé. Quand l’on se focalise sur une sensation, tout ce qui n’est
pas cette sensation tombe en effet dans l’oubli : « Que chaque
instant emporte tout ce qu’il avait apporté. » [145]. De cet oubli mais aussi de l’abolition du concept
d’espoir, en un mot, de la plénitude du moment présent, découle
une incroyable sensation de bonheur : « […] j’éprouve combien il
était vrai de dire que le bonheur habite l’instant. » [146] ; « Si tu préfères, lui dis-je gravement,
résignant d’un coup tout autre espoir et m’abandonnant au parfait
bonheur de l’instant. » [147]. S’arrêter là serait cependant réducteur. Si le
bonheur est une conséquence de l’instant, ce n’est pas lui l’enjeu
véritable : « Et comme si le temps eût pu s’arrêter avec moi :
voici l’instant, pensai-je, l’instant le plus délicieux peut-être,
quand il précéderait le bonheur même, et que le bonheur même ne
vaudra pas… » [148]. Le
véritable enjeu, c’est le retour à l’innocence de l’enfance,
c’est… l’éternité :
Le premier
effet de cette nouvelle naissance, c’est de ramener l’homme à
l’état premier de l’enfance : « Vous n’entrerez pas dans le
Royaume de Dieu, si vous ne devenez semblables à des enfants. » Et
je vous citais à propos cette phrase de La Bruyère : « Les enfants
n’ont ni passé, ni avenir, ils vivent dans le présent », ce que
l’homme ne sait plus faire. « Dans ce moment, disait
Muichkine à Rogojine, il me semble que je comprends le mot
extraordinaire de l’apôtre : “Il n’y aura plus de
temps.” » Cette participation immédiate à la vie éternelle,
je vous disais que déjà nous l’enseignait l’Évangile où les mots :
Et nunc, « dès à présent », reviennent sans cesse.
L’état de joie dont nous parle le Christ est un état, non point
futur mais immédiat. « Vous croyez à la vie éternelle dans
l’autre monde ? – Non, mais à la vie éternelle dans celui-ci.
Il y a des moments, vous arrivez à des moments où le temps
s’arrête tout d’un coup pour faire place à l’éternité. » [149]
Mais pour en
arriver là, pour vivre pleinement l’instant, pour gagner son
éternité dans le présent, il faut être capable de se renier, de
renoncer, de mourir à soi-même, de se confronter, de se livrer à…
Satan :
[L]a béatitude, l’état de
béatitude promise par le Christ, peut être atteinte immédiatement,
si l’âme humaine se renie et se résigne elle-même : Et
nunc [150]…
La vie
éternelle peut être dès à présent toute présente en nous. Nous la
vivons dès l’instant que nous consentons à mourir à nous-mêmes, à
obtenir de nous ce renoncement qui permet immédiatement la
résurrection dans l’éternité [151].
C’est tout cela
qui est en jeu dans l’incipit et qui explique qu’au début de la
première phrase, la lexie mise en valeur par le présentatif n’est
pas le substantif « sincérité » ou « liberté », mais le nom commun
« moment ». Effectivement, non seulement, au début des
Faux-Monnayeurs, Gide met en place une situation qui,
comme le montre fort bien un passage de
L’Immoraliste [152], magnifie l’instant,
mais il choisit un « moment », un « instant », potentiellement
libérateur. En effet, si Bernard « entend » ses sens, s’il
« entend » ce que lui dit son corps, s’il accepte de se mettre en
danger en reconnaissant la présence du Diable, il peut gagner
sincérité, bonheur, retour à l’innocence de l’enfance et
éternité.
Mais à ce
stade, refusant « l’aventure », restant dans la continuité des
schémas de son éducation bourgeoise, prisonnier de son passé,
nourri d’espoirs, incapable de renoncer à ce que lui-même croit
être, incapable de se renier totalement, continuant à jouer un
personnage, il n’ose pas s’abandonner, il refuse de voir le Diable
et ne peut donc l’affronter, et ne peut donc être le nouveau Jacob
que, pourtant, par son patronyme, il est appelé à être. Ce qui
fait que sa rébellion n’est qu’apparence, ce qui fait qu’il ne
répond pas véritablement à l’appel du corridor, qu’il reste au
cœur de la « cellule sociale » (I, 12, 257), au cœur du monde des
faux-monnayeurs, qu’il ne prend pas totalement conscience de sa
dualité, qu’il se trompe lui-même, reste dans les idées, se révèle
plus faiseur qu’artiste et devient la vivante confirmation d’une
des répliques d’Édouard : « Ça arrive à n’importe qui de faire un
faux départ. L’important, c’est de ne pas s’entêter… » (II, 6,
335).
Dans la
troisième partie du roman, ayant « éprouvé que les opinions des
uns et des autres, sur chaque point, se contredisent », prenant
« le parti de n’écouter plus rien que lui » (II, 4, 319), il ouvre
yeux et oreilles, et reconnaît l’existence du Diable. Mieux, il
s’en rapproche [153], lui tient la main [154], alors qu’il disait « non »
dit enfin « oui » [155] et finit
même par étreindre le vieil ennemi [156]. Il prend alors conscience
qu’écouter Satan ce n’est pas devenir satanique [157], c’est grandir [158], c’est
« suivre sa pente […] en montant » (III, 14, 436), c’est « du coup
[devenir] très fort » (II, 4, 319), c’est voir « devant [soi]
l’océan de la vie s’étendre » (III, 13, 429), c’est enfin vivre
pleinement [159] et donc, paradoxalement,
s’approcher de Dieu. Dans son délire extatique, le vieux
La Pérouse – qui, comme le Bernard du tout début, entend des
bruits – n’est pas loin, à la toute fin du roman, d’en arriver aux
mêmes conclusions :
Avez-vous
remarqué que, dans ce monde, Dieu se tait toujours ? Il n’y a que
le diable qui parle. Ou du moins, ou du moins…, reprit-il, quelle
que soit notre attention, ce n’est jamais que le diable que nous
parvenons à entendre. Nous n’avons pas d’oreilles pour écouter la
voix de Dieu. (III, 18, 465)
Non ! Non !
s’écria-t-il confusément ; le diable et le bon Dieu ne font
qu’un ; ils s’entendent. Nous nous efforçons de croire que tout ce
qu’il y a de mauvais sur la terre vient du diable ; mais c’est
parce qu’autrement nous ne trouverions pas en nous la force de
pardonner à Dieu. (III, 18, 466)
Si le début des
Faux-Monnayeurs est si paradoxal et si ambivalent,
s’il a été tant de fois retravaillé, si Gide prétend que rien n’y
est gratuit, s’il le présente comme le point ultime d’une démarche
régressive allant toujours plus en amont, c’est donc qu’il faut y
voir une fissure ouvrant sur de vastes cavernes : la caverne
fiction tout d’abord, puisque par cette phrase initiale il plonge
le lecteur dans un référent qui le déborde de tous côtés, nous
fait découvrir la personnalité complexe de Bernard, met en place
une situation éminemment dramatique ; la caverne esthétique
ensuite, puisque refusant virtuosité et mode, cherchant à
s’opposer au réalisme bourgeois, il féconde le fait par l’idée,
choisit une approche subjective, et, dans la droite ligne des
théorisations de Jacques Rivière, rédige un incipit de roman
d’aventures mâtiné de fantastique. Voulant être plus artiste que
poète, Gide n’en dénonce pas moins, dès sa première phrase,
ficelles et stéréotypes romanesques et fait ainsi pénétrer le
lecteur dans une troisième caverne, la caverne morale, caverne qui
aide à comprendre que, comme le préfigurait le titre du roman, un
des enjeux principaux de l’œuvre est l’ambivalence
mensonge / vérité. Si dans l’incipit Bernard essaye en effet de se
faire croire qu’il est lucide et sincère, il n’en reste pas moins
un faux-monnayeur se leurrant sur lui-même, un faux-monnayeur qui
en refusant de voir et donc d’affronter Satan ne peut ni devenir
artiste, ni connaître la sincérité, ni s’abandonner à ses sens et
à l’instant, autrement dit, ne peut pas encore vivre
véritablement, ne peut pas s’approcher de Dieu. Bien sûr, de même
que la sincérité et la vérité ne peuvent être atteintes que par
l’art qui est renoncement à la sincérité et à la vérité, de même
que les savantes spéculations intellectuelles de Gide mènent à
l’épochè et à un « je » qui, dans l’instant, fait corps avec le
monde, de même que l’éternité et le Ciel ne peuvent être obtenus
que par une confrontation avec Satan dans le réel, les trois
cavernes auxquelles conduit la fissure incipit n’en font qu’une
seule et unique. Belle confirmation que les fissures les plus
étroites ne sont pas les moins riches, belle confirmation que
« [l]es sources de nos moindres gestes [et phrases] sont aussi
multiples et retirées que celles du Nil » [160].
1 | Édition de référence : André Gide,
Les Faux-Monnayeurs [1925], in Romans et récits.
Œuvres lyriques et dramatiques, Pierre Masson (éd.), Paris,
Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 551), 2009, t. II,
p. 175. | 2 | Ibid., p. 279. | 3 | André Gide, Le Prométhée mal enchaîné
[1899], in Romans. Récits et soties. Œuvres
lyriques, Yvonne Davet, Maurice Nadeau et Jean-Jacques Thierry
(éd.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 135), 1958,
p. 303. | 4 | André Gide, L’Immoraliste
[1902], ibid., p. 369. | 5 | André Gide,
Paludes [1895], ibid., p. 91. | 6 | André Gide, Le Prométhée mal
enchaîné, p. 303. | 7 | André Gide, Isabelle
[1911], in Romans. Récits et soties. Œuvres
lyriques, p. 601. | 8 | André Gide, Les Caves du
Vatican [1914], ibid., p. 680. | 9 | André
Gide, Le Traité du Narcisse [1891], ibid.,
p. 3. | 10 | André Gide,
Les Nourritures terrestres [1897], ibid.,
p. 154. | 11 | André Gide, La Porte étroite [1909],
ibid., p. 495. | 12 | André Gide, Le Voyage d’Urien [1893],
ibid., p. 16. | 13 | André Gide, La Tentative
amoureuse [1893], ibid., p. 72. | 14 | Cité
par Alain Goulet, André Gide, “Les Faux-Monnayeurs” : mode
d’emploi, Paris, SEDES (Littérature), 1991, p. 64-65. | 15 | André Gide, Journal des Faux-Monnayeurs,
in Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques,
t. II, 6 juillet 1919, p. 524. | 16 | André Gide, ibid., 22 avril 1921,
p. 532. | 17 | André Gide, Romans et
récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II, « Notice pour
Les Faux-Monnayeurs », p. 1205-1206. | 18 | André Gide, Journal, Éric Marty (éd.),
Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 54), 1996, t. I :
1887-1925, 3 octobre 1921, p. 1136. | 19 | André Gide,
Journal des Faux-Monnayeurs, 7 décembre 1921,
p. 535. | 20 | André Gide,
Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II,
« Notice pour Les Faux-Monnayeurs », p. 1206. | 21 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 7 décembre 1921, p. 535. | 22 | André Gide, Romans et
récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II, « Notice pour
Les Faux-Monnayeurs », p. 1207. | 23 | Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame, citée ibid., p. 1209. | 24 | Cité par Alain Goulet, André Gide, “Les Faux-Monnayeurs”…, p. 70. | 25 | Ibid., p. 71. | 26 | André
Gide, Journal des Faux-Monnayeurs, 27 décembre 1923,
p. 549. | 27 | Ibid., 29 mars 1925, p. 556. | 28 | « Tout ce qui ne peut servir alourdit. »,
ibid., 6 juillet 1919, p. 524. | 29 | Ibid., 11 octobre 1922,
p. 542. | 30 | André Gide, Romans et récits. Œuvres lyriques et
dramatiques, t. II, « En marge des
Faux-Monnayeurs », Notes et réflexions,
p. 468. | 31 | Ibid., « En marge
des Faux-Monnayeurs », Fragments retranchés et ébauches,
p. 513. | 32 | « Il se dit que les
romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages,
gênent plutôt l’imagination qu’ils ne la servent et qu’ils
devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci
comme il lui plaît. » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs, partie I, chapitre 8, p. 227 [les citations issues de cette édition des Faux-Monnayeurs seront désormais référencées sous cette forme : I, 8, 227]) ; « Nécessaire d’abréger
beaucoup cet épisode. La précision ne doit pas être obtenue dans
le détail du récit, mais bien, dans l’imagination du lecteur, par
deux ou trois traits, exactement à la bonne place. » (I, 11,
237). | 33 | André
Gide, Journal des Faux-Monnayeurs, 29 mars 1924,
p. 550. | 34 | « Elle pleurait. Bernard sentit alors en son cœur
encore une attache se rompre, un de ces liens secrets qui relient
chacun de nous à soi-même, à son égoïsme passé. » (II, 4,
322). | 35 | « Plenty and peace
breeds cowards ; hardness ever / Of hardiness is
mother. » (I, 3, 191). | 36 | André Gide, Romans et
récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II, « En marge
des Faux-Monnayeurs », Fragments retranchés et
ébauches, p. 510. | 37 | Ibid. | 38 | « De toutes les passions, celle qui est la plus
inconnue à nous-mêmes, c’est la paresse ; elle est la plus ardente
et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible
et que les dommages qu’elle cause soient très cachés… Le repos de
la paresse est un charme secret de l’âme qui suspend soudainement
les plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres résolutions. »
(II, 5, 329). | 39 | André Gide, Romans et
récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II, « En marge
du Journal des Faux-Monnayeurs », Éléments du journal
manuscrit non retenus par Gide, p. 574-575. | 40 | Ibid.,
p. 571. | 41 | André Gide, Les Caves du Vatican,
p. 714. | 42 | Ibid.,
p. 870. | 43 | André
Gide, La Porte étroite, p. 555. | 44 | André Gide, Isabelle, p. 653. | 45 | André Gide, Les Caves du Vatican,
p. 716. | 46 | André Gide, Isabelle,
p. 631. | 47 | Ibid.,
p. 639. | 48 | André Gide, La Porte étroite,
p. 503. | 49 | Ibid. | 50 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 28 octobre 1922, p. 542-543. | 51 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 23 avril 1918,
p. 1064. | 52 | Ibid., 4 juillet 1914,
p. 802. | 53 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 27 mars 1924, p. 550. | 54 | André Gide, Romans et récits. Œuvres lyriques
et dramatiques, t. II, « Notice pour Les
Faux-Monnayeurs », p. 1209. | 55 | « La France est perdue par la rhétorique. Peuple
oratoire, habitué à se payer de mots, habile à prendre les mots
pour les choses et prompt à mettre des formules au-devant de la
réalité. », André Gide, Journal, t. I : 1887-1925,
8 octobre 1915, p. 894. | 56 | Ibid. | 57 | Ibid., « Feuillets »,
p. 1156. | 58 | Alain Goulet, André
Gide, “Les Faux-Monnayeurs”…, p. 47-48. | 59 | André Gide,
Journal, Martine Sagaert (éd.), Paris, Gallimard
(Bibliothèque de la Pléiade ; 104), 1997, t. II : 1926-1950,
14 juillet 1926, p. 7. | 60 | Ibid., 26 août 1926,
p. 16. | 61 | « C’est
aussi, vous l’avez bien compris, et je vous le disais dès le
début, que Dostoïevski ne m’est souvent ici qu’un prétexte pour
exprimer mes propres pensées. », André Gide, « Dostoïevski, VI »,
in Essais critiques, Pierre Masson (éd.), Paris,
Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 457), 1999, p. 637. | 62 | Friedrich Nietzsche, Le
Crépuscule des idoles, Paris, Gallimard, 1991, « Morale
pour psychologues », p. 61-62, cité par André Gide, « Dostoïevski,
III », ibid., p. 596. | 63 | On
pourrait aussi citer : « Désormais, entre ce que je pense et ce
que je sens, le lien est rompu. Et je doute si précisément ce
n’est pas l’empêchement que j’éprouve à laisser parler aujourd’hui
mon cœur qui précipite mon œuvre dans l’abstrait et l’artificiel.
En réfléchissant à ceci, la signification de la fable d’Apollon et
de Daphné m’est brusquement apparue : heureux, ai-je pensé, qui
peut saisir dans une seule étreinte le laurier et l’objet même de
son amour. » (I, 11, 240) ; « La plupart de vos personnages
semblent bâtis sur pilotis ; ils n’ont ni fondation, ni sous-sol.
Je crois vraiment qu’on trouve plus de vérité chez les poètes ;
tout ce qui n’est créé que par la seule intelligence est faux. »
(II, 2, 307). | 64 | André Gide,
Journal des Faux-Monnayeurs, août 1921,
p. 540. | 65 | « Inconséquence des
caractères. Les personnages qui, d’un bout à l’autre du roman ou
du drame, agissent exactement comme on aurait pu le prévoir… On
propose à notre admiration cette constance, à quoi je reconnais au
contraire qu’ils sont artificiels et construits. » (III, 12,
423) ; « Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les
dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les
regarde agir ; il les entend parler dès avant que de les
connaître, et c’est d’après ce qu’il leur entend dire qu’il
comprend peu à peu qui ils sont. », André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 27 mai 1924, p. 552. | 66 | André Gide,
« Dostoïevski, III », p. 596-597. | 67 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 17 juin 1919, p. 522. | 68 | André Gide, Romans et récits. Œuvres lyriques
et dramatiques, t. II, « Notice pour Les
Faux-Monnayeurs », p. 1202. | 69 | Cité par Alain Goulet, André Gide, “Les
Faux-Monnayeurs”…, p. 66. | 70 | Ibid., p. 70. | 71 | André Gide,
Journal des Faux-Monnayeurs, 26 juillet 1919,
p. 526. | 72 | Cité par
Alain Goulet, André Gide, “Les Faux-Monnayeurs”…,
p. 50. | 73 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 3 octobre 1921,
p. 1136. | 74 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, août 1921, p. 541. | 75 | André Gide, Les Caves
du Vatican, p. 833. | 76 | Alain Goulet, André
Gide, “Les Faux-Monnayeurs”…, p. 104. | 77 | Jacques Rivière,
NRF, juillet 1913, cité par Alain Goulet,
ibid., p. 50. | 78 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 1er novembre 1924,
p. 554. | 79 | Maria Van Rysselberghe,
Les Cahiers de la Petite Dame : notes pour l’histoire
authentique d’André Gide, Association des amis d’André Gide
(éd.), Paris, Gallimard (Cahiers André Gide ; 4), 1973, t. I :
1918-1929, p. 158. | 80 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 27 décembre 1923, p. 549. | 81 | André Gide, Journal, t. I : 1887-1925,
3 janvier 1922, p. 1167. | 82 | « Cet étrange garçon […] se
croit possédé par le diable ; ou plutôt il se croit le diable
lui-même, si j’ai bien compris ce qu’il disait. Il a dû lui
arriver quelque aventure, car, en rêve ou dans l’état de
demi-sommeil où il lui arrive souvent de tomber (et alors il
converse avec lui-même comme si je n’étais pas là), il parle sans
cesse de mains coupées. » (III, 16, 453). | 83 | André Gide,
Les Caves du Vatican, p. 697. | 84 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, 27 décembre 1923, p. 549. | 85 | « J’achève de traduire, ce matin, le premier acte
de Hamlet, et renonce à pousser plus avant. J’ai
passé trois semaines sur ces quelques pages, à raison de quatre à
six heure par jour. », André Gide, Journal, t. I :
1887-1925, 14 juillet 1922, p. 1179. | 86 | « Et voici dans la préface de
Hamlet (Schwob, p. XIX) que je lis ce matin une
explication des plaisanteries vulgaires que Hamlet adresse au
spectre : true-penny old mole. D’après Taine : “Il
essaie de plaisanter comme un enfant chante dans l’obscurité pour
ne pas avoir peur.” », ibid., 15 juillet 1922,
p. 1181. | 87 | « We are all bastards ; / And
that most venerable man which I / Did call my father, was I
know not where / When I was stamp’d. » (I, 6, 214) ;
« How weary, stale, flat and
unprofitable / Seems to me all the uses of this
world ! » (I, 10, 232). | 88 | « Tout le
monde ne peut pas se payer, comme Hamlet, le luxe d’un spectre
révélateur. Hamlet ! C’est curieux comme le point de vue diffère,
suivant qu’on est le fruit du crime ou de la légitimité. » (I, 6,
216). | 89 | Voir note 86. | 90 | William Shakespeare, Hamlet, in
Œuvres complètes, Henri Fluchère (éd.), Paris,
Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 51), 1959, t. II,
p. 615. | 91 | Ibid. | 92 | Ibid. | 93 | Ibid. | 94 | André Gide, « Dostoïevski, III », p. 607. | 95 | Alain Goulet, André Gide, “Les
Faux-Monnayeurs”…, p. 202-203. | 96 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, août 1921, p. 537. | 97 | « Et puis cette curiosité, cette “fatale curiosité”
comme dit Fénelon, c’est ce que j’ai le plus sûrement hérité de
mon vrai père, car il n’y en a pas trace dans la famille des
Profitendieu. Je n’ai jamais rencontré moins curieux que Monsieur
le mari de ma mère ; si ce n’est les enfants qu’il lui a faits. »
(I, 6, 216). | 98 | « – […] Mais vous ne ferez jamais un bon romancier.
– Parce que ? – Parce que vous ne savez pas écouter. » (I, 5,
208). | 99 | Par exemple : « Comme il
tournait à nouveau le corridor, une femme sortit […]. », André
Gide, Les Caves du Vatican, p. 713 ; « Nous le
retrouvâmes au second étage, près de la fenêtre dévitrée d’un
corridor […]. “Allons-nous-en, fit-il. J’ai besoin de respirer un
autre air.” », André Gide, Isabelle, p. 602 ; « À
tâtons je gagnai la porte et l’ouvris. […] À l’autre extrémité du
couloir, une grande fenêtre versait jusqu’à moi une clarté non
point égale […]. », ibid., p. 653. | 100 | Maria
Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame : notes pour
l’histoire authentique d’André Gide, Association des amis
d’André Gide (éd.), Paris, Gallimard (Cahiers André Gide ; 4),
1973, t. I : 1918-1929, p. 37-38, passage cité par Alain Goulet,
André Gide, “Les Faux-Monnayeurs”…,
p. 66. | 101 | André Gide, Romans et récits. Œuvres
lyriques et dramatiques, t. II, « Notice pour Les
Faux-Monnayeurs », p. 1201. | 102 | André
Gide, Journal des Faux-Monnayeurs, 21 novembre 1920,
p. 529. | 103 | Ibid., 30 juillet 1919,
p. 527. | 104 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 17 juin 1923,
p. 1218. | 105 | André Gide, Romans et récits. Œuvres
lyriques et dramatiques, t. II, « En marge des
Faux-Monnayeurs », Fragments retranchés et ébauches,
p. 499. | 106 | André Gide,
« Dostoïevski, III », p. 597. | 107 | André Gide, André Walter. Cahiers et
poésies, in Romans et récits. Œuvres lyriques et
dramatiques, Pierre Masson (éd.), Paris, Gallimard
(Bibliothèque de la Pléiade ; 135), 2009, t. I, « Préface »,
p. 4. | 108 | « Le roman s’est occupé des traverses du sort, de
la fortune bonne ou mauvaise, des rapports sociaux, du conflit des
passions, des caractères, mais point de l’essence même de l’être.
Transporter le drame sur le plan moral, c’était pourtant l’effort
du christianisme. Mais il n’y a pas, à proprement parler, de
romans chrétiens. Il y a ceux qui se proposent des fins
d’édification ; mais cela n’a rien à voir avec ce que je veux
dire. » (I, 13, 266). | 109 | André Gide, Les Caves du Vatican,
p. 836. | 110 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, août 1921, p. 541. | 111 | André
Gide, Journal, 1889-1939, Paris, Gallimard
(Bibliothèque de la Pléiade ; 54), 1951, p. 29-30. | 112 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 1er juin 1918, p. 1068. | 113 | André Gide, « Dostoïevski, III »,
p. 600-601. | 114 | Alain Goulet, André
Gide, “Les Faux-Monnayeurs”…, p. 146. | 115 | André Gide, Si le grain ne meurt,
Paris, Gallimard (Folio ; 875), 2006, p. 280. | 116 | « Que cette question de la sincérité est
irritante ! Sincérité ! […] Je ne suis jamais que ce que je crois
que je suis. » (I, 8, 225). | 117 | Voir
note 82. | 118 | « [À] ces acteurs, Gide
souhaiterait en ajouter un autre, “le diable, qui circulerait
incognito à travers tout le livre et dont la réalité s’affirmerait
d’autant plus qu’on croirait moins en lui”. », André Gide,
Romans. Récits et soties. Œuvres lyriques, « Notices,
Les Faux-Monnayeurs », p. 1590-1591. | 119 | André Gide, Journal des
Faux-Monnayeurs, « Appendice », Identification du démon,
p. 567-568. | 120 | « Je me
sers consciemment ici, comme précédemment, d’un vocabulaire et
d’images qui impliquent une mythologie à laquelle il n’importe pas
absolument que je croie. Il me suffit qu’elle soit la plus
éloquente à m’expliquer un drame intime. Et la psychologie le peut
expliquer à son tour comme la météorologie fait certains mythes
grecs… que m’importe ! L’explication profonde ne peut être que
finalité. », André Gide, Journal, t. I : 1887-1925,
16 février 1916, p. 930. | 121 | André
Gide, Journal des Faux-Monnayeurs, « Appendice »,
Identification du démon, p. 567-568. | 122 | « Quant au péché… ce qui m’attire en lui…
[…] c’est peut-être d’abord le mépris, la haine, l’horreur de tout
ce que j’appelais vertu dans ma jeunesse. », ibid.,
p. 567 ; voir aussi l’épigraphe de La Rochefoucauld du chapitre 6
de « Saas-Fée » : « Il y a de certains défauts qui, bien mis en
œuvre, brillent plus que la vertu même. » (II, 6, 331) ; ou
encore : « Quand nous sommes jeunes, nous souhaitons de chastes
épouses, sans savoir tout ce que nous coûtera leur vertu. » (I, 1,
342) ; voire : « – Dois-je te croire sincère, à présent ? – Oui, je
crois que c’est ce que j’ai de plus sincère en moi : l’horreur, la
haine de tout ce qu’on appelle Vertu. » (III, 16, 451). | 123 | « Je lis dans Rutherford (t. II, p. 113) un
passage sur le diable et l’enfer qui vient admirablement en aide à
ma pensée. Je traduis à peu près : “Le démon, en tant qu’être
personnel, aujourd’hui le mortel le moins instruit et le moins
intelligent sait en rire. Sans doute, rien de pareil n’existe.
Mais cette horreur du mal qui ne parvient à s’exprimer que par la
figuration du Malin, voilà qui n’est pas matière à rire, et si
cela, sous une forme ou une autre ne survit point,
non plus ne survivra la race humaine. Aucune religion, que je
sache, n’a insisté autant que le christianisme, ni avec une si
belle gravité, sur la dualité de l’homme, sur cette division en
lui-même, vitale au suprême degré, entre the higher and the
lower, entre le ciel et l’enfer.” », André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 25 janvier 1916,
p. 919. | 124 | « Devant
Claudel je n’ai sentiment que de mes manques […]. »,
ibid., 15 mai 1925, p. 1283 ; « Il est des jours où
l’on se sent particulièrement loin de compte ; en
retard ; en dette ; en déficit. Aujourd’hui je ne vois partout que
des manques ; ce qui me manque ; ce à quoi j’ai manqué… », André
Gide, Romans et récits. Œuvres lyriques et
dramatiques, t. II, « Les Faux-Monnayeurs.
Notes des pages 356 à 388 », p. 1241 ; « D’autres ont le sentiment
de ce qu’ils ont, dit-il ; je n’ai le sentiment que de mes
manques. Manque d’argent, manque de forces, manque d’esprit,
manque d’amour. Toujours du déficit ; je resterai toujours en
deçà. » (III, 7, 387). | 125 | « J’ai
réalisé la profonde vérité de la parole : “Qui veut gagner sa vie
la perdra.” Certainement, c’est dans la parfaite abnégation que
l’individualisme triomphe, et le renoncement à soi est le sommet
de l’affirmation. », André Gide, Journal, t. I :
1887-1925, 16 février 1916, p. 930. | 126 | André Gide, « Dostoïevski,
V », in Essais critiques, p. 628. | 127 | Ibid. | 128 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 14 février 1916,
p. 929. | 129 | André Gide, « Dostoïevski, V »,
p. 636. | 130 | Ibid., p. 635. | 131 | Ibid., p. 636. | 132 | « […] Passavant lui paraît
moins un artiste qu’un faiseur. » (I, 8, 222). | 133 | André
Gide, « Dostoïevski, VI », p. 638. | 134 | Bernard ne prend conscience
de la vanité de la souffrance décrite dans l’incipit qu’au moment
où il croise la vraie souffrance : « […] cri si bizarre, si différent
de tout de ce que Bernard pouvait attendre, qu’il frissonna. Il
comprenait soudain qu’il s’agissait ici de vie réelle, d’une
véritable douleur, et tout ce qu’il avait éprouvé jusqu’alors ne
lui parut plus que parade et que jeu. » (I, 14, 269). | 135 | « [L]a
date était péremptoire. », « vieille de dix-sept ans »,
« l’encombrante pendule », « La pendule sonna quatre coups. Il
l’avait remise à l’heure. », « […] ne seront pas de retour avant
six heures. J’ai le temps. », « le temps est venu pour moi »,
etc. | 136 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 28 mars 1914, p. 765 ; ou
encore : « Il n’y a plus de temps à perdre ; je dois me persuader
de cela et dès demain me mettre en demeure. », ibid.,
3 mars 1916, p. 935. | 137 | André Gide, « Dostoïevski,
III », p. 600-601. | 138 | André Gide,
L’Immoraliste, p. 436. | 139 | Ibid., p. 397-398. | 140 | Ibid.,
p. 436. | 141 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, 8 octobre 1915,
p. 895. | 142 | André Gide, « Dostoïevski, V »,
p. 624. | 143 | André Gide, L’Immoraliste,
p. 428. | 144 | Ibid.,
p. 404. | 145 | Ibid.,
p. 437. | 146 | André Gide,
Journal, t. I : 1887-1925, mai 1925,
p. 1283. | 147 | André Gide, La Porte étroite,
p. 526. | 148 | Ibid., p. 561-562. | 149 | André Gide, « Dostoïevski,
VI », p. 641-642. | 150 | André Gide,
« Dostoïevski, V », p. 624. | 151 | Ibid. | 152 | « Bocage va venir ; il vient ; j’entends son vieux
pas approcher et mon cœur bat plus fort encore qu’il ne battait
pour le gibier. L’insupportable instant ! », André Gide,
L’Immoraliste, p. 451. | 153 | « Bernard n’avait jamais vu d’anges, mais il
n’hésita pas un instant et lorsque l’ange lui dit : “viens”, il se
leva docilement et le suivit. […] Il chercha plus tard à se
souvenir si l’ange l’avait pris par la main ; mais en réalité ils
ne se touchèrent point et même gardaient entre eux un peu de
distance. » (III, 13, 430). | 154 | « C’est alors seulement que
Bernard prit la main de l’ange, et l’ange se détournait de lui
pour pleurer. » (III, 13, 432). | 155 | « – C’est contre toi que je lutterai. Ce soir,
veux-tu ?… – Oui, dit Bernard. » (III, 13, 432). | 156 | « “Alors, maintenant, à nous deux”, dit Bernard à
l’ange. Et toute cette nuit, jusqu’au petit matin, ils
luttèrent. » (III, 13, 433). | 157 | « Tous deux luttèrent
jusqu’à l’aube. L’ange se retira sans qu’aucun des deux fût
vainqueur. » (III, 13, 433). | 158 | « Bernard était grave. Sa
lutte avec l’ange l’avait mûri. » (III, 14, 434). | 159 | Ne nous
confirme-t-il pas lui-même qu’il n’a pas encore vécu : « […] je ne
connais pas encore assez la vie des autres ; et moi-même je n’ai
pas encore vécu. » (III, 5, 375) ? | 160 | André Gide, Journal
des Faux-Monnayeurs, 27 mai 1924, p. 552. |
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