Dossier : <i>Ethos</i> et <i>Pathos</i> II


Capitale de la douleur, capitale des titres

Stéphane Gallon

Université Rennes II [1]

Résumé :
Si à première lecture les titres de Capitale de la douleur paraissent totalement hétérogènes, une confrontation du titre général avec les autres titres du recueil révèle, en fait, via le concept de degré, une forte cohésion interne. En n’intégrant rien de moins que la guerre, la France, la société, la bourgeoisie, la vie, Gala, l’amour, l’écriture, la poésie, etc., le titre Capitale de la douleur aspire les lecteurs vers les sommets du haut degré. Pour des raisons historiques, biographiques, esthétiques et idéologiques, les autres titres, eux, les entraînent du côté du bas degré. Cet écartèlement, plus complexe qu’il n’y paraît puisqu’en fait c’est chacun des titres en particulier et tous les titres ensemble qui sont parcourus par cette tension, ne saurait s’expliquer seulement par le hasard, par les sautes d’humeur du poète ou par le dilemme unanimisme / dadaïsme qui le déchire. On a dans ce collage poétique à la Max Ernst une matérialisation stylistique de la vision du monde phénoménologique, moniste, matérialiste et dialectique d’Éluard, matérialisation qui en libérant le langage, en le ramenant à son essence première, « donne à voir » le point d’or d’André Breton, « donne à voir » que, puisque quintessentielles du cycle de la vie, « amours » et « douleurs » sont… capitales.

Abstract:
If the poem titles in Capitale de la douleur appear completely heterogeneous at first sight, comparison of the collection’s title with the other titles it contains in fact reveals close internal cohesion via the concept of the degree of intensity. Covering no less than war, France, society, the bourgeoisie, life, Gala, love, writing, poetry, etc., the title Capitale de la douleur draws the reader to the heights of high intensity. For historical, biographical, aesthetic and ideological reasons, the other titles take the reader towards low intensity. This spread, which is more complex than it appears because in fact each title individually and all the titles collectively are shot through with this tension, cannot be explained by chance alone, by the changing moods of the poet or by the Unanimism/Dadaism dilemma tormenting him. In this poetic collage à la Max Ernst we have a stylistic materialization of Éluard’s phenomenological, monistic, materialistic and dialectic world view, a materialization which by liberating language and bringing it back to its primary essence, “shows” André Breton’s “certain point”, “shows” that because they are quintessential to the cycle of life, “loves” and “pains” are… capital.

Jamais une erreur les mots ne mentent pas [2].

Capitale de la douleur, « Répétitions », « Max Ernst », « Suite », « Manie », « L’invention »… À première lecture, « diversité » et « hétérogénéité » semblent les deux mots les plus adéquats pour caractériser les titres de Capitale de la douleur. Non seulement sensation et action, concret et abstrait, termes référentiels et autonymiques, périphrase métaphorique et degré zéro de la figuralité, nom commun et nom propre, groupe nominal avec complément du nom et substantifs sans déterminant, paraissent juxtaposés artificiellement, mais l’écart entre « Capitale » et « Manie » ou entre « Douleur » et « Manie » est tel que l’on en arrive à se demander si des appellations comme « Suite » et, un peu plus loin dans le recueil, « À côté » ne sont pas réitérées justement dans le but de signaler que les titres de Capitale de la douleur n’ont a priori aucun lien entre eux. Pour arranger le tout, la plupart des lexies utilisées étant polysémiques, le champ des possibles s’en trouve démultiplié et avec lui l’écartèlement entre les différents titres. Pire, certains d’entre eux, comme par exemple « Répétitions » et « L’invention », paraissent totalement antinomiques. Doit-on en déduire que le poète s’est contenté de collecter et de juxtaposer les uns aux autres ses derniers poèmes, que le recueil est une sorte de baromètre de ses humeurs, en un mot, que l’ensemble de l’œuvre est une illustration d’un des titres qui suivent : « Au hasard » ? Mais alors comment expliquer que le recueil Capitale de la douleur contient une section intitulée « Répétitions » contenant elle-même un poème ayant pour titre « Max Ernst » ? « Hiérarchisation » n’induit-il pas « Organisation » ? Comment aussi rendre compatible cette apparence de désordre avec le fait qu’Éluard refuse de ne pas retoucher le chaos engendré par l’écriture automatique et, malgré la pression d’André Breton, ne se résigne pas à mettre sur le même plan rêve et poésie [3] ? Ne devrait-on pas déduire de ces observations que le titre « Cachée » ou que la première ligne du poème qui justement suit « Au hasard » sont programmatiques et donc que les titres de Capitale de la douleur obéissent, en structure profonde, à « L’absolue nécessité » ? Pour trancher, caractérisons d’abord au plus près le titre du recueil puis confrontons-le aux autres titres d’Éluard et enfin essayons de voir s’il y a compatibilité et ce que cette compatibilité induit et révèle.

Un titre majuscule

Lorsqu’elles évoquent le concept de degré d’intensité, les grammaires contemporaines, tout en prenant la précaution de rappeler que l’on a affaire à un continuum, distinguent toutes trois niveaux : bas degré, moyen degré, haut degré ; intensité faible, intensité moyenne, intensité élevée [4]. Quelques-unes, comme par exemple celle de Delphine Denis, Anne Sancier-Chateau et Mireille Huchon, rajoutent : « C’est dans l’expression du haut degré que la langue dispose de la plus grande variété de moyens, dont certains ressortissent à l’étude stylistique » [5]. Le titre choisi par Éluard pour son recueil de 1926, Capitale de la douleur, leur donne raison. Génétique, intertextualité, lexique et syntaxe tirent tous en effet la signification dans la même direction : dire l’indicible, décrire l’insupportable, exprimer le haut degré du haut degré.

L’art de ne pas être un titre haut degré

On a certainement là une des raisons, si ce n’est la raison, de l’élimination du premier titre envisagé par Éluard, L’Art d’être malheureux, titre qui, rappelons-le, figurait sur le contrat signé avec Gallimard mais fut corrigé par Éluard au moment de la relecture des épreuves. « Titre en mineur », « titre qui ferait du malheur non pas une donnée fondamentale de la condition humaine, mais l’idiosyncrasie d’un individu tourmenté, grattant complaisamment ses plaies comme Job » [6], commente Jean-Charles Gateau.

Effectivement, intertextuellement parlant, l’expression « l’art de » ramène à moult locutions figées ou titres éculés et stéréotypés dont d’ailleurs certains sont évoqués dans le poème « L’invention » : « l’art de la table », « l’art de voir », « l’art d’être heureux », « l’art poétique », « l’art d’aimer », « l’art de vivre », « l’art de bien mourir ». Le titre originel s’en trouve banalisé et le malheur minimisé. Un autre intertexte jaillissant immanquablement à l’esprit de tous les lecteurs cultivés et lui aussi évoqué dans « L’invention », contribue au même effet : L’Art d’être grand-père de Victor Hugo, titre qui par son sujet sentimentalo-bien pensant est à mille lieues des préoccupations des amis de Tzara, et qui, surtout, conduit à un optimisme qui ne peut qu’entacher de son ombre la douleur revendiquée. Comment aussi avec un tel titre ne pas songer aux poètes romantiques cultivant leur souffrance dans le but de se créer un ethos ? Intituler un recueil L’Art d’être malheureux, c’est revenir cent ans en arrière et surtout laisser entendre que la douleur ressentie est, au moins en partie, jouée, maîtrisée, calculée, donc pas totalement viscérale, donc en deçà du haut degré.

L’analyse lexicale conduit aux mêmes conclusions. Les premières acceptions de la lexie « art » (« moyen », « méthode », « science », « savoir ») présupposent toutes un contrôle, une mainmise consciente voire une certaine intellectualisation du sujet agissant. Celui-ci est indéniablement maître de la situation. Rapprocher le mot « art » de son antonyme « nature », amène de même à une minimisation de la douleur : cette dernière devient alors l’équivalent d’un artifice. Cette signification semble d’autant plus légitime que la dimension antithétique du titre fait de celui-ci un paradoxe, figure prototypique des salons et des beaux esprits, figure prototypique du monde du paraître et de la superficialité. Si, enfin, l’on retient les sèmes afférents que sont l’habileté, la minutie, la délicatesse, la virtuosité et que l’on se focalise sur la valeur du « beau », historiquement indissociable de ce substantif, le mot se met alors à confiner avec le mélioratif. La douleur est idéalisée, transcendée, elle devient ascèse et donc beaucoup plus supportable et donc beaucoup moins… douloureuse.

Les parties du discours utilisées confortent cette lecture. Le déterminant défini « l’ » en présupposant l’unicité du référent évoqué donne à ce dernier une valeur de notoriété mais aussi de soulignement et d’excellence [7] et ce, au détriment du complément du nom qui devient en quelque sorte secondaire. La présence du verbe « être » au cœur du titre nuance également la souffrance. En effet, elle induit l’existence d’un énonciateur. Le sujet est malheureux mais il n’est pas néantisé. Il est malheureux mais il est. Le malheur n’est qu’attribut, n’est qu’accident. Le recours à un adjectif va dans le même sens : l’extension de « malheureux » n’est pas médiate [8], son incidence n’est pas interne mais externe, il n’est pas désignation mais assignation, il est en attente d’un support, il est matière apport, il présuppose l’existence d’un support à assigner [9], support qui est animé, support qui est conscient, qui, au vu de la lexie « art », est aussi humain. Autrement dit, aussi forte soit l’intensité du malheur et donc de la douleur, cette dernière n’est pas centrale, la référence suprême reste l’acteur, reste l’homme.

Capitale du haut degré

Le titre Capitale de la douleur est de ce point de vue antithétique. Il est une maximalisation, une hyperbolisation du titre L’Art d’être malheureux et ce, intertextuellement, lexicalement et syntaxiquement.

Jean-Charles Gateau fait en effet remarquer que le titre d’Éluard est « pour ainsi dire, une formulation retournée comme un gant » [10] du titre Spleen de Paris, affirmation qui semble d’autant plus recevable que l’on trouve dans une brochure de Tzara datant de 1921 (Der Sängerkrieg im Tirol – Dada au grand air) un poème d’Éluard affirmant « Je suis bien le frère de Charles » [11] et qu’en 1939, il préfacera une anthologie de ce même auteur. Or si l’on compare l’hypotexte à l’hypertexte, on s’aperçoit que l’inversion de l’ordre des mots est redoublée d’une inversion, ou tout au moins d’une accentuation, de l’intensité des mots et ce dans les deux lexies. « Paris », métropole d’un pays bien spécifique, métropole parmi bien d’autres, nom propre ne se référant qu’à une et une seule ville, devient « Capitale », un nom générique mais aussi un nom commun pouvant se référer à une multitude de villes. De même, le nom anglo-saxon « spleen », qui selon Le Petit Robert désigne une « [m]élancolie passagère, sans cause apparente, caractérisée par le dégoût de toute chose » [12], est remplacé par le substantif « douleur ». Or, dans la définition ci-dessus, le bas degré surgit au moins à quatre reprises : « mélancolie » et non pas « désespoir », « passagère » et non pas « persistante », « sans cause » et non pas « profondément enraciné » et enfin « dégoût » plutôt que par exemple « répulsion », « répugnance » voire « exécration ». Inversement, le substantif « douleur » intègre dans ses possibilités sémantiques, comme le mot « spleen », la douleur morale mais aussi, ce que ne présuppose pas le mot anglo-saxon, la douleur physique. On pourrait ajouter alors qu’étymologiquement le mot « spleen » ne désignait qu’un organe, la rate, tandis que le mot « dolor » puis « doleure » signifiait certes « souffrance, chagrin » mais aussi « deuil », et le verbe « doloir » voulait dire « souffrir », « se plaindre », « regretter » mais aussi « faire souffrir », « faire mal » [13]. On le voit, une nouvelle fois, il y a démultiplication et intensification du sémantisme. Un freudien oulipien à forte tendance saussurienne pourrait même ajouter que si, comme l’a vu Jean-Charles Gateau, les syllabes qui closent les deux mots principaux du titre d’Éluard sont l’exacte inversion de celles qui closent les substantifs des Fleurs du mal, ces deux syllabes, « al », « eur », sont également les composantes principales du mot « malheur ».

Sans aller si loin, un simple détour par le lexicologique apporte de l’eau au moulin. Rappelons tout d’abord que le mot « capitale » provient du latin caput, la tête, autrement dit le haut du corps mais aussi et surtout, n’en déplaise à Nietzsche, l’élément premier dans une civilisation apollinienne où trône le logos. Le glissement du sens physique (« un couvre-chef ») au sens social (« le chef d’une armée ») se fait d’ailleurs justement par l’entremise du haut degré. L’article « capital, ales, aux » du Dictionnaire historique de la langue française enfonce le clou : « adj. et n., est emprunté (v. 1200) au latin capitalis “de la tête”, dérivé de caput “tête” […]. Rare au figuré pour “qui se trouve en tête, domine” […]. Il est substantivé au sens imagé de “parties supérieures” (chapiteau), notamment pour désigner l’en-tête d’un livre, le chapitre […] puis à basse époque la partie essentielle d’une chose » [14]. Suivront les emplois figurés « ville capitale » (1416) et « lettre capitale » (1548) qui induisent des superlatifs et des comparatifs de supériorité : ville la plus importante, ville la plus influente voire ville la plus puissante, ville la plus peuplée, lettres les plus grandes, lettres plus grandes que les bas de casse, etc. Le sens de l’adjectif est tout aussi explicite : « qui est le plus important, le premier par l’importance ». Synonymes et antonymes confirment : « essentiel, fondamental, primordial, principal, suprême » contre « accessoire, secondaire, insignifiant ». L’acception « de mort, qui entraîne la peine de mort », que l’on retrouve dans l’expression « peine capitale », est bien sûr elle aussi du côté du haut degré. C’est la peine « suprême », c’est la punition « extrême », c’est la peine qui conduit à la conséquence la plus dramatique. Le substantif homonyme « capital », issu du même étymon, ne déroge pas : « somme constituant une dette, somme que l’on fait valoir dans une entreprise », « ensemble des droits à toucher un revenu », « montant des richesses apportées à une société », « ensemble des richesses possédées ». « Somme », « ensemble », « montant », « richesse », à chaque fois, les définitions sont du côté du « plus ».

Ce patrimoine lexicologique n’est évidemment pas sans déteindre sur l’ensemble du titre d’Éluard. Jean-Charles Gateau voit d’ailleurs justement dans « ce recueil de ses trente ans […] un caractère de somme » [15]. Par le biais de l’homonymie, du connotatif, du phonique mais aussi via les associations d’idées que, ne l’oublions pas, prônent les surréalistes, la douleur devient « dette », « montant », « richesse », « somme » et s’en trouve d’autant plus hypertrophiée que des significations opposées voire contradictoires s’additionnent. Étant donné qu’elle est une des sources du poétique, n’est-elle pas en effet un « capital » qui peut rapporter gros mais aussi, marxisme oblige, une aliénation qui peut écraser ? Les Dessous d’une vie, œuvre parue elle aussi en 1926 et décrite par Pierre Emmanuel comme « un des plus douloureux [livres] de Paul Éluard » [16], conforte la première interprétation : « Il est indispensable de savoir que les poèmes sont […] l’écho d’un espoir ou d’un désespoir formulé » [17]. Le rapprochement de 1925 avec les communistes, la collaboration avec la revue Clarté, le témoignage de Naville [18] et surtout l’adhésion de 1927 iraient plutôt dans le sens de la seconde. Il va cependant évidemment de soi que ce sont surtout les métaphores de la ville et de la majuscule qui hyperbolisent la douleur. En concrétisant la souffrance, elles la rendent sensible, visible, perceptible. Par la première métaphore, la douleur se spatialise, s’étend, se multiplie, devient tentaculaire. Plus terrifiant encore, elle se déshumanise, elle se réifie, se meut en une puissance au pouvoir considérable, en une puissance qu’on ne peut infléchir. La conséquence est sans appel, le sujet souffrant est réduit à l’état de petit être perdu dans l’immensité anonyme de la modernité. Par la seconde métaphore, la douleur se trouve comme dotée d’une majuscule. Tout juste si elle ne devient pas l’équivalent d’une allégorie. Un peu comme la Mort qui surgit quand le bûcheron de La Fontaine l’appelle, elle envahit la vie du poète. La métaphore de la lettre ramène aussi, bien sûr, à un des thèmes majeurs (encore et toujours du haut degré) du recueil, à savoir l’écriture. Du très haut degré même puisque quand on est écrivain et que l’on sculpte avec des mots, des vers et des phrases, mettre en exergue le niveau de la lettre, lui donner, via le mot « capitale », la première place, c’est retourner aux origines du langage, à la matière première du poète, c’est mettre en vis-à-vis langage primal et sensation primale. Bel appel à éliminer les conventions, les belles phrases, à retourner à l’essence du langage pour pouvoir enfin dire ce que les mots ordinaires n’arrivent plus à dire. Ajoutons que dans les deux cas, l’étrangeté de la construction et l’écart important entre le comparant et le comparé sollicitent le lecteur, l’amènent à s’interroger, à construire le sens, à combler la lacune sémantique avec son vécu et son imaginaire et donc à s’approprier la figure, à ressentir avec plus de force la douleur évoquée. La richesse polysémique de chaque lexie comme de l’ensemble et la multiplicité des métaphores et de leurs significations ont exactement le même effet. Non seulement la douleur s’en trouve multipliée mais elle s’avère multiforme et insaisissable. L’intensité, de très élevée qu’elle était, devient, par le pouvoir du lexique, colossale.

Par le pouvoir du lexique mais aussi par le pouvoir de la syntaxe… Le premier titre commençait par un déterminant défini : L’Art d’être malheureux. Dans le second, le nom « capitale » n’est précédé d’aucun article. Trois interprétations au moins semblent possibles : un emploi référentiel général, un emploi non référentiel, une référence immédiate à l’être considéré. Dans le premier cas, « [l]e nom sans article renvoie à un objet du monde qu’il désigne […]. L’énonciateur parcourt ici toute la classe des éléments sans en sélectionner aucun » [19]. Dans le deuxième cas, le mot ne renvoie à aucun objet du monde, il est employé virtuellement, sa valeur est intensionnelle. Dans le troisième, la présence de l’article est inutile « parce que les données de la situation d’énonciation permettent une référence immédiate à l’être considéré » [20]. Aussi différentes que soient ces interprétations, elles ont toutes un point commun : exprimer le haut degré. Le premier sens induit que sont envisagés tous les éléments référentiels qui occasionnent une grande douleur, le deuxième ne correspondant à aucun référent précis, « le substantif est employé dans sa plus grande virtualité pour évoquer l’ensemble des propriétés qu’il dénote » [21]. L’extensité est alors égale à l’extension cotextuelle [22] et le titre peut être analysé comme apposition d’un élément elliptique, ce qui, bien sûr, laisse ouverts tous les possibles. Le troisième cas, au contraire, met le lecteur face à une réalité si évidente, si indiscutable, si prégnante, qu’il est inutile de la déterminer. À noter que l’article « la » qui précède le mot « douleur » est lui aussi sous le signe du haut degré. En effet, on peut l’analyser soit comme désignant « l’être unique dans sa classe » [23], soit comme désignant « l’être pour la classe tout entière » [24]. Il prend alors « une extensité maximale » et « est considéré comme valant pour la totalité de la classe à laquelle il appartient » [25]. Dans le premier cas, serait évoquée la seule et unique vraie douleur, dans le deuxième, la douleur en général. Inutile de préciser que, quelle que soit l’interprétation privilégiée, la douleur en question ne saurait être réduite à une souffrance accessoire.

Une acception de la lexie « capitale » évoquée mais non commentée plus haut, amène également à une interprétation syntaxique accentuant l’intensité de la douleur. Nous l’avons dit, le « sens propre de “relatif à la tête” (v. 1200) s’est seulement maintenu avec l’acception juridique de “qui peut coûter la tête à qqn” (v. 1255) dans l’expression peine capitale (XIIIe s.) » [26]. Cette acception amène à voir derrière le titre d’Éluard une triple hyperbolisation. Premièrement, ce qui était « peine » (chagrin, tristesse, tracas, souci) devient sous la plume d’Éluard « douleur ». Deuxièmement, ce qui avait le sens d’« important », d’« essentiel », prend celui de « mortel ». Enfin, et c’est là que la syntaxe réintervient, le titre d’Éluard n’est pas Douleur capitale mais Capitale de la douleur. Autrement dit, on a une transformation comparable à celle qui existe entre « Fille gentille » et « Gentillesse de la fille ». Autrement dit encore, on a droit à une triple opération. Tout d’abord, il y a inversion de l’ordre des éléments, inversion qui n’est pas sans rappeler ce qu’Éluard et Breton feront un peu plus tard sur les textes de Valéry dans Notes sur la poésie [27], inversion qui amène à voir les faits différemment, inversion qui « donne à voir ». Ensuite, on a un processus de dérivation impropre, l’adjectif devient nom. Ce qui n’était qu’accident s’essentialise, ce qui n’était que caractérisant devient caractérisé. Ce qui dans le référent n’avait pas de support se matérialise et gagne donc en référentialité. Mais surtout, du point de vue communicationnel, il y a focalisation, ce qui était thème devient prédicat. Nous ne sommes pas loin d’une caractérisation régressive. La conséquence est qu’il y a emphatisation de la lexie « capitale », emphatisation exprimant une appréciation singulière de type axiologique non, sans doute, dénuée d’une certaine affectivité [28], emphatisation allant, comme les deux autres opérations que nous venons à l’instant de décrire, dans le sens du… haut degré.

Ajoutons que contrairement à ce que nous avions pu observer dans le titre L’Art d’être malheureux, il n’y a dans Capitale de la douleur nul adjectif, nul verbe, autrement dit pas de support implicite, pas de procès. Toute la place est occupée par la douleur, une douleur à la fois présente et intemporelle. Face à elle, l’énonciateur s’efface.

Ellipse de haut degré

Terminons en revenant sur le fait qu’une des interprétations syntaxiques les plus probantes consiste à analyser le groupe nominal Capitale de la douleur comme une construction attributive détachée apposée à un groupe nominal coréférentiel elliptique, analyse qui amène à poser la question : « Quelle peut bien être cette Capitale de la douleur ? » [29]. Tenter de répondre, c’est additionner les coréférents. Additionner des coréférents, c’est à chaque fois tendre un peu plus vers le haut degré.

L’acception géographique du substantif « capitale » invite en un premier temps à chercher une réponse dans le référent qu’est le monde. Le mot « douleur », la date du recueil, la biographie d’Éluard et les ouvrages qui ont précédé celui que nous étudions, Le Devoir et l’Inquiétude, Poèmes pour la paix, peuvent conduire à combler la lacune sémantique par les syntagmes « la dernière guerre », « la guerre ». Huit ans seulement se sont écoulés depuis les derniers coups de canon et l’on sait que les balles n’ont pas sifflé loin d’Éluard : « le neveu par alliance de Clément, Henri Descouleurs, mari de sa nièce Lucienne, et de surcroît employé dans sa propre agence, était tombé le 24 août en Belgique, laissant une veuve de vingt-deux ans et une orpheline de trois ans, Mireille » [30] ; « Le 24 juin, après une nuit de voyage, il arrive à Hargicourt, dans la Somme, sur un vaste chantier : cinq cents infirmiers et brancardiers, surtout des territoriaux d’un certain âge, achèvent de monter un H.O.E. (Hôpital ordinaire d’évacuation) à une dizaine de kilomètres des lignes, et à huit de Montdidier » [31] ; il « est affecté à la correspondance des blessés que l’on évacue sur l’arrière, et s’occupe à prévenir les familles. Muni d’un tabouret et d’un bloc-notes, il circule de lit en lit, tend l’oreille aux voix faibles qui sortent des bouches tuméfiées, recueille de brèves et pathétiques salutations » [32]. S’il était besoin de confirmer qu’Éluard fut loin d’être insensible à la douleur qui l’entourait, on pourrait s’appuyer sur la lettre qui suit : « Depuis deux jours nous avons reçu et évacué plus de 3 000 blessés. Je fais beaucoup de cartes. Tous ces pauvres hommes, ces troupeaux de blessés sont couverts d’une carapace de boue et de sang. Des Boches, aussi, blessés, en nombre, plus misérables encore que les nôtres. / Et les autos arrivent sans cesse, à la queue leu leu. Et le canon donne encore plus fort » [33]. La guerre, capitale de la douleur, certes, mais aussi tout ce qui l’a engendrée et tout particulièrement cette société qu’honnissent tant les surréalistes. S’en seraient-ils pris autant à Anatole France si celui-ci n’avait pas eu le patronyme qui était le sien ? Ce n’est certainement pas un hasard si figure dans Donner à voir la citation suivante de Paul Lafargue : « Notre époque est, dit-on, le siècle du travail ; il est en effet le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption » [34]. Sont, pour Éluard, capitales de la douleur, la médiocrité et l’égoïsme de la bourgeoisie, « l’ordre, la prudence, la quiétude stupide des conservateurs qui meurent de faim devant des trésors avariés » [35], « l’amour sans vertu » [36], tout ce qui ressemble de près ou de loin au Français moyen [37], aux « civilisateurs européens » [38] et, peut-être encore plus que la souffrance des humbles, leur docilité paresseuse. Il ne manque qu’un mot à cette kyrielle de douleur, mot non prononcé en 1924, « Je ne peux à présent plus passer du côté de la Seine sans avoir envie de m’y jeter » [39], mais écrit noir sur blanc dans Un cadavre : « Ce que je ne puis plus imaginer sans avoir les larmes aux yeux, la Vie » [40].

Si l’acception géographique de la lexie « Capitale » invitait à chercher les sources de la douleur dans le monde, le genre de la lexie étudiée et la récurrence de « A » et de « L » dans le titre d’Éluard ne conduiraient-ils pas à une deuxième grande piste ? L’ellipse ne pourrait-elle pas être traduite par Gala, Capitale de la douleur ? Gala, capitale de la douleur, à cause de son caractère changeant et émotif [41]. Gala, capitale de la douleur, parce qu’elle n’a pas du tout la même conception du présent que lui [42], parce qu’il faut la partager avec Max Ernst, parce que plus que quiconque elle le met face à ses contradictions, face à son inconséquence [43], parce qu’elle représente plus qu’elle-même et lui fait prendre conscience que la véritable capitale de la douleur, c’est la femme, c’est l’amour. N’est-ce pas en effet un certain Éluard qui en octobre 1929 écrit : « La vie, en ce qu’elle a de fatal, entraîne toujours l’absence de l’être aimé, le délire, le désespoir. […] L’amour admirable tue » [44] ? Et n’est-ce pas ce même Éluard qui, quelques années plus tard, confie à sa fille que « L’amour n’est pas le bonheur, jamais » [45] ? En effet, l’amour, nous dit Anne Régent, « suppose une expérience symétrique d’angoisse, vertige existentiel fondamental qui coïncide avec la solitude » [46]. Il faudrait rajouter que cette expérience, indéniablement capitale, coïncide aussi avec la perte d’assurance, la perte de désir, l’impuissance, la perte d’identité, la perte de soi.

L’acception typographique de la lexie « capitale » mène à un dernier coréférent. Si le monde et l’amour sont capitales de douleur, la parole, l’écriture et la poésie ne le seraient-elles pas tout autant ? Puisque le poète « aime pour chanter » [47], ne plus aimer conduit à ne plus écrire et donc à renoncer à soi-même, à ne plus participer à l’élan vital, à ne plus être une part du monde. La poésie est aussi souffrance capitale parce qu’elle fait prendre conscience de la distance qui sépare l’homme et le ciel, l’aigle et la terre et condamne tout poète à chuter [48].

La guerre, la France, la société, la bourgeoisie, Gala, l’amour, l’écriture, la poésie… La force de l’ellipse est que nul ne peut la combler, que la liste des doléances est infinie, que chaque lecteur est appelé à y ajouter ce qui pour lui est capitale de douleur. Par la construction elliptique, ce sont toutes les douleurs du monde, c’est toute la douleur du monde qui se fond dans le titre d’Éluard. Summum du haut degré, l’absence de coréférent pourrait aussi vouloir dire qu’il n’y a pas de coréférent, que le vide, que le néant est capitale de douleur, ou, pire, que la douleur est la seule chose qui soit.

Des titres minuscules

Et pourtant… l’ellipse n’est-elle pas par excellence la figure du non-dit, la figure de la retenue, du silence ? Et pourtant… que de critiques à signaler qu’Éluard refuse le lyrisme échevelé, chasse les hyperboles hystériques, est du côté de la mesure et de la sobriété. Refusant de ne voir chez lui que « facilité », Meschonnic caractérise par exemple sa poésie par le mot « dénudation » [49]. Jaccottet, de même, affirme qu’Éluard « plus qu’aucun autre, a su garder » la parole poétique « intacte de toute grandiloquence » [50].

Comme des copeaux

Les titres de certains des recueils qui ont précédé Capitale de la douleur sembleraient leur donner raison. Dialogues des inutiles, Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux, Pour vivre ici, onze haïkaï, 152 proverbes, Au défaut du silence sont des titres qui sont tous sous le signe de la négativité, de la banalité, de la quotidienneté ou de la brièveté. Aux odes pindariques, Éluard paraît préférer proverbes et haïkaï. Sous sa plume, les cris de désespoir deviennent silence. Intituler un poème « Vache » ou « Poule », c’est être à mille lieues de « La mort du loup » d’un Vigny ou du « Rêve du jaguar » d’un Leconte de Lisle. L’Amour la poésie, recueil qui suit de peu Capitale de la douleur, en est une autre confirmation. On peut en effet lire sur l’exemplaire de cet ouvrage conservé à la Bibliothèque nationale la mention manuscrite suivante : « Ce titre me fut donné par ma fille en 1928 (elle avait 10 ans) » [51].

De même, les titres des parties de Capitale de la douleur semblent, au moins à première lecture, tendre plus vers le bas degré que vers le haut degré. Il suffit de comparer le titre de la première section de l’ouvrage avec ceux des recueils de Hugo, Baudelaire ou Rimbaud pour en prendre pleinement conscience. Les Contemplations, La Légende des siècles, Les Châtiments, Les Fleurs du mal, Une saison en enfer, Illuminations… « Répétitions ». L’écart est indéniable. Le philosophique, l’épique, le poétique deviennent du factuel, deviennent prosaïsme et méta-poétique. L’exaltation effrénée des sentiments ou la singularité hypertrophiée du Moi font place à la routine et à la monotonie, le mode majeur s’écarte devant le mode mineur. En toute cohérence, dans une lettre à Jacques Doucet, Éluard, pour évoquer les poèmes réunis sous ce titre, utilise d’ailleurs des lexies comme « déchets », « limités », « arides », « copeaux » et poursuit en ayant recours à une restriction [52]. En suggérant une acception juridique, Jean-Charles Gateau, s’il en était besoin, dépoétise encore un peu plus ce titre : « recouvrement de ce qui vous appartient » [53]. Certaines remarques ultérieures d’Éluard vont dans la même direction :

La vanité des peintres, qui est immense, les a longtemps poussés à s’installer devant un paysage, devant une image, devant un texte comme devant un mur, pour le répéter. Ils n’avaient pas faim d’eux-mêmes. Ils s’appliquaient [54].

L’imagination n’a pas l’instinct d’imitation. Elle est la source et le torrent qu’on ne remonte pas [55].

Les peintres surréalistes, qui sont des poètes, pensent toujours à autre chose. L’insolite leur est familier, la préméditation inconnue. Ils savent que les rapports entre les choses, à peine établis, s’effacent pour en laisser intervenir d’autres, aussi fugitifs. Ils savent que rien ne se décrit suffisamment, que rien ne se reproduit littéralement [56].

Certes, « Mourir de ne pas mourir » semble plus dramatique et ramène par la reprise de l’infinitif à un sujet « haut degré » : la mort. Cependant, le verbe n’est pas actualisé et surtout le titre se termine par une négation. Comme le commente Jean-Charles Gateau : « Une sorte de malédiction maintient l’“ego” dans ses étroites limites, et lui refuse la félicité nuptiale de l’âme qui s’oublie et se fond dans l’Absolu » [57]. On pourrait ajouter qu’intertextuellement parlant, si ce titre est une reprise d’un poème de Thérèse d’Avila (haut degré de la spiritualité), elle-même l’avait emprunté à un cantique populaire (bas degré de l’autorité).

La troisième section de Capitale de la douleur contient certes, quant à elle, le mot « juste » qui connotativement parlant semble hautement mélioratif mais ce mot n’est-il pas contrecarré par l’adjectif qui le précède ? « Juste » ne peut-il pas aussi être synonyme de « Qui est trop ajusté […] V. Étroit, petit […] Fig. Qui suffit à peine. V. Court. Repas trop juste pour dix personnes. C’est un peu juste. V. Jeune » [58] ? Rappelons enfin que, selon Jean-Charles Gateau, ce titre trouverait son origine dans l’expression « petit juste » qui au XVIIIe siècle désignait un vêtement féminin, expression antithétique de « garni », de « complication », de « surcharge », de « rococo », de « falbalas », expression associée par le même critique aux lexies « simplicité », « ajustée », « courte », « courts », « étroitement », « proscrivant » et reliable aux « petites gens » à la fois par référence aux protagonistes de Beaumarchais et à sa propre mère, couturière de métier :

Littré cite dans sa définition une phrase de La Marchande de mode de Mme de Genlis : « Dites-moi donc pourquoi elle porte presque toujours des justes et jamais des robes garnies ». Un historien du costume situe les justes parmi les « robes de simplicité » qui supplantèrent à partir de 1778 la complication et la surcharge des robes à panier rococo : « le juste est une veste très ajustée pourvue d’une courte basque bouffante derrière, connue surtout par le juste “à la Figaro” ou “à la Suzanne” porté en 1785 par Mlle Contat au Ve acte du Mariage de Figaro » (François Bouchet, Histoire du costume en Occident de l’Antiquité à nos jours, Flammarion, 1965, p. 303). Force nous est donc de lire également dans ce titre une définition formelle : poèmes courts épousant étroitement l’émotion qui les inspire, et proscrivant les falbalas superflus [59].

Reste le titre de la dernière section, « Nouveaux poèmes », titre au moins triplement associable au bas degré. L’adjectif « nouveau » ne peut-il pas en effet être synonyme de « Qui apparaît pour la première fois ; qui vient d’apparaître. V. Récent […] V. Jeune, vert […] Qui est depuis peu de temps ce qu’il est […] V. Bizuth. […] qui était jusqu’ici inconnu de (qqn) ; dont on n’a pas l’habitude. V. Inconnu, inhabituel ; inaccoutumé, inusité […] Qui n’a pas, qui n’a guère d’expérience ou l’habitude de qqch ; V. Inexpérimenté, neuf, novice » [60] ? De plus, l’antéposition de l’adjectif n’aurait-elle pas tendance à « déqualifier » l’adjectif (« il ne qualifie plus mais permet de préciser l’identité du référent » [61]) ? Se rapprochant de l’épithète de nature, l’adjectif antéposé participe d’un début de lexicalisation du syntagme nominal. La conséquence est que l’expression tend plus à désigner une nouvelle catégorie, celle des nouveaux poèmes, qu’à mettre en valeur la nouveauté des poèmes en question. Enfin, choisir pour titre « Nouveaux poèmes », ce n’est pas vraiment faire preuve de nouveauté, ce n’est pas afficher son originalité, ce n’est pas prouver sa nouveauté par l’exemple, c’est juste l’affirmer.

Bourgade du bas degré

Une analyse des titres des poèmes de chacune des quatre sections conduit à une conclusion similaire et ce, une nouvelle fois, quelle que soit l’approche choisie : intertextuelle, lexicale ou syntaxique.

Preuve en est, plusieurs des titres de Capitale de la douleur se rapportent directement ou indirectement à des genres traditionnellement considérés comme mineurs. Jean-Charles Gateau fait par exemple remarquer que le poème « Dans la danse » emprunte son titre « au refrain d’une chanson populaire […] : “Entrez dans la danse / Voyez comme on danse / Sautez, dansez / Embrassez qui vous voulez” » [62]. « Ronde » évoque le même univers. « Suite » nous fait certes glisser vers la musique classique mais, originellement, rappelons-le, les suites sont des airs de danse traditionnelle, qui plus est, écrits dans une même tonalité et avec une alternance de tempo assez basique (modéré, vif, lent, vif). Il est d’ailleurs significatif qu’au XIXe siècle, de nombreux compositeurs recoururent à ce genre pour rendre leurs opéras et ballets accessibles à un plus large public. Le Casse-noisette de Tchaïkovski en est un bel exemple. Notons au passage que cette interprétation est en parfaite cohérence avec les goûts musicaux d’Éluard, lui qui prétendait n’apprécier que les disques qui « “n’ont avec la musique que de mauvais rapports”, chansons tziganes, airs de fado : ceux d’Adelina Fernandez en particulier dont la voix “de petite fille” le charm[ait] […], chansons enfantines, […] chœurs d’enfants, negro-spirituals, Offenbach » [63].

Le syntagme « Le sourd et l’aveugle » n’est pas, quant à lui, sans rappeler les titres d’un autre architexte éminemment populaire : la fable [64]. Une appellation comme « Les Gertrude Hoffmann Girls » conduit même à un genre encore moins prisé par les puristes, celui de la publicité.

Même si, bien sûr, Éluard les réactualise, les stéréotypes et clichés sentimentaux que sont « Au cœur de mon amour », « Leurs yeux toujours purs », sont aussi des hypertextes associables au bas degré de la littérature et de la créativité. Dans la même veine, on peut repérer derrière les titres d’Éluard des expressions figées soit atrophiées (« Porte ouverte » // « Enfoncer une porte ouverte »), soit renouvelées (« Silence de l’Évangile » antithétique de « Parole d’Évangile »).

Éluard pousse même à plusieurs reprises le curseur du bas degré un peu plus loin en choisissant pour titre des expressions si usuelles que spontanément, hors contexte, on les associerait d’autant plus à la langue ordinaire qu’elles contiennent d’indéniables traits d’oralité : « Raison de plus », « À la minute » « Entre autres », « Sans rancune », etc.

En toute cohérence, le lexique qu’utilise Éluard dans ses titres lorgne dans la majorité des cas, lui aussi, du côté du bas degré : bas degré de la variété, bas degré de la rareté, bas degré de l’originalité. On y retrouve en fait plusieurs des caractéristiques repérées par Jean-Charles Gateau [65], à savoir une majorité de lexies monosyllabiques et dissyllabiques [66], de l’élémentaire cosmologique, climatique et météorologique (« La nuit », « Le grand jour »), de l’élémentaire animal (« Les moutons »), de l’anatomique et du physiologique (« Œil de sourd », « Bouche usée », « Leurs yeux toujours purs »), des références au spatial (« Plus près de nous », « Limite », « Intérieur », « À côté », « La grande maison inhabitable ») et au temporel (« À la minute » « Le miroir d’un moment »), une évocation des sentiments (« Au cœur de mon amour », « L’amoureuse », « Mascha riait aux anges »). On peut aussi noter que les animaux, éléments, objets ou attitudes évoqués sont pour la plupart ordinaires et insignifiants. Comme dans Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux, on n’a pas droit à un lion, un tigre ou un aigle mais à un mouton. Pas de montagnes, pas d’océans, pas de fleuves mais une simple rivière. Pas de costumes magnifiques, pas de bijoux, pas de meubles rares mais des rubans, un miroir, un as de trèfle. Pas de grands gestes héroïques ou de déclarations magistrales mais des manies et des soupirs. On pourrait ajouter que les sens les plus présents sont précisément les plus usuels : le visuel (« Luire », « La nuit », « Le miroir d’un moment ») et l’auditif (« La parole », « Mascha riait aux anges »).

Quelques poèmes se réfèrent aussi au répétitif, au routinier (« Suite », « Manie », « Les moutons », « L’habitude », « Entre autres »). La réitération des mêmes titres renforce d’autant plus cette dimension routinière que les titres en question ont en majorité un signifiant court et un signifié peu informatif : « Suite », « Suite », « À côté », « À côté », « Nul », « Nul », « Absences I », « Absences II ».

Certains syntagmes, nous l’avons dit, peuvent même être lus autonymiquement voire pléonastiquement. « Suite » est la suite de « Marx Ernst » ou de « Porte ouverte ». « Poèmes » est un… poème entouré de… poèmes. « À côté » est à côté d’« À côté ». Comme tout poème, « Le jeu de construction » est… un jeu de construction. « Entre autres » est entre d’autres poèmes comme « Entre peu d’autres » est entre peu d’autres poèmes.

Mais surtout, que de titres se réfèrent à du léger, de l’impalpable, du fuyant, de l’étroit, du court (« L’ombre aux soupirs », « Le miroir d’un moment », « La rivière », « Limite », « Intérieur », « À la minute »), que de titres dénotent une faible intensité (« La parole » et non pas « Le cri », « Luire » et non pas « Briller »), que de titres tendent vers le degré zéro du visuel ou de l’auditif (« Sans musique », « Le sourd et l’aveugle », « Bouche usée », « Silence de l’Évangile », « Celle qui n’a pas la parole », « La nuit »), que de titres se rapportent à un référent inconnu du lecteur et sont donc de ce fait aussi énigmatiques que problématiques (« Lesquels ? », « Mascha riait aux anges », « Entre autres »), que de titres, enfin, semblent conduire à une néantisation totale : « Nul », « Nul », « La mort dans la conversation », « Absences I », « Absences II », « Fin des circonstances », « La nuit ».

Et ce à un point tel que plus l’on avance dans le recueil, plus les poèmes sans titre sont nombreux. Dans « Répétitions » et « Mourir de ne pas mourir », tous ont un titre. Les onze poèmes des « Petits justes » n’ont pas de titre mais tous sont précédés d’un chiffre romain. Dans « Nouveaux poèmes », on peut repérer quatorze poèmes sans titre et sans chiffres romains et noter que le phénomène est graduel. Parmi les quinze premiers poèmes de cette séquence, un seul est sans titre. Parmi les quinze suivants, six sont sans titre. La dernière quinzaine totalise sept poèmes sans titre dont six dans les dix derniers.

Une rapide analyse de la syntaxe des titres conforte ces quelques conclusions. Premier constat : sur 88 titres, 19 n’ont qu’une seule lexie, soit 22 % du total. Pour comparaison, dans Les Fleurs du mal, c’est le cas de 13 poèmes sur 91, soit 14 % du recueil. 33 titres ne font aussi que deux mots, soit 36 % de la totalité. Autrement dit, plus de la moitié des titres font moins de trois mots.

Ce phénomène est accru par le fait que, contrairement aux Fleurs du mal, plusieurs des titres en question ne sont pas des substantifs mais de plus ou moins potentiels et ambigus déterminants, adjectifs, participes, pronoms ou adverbes : « Une », « Nul », « Nul », « Parfait », « Cachée », « Lesquels ? », « Volontairement », etc. Que ces parties du discours soient en régime d’incidence externe au premier degré (adjectif, participe), au deuxième degré (adverbe) ou non prédicatives (pronom, article), dans tous les cas de figure, on peut parler d’un bas degré de la référence. C’est particulièrement net avec certains pronoms démonstratifs et personnels ou avec certains déterminants possessifs : « Celle de toujours, toute », « Plus près de nous », « Au cœur de mon amour », « Ta foi ». Si on les analyse comme des représentants ou des anaphoriques, le représenté restant indéterminé, la compréhension n’est que lacunaire. Si on les analyse comme des nominaux ou des déictiques, la situation d’énonciation étant inconnue, l’appréhension du référent est tout aussi problématique. Étant donné que de nombreux noms communs ne sont pas précédés d’un déterminant, on pourrait ajouter qu’un grand nombre des titres d’Éluard sont caractérisables par un bas degré de l’actualisation : « Suite », « Manie », « Porte ouverte », « Poèmes », « Limite », « Intérieur », « Rubans », « Ronde », etc.

Cette observation est confortée par la très faible présence de verbes conjugués (« Ce n’est pas la poésie qui… », « Denise disait aux merveilles », « Celle qui n’a pas la parole ») et par une prédominance de la première chronothèse (« Pour se prendre au piège », « Bouche usée », « Ne plus partager », « Cachée », « Boire »).

Raisonner au niveau de la phrase conduit à des résultats similaires. On peut en effet repérer un nombre impressionnant de titres contenant des marqueurs de négativité. Dans certains cas, celle-ci n’est pas visible morphologiquement et n’est que la résultante d’un point de vue (« Silence de l’Évangile », « Le sourd et l’aveugle »), dans d’autres, elle n’est présente, via des préfixes, qu’au niveau des lexies : « La grande maison inhabitable », « L’impatient ». Mais la plupart du temps, par le biais de prépositions ou de systèmes corrélatifs, c’est un syntagme entier voire tout le titre qui est sous le sceau de la négativité : « Sans musique », « Sans rancune », « Nul », « Celle qui n’a pas la parole » « Ne plus partager », « Ce n’est pas la poésie qui… ».

Cette aposiopèse attire l’attention sur un dernier procédé syntaxique révélateur d’incomplétude : la transitivité attendue n’est pas comblée, la phrase est ressentie comme syntaxiquement inachevée. Pourraient être analysés de même : « Celle de toujours, toute », « Celle qui n’a pas la parole », et surtout « Denise disait aux merveilles ».

Des titres de circonstance ?

Cette propension au bas degré relevée par tant de lecteurs et que confirme donc l’analyse de l’intertexte, du lexique et de la syntaxe des titres de Capitale de la douleur pourrait trouver, si l’on croit certains critiques, une de ses sources dans la physiologie d’Éluard. Jean-Charles Gateau écrit par exemple :

Éluard n’est pas un poète de grand gosier, de souffle athlétique, de profération ambitieuse. Simple question de constitution d’abord. Il n’a ni le tempérament sanguin de Claudel, ni l’entraînement sportif de Perse. Torse étroit, poumons malades, vite fatigué, il sait que ses emportements retombent en épuisements, qu’il doit économiser sa respiration et tourner en avantage poétique sa nécessaire parcimonie de parole [67].

Les mêmes propos ou presque sont tenus par Richard Vernier :

Cette langue répond bien à ce que nous savons de la vie et de la personne du poète, et il n’est pas impossible d’établir une corrélation entre les rythmes et harmoniques de sa poésie d’une part, et d’autre part sa condition de malade pulmonaire chronique, toujours menacé [68].

Si l’on se rappelle qu’Éluard ne dédaignait pas emprunter à Goethe la citation suivante : « Mes poèmes sont tous des poèmes de circonstance, ils s’inspirent de la réalité, c’est sur elle qu’ils se fondent et se reposent. Je n’ai que faire des poèmes qui ne reposent sur rien » [69], son « tarissement » lexical et syntaxique pourrait bien aussi s’expliquer par le contexte historique, par le fait que la guerre est, en 1926, encore très présente dans les esprits. Bien qu’à un degré moindre, Éluard se trouve dans une situation pouvant rappeler celle que connaîtra Primo Levi une vingtaine d’années plus tard : difficile de s’épancher et de pousser de hauts cris quand on sort vivant d’un drame qui a conduit à la mort des dizaines et des dizaines de milliers d’hommes ; difficile de rédiger de belles phrases sur la douleur quand on a vu de ses propres yeux la souffrance de ceux qui ont perdu un des leurs. Dans un tel contexte, s’appesantir sur ses affres intérieures, les décrire par le menu, trouver de belles métaphores et de jolies hyperboles bien expressives ne confine-t-il pas à de l’indécence ?

La piste biographique, même si elle aussi, souvenons-nous du Contre Sainte-Beuve, est sûrement à manier avec beaucoup de précautions, pourrait bien offrir une troisième explication. Mourir de ne pas mourir est un recueil publié en 1924 qui commence par une dédicace à l’accent suicidaire. Si l’on ajoute à ce constat le fait que, la veille de la publication du recueil en question, Éluard quitte tout, famille, être aimé et littérature, il pourrait être tentant de voir dans la rétraction des titres de Capitale de la douleur la trace de cette crise. Le panorama que Jean-Charles Gateau dresse de l’existence d’Éluard en 1923, « problèmes familiaux, problèmes sentimentaux, problèmes littéraires » [70], révèle un désenchantement tel que toute parole devient vaine. Le poème « À la fenêtre » le rappelle : « Je n’ai pas toujours bien su ce que je voulais dire, mais le plus souvent c’est que je n’avais rien à dire […]. Il fut un temps où je ne semblais rien comprendre. Mes chaînes flottaient sur l’eau » [71]. N’est-il pas cohérent de recourir à des titres courts, sans verbe, à toutes les formes de la négation et surtout au champ lexical du silence et de la mort quand on n’a plus envie d’agir, plus envie de parler, quand plus rien ne semble avoir de sens ? Or, telle est bien la situation d’Éluard en mars 1924 : « Qu’attendre de la vie, atroce et banale ? Qu’attendre de la littérature, envahie d’imposteurs ou de traîtres et de profiteurs, les Cocteau, les Morand, les Rivière, les Valéry ? À quoi servent “le scandale pour le scandale” et les actes de “découragement supérieur” qu’accueille Littérature ? Est-il vraiment nécessaire de les perpétuer ? » [72].

Ce pessimisme désespéré nous conduit à une autre source du bas degré éluardien : l’influence du dadaïsme. Le constat ci-dessus n’est pas que celui d’Éluard, il est celui de Breton, de Desnos, de Vaché et surtout… de Tzara. Or, qui dit dadaïsme dit table rase, dit refus du bavardage, refus des belles et artificielles paroles creuses, refus des nobles et recherchées paroles vides. La préface des Animaux et leurs hommes est de ce point de vue explicite : « Et le langage déplaisant qui suffit aux bavards, langage aussi mort que les couronnes à nos fronts semblables, réduisons-le » [73]. Qui dit dadaïsme dit aussi refus du lyrisme, refus de la « diarrhée confite » du « penchant pleurnichard » [74], car le lyrisme, même désespéré, est en quelque sorte une dernière digue contre le nihilisme. Jean Bernier dans son « Compte rendu de Mourir de ne pas mourir » l’a parfaitement perçu :

Chez Rimbaud, par exemple, le lyrisme, les cris, pouvaient faire illusion, prendre même figure de subterfuge. Une joie vraiment maudite, une joie tout de même, jaillit de l’excès même du désespoir. Alchimie de la littérature ! / Chez Éluard, le désespoir – moins ample, embrassant moins de choses, il est vrai, que chez Rimbaud – s’est dépouillé. C’est un recroquevillement, une induration. La stérilité imposée, l’impuissance fatale et pourtant délibérée, délibérée par probité. / À quoi bon les cris ? De-ci, de-là, quelque aveu amer, quelque glaciale constatation [75].

On comprend pourquoi, en mars 1921, dans Littérature, Éluard fit figurer « [a]u chapitre des bêtes noires » [76] plusieurs des grands chantres du lyrisme – Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, Musset, Schiller –, pourquoi, au moment de sa grande escapade, il demanda à Aragon de « casser les pattes à l’idéalisation de ce départ, ne pas permettre qu’on en fît un plat… Il disait ces mots avec rage. Tout simplement il allait voyager, voyager. Ici, il ne voyait plus devant lui » [77].

Être dadaïste, c’est aussi s’en prendre, et le nom même du mouvement en est une belle preuve, à tout ce qui est poétisation. La plupart des caractéristiques lexicales et syntaxiques repérées plus haut deviennent limpides quand on relit la conférence que proposa Éluard à l’Institut français de Prague : « La poésie enfante souvent sa plus grande ennemie, sa poétisation. Rien de plus affreux qu’un poème poétisé, où les mots s’ajoutent aux mots, pour détruire l’effet de surprise, pour atténuer l’audace de la simplicité, la vision crue d’une réalité inspirante et inspirée, élémentaire » [78].

Tzara va même plus loin puisque c’est le langage en soi, les mots, qu’il renie. Les surréalistes le suivront sur cette voie. Breton ne confie-t-il pas à Vitrac dans une interview qui sera publiée dans Le Journal du peuple : « J’ai l’intention de ne plus écrire d’ici très peu de temps. Par exemple, d’ici deux mois et demi » [79] ? Duchamp, dans les mêmes années, renonce à la peinture. Quant à Jacques Vaché, Breton écrit à son sujet : « [S]a fortune […] est de n’avoir rien produit. Toujours il repoussa du pied l’œuvre d’art, ce boulet qui retient l’âme après la mort » [80]. Tous les contributeurs de la revue Littérature ne sont-ils pas, enfin, comme obsédés par la fuite au Harar et le silence de Rimbaud ?

Une dernière influence explique sans doute le refus des grands élans lyriques et la simplicité du langage d’Éluard : le communisme. Renoncer au Lyrisme avec un grand L, c’est refuser de mettre à la première place le « je », l’individu, le personnel et lui préférer au contraire le collectif. Que ce soit à travers l’épigraphe du comte de Lautréamont [81] ou les lignes qui suivent, la préface de Poésie involontaire et poésie intentionnelle le dit très clairement. Utiliser une langue usuelle, un vocabulaire simple, c’est poursuivre l’intuition de Whitman et le projet des unanimistes, c’est refuser « l’intellectualisme et le rationalisme, sûrs d’eux-mêmes et pleins de mépris pour les “pauvres”, le peuple qui vit d’émotions simples aux antipodes de la cérébralité » [82], c’est s’adresser à tous, c’est être en communauté avec tous. Ce projet, Éluard le revendiquera explicitement à plusieurs reprises. En 1936, lors d’une conférence à Londres, il déclarera par exemple :

Le temps est venu où tous les poètes ont le droit et le devoir de soutenir qu’ils sont profondément enfoncés dans la vie des autres hommes, dans la vie commune. […] ils n’ont pas su nous dire qu’il y pleut, qu’il y fait nuit, qu’on y grelotte, et qu’on y garde la mémoire de l’homme et de son aspect déplorable, qu’on y garde, qu’on y doit garder la mémoire de l’infâme bêtise, qu’on y entend des rires de boue, des paroles de mort. Au sommet de tout, comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, pour celui qui voit, le malheur défait et refait sans cesse un monde banal, vulgaire, insupportable, impossible. […] Écoutons Lautréamont : « La poésie doit être faite par tous. Non par un. » Toutes les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles seront sacrées et l’homme, s’étant enfin accordé à la réalité, qui est sienne, n’aura plus qu’à fermer les yeux pour que s’ouvrent les portes du merveilleux. […] La solitude des poètes, aujourd’hui, s’efface. Voici qu’ils sont des hommes parmi les hommes, voici qu’ils ont des frères. […] Depuis plus de cent ans, les poètes sont descendus des sommets sur lesquels ils se croyaient. Ils sont allés dans les rues, ils ont insulté leurs maîtres, ils n’ont plus de dieux, ils osent embrasser la beauté et l’amour sur la bouche, ils ont appris les chants de révolte de la foule malheureuse et, sans se rebuter, essaient de lui apprendre les leurs [83].

Même si, crise personnelle et dadaïsme obligent, il n’a pas grand-chose à dire et ne sait quoi dire, la nécessité de parler, de communiquer avec les autres hommes, d’être en communion avec eux l’emporte et explique « la fonction largement “phatique” de sa poésie de l’époque – établir et maintenir le contact avec autrui » [84].

Des titres « élastiques »

Explications physiologique, historique, biographique, esthétique, idéologique, etc., quelle(s) que soi(en)t la ou les pistes retenues, reste un problème, un problème de taille : comment rendre compatible cette propension au bas degré avec un titre tel que Capitale de la douleur qui, lui, nous l’avons vu, avoisine les sommets du haut degré ?

Des titres états d’âme ?

On pourrait certes tenter d’alléguer une nouvelle fois le psychologique ou le biographique. Le titre de l’ouvrage n’est pas sans rapport avec les déclarations d’intention et les décisions fracassantes d’Éluard alors que les autres titres seraient plutôt à l’image de la vie étriquée de ce fils de marchand de biens que son propre père désigne par la périphrase « employé de l’agence » [85]. Capitale de la douleur serait la grande décision romantique et existentielle de tout laisser en plan, de partir comme Rimbaud à l’autre bout du monde. Tandis que les titres « Répétitions », « Les moutons », « L’habitude » seraient le fait de revenir, un peu honteux, à son point de départ et de reprendre exactement la même vie qu’auparavant. Certains commentaires des contemporains d’Éluard vont dans le sens d’une telle lecture, André Breton écrit par exemple à Marcel Noll : « Crois-tu : / Éluard, eh bien oui, il était tout bonnement à Tahiti, à Java, puis à Saïgon avec Gala et Ernst […] / C’est bien le même, à n’en pas douter. / Des vacances, quoi » [86]. Bien qu’un peu plus indulgente, Simone Breton dresse le même constat : « Éluard est revenu. Sans commentaires. Il en faudrait trop. Tant pis pour ceux aux yeux de qui la pensée a besoin de se justifier. Je ne charge personne d’incarner une pensée, et je suis toujours plus reconnaissante à un homme d’accomplir en grand naturel une action petite que d’avoir, contre sa nature, une attitude grande […]. La dominante (pour moi en tout cas) a été une grande tristesse. Qu’est-ce qu’une créature à côté d’un symbole ? “Ne pas mourir de mourir”. Ensuite un homme vivant est apparu. Un ami. C’est bien heureux » [87].

N’aurait-on pas aussi dans ce grand écart une sorte de matérialisation des différentes tensions qui écartèlent alors Éluard ? Il se veut libre, affranchi de toutes contingences mais il n’en est pas moins encore terriblement dépendant, affectivement comme financièrement, de ses parents. Il se veut pourfendeur de la bourgeoisie mais il est dans sa façon de vivre terriblement bourgeois. Il se déclare moralement libéré, revendique haut et fort la primauté de l’amour de tous les hommes mais, lorsque Gala s’intéresse à Max Ernst, il est torturé par un sentiment petit-bourgeois de jalousie. Gaëtan Picon ne s’y trompe pas : pour novatrice que soit cette poésie dans son langage et sa vision, elle est plus près de Lamartine que de Michaux ou de Prévert [88].

Ne pourrait-on pas surtout voir dans l’écartèlement constaté plus haut la confirmation d’une des observations de Francis Ponge, à savoir qu’Éluard, dans ses débuts, est « un jeune coq dada volant dans les plumes de la poule unanimiste qui l’a couvé » [89] ? Le haut degré du titre du recueil ne pourrait-il pas synthétiser le mal-être et le désespoir dadaïste alors que la simplicité de la plupart des autres titres et de l’écriture d’Éluard en général ne pourrait-elle pas, elle, rappeler, ainsi que le suggère Jean-Charles Gateau, le Charles Vildrac du Livre d’amour ?

[M]ême volonté de préserver en soi l’enfant qu’on fut, même goût des paysages élémentaires d’herbe et de feuillages, de ciel et de soleil, même sensualité devant la tiédeur des corsages et le gonflement des lèvres, même fraternité avec les hommes ordinaires, même compassion pour les douleurs, même refus de l’emphase, de l’académisme et des feux d’artifice [90].

La juxtaposition de ces deux tendances serait en soi révélatrice d’un conflit

[…] entre l’espérance et l’amertume, entre l’unanimisme de gauche, éthique de la totalité, qui s’efforce de restaurer sur des bases purement humaines un espace unitaire perdu depuis la mort de Dieu et du Livre, et le cubisme, expression radicale de la fracture, éthique du manque sans remède, de l’espace brisé, du regard et du corps décentrés, de l’échange interrompu. Malgré les efforts du poète néophyte pour échapper au piège par une parole positive, par la bénédiction euphorique et « l’espoir tranquille » dont il rêve, la malédiction gagne, la parole lacunaire gangrène peu à peu le beau tissu, et le grand leitmotiv éluardien de la Séparation s’instaure. Un double rimbaldien vient ricaner au cœur même des transports optimistes, le sarcasme et la souffrance traversent les proses du « Rire d’un autre » [91].

Un collage moniste

Bas degré, haut degré ; espérance, désespoir ; unanimisme, dadaïsme ; bourgeoisie, refus de la bourgeoisie ; idéalisme, pragmatisme ; amour, mort ; Capitale de la douleur, « Répétitions », « Max Ernst », « Suite », « Manie », « L’invention »… Les titres d’Éluard sont en tous les cas indéniablement

un composé alchimique de deux ou plusieurs éléments hétérogènes, résultant de leur rapprochement inattendu, dû, soit à une volonté tendue – par amour de la clairvoyance – vers la confusion systématique, soit au hasard ou une volonté favorisant le hasard. Hasard, dans le sens où Hume l’a défini : l’équivalent de l’ignorance dans laquelle nous nous trouvons par rapport aux causes réelles des événements [92]…

Cette citation, bien qu’au cœur de Donner à voir, n’est pas d’Éluard mais de celui qui, programmatiquement, donne son titre au premier poème de Capitale de la douleur : Max Ernst. Elle n’est censée définir ni la poétique de l’écrivain ni l’esthétique du peintre (encore que…) mais ce que ce dernier appelle le collage, c’est-à-dire :

l’accouplement de deux réalités en apparence incompatibles sur un plan qui en apparence ne leur convient pas [93].

[…] [cet] instrument hypersensible et rigoureusement juste, semblable au sismographe, capable d’enregistrer la quantité exacte des possibilités de bonheur humain à toute époque. […] cette irruption magistrale de l’irrationnel dans tous les domaines de l’art, de la poésie, de la science, dans la mode, dans la vie privée des individus, dans la vie publique des peuples [94].

Une telle pratique, nous le voyons, ne saurait être réduite à un désir de faire différent ou de provoquer les bien-pensants. Juxtaposer dans un même recueil bas degré et haut degré, c’est porter un nouveau regard sur le monde et l’existence, un regard que l’on pourrait qualifier (puisque tout se retrouve au même niveau, puisque le vécu devient une juxtaposition de perçu, de senti, de pensé, d’imaginé, de rêvé, puisque le monde n’est pas présenté comme une réalité extérieure mais comme intentionnel, inclus dans la conscience) de… phénoménologique.

C’est aussi et surtout mettre en exergue le contradictoire et donc remettre en cause le monopole de la raison classificatrice qui crée entre les éléments du monde des frontières claires, nettes et rassurantes, remise en cause dont on trouve la trace et la contestation dans des titres comme « Porte ouverte », « Suite », « Limite », « À coté ». Max Ernst est moniste :

À travers ses collages, ses frottages, ses tableaux, s’exerce sans cesse la volonté de confondre formes, événements, couleurs, sensations, sentiments, le futile et le grave, le fugitif et le permanent, l’ancien et le nouveau, la contemplation et l’action, les hommes et les objets, le temps et la durée, l’élément et le tout, nuits, rêves et lumière [95].

Non seulement Éluard l’a compris mais il le suit sur cette voie. Comme son ami, il « nie toutes les dichotomies », il « se refuse à séparer la matière de l’esprit, l’âme du corps, la pensée du langage » [96]. Ses titres, ses poèmes, hétérogènes, multiples, cérébraux et pulsionnels, construits et spontanés, organisés et en désordre, bas degré et haut degré en sont le vivant témoignage. Ils ne se veulent pas fruits de la raison ou de la conscience mais fruits de la raison incorporée, fruits d’un corps raisonnant, fruits d’un ça endigué par le surmoi, fruits d’un surmoi débordé par le ça :

LES PHILOSOPHES […] ils se sont vautrés dans leurs idées. / Mais voici venu le temps des hommes purs, des actes imprévus, des paroles en l’air, des illusions, des extases, des blasphèmes et de l’amour qui rêve, voici que le feu et le sang retrouvent leur splendeur première, voici que les souffrances et les délices hantent à loisir l’âme et le corps, que la pensée n’a plus de portes à ouvrir, n’a plus à entrer ou à sortir et que des balles maladroites transpercent dans leurs boutiques ces « Grandes Têtes Molles », ces Bonnes Machines à calculer [97].

Dans la droite ligne de la phénoménologie, le monde n’est donc plus un immense théâtre que l’homme contemple et organise du haut de sa raison. L’homme n’a plus le monde en face de lui, il en fait partie. Il est élément du monde, il est le monde. Mettre en « capitales », via le titre de l’ouvrage, « la douleur », c’est revendiquer que l’homme est corps et matière, c’est revendiquer la primauté du dionysiaque sur l’apollinien. Rompre avec la cohérence et la cohésion des titres traditionnels, les laisser se contredire [98], c’est laisser entendre que ceux-ci ne sont pas seulement le produit de la raison ou de la conscience mais des émanations du corps, des émanations du monde. Tristan Tzara le dit : « La pensée se fait dans la bouche » [99]. Max Ernst l’écrit : « De même que le rôle du poète, depuis la célèbre lettre du Voyant, consiste à écrire sous la dictée de ce qui se pense (s’articule) en lui, le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui » [100]. Éluard les suit :

LA POÉSIE est l’essai de représenter, ou de restituer, par des cris, des larmes, des caresses, des baisers, des soupirs, ou par des objets ces choses ou cette chose que tend obscurément d’exprimer le langage articulé, dans ce qu’il a d’apparence de vie ou de dessein supposé. / Cette chose n’est pas définissable autrement. Elle est de la nature de cette énergie qui se refuse à répondre à ce qui est… / La pensée doit être cachée dans les vers comme la vertu nutritive ne l’est pas dans un fruit. Un fruit n’est pas une nourriture, il n’est que pensée. On ne perçoit aucun plaisir, on ne reçoit aucune substance. Le fruit est enchanté [101].

Les véritables poètes n’ont jamais cru que la poésie leur appartînt en propre. Sur les lèvres des hommes, la parole n’a jamais tari ; les mots, les chants, les cris se succèdent sans fin, se croisent, se heurtent, se confondent. L’impulsion de la fonction-langage a été portée jusqu’à l’exagération, jusqu’à l’exubérance, jusqu’à l’incohérence. Les mots disent le monde et les mots disent l’homme, ce que l’homme voit et ressent, ce qui existe […], la volonté, l’involontaire, la crainte et le désir de ce qui n’existe pas, de ce qui va exister. Les mots détruisent, les mots prédisent ; enchaînés ou sans suite, rien ne sert de les nier. Ils participent tous à l’élaboration de la Vérité [102].

Ils [« les peintres surréalistes qui sont des poètes »] poursuivent tous le même effort pour libérer la vision, pour joindre l’imagination à la nature, pour considérer tout ce qui est possible comme réel, pour nous montrer qu’il n’y a pas de dualisme entre l’imagination et la réalité, que tout ce que l’esprit de l’homme peut concevoir et créer provient de la même veine, est de la même matière que sa chair, que son sang et que le monde qui l’entoure. Ils savent qu’il n’y a rien d’autre que communication entre ce qui voit et ce qui est vu, effort de compréhension, de relation – parfois de détermination, de création. Voir c’est comprendre, juger, déformer, oublier ou s’oublier, être ou disparaître [103].

Un collage dialectique

Cependant, comme vu plus haut, Éluard, au grand dam d’André Breton, ne va pas jusqu’à mettre sur le même plan rêve et poésie et ne saurait se résigner à laisser totalement les brides à l’écriture automatique. S’il remet en cause la raison, c’est pour ensuite mieux retourner à elle. De même, si comme tous les surréalistes il s’intéresse à l’inconscient, c’est pour mieux revendiquer le conscient. Ajoutons que de nombreux titres précédemment répertoriés sous la rubrique bas degré ne sont pas exempts de haut degré. « Répétitions » perd ses connotations péjoratives et se rapproche du haut degré de l’art si on interprète ce vocable comme un désir d’imiter la peinture de Max Ernst. Marie-Annick Gervais-Zaninger fait aussi remarquer qu’

[…] à l’idée de rengaine, vite usée, ou de refrain monotone, s’oppose le sens nettement plus positif d’un recommencement qui n’est pas seulement redite mais rebond, voire renaissance. On peut aussi penser au sens artistique du terme : il s’agit alors d’un exercice théâtral ou orchestral permettant aux acteurs ou instrumentistes de s’exercer afin de parfaire leur exécution du drame ou de la partition [104].

« Mourir de ne pas mourir » est, quant à lui, certes, un titre emprunté à une chanson populaire mais c’est aussi, nous l’avons dit, un titre emprunté à un poème mystique de Thérèse d’Avila. Avec un tel hypertexte, ne glissons-nous pas dans le haut degré du dramatique et de l’existentiel ? Dans le titre de la section suivante, certes l’adjectif « petits » comme certaines acceptions de la lexie « justes » tendent, nous l’avons aussi montré, du côté du bas degré, mais des significations comme « [q]ui se comporte, agit conformément à la justice et à l’équité », « conforme à la vérité, à la raison, au bon sens » [105], inversent la tendance et cela d’autant plus si on met en vis-à-vis de ce titre la citation suivante : « Baudelaire aux bras tendus, aux mains ouvertes, juste entre les hommes, homme entre les justes » [106]. Quant à « Nouveaux poèmes », « nouveau » ne peut-il pas signifier : « qui tire de son caractère récent une valeur de création, d’invention » ? Des syntagmes comme « Nouveau Monde », « Nouvel homme », « Art nouveau » voire « Vin nouveau », « Ordre nouveau » ne sont-ils pas riches de promesse, ne sont-ils pas affiliables au haut degré de l’espoir ? Enfin, quand on est poète, choisir comme titre de sa dernière partie le mot « poèmes » n’est-ce pas terminer sur une note plus positive que négative, n’est-ce pas, une nouvelle fois, lorgner du côté du haut degré de l’art et de l’espoir ?

Nous le voyons, tout bas degré est haut degré de son antonyme : le concept de degré n’est en rien absolu, il est phénomène, il est le fruit d’une représentation subjective. Mais, surtout, si Éluard ne cesse de juxtaposer haut degré et bas degré, s’il fait cohabiter unanimisme et dadaïsme, s’il est adepte du collage, s’il remet en cause la raison et la conscience pour mieux y revenir, s’il se rapproche sans cesse un peu plus du communisme, si, enfin, il voyait dans le phénix le symbole même de la poésie, ne serait-ce pas parce que sa pensée, dans les pas de celle de Baudelaire [107], d’Hegel et de Marx, est… dialectique ?

Un titre comme « Mourir de ne pas mourir » en est une belle illustration comme en sont de belles illustrations des titres comme « Porte ouverte », « La grande maison inhabitable », « Baigneuses du clair au sombre », les poèmes « Absences » qui par leur simple existence sont « Présences », la juxtaposition « Malédiction », « Bénédiction », etc., etc. ?

Même les titres les plus « bas degré » peuvent être lus dialectiquement. Bien souvent dire moins c’est dire plus. L’affirmation la plus banale peut être interprétée comme une litote. Qui plus est, Éluard lui-même n’écrit-il pas que :

Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé. Leur principale qualité est non pas, je le répète, d’invoquer, mais d’inspirer […]. Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré [108] ?

Si l’on se rappelle qu’il est censé exprimer une maximalité de souffrance, même le titre Capitale de la douleur est étonnamment court, étonnamment simple. Sa syntaxe est des plus élémentaires : pas de verbes, pas de propositions, peu d’adjectifs, peu de marqueurs de subjectivité et cela, justement, dans le but d’exprimer le très haut degré. On pourrait même rajouter que les acceptions géographiques et typographiques de « capitale » sont en soi opposées au concept de « douleur ». Une lettre majuscule n’a rien à voir avec l’entité souffrance ; une ville, une métropole, ne peut de même, au mieux, souffrir que synecdoquement, mais la douleur ressentie n’en est-elle pas plus intense ?

Tous les titres du recueil ou presque pourraient être lus à cette aune et ce à la fois un à un, comme nous venons de le faire, mais aussi et surtout collectivement. Si les 35 titres de « Répétitions » contrastent avec le zéro titre des « Petits justes » c’est pour déboucher sur une dernière partie contenant à la fois 31 titres et 14 poèmes sans titre : thèse, antithèse, synthèse. On peut faire le même constat avec la longueur des titres en question. Dans « Répétitions », 27 titres font moins de 4 syllabes. Seuls 4 atteignent ou dépassent cette longueur. Dans « Mourir de ne pas mourir », les proportions s’inversent : 8 titres de moins de 4 syllabes, 14 de plus de 4 syllabes dont 5 de plus de 6 syllabes. Dans la dernière section, on a un mixage : 12 titres font plus de 4 syllabes, pas un ne dépasse 6 syllabes, 16 font moins de 4 syllabes. Thèse, antithèse, synthèse.

Ce processus n’est bien sûr pas que formel, il est aussi thématique. « L’invention », « La parole », « Poèmes » deviennent peu après « Le sourd et l’aveugle », « Bouche usée », « Silence de l’Évangile », « Celle qui n’a pas la parole ». Parfait aboutissement de ce processus, les titres disparaissent dans « Les petits justes ». « Une » puis « Entre peu d’autres » réamorcent un nouveau départ qui se concrétise avec « Les noms » et surtout le titre de la section, « Nouveaux poèmes ». De même, le « À la minute » du début du recueil devient dans la dernière section « Le miroir d’un moment ». Cette néantisation du temps ne tarde pas cependant à être annihilée à son tour par la gradation finale « Jour de tout », « Le grand jour », « Celle de toujours, toute ». Le passé et le futur, sources de souffrance, deviennent simple instant, instant dans lequel vit Gala, instant qu’Éluard ne peut accepter puisqu’il est la négation totale de son passé et de son futur, instant que par la dialectique il va dépasser et transformer en un « toujours », en « une éternité » présente n’abolissant ni le passé ni le futur [109]. On a le même jeu avec la thématique de la lumière. La confrontation des opposés débouche à chaque fois sur la victoire de l’un sur l’autre, sur un renforcement de l’un par l’autre et ce jusqu’à la victoire finale de la lumière. Le poème « L’ombre aux soupirs » combattu par « Luire » génère « Œil de sourd » et, surtout, « Le sourd et l’aveugle », remis en cause par « Baigneuse du clair au sombre » et par la réduplication d’« À la flamme des fouets », réduplication contrecarrée et ravivée par « La nuit » puisque le recueil s’achève avec « Jour de tout », « Le miroir d’un moment » et « Le grand jour ». La première section semble de même sous le sceau du désamour et de la séparation : « Porte ouverte », « L’ombre aux soupirs », « La grande maison inhabitable », « La mort dans la conversation ». L’isotopie amoureuse ressurgit dans la deuxième partie. Non seulement on peut y noter la présence de deux prénoms féminins associés à chaque fois à des sèmes mélioratifs – « Denise disait aux merveilles », « Mascha riait aux anges » –, mais, surtout, y trônent « Au cœur de mon amour » et « L’amoureuse ». En toute cohérence, la dernière partie débute par des titres remettant en cause l’amour – « Ne plus partager », « Absences I », « Absences II », « Fin des circonstances » –, mais des lexies féminines peu à peu réapparaissent – « Baigneuse », « Première », « Cachée », « La flamme », « Les Gertrude Hoffmann Girls » –, et le recueil s’achève sur « Celle de toujours, toute ». On pourrait presque reprendre mot à mot ce que dit Richard Vernier de Poésie ininterrompue : « C’est ainsi que la critique de l’amour passe par l’exaltation du couple seul […], qui forme la thèse, puis par l’obscurcissement dans le doute et le malheur […], qui constitue l’antithèse, pour arriver à un amour raffermi par le ferme propos de “sauver” l’humanité […], soit la synthèse de cette dialectique particulière » [110].

Cette observation montre bien que ce processus dialectique est beaucoup plus que formel ou thématique, il est existentiel. Ce que nous relate le recueil via la succession des titres, via l’alternance bas degré haut degré, ce n’est rien de moins que le cycle de la Vie. Le « Répétitions » du départ est en soi affirmation d’existence et ce d’autant plus qu’un des poèmes de la section s’intitule justement « La vie », mais cette vie est si « répétitivement » douloureuse qu’elle appelle son contraire, le « mourir » ; cependant, comme le rappelle le titre de la deuxième section, dans le grand cycle de la Vie, la mort n’existe pas. Aussi minuscule et insignifiant soit-il, toute mort débouche sur un petit quelque chose, « un petit juste » qui ne tarde pas à se multiplier et à se concrétiser par du nouveau, par une renaissance dont on a la manifestation dans la gradation de la quatrième partie : « Première au monde », « Le plus jeune », « Jour de tout », « Le grand jour ».

Le titre Capitale de la douleur ne dit lui-même pas autre chose. Via les acceptions présentes dans des syntagmes comme « peine capitale » ou « problème capital », la première lexie semble conduire à la mort mais, par un beau mouvement dialectique, via cette fois les acceptions géographique et typographique du mot, ce qui était néant devient monde grouillant de vie, devient œuvre d’art. De même, la douleur évoquée dans la deuxième partie du titre conduit à une interprétation plutôt pessimiste. Qu’elle soit physique ou psychologique, toute douleur est un pas vers la mort, une petite mort, un rappel que la grande faucheuse nous guette mais, par un beau paradoxe, elle est aussi ce qui fait que l’on a conscience d’être [111]. Mieux, même si c’est une vérité bien sombre [112] et bien difficile à admettre, le terme « capitale » nous fait comprendre que la souffrance est essentielle, non pas parce qu’elle sauvegarde la morale [113] ou est chemin de ronces vers un au-delà de roses [114] mais parce que, comme l’avait pressenti Baudelaire, il existe une « Alchimie de la douleur ». Non seulement « subir la douleur que l’autre vous inflige, c’est encore vivre à travers elle » [115], non seulement « écrire cette douleur, c’est perpétuer l’amour par le discours poétique et […] ainsi donner corps à l’être aimé » [116] mais, surtout, la souffrance est un maillon du cycle de la vie. Toute naissance est capitale de la douleur. Toute renaissance est capitale de douleur. Là encore l’on pourrait reprendre mot à mot l’analyse de Richard Vernier : « On sait à quel projet éthique répond cette œuvre : non seulement retracer les étapes d’une véritable conversion, mais aussi régénérer tous les éléments d’un univers poétique en les faisant passer par l’épreuve double du bonheur égoïste et du malheur, pour qu’ils en débouchent épurés » [117]. Inhérente au processus dialectique qui implique friction et destruction (pas de dictature du prolétariat sans grand soir), la douleur est la loi du monde et de la matière, elle est la condition de la régénération, la condition de l’éternité. Et, d’ailleurs, cela aussi est dit dans le titre d’Éluard. L’absence de tout verbe tend certes à annihiler la temporalité et amène à y voir la caractérisation d’un instant infinitésimal, l’instant présent de la douleur présente du poète, mais la dimension universelle de la douleur comme la généralisation et la maximalisation induite par la lexie « Capitale » et le déterminant « la » font que cette douleur devient celle de tous les hommes de tous les temps, font que le « je » devient « nous », font que l’instant devient éternité.

La définition de la dialectique que Lénine propose et qu’Éluard et Breton reprennent dans leur Dictionnaire abrégé du surréalisme se trouve donc accomplie :

L’élasticité universelle, sous toutes ses faces, des notions, élasticité qui va jusqu’à l’égalité des contraires – là gît l’essentiel. Si cette élasticité est employée objectivement, c’est-à-dire si elle reflète toutes les faces du processus matériel et son unité, alors elle est dialectique, elle est l’exact reflet de l’évolution éternelle du monde [118].

En conséquence de quoi, par ses titres, ce n’est donc rien de moins que l’idéal du Second manifeste du surréalisme qu’Éluard nous permet d’atteindre :

Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de déterminer ce point [119].


1

Avec tous mes remerciements à Thérèse Lechipey pour avoir relu cet article.

2

Paul Éluard, L’Amour la poésie, in Œuvres complètes, Marcelle Dumas et Lucien Scheler (éd.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade ; 200), 1968, t. I, 1913-1945, p. 232.

3

« Éluard ressentira toujours l’abandon au flux de l’inconscient comme une amputation de la part consciente du poète, une plongée narcissique loin des sens et de la vie présente, une menace contre l’échange. S’il ne nie pas ses ressources heuristiques pour aller à la pêche aux images, il doute qu’il exprime l’être véritable, puisqu’à ses yeux celui-ci n’existe qu’en rapport actuel avec le monde » ; Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, Paris, R. Laffont, 1988, p. 80.

4

Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat et René Rioul, Grammaire méthodique du français, 4e éd., Paris, PUF (Quadrige), 2009, p. 619-620.

5

Delphine Denis, Anne Sancier-Chateau et Mireille Huchon, Encyclopédie de la grammaire et de l’orthographe, Paris, Librairie générale française, 1997, p. 206.

6

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, Paris, Gallimard (Foliothèque ; 33), 1994, p. 20.

7

Georges Molinié, La Stylistique, Paris, PUF, 1993, p. 84.

8

Marc Wilmet, Grammaire critique du français, 2e éd., Paris – Louvain-la-Neuve, Hachette supérieur – Duculot, 1998, § 51, p. 53.

9

Gérard Moignet, Systématique de la langue française, Jean Cervoni, Kerstin Schlyter et Annette Vassant (éd.), Paris, Klincksieck, 1981, p. XI-XII.

10

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 20.

11

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 92.

12

Paul Robert, Le Petit Robert, Alain Rey et Josette Rey-Debove (éd.), Paris, Dictionnaires Le Robert, 1985, p. 1855.

13

Algirdas Julien Greimas, Dictionnaire de l’ancien français, Paris, Larousse, 2004, p. 182.

14

Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (dir.), Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, p. 343.

15

« Il y reprend Mourir de ne pas mourir ; il y incorpore une sélection de poèmes plus anciens ; il y dissémine sept textes surréalistes ainsi que le musée imaginaire de ses poèmes sur les peintures, et conclut sur une gerbe dédiée à Gala » ; Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 141.

16

Pierre Emmanuel, Le Je universel chez Paul Éluard, cité par Marcelle Dumas et Lucien Scheler (éd.) dans Paul Éluard, Œuvres complètes, t. I, p. 1387.

17

Ibid., p. 1388.

18

« En septembre 1926, la question des rapports avec le P.C. se raviva. Naville, revenu du service militaire et tout imbu de sa fraîche lecture de Lénine, invitait, dans une brochure, La Révolution et les Intellectuels, les surréalistes à opter entre l’anarchisme et le communisme, et à dire si oui ou non, ils voulaient une révolution marxiste ou seulement l’épuration de la vie intérieure. La sommation et l’alternative ne furent pas du goût de Breton, qui, dans Légitime défense, refusa le dilemme et contre-attaqua sur l’imbécile barbussophilie de L’Humanité. De nouvelles réunions suivirent, au cours desquelles Éluard s’expliquait avec émotion : “Avec la sincérité et la fébrilité que vous lui connaissez, raconte Naville à Denise, il a affirmé que vis-à-vis de la révolution il se sentait sur le même rang qu’un ouvrier, qu’il renoncerait à tous poèmes, etc., qu’il tient pour nuls, imbéciles et faux”. / “Nuls, imbéciles et faux”, disait Éluard, dans son zèle ouvriériste de néophyte, des poèmes de 1925-1926 qu’il venait de regrouper en deux recueils, Capitale de la douleur et Les Dessous d’une vie. Comme on le voit, l’homme de lettres, longtemps avant le Sartre soixante-huitard, culpabilisait déjà sur ses privilèges, soupçonnait parfois dans la poésie une sournoise aliénation et souhaitait se mettre à l’écoute des masses » ; Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 141.

19

Delphine Denis, Anne Sancier-Chateau et Mireille Huchon, Encyclopédie de la grammaire…, p. 105.

20

Ibid., p. 105-107.

21

Ibid., p. 105.

22

Marc Wilmet, Grammaire critique du français, § 172 (6), p. 152.

23

Delphine Denis, Anne Sancier-Chateau et Mireille Huchon, Encyclopédie de la grammaire…, p. 104.

24

Ibid.

25

Ibid.

26

Dictionnaire historique de la langue française, p. 343.

27

« Ces Notes sont un démarquage, ligne pour ligne, phrase pour phrase, des cinquante premières pages de Littérature, suite de textes par Paul Valéry […] s’inspirant d’un procédé déjà pratiqué par Lautréamont, ils inventèrent des idées “à partir de la pensée d’autrui, par retournement de La Rochefoucauld, de Vauvenargues” […]. Une maxime connue, inversée ou modifiée, fournissait invariablement l’énoncé d’une vérité qui, pour être dissemblable, n’en devenait pas moins aussi convaincante, la phrase type se prêtant d’ailleurs à plus d’un divertissement » ; Marcelle Dumas et Lucien Scheler (éd.) dans Paul Éluard, Œuvres complètes, t. I, p. XLI-XLII.

28

Catherine Fromilhague et Anne Sancier-Chateau, Introduction à l’analyse stylistique, Paris, A. Colin (Lettres sup), 2004, p. 215.

29

Anne Régent, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, Rosny-sous-Bois, Bréal, 2000, p. 27-28.

30

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 44.

31

Ibid., p. 50.

32

Ibid., p. 51.

33

Cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 54-55.

34

Paul Lafargue, Le Droit à la paresse, cité par Paul Éluard, Donner à voir, in Œuvres complètes, t. I, p. 988.

35

Cité par Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 135.

36

« [C]’est-à-dire l’euphorie affective limitée au petit noyau familial, volontairement aveugle à la détresse du reste du monde » ; Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 147.

37

« Les provocations antibourgeoises se multiplient. Le 29 mai 1925, au théâtre du Vieux-Colombier, les surréalistes sabotent, à coups de “Merde !” et “On vous emmerde !”, la conférence de Robert Aron sur “Le Français moyen” » ; Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 134.

38

« En Indochine, le Blanc n’est qu’un cadavre, et ce cadavre jette ses ordures au nez du Jaune ; à Java, le Hollandais bouffi vante le nombre de ses domestiques, mais de temps en temps on l’égorge » ; Paul Éluard, La Révolution surréaliste, nº 3, 15 avril 1925, cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 133.

39

Rapporté par Marcel Noll et cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 130.

40

Cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 131.

41

« Ah, vous ne savez pas ce que c’est que d’être marié à une femme russe ! », s’exclamait parfois Éluard ; cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 100. Tzara à Josephson à propos d’Éluard : « Bien sûr nous nous fichons de ce qu’ils font, ou de qui couche avec qui : mais pourquoi faut-il que cette Gala Éluard en fasse un tel drame à la Dostoïevski ? C’est casse-pieds, c’est intolérable, c’est inouï ! » ; cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 101.

42

« Je ne peux me faire à l’idée de ce que tu m’as dit dans les derniers temps d’Arosa : que tu n’as pas de souvenirs, que tu n’aimes pas en avoir. J’ai mis toute ma vie dans l’amour que j’ai pour toi, j’ai mis toute ma vie dans notre vie. Ou bien je me tuerai. Rien ne commence pour nous […] tout doit être présent pour nous et je suis en ce moment aussi bien avec toi à Clavadel, à Versailles, à Bray, à Eaubonne, à Arosa, qu’ici avec toi absente, avec ma grande nostalgie de toi. S’il me faut concevoir un passé, un présent, un avenir, je me tuerai » ; Paul Éluard, cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 163.

43

« […] dans le désarroi de l’inexpérience et l’excitation de la nouveauté, mûrissent des complications sentimentales qui ne tarderont pas. Si le désir n’est pas coupable, peut-on s’approprier un être et le priver de tous les autres êtres ? Le limiter, le châtrer ? À ces questions, l’ennemi des sacrements religieux et des valeurs bourgeoises ne peut répondre que par la négative. Les limites de la famille nucléaire deviennent chaque jour plus frustrantes. La monogamie n’est pas seulement petite-bourgeoise : elle est antipoétique par essence. On ne peut dissocier la poésie de la propagation de l’amour illimité, du partage universel de l’amour » ; Jean-Charles Gateau, ibid., p. 88.

44

Cité par Jean-Charles Gateau, ibid., p. 169.

45

Cité par Anne Régent, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 61.

46

Ibid.

47

Paul Éluard, « Celle de toujours toute », in Capitale de la douleur, in Œuvres complètes, t. I, p. 197.

48

Paul Éluard, « La malédiction », ibid., p. 146.

49

Henri Meschonnic, « Paul Éluard aujourd’hui », Les Mots la Vie, nº 10, 1998, Éluard a cent ans, Colette Guedj (dir.), p. 349.

50

Philippe Jaccottet, Nouvelle Revue de Lausanne (27 novembre 1952), in Écrits pour papier journal : chroniques 1951-1970, Jean-Pierre Vidal (éd.), Paris, Gallimard, 1994, p. 40, 42 ; cité par Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, Neuilly, Atlande, 2013, p. 16.

51

Paul Éluard, L’Amour la poésie, p. 1401.

52

« Il s’agissait de recueillir tous les déchets de mes poèmes à sujets, limités et forcément arides, toutes les parties douces comme des copeaux qui m’amusent et me changent un peu ; elles me paraissent faites depuis toujours, comme les mots, et j’y ai pris goût facilement. / Ceci vous explique que ce livre n’a été pour moi qu’un exercice de mémoire » ; lettre de Paul Éluard à Jacques Doucet (1922), citée dans Œuvres complètes, t. I, p. 1342.

53

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 16.

54

Paul Éluard, Donner à voir, p. 936.

55

Paul Éluard, L’Évidence poétique [conférence prononcée à Londres, le 24 juin 1936, à l’occasion de l’exposition surréaliste organisée par Roland Penrose], in Œuvres complètes, t. I, p. 514.

56

Ibid., p. 516.

57

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 114.

58

Paul Robert, Le Petit Robert, p. 1057.

59

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 72-73.

60

Paul Robert, Le Petit Robert, p. 1284.

61

Delphine Denis, Anne Sancier-Chateau et Mireille Huchon, Encyclopédie de la grammaire…, p. 62.

62

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 65.

63

Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 28.

64

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 138.

65

Ibid., p. 38-39.

66

Sur les 73 lexies que contiennent les titres de « Répétitions », seulement 7 ont 3 syllabes ou plus ; sur les 74 de « Mourir de ne pas mourir » 8 ; sur les 92 de « Nouveaux poèmes » 2, soit 17 sur 239, soit seulement 7,1 %.

67

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 25.

68

Richard Vernier, “Poésie ininterrompue” et la poétique de Paul Éluard, Paris – La Haye, Mouton, 1971, p. 174.

69

Anne Régent, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 19.

70

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 16.

71

Paul Éluard, « À la fenêtre », in Les Dessous d’une vie, in Œuvres complètes, t. I, p. 207.

72

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 106-107.

73

Paul Éluard, Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux, in Œuvres complètes, t. I, p. 37.

74

Tristan Tzara, Manifeste du dadaïsme, cité par Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 78.

75

Cité par Anne Régent, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 115-116.

76

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 89.

77

Ibid., p. 115.

78

Paul Éluard, « Conférence à l’Institut français de Prague », 9 avril 1946, publiée dans la revue tchèque Les Feuilles.

79

Cité par Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 106-107.

80

André Breton, « Pour Dada », cité par Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 54.

81

« La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle » ; Paul Éluard, Poésie involontaire et poésie intentionnelle, in Œuvres complètes, t. I, p. 1131.

82

La Révolution surréaliste, cité par Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 167-168.

83

Paul Éluard, L’Évidence poétique, p. 513-521.

84

Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 26-27.

85

Ibid., p. 151.

86

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 128.

87

Ibid.

88

Gaëtan Picon, Panorama de la nouvelle littérature française, Paris, Gallimard, 1960.

89

Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 64.

90

Ibid.

91

Ibid., p. 64-65.

92

Max Ernst, Au-delà de la peinture, cité par Paul Éluard, Donner à voir, p. 973.

93

André Breton, cité par Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 180.

94

Max Ernst, Au-delà de la peinture, cité par Paul Éluard, Donner à voir, p. 973-974.

95

Paul Éluard, Donner à voir, p. 946.

96

Anne Régent, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 59.

97

Paul Éluard cité par Jean-Charles Gateau, “Capitale de la douleur” de Paul Éluard, p. 167-168.

98

« Un poème doit être une débâcle de l’intellect. Il ne peut être autre chose. Débâcle : c’est un sauve-qui-peut, mais solennel, mais probant ; image de ce qu’on devrait être, de l’état où les efforts ne comptent plus » ; André Breton et Paul Éluard, Notes sur la poésie, in Paul Éluard, Œuvres complètes, t. I, p. 474. « Pour rendre vie au langage et atteindre, du même coup, à un état moins révoltant que celui d’une humanité momifiée, il est donc indispensable de liquider cette attitude religieuse et de procéder en quelque sorte, à l’émancipation de la parole : premier but, semble-t-il, que s’assignera Éluard et auquel tendront tous ses poèmes durant toute la période au cours de laquelle on le verra parler pour la pure joie de parler, “parler sans avoir rien à dire”, parler pour user comme en un jeu merveilleux de la faculté spécifiquement humaine de parler » ; Michel Leiris, « Art et poésie dans la pensée de Paul Éluard », Europe, juillet-août 1953, repris dans Brisées, Paris, Mercure de France, 1966, rééd. Paris, Gallimard, 1992, p. 192, cité par Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 242.

99

Cité par Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 84.

100

Max Ernst, Au-delà de la peinture, cité par Paul Éluard, Donner à voir, p. 966.

101

André Breton et Paul Éluard, Notes sur la poésie, p. 475.

102

Paul Éluard, Poésie involontaire et poésie intentionnelle, p. 1132.

103

Paul Éluard, L’Évidence poétique, p. 516.

104

Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 95.

105

Paul Robert, Le Petit Robert, p. 1057.

106

Paul Éluard, Charles Baudelaire, in Œuvres complètes, t. I, p. 915.

107

« Baudelaire n’hésite pas à se contredire. Il sait qu’il établit la Vérité. Cet immense poète a toujours simultanément dévoilé les faces opposées, réflectrices de son génie » ; Paul Éluard, Donner à voir, p. 957.

108

Paul Éluard, L’Évidence poétique, p. 515.

109

Voir note 40 ; voir Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le Frère voyant, p. 157 : « une sorte de désaccord métaphysique fêle la complicité du poète et de la muse. Gala veut vivre tout entière dans l’instant ; Éluard dans une sorte de présent mystique perpétuel, où tout le passé soit actuel ».

110

Richard Vernier, “Poésie ininterrompue” et la poétique de Paul Éluard, p. 84.

111

Ce qu’Éluard écrit sur Huysmans va dans ce sens : « l’homme des soucis, des cauchemars, des vraies, des profondes, des lamentables tristesses », « [l’]homme qui a eu le plus conscience d’être un homme, avec toutes les misères abominables que cela comporte ; l’homme, le seul homme qui ait su imposer la réalité, par sa tristesse épouvantable », cité par Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 58.

112

« Ce sont des vérités sombres qui apparaissent dans l’œuvre des vrais poètes, mais ce sont des vérités et presque tout le reste est mensonge » ; Paul Éluard, L’Évidence poétique, p. 518.

113

« M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849, disait : “Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : Jouis”. M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l’égoïsme féroce, et l’intelligence étroite » ; Paul Lafargue, « Avant-propos » au Droit à la Paresse, cité par Paul Éluard, Donner à voir, p. 988.

114

« La croyance à la vie future est une croyance absolument impoétique. La source de la poésie c’est la douleur… La croyance à la vie future, parce qu’elle fait de toute douleur un mensonge, ne peut être la source d’une inspiration véritable » ; Ludwig Feuerbach, La Religion, cité par Paul Éluard, Donner à voir, p. 986.

115

Marie-Annick Gervais-Zaninger et Stéphanie Thonnerieux, Paul Éluard, “Capitale de la douleur”, p. 241.

116

Ibid.

117

Richard Vernier, “Poésie ininterrompue” et la poétique de Paul Éluard, p. 170.

118

Lénine, cité par André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme, in Paul Éluard, Œuvres complètes, t. I, p. 739.

119

André Breton, Second manifeste du surréalisme, cité par Paul Éluard, Donner à voir, p. 962.