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L’Heptaméron et la mnémotechnique
Danièle Duport
Université de Caen Basse-Normandie
danieleduport@club-internet.fr
La présence des répétitions dans L’Heptaméron relève d’un art de la mémoire qui oriente l’attention dans deux directions. L’homme imparfait reproduit sans cesse les mêmes fautes selon les scénarios variés des nouvelles ; en regard, sont répétés les lieux théologiques qui devraient éclairer la conduite humaine. La répétition permet de confirmer l’adhésion à des vérités indiscutables quand, par ailleurs, est reconnue l’impossibilité de toute interprétation humaine.
In L’Heptaméron the repetitions are inspired by an art of memory wich directs the attentiontoward two directions. The imperfect man keeps repeating the same mistakes along the various scenarios of the short stories, while are respected, in parallel, the theologicals elements that should enlighten the human behaviour. Repetitions confirm the adherence to unquestionable truths, while, on the other hand, any human interpretation is deemed impossible.
Il nous a semblé que la formule traditionnelle, reprise dans L’Heptaméron, de l’histoire «digne de mémoire» [1], commune au Décaméron et aux Cent Nouvelles nouvelles, méritait d’être analysée sous l’angle de la technique mémorielle [2]. Depuis l’Antiquité existent dans les arts rhétoriques des recettes pour exercer la mémoire artificielle de l’orateur. Ces techniques mnémoniques, adaptées par la scolastique, sont bien connues aux XVe et XVIe siècles. Comme elles s’inscrivent dans l’héritage des arts de mémoire transmis depuis l’Antiquité, il convient d’en exposer brièvement la nature [3]. Sans entrer dans les héritages successifs et les divergences qui exposent les moyens d’exercer la mémoire artificielle, nous nous limitons aux conclusions de Frances Yates : le Moyen Âge a retenu la définition de la mémoire du De inventione de Cicéron et en partie celle de l’Ad Herennium sur la mémoire artificielle [4]. Ad Herennium explique qu’afin de pouvoir se rappeler un discours, l’orateur le visualisera en en plaçant les idées et les mots-clefs, sous forme d’images, dans des lieux ; le mot désigne en l’occurrence les pièces d’une maison. Comme ne nous frappent que les choses extraordinaires, il faut trouver des images capables de rester dans la mémoire, les imagines agentes, laides ou belles, effrayantes ou comiques [5]. Si l’orateur se sert de ces artifices pour cultiver sa mémoire, les procédés destinés au récepteur sont les suivants : celui-ci ne mémorise que si les choses et les mots capables d’agir en lui sont organisés selon un ordre et que si à l’intérieur d’une composition balisée par les mots s’ajoutent des images frappantes. Du point de vue de la conception de la mémoire, Cicéron dans De inventione définit la vertu avec ses quatre parties, dont la prudence qui comprend la mémoire, l’intelligence et la prévoyance. La mémoire rappelle ce qui s’est passé et contribue à la prudence, devenue une vertu cardinale pour les Chrétiens. Avec Albert le Grand et Thomas, la mémoire artificielle des théoriciens antiques n’est cultivée qu’en vue des intentions spirituelles [6]. La spatialisation de la mémoire prend des dehors différents au Moyen Âge et à la Renaissance auxquels nous ne nous attachons pas dans la mesure où L’Heptaméron n’y recourt pas. De l’héritage saint Thomas retient qu’il faut trouver des symboles corporels, car l’âme est plus touchée par des images corporelles, qu’il faut aussi imprimer fortement ces images, leur donner un ordre, de la clarté, et enfin méditer souvent la chose et la répéter [7]. Quant à l’ordre, une considération nous intéresse particulièrement : le souvenir d’une chose découle du souvenir d’une autre. Du point de vue du prédicateur comme de celui du récepteur, il importe de communiquer une forte notion des vices et des vertus. Les traités ultérieurs, cités par Frances Yates, reprennent ces quatre principes [8]. Bien que ces moyens mnémotechniques aient été utilisés pour réformer la prédication dominicaine, ils s’adressent aussi au lecteur profane, à «l’homme moral» [9].Il convient enfin de rappeler que la conception de la mémoire qui prévaut à la Renaissance est aristotélicienne : les sens impriment des images dans la partie sensible de l’âme et l’imagination les transmet à la partie intellectuelle.
Les récits de L’Heptaméron servent aussi à nourrir l’âme sous les dehors d’une utile distraction mondaine pour tromper l’ennui. Le credo d’Oisille, peu accessible à ceux qui sont encore très attachés à leur corps, qui ne sont pas «mortifiés», comme le rappelle Hircan dans le prologue, va être véhiculé par la pastorale plus simple, plus séduisante et plus efficace des contes. Les nouvelles fonctionnent comme des exempla, or les recueils d’exempla, au Moyen Âge et plus tard, sont destinés soit à la méditation des confréries ou de lecteurs laïques, soit à la prédication, l’exemplum constituant une partie du sermon [10]. Et en ce sens les exempla relèvent des techniques mnémoniques, puisqu’ils doivent imprimer dans la mémoire une leçon de théologie, morale ou dogmatique, qui soit claire et simple.
Si, malgré ses caractères profanes, on considèreL’Heptaméron comme un recueil qui aurait aussi une fonction dévotionnelle, dont les nouvelles constitueraient les exempla et les commentaires une méditation ou une controverse sur les moralités qui en découlent, la question de la mémoire coïncide avec la nécessité de fixer dans l’esprit les exemples à des fins éducatives afin de persuader l’auditeur de ses imperfections
, de le mener enfin à une conversion et de faire coïncider vie mondaine et vie selon Dieu. Pour que les cas «dignes de mémoire» soient médités et que la mémoire des devisants deL’Heptaméron s’en imprègne durablement, Marguerite de Navarre use de certains moyens de la pastorale religieuse et à cette fin d’une rhétorique particulière. Dans cette opération d’imprégnation, qui utilise souvent la technique connue des images frappantes, particulièrement renouvelée dans la nouvelle à la Renaissance lorsqu’elle s’oriente versl’histoire tragique, il est notable que Marguerite de Navarre explore tout autant, sinon davantage, l’efficacité de la répétition sous toutes ses formes, au point qu’il convient d’y voir une pédagogie mémorielle consciente en vue d’une catéchèse [12].
La généralisation de la répétition
Dans L’Heptaméron, la répétition envahit toutes les catégories de la rhétorique, invention, disposition, élocution, action et mémoire, de manière plus ou moins visible, mais la mémoire commande l’usage de cette figure partout, aux niveaux microstructural et macrostructural et va bien au-delà de la pure répétition lexicale [13]. Le recours massif au procédé impose de ne choisir que quelques exemples significatifs.
La répétition la plus visible concerne le contenu des récits et relève de l’invention des arguments, dans la reprise des mêmes lieux communs propres aux histoires amoureuses où il est facile de repérer de grandes familles d’exempla, par exemple la vertu ou les vices des femmes et des hommes. La variété redondante des récits détermine une typologie de l’amour : amour pur et courtois dont l’issue a été la mort, amour pur converti en amour de Dieu, amour charnel qui conduit à tous les crimes de l’adultère, au viol ou au meurtre, amour charnel uni à un amour spirituel dans le mariage, etc. Il arrive du reste que les commentaires introductifs d’une nouvelle soulignent la parenté avec la suivante née de la mémoire analogique, comme c’est le cas pour les nouvelles IV et V. De même, les devisants rapprochent tel personnage d’un modèle canonique, la femme pécheresse et repentie rappelle Marie-Madeleine, la femme violée Lucrèce, et ils soulignent de la sorte que dans le domaine de l’amour les ornières ou les grandeurs de la condition humaine toujours se reproduisent. La liaison des nouvelles par opposition, selon le principe du balancier, finit par ramener le même lieu commun, comme c’est le cas pour presque toutes les histoires des première, deuxième et quatrième journées. Dans la succession d’une journée, comme tout au long de L’Heptaméron, les répétitions des comportements amoureux, les répétitions structurelles, les commentaires qui tentent de référer les actes à des intentions [14] gravent dans la mémoire la conviction que tout se répète.
Parce que les répétitions invitent à passer du particulier à la loi, les comportements amoureux des récits dessinent deux groupes, les bonnes manifestations de l’amour humain et les mauvaises, par-delà les lois repérées chez les femmes ou chez les hommes. Les devis maintiennent tantôt la discussion sur le plan terrestre par un débat contradictoire sur les conceptions de l’amour, tantôt répètent les lieux communs de l’amour terrestre pour les rapporter à des lieux théologiques. De ce fait les bonnes et les mauvaises manifestations de l’amour humain opposent rigoureusement ceux qui guident leur vie selon Dieu et ceux qui pèchent par excès de la volonté propre et demeurent, en termes pauliniens, prisonniers de la chair. La répétition révèle deux types de vies, l’une aveugle, l’autre éclairée, en même temps que deux types de lecture, l’une se laisse aller au charme des contes, l’autre s’en sert d’aiguillon pour une réforme intérieure, cela dans un rapport si continu qu’il apparaît une volonté d’éclairage et d’explication de l’une par l’autre. D’où la répétition constante du dévoilement, motif qui fonctionne comme le moyen d’articuler le plan des agissements visibles et des intentions cachées et qui démontre l’imperfection humaine sous le regard divin.
De la persuasion par la répétition ressortit tout l’appareil des répétitions lexicales, grammaticales et syntaxiques. La démonstration peut se faire à l’intérieur d’une nouvelle, d’un échange entre devisants, comme tout au long du recueil. Dans les devis, les répétitions lexicales sont structurellement introduites de différentes façons. Un personnage reprend un mot qui vient d’être prononcé pour lui prêter un sens autre : cas de la nouvelle XLII pour les mots «vertu» et «honneur». Dans ces mêmes commentaires, Hircan se sert de l’argumentation de Saffredent pour avancer, en inversant les rôles de la nouvelle XXVI ; ils sont relayés ensuite par Géburon et par Longarine [15]. Dans les devis de la nouvelle X, «honneur» reparaît au fur et à mesure que certains devisants proposent les diverses acceptions du mot : pour Saffredent, l’honneur féminin consiste dans ce culte que l’homme consent d’offrir à la femme. Il y aurait donc un amour honorable de cœur. Mais existe aussi pour lui un amour honorable du désir et du corps, pas incompatible avec le premier. Selon Géburon ensuite, l’honnêteté chevaleresque allie amour et vaillance. Autre définition du mot : les conteurs tiennent d'«honnêtes propos». En revanche, Longarine ne voit d’autre honneur que l’honneur intérieur dont la conscience seule serait le juge. La technique dialogique consiste à opposer les idées, à partir des répétitions, à les approfondir ou à les déplacer vers le plan spirituel pour les faire finalement jouer sous le regard de la conscience. Les commentaires de la nouvelle LXIII autorisent la même démonstration : aux raisons psychologiques et physiologiques qui poussent à la chasteté – interventions de Parlamente et de Hircan –, Oisille oppose une explication à la fois physiologique, psychologique et médicale, et une explication théologique. Le mot «chasteté» trouve alors un équivalent périphrastique et explicatif : les désirs du corps disparaissent quand une occupation de l’âme endort les sens. Elle distingue, quant à la chasteté, ceux qui sont «angelisez», ont reçu la grâce, sont tournés tout entiers vers Dieu, et ceux qui, par une passion de l’âme, oublient leur corps, par exemple les amoureux de la science ou certains de ceux qui aiment. Le raisonnement d’Oisille s’appuie sur la figure de synonymie par variation qu’est l’interpretatio : «où le cuer s’adonne, il n’est rien impossible au corps» ; «vous trouverez ceulx qui ont mys leur cueur et affection à chercher la perfection des sciences, non seulement avoir oblyé la volupté de la chair» ; «tant que l’ame est par affection dedans son corps,la chair demeure comme insensible» ; «quant le corps est subgect à l’esperit, il est quasi insensible aux imperfections de la chair, tellement que leur forte opinion les peult rendre insensibles» [16]. Les devis de la nouvelle XIX répètent au moins cinq fois, par l’assertion positive, que l’amour humain peut conduire à l’amour divin, sans compter les autres occurrences par développements synonymiques au gré de la même intervention, ou celles amenées par la plaisanterie.
Dans les récits, il arrive que la répétition soit moins apparente. Un terme peut servir d’annonce à sa reprise par les devis : ainsi en va-t-il de «sottise» qui véhicule le jugement du narrateur de la nouvelle LXV sur la croyance aux faux miracles et qui ne se remarque que par le relief de la position finale. Un mot qui n’apparaîtrait pas comme un marqueur du fait de son isolement dans une nouvelle, le devient par la mémoire des occurrences antérieures : ce sont dans la nouvelle XLVI, «folle intention» et «mauvaise volunté». Toujours la répétition attire l’attention sur le lieu de théologie morale débattu ensuite ou ailleurs. Nombre de discours directs, de type argumentatif, se construisent sur des répétitions, il en va de même des épîtres en vers, substituts de la parole directe, où la figure trouve l’expansion considérable du langage poétique : l’anaphore de «temps» dansl’épître de la nouvelle XXIV, les répétitions de «celer», «parler», «mourir», «aimer» qui construisent le poème de la nouvelle XIII. De nombreuses pages témoigneraient d’une même stratégie d’écriture, que l’on s’en tienne aux discours fourbes d’Amadour centrés sur l’amour et sur l’honneur [17], du seigneur d’Avannes sur la vertu et sur l’amour de la divinité [18], ou bien que l’on considère une nouvelle entière pour constater que le récit est solidement suturé par la reprise des mots. Un exemple bref suffira, celui de la nouvelle LXIV. Nous n’indiquons que quelques répétitions de situations qui se font autour des mots et des choses. Les parallélismes – deux épîtres, l’une amplifiée, l’autre oraculaire –, deux moments pour le personnage masculin d’arrachement au «charnel», vont presque jusqu’à la reproduction de la retraite religieuse par la femme, après le refus final. Deux désespoirs encadrent le récit au moyen de polyptotes [19]. Les nombreux effets de symétrie placent au centre du poème un jeu de polyptotes et d’hypozeuxes [20]. De part et d’autre du poème dans le récit, les références au temps et à la mémoire de l’amour créent des parallélismes inversés. Le souvenir de l’épître de la nouvelle XXIV, à laquelle celle-ci fournirait une réponse féminine, demeure prégnant. La scène finale de la bataille de la chair, commanditée par le dieu Amour, confronte dans le «cœur» «amour» humain et «amour de Dieu» pour souligner leur divergence.
Le relevé des répétitions grammaticales, par exemple l’emploi fréquent des intensifs, des causales et des consécutives, en particulier corrélées à des intensifs, manifeste une même intention dans la présentation des comportements : souligner les excès, l’entêtement tragique, les expliquer en remontant à une étiologie des fautes, pour autant que cela soit possible [21]. La répétition, parce qu’elle touche tous les niveaux microtextuels et macrotextuels, unifie chaque nouvelle et chaque devis et relie aussi toutes les unités entre elles, de manière que les deux ensembles sont parcourus par ce lien très visible.
Généralisée en principe de production textuel à tous les niveaux, la figure ne peut que procéder d’une intention. Marguerite de Navarre utilise fréquemment la répétition dans ses pièces religieuses. Elle culmine dans les Chansons spirituelles. Nous semble déterminante, quoique nous ne puissions en faire la démonstration ici [22], l’influence de la correspondance avec Briçonnet, au seuil de l’œuvre, de 1521 à 1524 [23], dont les lettres sont parfois construites sur la saturation des répétitions nécessaires à la persuasion. Il faudrait y ajouter l’imprégnation des mystiques pour qui la répétition est usuelle. La lecture des Ecritures et de ses commentaires habitue aussi à l’usage du procédé, comme le prouvent les Epistres et évangiles pour les cinquante deux semaines de l’an de Jacques Lefèvre d’Etaples [24]. À ces références indéniables, il faut ajouter que l’oralité fictive des contes impose aussi la répétition. Toutefois, l’influence du genre de l’exemplumsur tous les genres courts dans les siècles précédents amène aussi à regarder du côté des arts de la prédication.
Le système général de la répétition posé, il apparaît avec évidence que répéter les lieux communs de l’amour et les lieux théologiques ressortit à une volonté mnémonique délibérée absente du Décaméron. Une volonté pédagogique à des fins de catéchèse est avouée dès le credo d’Oisille: le présent d’habitude démontre la nécessité de la répétition et de la méditation quotidienne sur les Écritures, même pour les plus «mortifiés»; on y lit bien l’intention spirituelle de réformer sa vie en s’imprégnant du sens du sacrifice christique. Au contraire, pour des âmes prises dans la chair, la conversion ne pourra se faire qu’autrement, par «quelque passetemps et exercice corporel» [25], d’abord par la mise en images frappantes de nos agissements sous forme de nouvelles, qui touchent les sens et les émotions, qui nourrissent l’homme grossier, ensuite par leurs commentaires appuyés sur des récits et sur des images. Les effets sensibles de l’exemplum par l’image narrative, et intellectuels par les commentaires, œuvrent dans deux parties de l’âme, l’imagination et le jugement. Les choses et les mots convergent dans leurs répétitions. Cependant la force démonstrative de L’Heptaméron modifie le pouvoir édifiant de la répétition par la variation.
Répétition et variation
Avant d’être un artifice pour solliciter la mémoire, la répétition porte trace d’une marque ontologique de l’erreur humaine qui tient à sa nature faillible. «Connaître» et«reconnaître» l’imperfection de l’homme, – ces verbes souvent répétés – définit la fin spirituelle de L’Heptaméron. Quelques phrases éclairent sur la répétition ontologique :les nouvelles sont conçues pour «montr [er] les miseres où ilz sont subgects». Les hommes ont l’impression d’une infinie variété des récits, reposant de surcroît sur la caractéristique générique de l’inattendu, d’où la remarque d’Ennasuite, «Et nostre bouquet sera plus beau, tant plus il sera remply de différentes choses.» [26] Or cette impression de variété, au fondement du recueil et du plaisir des journées, ne vaut que pour l’homme «ignorant» : «tant que malice et bonté regneront sur la terre, ilz la rempliront tousjours de nouveaulx actes, combien qu’il est escript qu’il n’y a rien de nouveau soubz le soleil» [27]. Sous le regard de Dieu, la scène humaine ne se réduit qu’à la répétition. Les actes vertueux et les actes mauvais se répètent, donc les nouvelles, et cela dans le but d’«oster l’estime de la confiance des creatures».
Puisque le principe de la variété régit à nos yeux le monde terrestre, le recueil présente d’abord une variation sur le lieu commun central, l’amour et ses comportements afférents. Ce travail de repérage des répétitions ayant été fait par d’autres [28], nous nous contentons de souligner la variété des répétitions. La première journée ne rassemble pas moins de trois récits très différents sur des femmes ayant eu à défendre leur honneur, ce sont les nouvelles II, IV, V, cinq sur des passions charnelles menant à la tromperie dans les nouvelles I, III, VI, VII, VIII, deux conduites guidées par l’amour pur dans les nouvelles IX et X. Chacun de ces groupes, qui fournit un premier échantillon de variations sur les catégories repérées, donne lieu à de nouvelles variantes dans les journées suivantes et à de nouveaux commentaires, qui à travers leurs prises de position opposées ou dans leur tentative d’établir des nomenclatures, récapitulent la typologie. Une typologie des manifestations de l’amour charnel ou de l’amour spirituel [29] se construit à partir des nouvelles et des commentaires qui opposent des définitions de l’amour au moyen de discours didactiques brefs [30] ou longs [31]. Par exemple, à la suite de la nouvelle XIV, l’échange fait apparaître trois lois, celle des dames qui imposent aux hommeslong service et hypocrisie, celle de la nature que recommandent certains hommes, enfin la loi de ceux qui s’engagent dans l’amour pur. La variation appelle la récapitulation et la définition parce qu’elle met au jour la ressemblance, la différence ou la contiguïté et entraîne la mémoire par association [32].
Les variations narratives sur les topoï de l’amour humain introduisent dans un second temps, par les commentaires, la variation sur les mobiles des actes : les exemplarépètent les mêmes types de comportements, pendant que le dialogisme et les voix multiples les mettent en relation avec des lieux de la théologie morale qui les éclairent sous divers angles. Nous en faisons la démonstration sur la première journée. La nouvelle I dans ses devis amène le péché originel : depuis Eve, la femme pécheresse transforme la vie amoureuse des hommes en «enfer». Plaisante et sérieuse à la fois l’assertion n’en réfère pas moins aux imperfections de la créature. La nouvelle II, un récit de viol, confronte le mauvais vouloir caché du valet à la vertu que Dieu a placée en la muletière dont la prière impose une vie à l’imitation du Christ. Le courage de sa lutte et sa prière ne s’expliquent que par des lieux théologiques convergents : la confiance absolue en Dieu, la victoire par le secours de la foi donnée par la grâce, le salut par le sang du Christ. Le commentaire souligne ce qui est déjà clair dans le récit, «la vertu de chasteté» donnée par Dieu, l’humilité devant Dieu et y ajoute le thème paulinien de l’élection des humbles comme figures exemplaires de la pastorale divine. La quatrième nouvelle répète que la victoire est donnée par la vertu que Dieu seul a placée en nous. Les deux discours de la dame d’honneur soulèvent les dangers du cuyder personnel, tandis que le second présente un subtil manuel de conduite mondaine qui débusque la perversion consciente ou inconsciente de la dame dans sa prétendue vertu, ne serait-ce que dans son «semblant» et dans son bavardage. De la sorte le soupçon vise la mode du «serviteur» galant et la complaisance de la dame à sa cour. La dame d’honneur, par le lieu rhétorique de la personne – sa connaissance de l’interlocutrice –, peut adopter la posture du confesseur perspicace qui prévient les écueils sur «le chemin d’honnesteté», dévoile les ruses de la présomption et de la vertu. Elle suggère l’accord difficile des actes et des mots avec le cœur. La cinquième nouvelle, sur un mode plus facile dans le récit, dévoile deux cordeliers hypocrites. Les devis insistent sur «la vertu [de la batelière] qui est naïfvement dans le cueur», vertu non apprise, qui n’est donc ni le fruit «du sens» ni de la «force», ni de l’éducation, ni de la volonté personnelle. Reprise plus didactique de l’enseignement des nouvelles II et IV par conséquent. Les nouvelles VI et VII situent l’hypocrisie et les ruses sur le plan profane des «finesses», des mauvais tours, que se réservent hommes et femmes. Dès lors que l’idée est acquise d’une continuelle lecture des apparences et en particulier des comportements vertueux, la septième nouvelle peut mettre en garde contre le danger du soupçon généralisé, elle prépare l’idée que seul Dieu est juge. Les nouvelles VIII, IX et X se relient sur la ligne profane de l’amour parfait. La dixième, qui procède à une récapitulation de l’honneur terrestre dont il est question dès la première, y ajoute la définition déjà évoquée de Longarine où honneur, vertu et conscience coïncident dans un sens évangélique : seul compte l’honneur intérieur sous le regard de la conscience juge. Les variations sur la vertu conduisent à ce thème majeur préparé tantôt en sourdine, tantôt plus explicitement par l’adverbe «naïfvement» de la nouvelle V. La succession des nouvelles a pour fonction de reprendre les concepts en en faisant varier l’éclairage et le sens sur les axes paradigmatiques et syntagmatiques.
L’usage massif de la répétition apparente les nouvelles et leurs commentaires au sermon qui recourt aux exempla pour l’assimilation des lieux théologiques, et continuellement à la répétition pour marteler les enseignements [33].
La répétition et la prédication
Les ressemblances avec la prédication ou avec les catéchismes s’avèrent plus précises encore et quelques remarques des devisants ne nous invitent-elles pas au rapprochement ? «Laissons cette dispute, car elle sent plus sa prédication que son compte», dit Saffredent. D’un point de vue structurel, le sermon repose sur une composition codée et hiérarchisée. Le sujet choisi s’y ramifie sur un mode ternaire, ou plus simplement binaire, lui-même subdivisé en deux points, organisation qui permet de passer en revue les divisions du thème [34]. La clarté est assurée au moyen d’annonces et de récapitulations. D’autre part, un sermon peut annoncer qu’il laisse de côté des développements pour les présenter le lendemain, ce qui n’est pas dit dans L’Heptaméron, mais qui est pratiqué. Pour les matériaux nécessaires à l’explication et à l’amplification, ils sont au nombre de trois : une fois le plan annoncé, le sermon emprunte de nombreuses références bibliques dont le sens est explicité. Il recourt aussi à des raisonnements ou à des développements sur la propriété des choses, comme les définitions, enfin à des exemples [35].
Les lieux théologiques de L’Heptaméron sont traités et mémorisés comme en un système de renvois, sans que le renvoi soit mentionné, alors qu’il l’est dans un sermon [36]. Il arrive que les personnages se citent, intégralement ou presque. Le lieu a été intégré et sa lecture peut à nouveau évoluer [37]. L’orientation pragmatique que Marguerite de Navarre imprime à l’explication des lieux théologiques à partir des cas concrets, signale à la méditation ce que l’on doit croire : le modèle du Christ, la bonté de Dieu qui nous donne la vertu, l’imperfection de la créature et la nécessité de s’en remettre au Créateur. La répétition signale aussi ce que l’on doit craindre : l’hypocrisie sous toutes ses formes, apparentée au diable – «un pire diable met l’autre dehors» [38] – , jusqu’à ses plus subtiles manifestations, puisque le péché de l’orgueil se cache sous tous les masques, même vertueux. Les exempla permettent de toujours reprendre pour les approfondir des lieux de la théologie morale : les masques et les ruses de la présomption, le mensonge à soi-même et la pureté des intentions. A travers les nouvelles consacrées aux cordeliers, éclatent les manifestations des péchés, le désaccord entre rites et intentions, la luxure, le mensonge des discours de séduction que peuvent devenir sermons ou confessions, l’ignorance de Dieu, l’absence de charité, la préméditation des crimes et des meurtres. D’autres lieux connaissent un traitement secondaire, comme la mortification ou possibilité d’atteindre l’état décrit par Oisille dans le prologue et présent dans l’échange de lettres de Marguerite avec Briçonnet, les sacrements de la confession, de l’extrême onction et de la pénitence. Il faudrait encore identifier les lieux théologiques plus spécifiquement évangéliques, si l’on définit la communauté de Serrance comme une utopie évangélique : l’impuissance de la créature et des œuvres, la confiance totale en Dieu et dans le sacrifice du Christ, la nécessaire méditation des Écritures. Le lieu plus fréquent, corrélé aux précédents, tient à la rupture entre les actes et le cœur.
Si la pastorale de Marguerite de Navarre est beaucoup moins didactique qu’un sermon, du fait des relations entre la fiction des récits et la conversation familière, souvent badine, qui fait place à la controverse, les devisants, rompus aux pratiques de la lectio divina et des sermons, en retrouvent incontestablement les méthodes, quoique de manière plus éclatée. La mémoire, disent les théoriciens héritiers d’Aristote, fonctionne à partir d’un ordre. En comparaison de la composition ordonnée des sermons, les devis procèdent aussi souvent par ramification d’un thème [39]. Plusieurs possibilités d’amplification par division sont explorées. Les parties du thème sont par exemple analysées selon la propriété de la chose : la nouvelle X fait défiler les sens du mot «honneur». Quant à la définition du mot, qui relève aussi de la propriété de la chose, elle peut procéder par confrontation du signifié attesté et du signifié caché, il en va ainsi de vertu, vice, amour, nature dans la nouvelle XXVI. La nouvelle XLII, afin de dévoiler les signifiés qui se cachent sous l’honneur féminin, imagine un retour à la genèse du langage et du brouillage. Géburon, par le rappel qu’adultère et qu’homicide existent en pensée, fonde sur les Écritures l’analyse nécessaire des mots et des actes qui couvrent les intentions. La division du sujet ou du mot peut recourir à l’analyse littérale, donc partielle du mot, cas de la nouvelle VII et de la XLVI pour le sens littéral de «soupçon». La quarante-septième le reprend pour suggérer de remplacer le soupçon par un lieu théologique, celui de la patience, de la charité de la femme préférable au soupçon de son mari, tandis que dans d’autres nouvelles, notamment XXVI, le soupçon est écarté pour lui préférer le lieu de l’ignorance, la suspension nécessaire du jugement, car Dieu seul est juge. Sous une forme moins voyante que dans la quarante-deuxième, sans annoncer le lieu rhétorique de la définition, la nouvelle LXV s’y conforme : la sottise au sens littéral est posée à côté des différents sens de l’ignorance.
Un autre ordre, différent de celui que nous venons de signaler à l’intérieur des commentaires, se dégage malgré la fragmentation de l’ouvrage et contribue à marquer la mémoire. La fiction répète des situations et des comportements, ce qui en soi constitue déjà un ordre. En outre tandis que les commentaires buttent sur le sens des apparences, rencontrent l’impasse des apories, ils ne progressent pas moins par l’affinement des lieux théologiques, souvent du sens littéral vers le sens tropologique. La reprise d’un même thème sur l’ensemble des devis, par exemple la métaphore biblique du vêtement appliquée aux apparences ou au langage XII, XXI, XXVI, XXXIV, XXXV, XLII, XLIII [40],approfondit le désaccord entre le cœur et les actes. L’anthropologie des comportements amoureux s’accompagne d’une sémiologie sans cesse ramenée au brouillage originel des signes mis en place lors de la première journée et explicité dans la nouvelle XLII. La répétition par la variation détermine finalement un ordre linéaire et général de l’identique et du différent qui relie la succession des exempla et qui dépasse les tentatives d’élucidation. De même que l’état intérieur des personnages évolue, comme le prouvent le lexique de la joie dans les dernières journées, de même, ne peut-on percevoir un progrès dans les devis? Les derniers se terminent par une méditation de la mort, plutôt de la vie dit Oisille, et ceux de la nouvelle LXXII se closent sur la formule énigmatique «de la tragédie qui a commencé par rire». Ne pourrait-on pas considérer que les nouvelles I et II lancent dans leurs devis les grandes orientations des débats, péché originel et enfer des passions, imitation du Christ qui explique que toute vertu et toute force viennent de Dieu, imperfection de l’homme ? Si l’on ne doit conclure ni avec les certitudes joyeuses d’Oisille ni avec «la tragédie qui a commencé par le rire» de Hircan, il n’en demeure pas moins que tous s’accordent, quelle que soit l’inconfortable situation humaine, sur un certain nombre de vérités religieuses.
La dimension didactique et au fond injonctive de toutes les formes de la répétition par la variation conduit à rapprocher, sans prétendre qu’il s’agisse d’une source, la méthode de L’Heptaméron de celle qu’Erasme reprend à certains Pères, Jérôme, Origène, Augustin [41]. La superposition par comparaison et par différence constitue une méthode de lecture des Écritures rappelée par Erasme pour que les passages se «gravent» dans la mémoire [42]. «Il faut se constituer soi-même, ou bien emprunter à la tradition un certain nombre de lieux théologiques, dans lesquels on rangera ce qu’on lit en autant de petits nids». Erasme pratique et recommande aussi la méthode humaniste de l’analyse des mots appliquée à la lecture des Écritures, héritée de la rhétorique antique. Si la définition du mot est aussi un lieu rhétorique de la prédication, chez Erasme, elle est poussée plus loin : «il faut regarder où s’enracine ce qu’ils disent, qui les dit et à qui, à quel moment, en quelle occasion, en quels termes, ce qui les précède et les suit» [43]. Marguerite de Navarre procède de même quand l’analyse du mot et du concept est relativisée au gré d’un questionnement sur les intentions et sur les circonstances, appris aussi chez saint Augustin [44]. Ce regard sur les actes assure «la puissance heuristique du récit» comme moyen d’accès à la vérité [45]. Chacun, en tant que lecteur de soi et des autres, est invité à méditer les leçons et à pratiquer de manière très pragmatique les nuances des lieux théologiques.
L’Heptaméron, considéré sous l’angle de la prédication, conduit à une affirmation unique, quel que soit le lieu prédicatif choisi, d’exemplum en exemplum, de devis en devis. Il n’est pas contestable qu’un catéchisme évangélique s’y compose, dans la répétition des lieux évangéliques, des lexiques dont nous ne faisons pas la démonstration détaillée [46]. Les répétitions concourent à «montrer» la créature foncièrement ignorante [47], faillible, et la difficulté du chrétien dans le monde, car toujours l’orgueil nous mène, comme le dit Oisille dans une déclaration majeure [48], d’où la nécessité absolue de la foi et de la confiance en Dieu. Le didactisme bien spécifique de la répétition vise un objectif précis, toujours faire apparaître plus perverse la misère de la créature qui compte sur ses propres forces et qui ne saurait jamais avoir d’intentions absolument pures. Il semble par conséquent que tous les lieux de la théologie morale chrétienne, en dernier ressort, viennent se renforcer au contact de celui de l’ignorance dont la créature se trouve prisonnière, pour imposer le vertige du sens inaccessible sous les intentions les meilleures, ce qui s’avère la meilleure façon de miner l’orgueil. «Montrer les miseres où ils sont sujets», assurément, au point de faire douter de toute possibilité d’interprétation des exemples et de transparence totale. Double impossibilité de lire en l’autre comme de démêler en soi les ruses du vouloir personnel, puisque nous sommes «ignorans des causes premières». De ce fait sont promus au premier plan l’humilité, l’ignorance, le nécessaire abandon de la volonté propre, lieux indissociables du lieu évangélique de la transparence du cœur.
Quelle part accorder au paradoxe récurrent qui participe de cette humiliation volontaire de la faculté d’interpréter ? Parmi tous les lieux rhétoriques convoqués pour l’explication des cas, le paradoxe a une position éminente. Si l’on retient quelques-uns des lieux rhétoriques les plus fréquents – division du sujet, sens d’un mot, induction, jugement d’autorité, par exemple la moralité tirée d’une histoire et qui reflète la typologie morale traditionnelle, l’étude des fins qui superpose les fins avouées et le but supposé, les motifs de l’action, le rapprochement des exemples contraires [49] –, parmi ces lieux le paradoxe, plus que d’autres, est utile au discours sur la clarté des intentions. Des paradoxes répétés, comme celui qui affirme que le sens des mots sur lesquels se fonde le jugement moral est faux – vertu n’est pas vertu mais vice –, le paradoxe inhérent à la vertu, vertu n’étant vertu que pour autant qu’elle n’a pas encore failli, la justification provocatrice du viol, communiquent une philosophie parfois inconvenante [50], en tous les cas ironique et joyeuse, qui fait la place à une prédication différente, par le rire, la marque même de notre imperfection et de son acceptation [51].
Mis en relation avec la problématique centrale du difficile déchiffrement des signes et de soi-même, – ce à quoi invite Saffredent lorsqu’il dit «mais en bien nous mirant» –,le doute constant s’installe pour rabaisser l’orgueil. Dépassant la fragmentation des nouvelles et du sens, la ligne continue de la méditation spirituelle, à travers la répétition des lieux théologiques et moraux et la variation progressive du sens, impose la seule vérité de la Parole vivante qui inspire les commentaires et qui contribue peu à peu à la conversion des devisants. La liaison de la discontinuité des fictions et des devis au moyen de la répétition dicte à la mémoire un exercice de méditation particulier : méditation peu statique, fondée sur une interrogation continuelle, sur une édification en mouvement, à laquelle le récepteur est convié puisque le dialogue représente de manière vivante la réception. Dans un monde où des principes nouveaux de lecture donnent de l’autonomie à l’individu devant le texte, quand face à l’exégèse libérée l’interprétation livre son impossibilité [52], l’auteur martèle, à partir du théâtre répété des actes dans les fictions et de leur interprétation, la nécessité du constant éclairage de l’homme intérieur par sa conscience du fait de son impuissance à observer la loi de Dieu [53].
En même temps que s’inscrit dans la mémoire une déconstruction des points de repère fondée sur l’idée réitérée que l’interprétation humaine est impossible, «que la réalité, étant toujours perçue à travers des représentations, est un effet de langage», comme l’écrit Anne Godart [54], la répétition des lieux théologiques et leurs variations bâtissent une progression vers un sens supérieur et une vérité sûre. Le procédé de la répétition, qui relie des genres divers, la fiction de l’exemplum, le dialogue herméneutique et une forme particulière et diffuse de leçon spirituelle qui emprunte techniques et contenus à la prédication, promeut comme méthode heuristique la situation très inconfortable de l’auditeur et du lecteur. Si L’Heptaméron emprunte ses méthodes mémorielles à la prédication, il ne s’y réduit pas. D’autre part, si le lecteur a l’assurance qu’il ne peut pas déchiffrer la mécanique des actes et des intentions, parce que ni la fiction ni sa glose ne peuvent clore le sens, il accède pourtant à des vérités : la répétition nous assure à la fois de notre impuissance et de la vérité immuable de la Parole. La mémoire, en cet exercice particulier que lui soumet le genre du dialogue auquel L’Heptaméronprête une forme si originale, accueille cette douloureuse dualité.
1 | La formule est considérée comme constitutive du genre. L’Heptaméron, M. François (éd.), Paris, Garnier,1967, notamment p. 326 : «Mais Geburon luy dist que, que tant que le monde dureroit, il se feroit cas dignes de memoire.» | 2 | Nous choisissons d’orienter la question de la mémoire dans L’Heptaméron, non pas dans le sens où certaines nouvelles sont des réadaptations de récits antérieurs ou reprennent la tradition boccacienne, non pas également dans le sens où elles assureraient, en tant que texte humaniste, une transmission de savoirs antérieurs. Voir Ch. Liaroutzos, «Les médiations du savoir dans L’Heptameron», L’Information littéraire, 3, 2005. | 3 | Nous renvoyons au livre de F. A. Yates, L’Art de la mémoire [1966], Paris, Gallimard, 1975. | 4 |
Ibid., fin du chapitre I. | 5 |
Ad Herennium, III, 30 et suiv. Exposée aussi en détail par Quintilien, elle ne retient pas son assentiment. | 6 |
Somme, II, II, 49. | 7 | F. A. Yates, L’Art de la mémoire…, III. | 8 | Sous l’influence du néo-platonisme, la mémoire des images et des mots prend un autre sens. | 9 | F. A. Yates, L’Art de la mémoire…, citation d’Albert le Grand, p. 79. | 10 | Il en existait qui provenaient de notes prises lors des sermons pour consigner les meilleurs récits. Ces récits exemplaires étaient souvent repris à des auteurs profanes comme le rappelle Rosa Maria Dessi dans «Exempla et pratiques sociales à la fin du Moyen Âge», dans Les exempla médiévaux : nouvelles perspectives, J. Berlioz et M. A. Polo de Beaulieu (éd.), Paris, Honoré Champion, 1998. | 11 | L’Heptaméron, p. 317. | 12 | Quand Marguerite de Navarre se sert de ces images constituées en scènes marquantes – dans les nouvelles II, XXIII, XLVIII et sur le mode burlesque dans les nouvelles V, XI, XX, LXV –, elle respecte une grande économie de moyens. Le meurtre d’Alexandre de Médicis constitue une exception, de même que la nouvelle sur la cruauté des Italiens, insérée dans les devis de la nouvelle LI. Sur toutes ces imagines agentes s’articule une argumentation de théologie morale, particulièrement exemplaire pour les nouvelles II et XXIII. | 13 | Nous adoptons la définition large de Georges Molinié dans le Dictionnaire de rhétorique, Paris, Librairie générale française (Le Livre de poche), 1992. | 14 | G. Mathieu-Castellani, La Conversation conteuse, Paris, PUF, 1992. | 15 |
L’Heptameron, p. 221. | 16 |
Ibid., p. 381-382. | 17 |
Ibid., p. 62. | 18 |
Ibid., p. 214. | 19 |
Ibid., p. 384 et 387. | 20 |
Ibid., p. 384-385, v. 21-24. | 21 | I. Garnier-Mathez, dans «Du conte divertissant à la leçon spirituelle : la vraye et parfaicte amourde Rolandine», dans Lire L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, D. Bertrand (éd.), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal (CERHAC), 2005 et «Le vocabulaire évangélique dans L’Heptaméron», Cahiers Textuel, 29, janvier 2006, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, C. Liaroutzos (éd.), actes de la journée d’études du 18 novembre 2005. Isabelle Garniez-Mathez note l’emploi de relatives particulières. Nous renvoyons à son travail sur l’épithète évangélique : certaines épithètes sont des témoins de l’appartenance de Marguerite de Navarre à l’évangélisme. Elles soulignent fortement la ligne du sens qui commente la ligne narrative. | 22 | Philippe de Lajarte a montré que Marguerite de Navarre, par des reprises lexicales, a emprunté dans le prologue des thèmes précis aux lettres de Briçonnet : «Autour d’un paradoxe : les nouvelles de Marguerite de Navarre et sa correspondance avec Briçonnet», dans Marguerite de Navarre, 1492-1992 (Actes du Colloque international de Pau, 1992), N. Cazauran et J. Dauphiné (éd.), Mont-de-Marsan, Éditions InterUniversitaires, 1995, p. 593. | 23 | G. Briçonnet, M. d’Angoulème, Correspondance
(1521-1524), C. Martineau et M. Veissière (éd.), Genève, Droz, 1979. | 24 | J. Lefèvre d’Etaples, Épistres et évangiles pour les cinquante deux semaines de l’an, introduction, notes et appendices par M. A. Screech, Genève, Droz, 1964. | 25 |
L’Heptaméron…, p. 8. | 26 |
Ibid., p. 317. | 27 |
Ibid., p. 327. | 28 | N. Cazauran, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre [1976], Paris, SEDES, 1991 ; A. Tournon, «Doublets et hybrides dans L’Heptaméron», dans Études sur L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, C. Martineau-Gényes (éd.), Nice, Publications de la faculté des lettres, arts et sciences humaines de Nice, 1996. | 29 | Voir aussi P. de Lajarte, «Amour et passion amoureuse dans L’Heptaméron: perspective éthique et perspective pathologique», dans Mélanges offerts à Françoise Charpentier, F. Lecercle et S. Perrier (éd.), Paris, Honoré Champion, 2001. | 30 | Par exemple «aimer comme Dieu le commande» qui selon Saffredent signifie selon la nature créée par Dieu, L’Heptameron, p. 96. | 31 | Discours de Parlamente, ibid., p. 96. | 32 | Aristote, De memoria, 451b, 18-20. | 33 | Parmi «les procédés didactiques du sermon», Hervé Martin, ne s’intéresse pas à la répétition, procédé peut-être trop évident. H. Martin, Le Métier de prédicateur à la fin du Moyen Âge, 1350-1520, Paris, Les Éditions du Cerf, 1988, p. 270 sq. | 34 |
Ibid., p. 236, «Le plan du sermon». | 35 |
Ibid., p. 242 sq., «Les matériaux du sermon». | 36 | Pour Hervé Martin le renvoi est un procédé mnémotechnique du sermon. | 37 | Simontault reprend dans les devis de la nouvelle XXXII le retournement opéré par Saffredent sur la vertu de la dame de Pamplune, après la nouvelle XXVI ; il en va des idées comme des mots : à la page 254, Longarine remploie le verbe tresbucher de la page 234 et complète discours de Saffredent. | 38 |
Ibid., p. 220. | 39 | Par exemple, dans la nouvelle XXI, le thème est posé, explicité et réaffirmé. Il faudrait ajouter des remarques sur la place du thème : le thème est annoncé au début, comme dans les commentaires de la nouvelle II, et sous forme de citation biblique indirecte ou directe ; le thème majeur n’arrive qu’à la fin, toute la conversation s’y achemine, cas des nouvelles XXVI, LXV ; le thème est annoncé au début, explicité et démontré, confirmé à la fin par une citation de saint Jean, dans la nouvelle XIX, dont tous les commentaires apparaissent comme l’explication. Déviation du thème : soit les devis de l’histoire XII changent trois fois de thème, soit l’on y décèle plusieurs définitions des comportements honorables, puis prétendument honorables à partir de la question d’Ennasuite. | 40 | Le relevé des mots «couvrir» et «couverture» complèterait ce relevé partiel. | 41 | Références données par l’édition d’Erasme, établie par Claude Blum, André Godin, Jean-Claude Margolin, Daniel Ménager, Paris, Robert Laffont, 1992 : Augustin, Doctrine chrétienne, II, 9, 14 ; III, 26, 37. | 42 |
Ibid., p. 616. | 43 |
Ibid., p. 615. | 44 | Saint Augustin, Cité de Dieu, I, 18. | 45 | M. Jeanneret, Le Défi des signes, Orléans, Paradigme, 1994, «Commentaire de la fiction, fiction comme commentaire». | 46 | Cette lecture a été démontrée et confirmée par la thèse récente d’I. Garnier-Mathez, Les Épithètes et la connivence : écriture concertée dans un corpus des textes évangéliques français, (1523-1534), thèse soutenue en 2003 à l’Université de Paris IV, publiée chez Droz en 2005. | 47 | Il est notable que les modifications apportées à La Chastelaine de Vergi, dans les deux monologues qui précèdent la mort des protagonistes de la nouvelle LXX, signalent, par l’emploi des répétitions, les contingences de l’amour humain opposé à l’amour de Dieu à la page 414 et l’ignorance à la page 416. | 48 |
L’Heptaméron, p. 317. | 49 | G. Molinié, Dictionnaire de rhétorique…, «Lieu». | 50 | L’inconvenance est employée dans certains dialogues «pour dénoncer les fausses convenances» : A. Godart, Le Dialogue à la Renaissance, Paris, PUF, 2001, p. 146. | 51 | Y. Delègue, «La signification du rire dans L’Heptaméron», Cahiers Textuel, 10, L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Actes de la journée d’étude du 19 octobre 1991, S. Perrier (éd.), p. 35-49. | 52 | M. Jeanneret, Le Défi des signes. | 53 | Paul, Romains, VII, 19-24. | 54 | A. Godart, Le Dialogue à la Renaissance. La phrase ne concerne pas L’Heptaméron. |
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