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Ironie et
auto-ironie dans le Dialogue aux Enfers entre Machiavel et
Montesquieu (1864)
Ariane Eissen
Université de
Poitiers
a.eissen@free.fr
Résumé : Conçu
comme un pamphlet anti-Napoléon III, le Dialogue aux Enfers
entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly (1864) fut
plagié et détourné dans les Protocoles des Sages de Sion,
qui de facto lit l’ouvrage comme un manuel de la
tyrannie. Pour expliquer ce phénomène, l’article explore la polyphonie
de l’œuvre. Elle provient de la forme dialogique et du recours à
l’ironie ; mais surtout le tressage des discours dans les propos de
Machiavel fait du personnage un porte-parole de l’auteur en même temps
qu’un repoussoir.
Abstract : Meant
to attack Napoléon the Third’s rule, the Dialogue in Hell
between Machiavelli and Montesquieu by Maurice Joly (1864) was
plagiarized and twisted in The Protocols of the Elders of Zion,
which actually read it as a handbook of tyranny. In order to
explain this phenomenon, the paper scrutinizes the work’s polyphony,
due to the dialogical scheme and the use of irony. Also, more deeply,
the different ideas intertwined in Machiavelli’s part put him as the
author’s spokesman as much as a foil.
Je méditais depuis
un an […]un livre qui aurait montré les brèches épouvantables que la
législation impériale avait faites dans toutes les branches de
l’administration et les abîmes qu’elle avait ouverts en détruisant de
fond en comble les libertés publiques. Je réfléchis
qu’avec les Français un livre d’une forme sévère ne sera pas lu. Je
cherche alors à fondre mon travail dans un moule approprié à notre
esprit sarcastique, obligé depuis l’Empire de replier ses attaques
derrière des feintes… […] Faire dialoguer des vivants ou des morts,
sur la politique contemporaine, telle fut l’idée qui me vint. Un soir que je me
promenais sur la terrasse du bord de l’eau, près du pont Royal… le nom
de Montesquieu me vint tout à coup à l’esprit comme personnifiant tout
un côté des idées que je voulais exprimer. Mais quel serait
l’interlocuteur de Montesquieu ? Une idée jaillit de
mon cerveau : c’est Machiavel. Machiavel qui représente la politique
de la force à côté de Montesquieu qui représentera la politique du
droit ; et Machiavel, ce sera Napoléon III qui peindra son abominable
politique.
Telle est la
présentation que Maurice Joly donne de son Dialogue aux Enfers
entre Machiavel et Montesquieu (1864), dans son autobiographie,
en 1870 [1]. Il s’agit donc
d’un pamphlet anti-Napoléon III (« Machiavel, ce sera Napoléon III qui
peindra son abominable politique »). Et d’un dialogue des morts, qui,
toujours selon son auteur, permet de séduire par la fiction tout en
masquant le propos derrière une « feinte ». Double avantage, par
conséquent : le lecteur est gagné par la forme littéraire choisie, et
le détour par des personnages, à la fois historiques et réinventés
(Machiavel et Montesquieu) dissimule le propos de l’auteur aux
censeurs.
C’est sur le choix
du dialogue que je voudrais revenir. Dans les lignes que je viens de
lire, Maurice Joly présente le procédé littéraire choisi comme une
forme souple et ductile, un « encodage » doublement utile pour faire
passer ses idées. Mais qu’en est-il véritablement ? Que faire de la
dualité qui s’instaure immanquablement à différents niveaux :
révéler/dissimuler les idées de l’auteur ; les exprimer à travers deux
personnages ?
On peut avoir
l’impression d’une antithèse sans ambiguïté : Montesquieu, l’homme du
droit et des institutions démocratiques, face à Machiavel, le
liberticide, qui assure le triomphe de la force. Ou, en revenant à la
situation énonciative : Maurice Joly-Montesquieu, le républicain,
s’insurgeant contre Machiavel-Napoléon III, l’empereur, le tyran.
Mais est-ce aussi
simple ?
Un auteur peut-il
faire parler un personnage tout en cherchant à ruiner le discours de
celui-ci ? N’est-il pas obligé malgré tout de donner quelque force aux
répliques de l’ennemi qu’il anime ? Et peut-il prétendre contrôler la
réception du dialogue, et de sa polyphonie intrinsèque ? Pire, le
choix d’une forme dialogique n’est-il pas ici explicable aussi par une
ambiguïté fondamentale de la pensée de Maurice Joly ?
Telles sont les
questions auxquelles je vais tenter de répondre devant vous, en trois
temps.
J’examinerai
d’abord la joute ironique qui oppose Machiavel et Montesquieu en
cherchant à voir si Maurice Joly arrive effectivement à contrôler la
double énonciation et à disqualifier Machiavel.
Puis je chercherai
confirmation de mes analyses dans les réceptions historiquement
attestées du Dialogue aux enfers.
Enfin, je tenterai
de montrer que Maurice Joly est plus ambigu qu’il ne dit (et peut-être
qu’il ne croit) et ceci, en revenant au premier niveau d’énonciation
(entre les personnages).
Une joute
ironique
On peut parler de
joute, car Machiavel et Montesquieu se lancent un défi mutuel :
convaincre l’adversaire de la justesse de leur vision
historico-politique. Mais il faut immédiatement préciser que la
joute est ironique, car celui qui gagne au plan d’énonciation
numéro 1 (Machiavel) est censé perdre au plan d’énonciation numéro 2
(qui relie l’auteur et son lecteur).
La structure du
pamphlet est très claire. Il s’ouvre sur une scène de rencontre aux
Enfers, où les deux personnages se disent tout l’intérêt qu’ils ont
pris à connaître la pensée de l’autre. Dans cette scène, Montesquieu
semble avoir un avantage moral puisqu’il adresse des reproches à
Machiavel. Assez rapidement, les oppositions idéologiques sont
formulées de façon antithétique. Montesquieu défend la « vérité
morale » face à la « vérité politique », qu’incarne Machiavel
(p. 10 [2]). Leur
vision de l’humanité s’oppose radicalement, puisque le premier
estime que « la conscience de l’homme » est une « source pure » de
laquelle « découlent » les « préceptes de la morale » (p. 19),
tandis que, pour le second, « l’instinct mauvais chez l’homme est
plus puissant que le bon. » (p. 12). Machiavel appelle de ses vœux
un homme fort, un prince habile, alors que Montesquieu place sa
confiance dans le droit et les institutions érigées pour le
défendre. Pour le dire avec les mots de Montesquieu : « Vous admirez
les grands hommes ; je n’admire que les grandes institutions ».
Et Montesquieu de
conclure : avec la marche des siècles, « les principes de la science
politique ont été mieux connus, le droit s’est trouvé substitué à la
force dans les principes comme dans les faits » (p. 21)
On passe donc de
la théorie politique aux leçons de l’histoire. Au plan théorique,
les antinomies sont claires, on l’a vu, mais Montesquieu croit
pouvoir les dépasser en rejetant les thèses politiques de Machiavel
du côté du passé : « Si vous avez pu dire, dans votre temps, que le
despotisme était un mal nécessaire, vous ne le pourriez pas
aujourd’hui, car, dans l’état actuel des mœurs et des institutions
politiques chez les principaux peuples de l’Europe, le despotisme
est devenu impossible. » (p. 21-22)
C’est alors que
le défi est lancé par Machiavel : « Impossible ?… Si vous parvenez à
me prouver cela, je consens à faire un pas dans le sens de vos
idées. » (p. 22)
Montesquieu lui
répond avec assurance : « Je vais vous le prouver très-facilement,
si vous voulez bien me suivre encore » (p. 22). Et il développe sa
théorie de la « pondération de pouvoirs » (p. 28), avant de conclure
que « Les États, comme les souverains, ne se gouvernent plus
aujourd’hui que par les règles de la justice ». Puis il décoche la
pique finale : « le monarque qui mettrait en pratique les maximes du
Traité du Prince […] serait mis au ban de l’Europe »
(p. 30).
À ce point de la
discussion, Maurice Joly introduit dans sa fiction infernale un
détail qui va tout changer, et mettre Machiavel en position de
force. Inversant en quelque sorte les places de Machiavel et de
Montesquieu dans l’Histoire, il fait de l’homme de la Renaissance un
esprit averti des événements survenus en France pendant et après la
révolution de 1848 (sous-entendu : « jusqu’en 1864 »). À l’inverse —
le retard s’expliquant par les aléas des rencontres avec les morts
récents, porteurs des nouvelles du monde d’en haut — Montesquieu n’a
pas eu l’occasion d’apprendre ce qui s’est passé depuis 1847.
Machiavel dispose donc d’une sorte de botte secrète (la preuve par
les faits, qui échappe totalement à Montesquieu) mais il la réserve
pour porter l’estocade finale. Il commence, en effet, par situer sa
démonstration au plan de la possibilité théorique : il cherche à
établir pas à pas que les systèmes politiques ne sont qu’illusoires
et que rien n’empêche un homme politique de talent de devenir un
tyran, tout en respectant apparemment les cadres institutionnels et
juridiques.
Cette longue
démonstration se fait en deux étapes, d’inégale ampleur. La première
consiste à établir que la division des pouvoirs a rendu possible
l’idée de la souveraineté populaire, avant que celle-ci ne devienne
le ferment de toutes les révolutions, et même un principe
d’instabilité permanente, au terme duquel il peut arriver que le
peuple souhaite remettre son destin politique entre les mains d’un
homme fort. Machiavel va alors montrer comment il pourrait faire
« ratifier par le vote populaire un coup de force […] accompli
contre l’État » (allusion limpide au plébiscite du 21 décembre
1851). Autrement dit, l’usage du référendum vient défigurer la
reconnaissance du suffrage universel.
Ayant le pouvoir,
Machiavel/Napoléon III va s’ingénier à le conserver. Dans le second
temps de son exposé, il explique les différents moyens d’y parvenir,
et énumère le détail des mesures à prendre (ce qui explique la
longueur du Dialogue, inhabituelle pour ce genre). Il
m’est impossible ici de tout résumer et je me bornerai à relever
quelques éléments à la résonance particulière.
Machiavel/Napoléon
III apporte un soin particulier à la manipulation de l’opinion
publique, par une presse, muselée et « infiltrée » (c’est-à-dire une
fausse presse d’opposition, manifestant la capacité du pouvoir à
parler tous les langages, y compris celui des adversaires) [3]. Il se construit une image
publique : il importe qu’il soit galant, séducteur ; qu’il brille à
l’étranger, et paraisse d’autant plus libéral et progressiste dans
la gestion des affaires étrangères que sa politique intérieure sera
liberticide. Les grands corps de l’État (magistrature, université…)
sont démantelés car ce sont de potentiels foyers de contestations.
Pour détourner le peuple de l’espace politique, on l’incite à se
lancer dans la compétition économique, notamment par une politique
de soutien au développement de l’économie.
Montesquieu est
forcé d’admettre la possibilité théorique du projet de Machiavel
quand leur conversation s’achève sur un coup de théâtre. À
demi-mots, par le détour de la fiction une fois encore, Machiavel,
sur le point d’être séparé de Montesquieu par les tourbillons qui
sillonnent les Enfers, lui désigne des « ombres qui passent non loin
[…] en se couvrant les yeux » : « les reconnaissez-vous ? » « Ce
sont des gloires qui ont fait l’envie du monde entier » (p. 245). Le
texte ne va pas plus loin ; le lecteur comprend que ces ombres sont,
par exemple, les grands hommes de la révolution française.
Machiavel a donc
remporté la joute. Mais cela est scandaleux, non seulement pour
Montesquieu, qui a le mot de la fin (« Dieu éternel, qu’avez-vous
permis !… ») (p. 245), mais encore pour Maurice Joly, parlant au
lecteur par-dessus la tête de ses personnages. Ce deuxième niveau
d’énonciation apparaît notamment dans différents lieux textuels où
il est possible à l’auteur de prendre directement la parole,
derrière le masque de l’anonymat toutefois. Le sous-titre [4] (« ou la politique de Machiavel au XIXe siècle
par un contemporain ») signale le jeu d’allusions à l’actualité. Une
courte préface, intitulée « simple avertissement », explicite le
propos, si besoin était : « ce livre personnifie en particulier un
système politique qui n’a pas varié un seul jour dans ses
applications, depuis la date néfaste et déjà trop lointaine, hélas !
de son intronisation ». Deux exergues, empruntées à
l’Esprit des Lois (XIX, 27 : « Bientôt on verrait un
calme affreux, pendant lequel tout se réunirait contre la puissance
violatrice des lois. » et III, 3 : « Quand Sylla voulut rendre la
liberté à Rome, elle ne put plus la recevoir. »), placent l’ouvrage
sous l’autorité intellectuelle de Montesquieu. L’auteur peut enfin
se donner d’autres espaces énonciatifs, grâce aux « notes de
l’éditeur ». Signalons celle de la page 228 qui relève —
ironiquement — une contradiction entre les propos de Machiavel au
24e dialogue et ceux qu’il tient dans le Prince. Mais
on pourrait parler aussi d’auto-ironie, car le reproche de
contradiction fait fi de la distinction entre Machiavel personnage
historique et Machiavel personnage de fiction, distinction pourtant
claire aux yeux de Maurice Joly.
Ce détail doit
nous alerter et nous inviter à entendre l’éventuelle polyphonie des
indications de lecture. Si on les envisage dans le contexte
énonciatif implicite d’un « appel de la conscience [5] », les deux citations de
Montesquieu sont interprétables en sens opposé : la première
manifeste une confiance dans la possibilité d’un sursaut face à « la
puissance violatrice des lois » ; la seconde est nettement plus
pessimiste en estimant, à l’inverse, que l’appétence à la liberté
peut disparaître totalement. De plus, le premier extrait manie le
conditionnel seulement là où le second recourt à l’indicatif. On
peut, certes, avoir envie d’atténuer cette opposition modale dans la
mesure où Montesquieu, utilise le conditionnel pour bâtir un
raisonnement soumis à hypothèse (au cas où… [6]) mais dont les implications logiques ne font
pas problème (alors il se passerait). Toutefois, l’expression de la
condition n’étant pas reprise dans la citation choisie par Maurice
Joly, seule demeure la valeur d’éventualité du conditionnel (il est
possible, mais non certain, que l’on voie un « calme affreux »,
etc.). Et quel rapport de sens établir entre un fait attesté dans
l’histoire de la république romaine et l’actualité du
Dialogue ? Maurice Joly suggère-t-il que le même
phénomène se répète ? qu’il risque de se répéter ? Dans ce cas,
comment comprendre la répétition ? Maurice Joly veut-il dire qu’il
est désormais trop tard pour que le second empire puisse convaincre,
malgré son tournant libéral ? On ne pourrait plus recevoir la
liberté de l’empereur, mais d’un autre (ou d’autres) peut-être ? Ou
la signification est-elle moins directement liée au contexte
immédiat ? Et, dans ce cas, que lire dans le choix de cette
citation : l’expression d’une désillusion, après plusieurs décennies
d’occasions manquées de retour à la république (il ne serait plus
temps d’espérer un retour à la liberté), ou alors une simple mise en
garde ? ou l’invitation à un sursaut salutaire ?
Finalement,
comment interpréter le Dialogue aux enfers ? Quelle est
la cible exacte de l’ironie de Maurice Joly ? Émet-il des signaux
clairs et univoques ? Ou plutôt ambigus, là même où il n’est pas
contraint par le dialogue à manier deux discours ?
Avant de tenter
de répondre à ces questions, évoquons quelques exemples de réception
de cette œuvre.
Des réceptions
totalement opposées
Les premiers
lecteurs furent les censeurs ! L’ouvrage était paru anonymement à
Bruxelles, et il arrivait en France par tout un réseau de
colportage, que la police politique contrôlait en partie. L’ouvrage
fut intercepté, lu, et compris comme un pamphlet anti-Napoléon III.
On identifia l’auteur, il fut inculpé, mis en prison, puis condamné
(en tout il purgea une peine de 18 mois), ce qui porta un coup fatal
à sa carrière d’avocat. L’ouvrage fut mis au pilon et, malgré une
seconde édition en 1868, toujours à Bruxelles, ainsi qu’une
traduction en allemand en 1865, il finit par tomber dans
l’oubli.
Mais ses
rééditions au XXe siècle sont riches d’enseignement. Le texte
reparaît en 1948 chez Calmann-Lévy dans la collection « Liberté de
l’esprit » dirigée par Raymond Aron, avec une préface anonyme, qui
serait d’Henry Rollin, selon une indication donnée dans la revue
Commentaire [7].
Exactement vingt ans plus tard, chez le même éditeur, Jean-François
Revel signe une nouvelle préface, suggérant de voir dans l’œuvre de
Maurice Joly le portrait prémonitoire de Machiavel/De Gaulle [8]. Encore une lecture
qui donne sur le fond raison à Montesquieu et invite à s’indigner
contre l’exercice autocratique d’un pouvoir conféré par le
peuple.
Il faudrait aussi
envisager les adaptations théâtrales, et éventuellement leurs
captations filmiques. Le temps me manque pour entrer dans les
détails : on en trouvera dans l’ouvrage collectif que j’ai dirigé
sur le dialogue des morts [9]. « Au théâtre de la Michodière aussi,
en 1968, certains spectateurs virent la personne du général de
Gaulle sous la figure de Machiavel », rapporte par exemple Hervé
Dubourjal [10].
Pour aller vite,
osons une formule : au fil du temps, les lecteurs entendirent,
derrière les propos de Machiavel/Napoléon III, la voix d’autres
« hommes forts » ayant tendance à confisquer le pouvoir qui leur
était confié.
Mais, même à ne
s’en tenir qu’à ce type de réception, que prouve-t-il ? La vigueur
des idéaux promus par Montesquieu, dont l’oubli provoquerait
l’indignation ? Ou la validité des thèses de Machiavel, puisque les
exemples abondent, finalement, de détournement autocratique des
institutions républicaines, même si on se limite à l’Histoire de
France ?… Si bien que, pris dans une contradiction, les lecteurs ne
pourraient s’indigner sans donner conjointement raison à Montesquieu
au plan des principes et à Machiavel au plan de la lucidité
politique, une lucidité qui révélerait son acuité bien au-delà du
contexte du second empire…
Cette lecture
vertueuse et indignée n’est évidemment pas la seule. J’ai été forcée
de l’admettre en cours, lorsqu’une étudiante russe s’étonna devant
semblable réaction chez ses camarades (et son professeur) :
« Puisque c’est toujours comme cela, pourquoi vouloir changer ? »
disait-elle en substance (je ne crois pas la trahir, à défaut de
pouvoir la citer verbatim). Si la science politique de
Machiavel ne cesse de se vérifier, pourquoi perpétuer les idéaux
chimériques de Montesquieu ? Lecture fataliste, désabusée, résignée,
donc, qui tranche avec l’indignation (en partie) programmée par
Maurice Joly. Et il faut sans doute se garder de tomber dans le déni
de cette lecture…
Troisième type de
lecture, la lecture machiavélique au sens vulgaire du terme. Le
destin du texte de Maurice Joly est en effet tout à fait
exceptionnel. Plagié et détourné, il a donné lieu à un
best-seller, depuis plusieurs décennies et dans
plusieurs pays, puisque les auteurs du Protocole des Sages de
Sion s’en sont servis pour faire croire à l’existence d’un
complot international des Juifs visant à leur assurer une domination
mondiale. Dans ce faux, les propos de Machiavel sont placés dans la
bouche des « Sages de Sion ». Il s’agit donc d’une utilisation du
Dialogue à contresens des intentions affichées de
Maurice Joly et qui vérifie, en acte, les thèses de son Machiavel
sur la manipulation des consciences par un « état retors ». Je ne
m’étendrai pas sur la manière dont le Dialogue aux
Enfers fut repris dans les Protocoles des sages de
Sion, pas plus que sur les circonstances de la rédaction de
cet apocryphe ni sur les effets de sa circulation au début du
XXe siècle, et pas davantage sur son actuel statut dans plusieurs
pays du Moyen-Orient. Ceux qui souhaiteraient — légitimement — des
développements sur ces différents points peuvent notamment se
tourner vers l’ouvrage d’Henri Rollin, déjà cité, un article capital
de Carlo Ginzburg [11], ou le
documentaire de Barbara Necek, diffusé en mai 2008 sur Arte. Pour
mon raisonnement d’aujourd’hui, qui porte sur les effets de
l’énonciation dialogique, il importe seulement que le texte ait pu
ainsi échapper à son auteur et même aboutir à l’effet inverse de
celui escompté ; il importe également de se demander si Maurice Joly
ne s’est donné un porte-parole que dans le personnage qu’il appelle
Montesquieu. Pourquoi est-il possible de lire le
Dialogue comme un « manuel de l’homme fort », voire
comme un manuel du tyran ? Pourquoi entend-on à ce point la voix de
Machiavel ? Celle-ci n’est-elle pas, malgré tout, celle de l’auteur
aussi, fût-ce à son corps défendant ?
Une pensée
politique ambiguë
Si le texte de
Joly est indéniablement un pamphlet dirigé contre Napoléon III, sa
signification ne se limite pas à cela, on a commencé à le voir. Le
personnage de Machiavel inventé par Maurice Joly n’est pas un simple
prête-nom, un masque derrière lequel l’empereur parlerait de sa
politique. Et, malgré certaines traductions allemandes du titre [12], c’est encore moins une allégorie de la force
(Macht), opposée à celle de la raison (Vernunft) ou du droit
(Recht), que figurerait Montesquieu. Maurice Joly définit son
personnage de manière assez complexe à travers un discours où
s’entendent les propos de l’auteur du Prince, mais
aussi ceux de plusieurs penseurs contre-révolutionnaires, rejoints à
l’occasion par Maurice Joly lui-même. C’est sur l’orchestration de
ces différentes voix dans les tirades du Machiavel de Maurice Joly
que je voudrais m’attarder, en reprenant les analyses de plusieurs
historiens des idées politiques ou théoriciens politiques, dans la
perspective d’une étude de l’énonciation dialogique.
Commençons par
une remarque préalable toute simple mais qui a son importance : la
dynamique du dialogue semble avoir échappé à Maurice Joly. De ses
intentions affichées, il découlait que Machiavel parlait pour être
dénoncé et condamné par Montesquieu. Dans la pratique, Montesquieu
s’efface de plus en plus, il en est réduit à donner la réplique et
ses réactions vont de l’horreur à l’éblouissement [13] devant l’intelligence de son
interlocuteur. Face à lui, Machiavel est emporté par un déchaînement
quasi infernal : son argumentation, totalement écrasante
quantitativement, l’emporte aussi au double plan de l’efficacité
démonstrative et de la pertinence historique. C’est lui qui remporte
la joute, et de manière implacable. Si sa thèse est la plus forte,
suffit-il pour la congédier de dire qu’elle est souvent immorale et
désespérante pour un démocrate ? Je ne le pense pas.
Le Machiavel de
Joly ne parle pas du monde tel qu’il devrait être, mais des
démocraties industrielles telles qu’elles sont. Même s’il lui arrive
d’énumérer les mesures techniques à prendre sur le ton d’un tyran
cynique, ravi de ses ruses, il se pose également très souvent en
observateur des sociétés politiques modernes. Ne dit-il pas, très
tôt dans le Dialogue, que « le machiavélisme est
antérieur à Machiavel » (p. 10) ? Ou qu’il énonce avant tout un
diagnostic, sans être responsable de la réalité de la situation, pas
plus que ne le serait un médecin de la maladie qu’il détecte (« Par
quel inexplicable travers de l’esprit humain m’a-t-on fait un grief
de ce que j’ai écrit dans cet ouvrage ? Autant vaudrait reprocher au
[…] médecin de décrire les maladies, au chimiste de faire l’histoire
des poisons, au moraliste de peindre les vices, à l’historien
d’écrire l’histoire. » (p. 11)) ? Il se veut analyste éclairé, en
quelque sorte, et, de fait, son acuité est indéniable. Dans les
répliques qu’il lui attribue, Maurice Joly fait entendre les échos
de nombreux débats de l’époque et la voix de plusieurs penseurs
comme Auguste Romieu, Tocqueville, ou Maistre, penseurs auxquels il
ne s’oppose pas toujours, ou pas seulement, on va le voir.
Lorsque, au début
de la joute, le Machiavel de Maurice Joly lance sur un ton
provocateur « Le césarisme du Bas-Empire me paraît réaliser assez
bien ce que je souhaite pour le bien-être des sociétés modernes. »
(p. 41), le propos peut (et doit) s’entendre aux deux niveaux
énonciatifs. Envisagé au premier niveau, l’idéal politique de
Machiavel vise à renverser le projet de Montesquieu, puisque son
« césarisme du Bas-Empire » est une forme, dit-il, quelques lignes
plus haut (p. 41), de « despotisme gigantesque » ; et l’on sait que,
pour l’auteur de L’Esprit des lois, le despotisme
oriental est l’antithèse absolue du régime démocratique, qu’il
associe à la civilisation européenne [14].
Envisagé au second niveau d’énonciation, dans un échange implicite
entre l’auteur et son lectorat immédiat, le mot de « césarisme »
entre en résonance avec des polémiques récentes. En effet, en 1850,
Auguste Romieu (1800-1855) avait forgé ce mot, pour définir un
régime qu’il présentait ainsi :
L’étude
simultanée du présent et du passé m’a donné cette croyance, qu’il y
a un moment d’extrême civilisation chez les peuples, où l’issue
forcée est le césarisme. Il me faut clairement expliquer ce
mot, qui ne signifie ni royauté, ni empire, ni despotisme, ni
tyrannie, mais qui a son sens propre et très-peu connu [15].
L’année suivante,
dans Le Spectre rouge de 1852, le même Romieu
justifiait par avance le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte
comme étant l’unique solution pour éviter une révolte des classes
sociales inférieures. Il y congédiait aussi la notion de droit
naturel, si chère à Montesquieu, dans des termes assez proches de
ceux du Machiavel de Joly : « Je crois à des besoins sociaux, non à
des droits naturels. Le mot droit n’a aucun sens pour mon esprit,
parce que je n’en vois, nulle part, la traduction dans la nature. Il
est d’invention humaine… Il varie en tous lieux et en tout temps ;
il est sujet à controverse […] » [16] . Ces idées trouvent
un écho dans cette réplique du Dialogue : « Tous les
pouvoirs souverains ont eu la force pour origine, ou, ce qui est la
même chose, la négation du droit […] Ce mot de droit lui-même,
d’ailleurs, ne voyez-vous pas qu’il est d’un vague infini ?
(p. 13-14) ». On voit ici nettement l’actualité critique des propos
échangés entre Machiavel et Montesquieu, et cela ne pouvait échapper
au lecteur contemporain. Dans ce débat, sur cette question précise,
Maurice Joly adhère au point de vue de Montesquieu et deux
opuscules, parus un an après le Dialogue,
César et Les Principes de 89, allaient
encore en témoigner.
Mais il lui
arrive également d’être proche des idées du Machiavel auquel il
donne la parole. Carlo Ginzburg cherche à le montrer à propos des
discussions portant sur la source des constitutions. Le Machiavel de
Joly estime que les constitutions solides ne peuvent sortir que du
cerveau d’un seul homme. Il est proche en cela de Joseph de Maistre
qui écrit dans les Considérations sur la France : « Une
assemblée d’hommes ne peut constituer une nation ; et même cette
entreprise excède en folie ce que tous les Bedlams de
l’univers peuvent enfanter de plus absurde et de plus
extravagant [17] ». Or, dans ce passage, Joseph de Maistre cite en note
un commentaire du Machiavel historique sur la première décade de
l’Histoire de Tite-Live, au chapitre IX,
significativement intitulé « Qu’il faut être seul pour fonder une
république, ou pour la réformer sur un nouveau plan » : « È
necessario che un solo sia quello che dia il modo, e dalla cui mente
dipendo [sic] qualunque simile ordinazione » [18] . D’où il résulte que, dans le Dialogue,
Machiavel s’ajointe, en quelque sorte, à son modèle historique par
delà le détour par Joseph de Maistre et que Montesquieu n’a pas tort
de voir en de Maistre un disciple de Machiavel (p. 80-81). Mais
qu’en est-il des opinions de Joly sur « le principe générateur des
constitutions politiques et des autres institutions humaines », pour
reprendre le titre d’un opuscule de Joseph de Maistre, souvent
associé à celui dont je viens de parler dans les rééditions ? Dans
Le Barreau de Paris. Etudes politiques et littéraires,
en 1863, Maurice Joly fait précisément l’éloge de Maistre et fustige
(p. 43-44) « la manie des constitutions et leur impuissance à rien
fonder » [19]. Ce qui amène Carlo Ginzburg
à conclure que « Joly a projeté quelque chose de lui-même dans les
deux interlocuteurs du dialogue » [20].
Il est enfin (et
surtout ?) presque certain que Maurice Joly attribue à son
personnage de Machiavel un regard désabusé sur les sociétés modernes
qui est avant tout le sien. Dans son DEA en sciences-politiques sur
le Dialogue, Corinne Estienne note la récurrence de
plusieurs thèmes tout au long de la carrière de Joly : entre autres,
son peu de considération pour la foule, « irrationnelle, dangereuse,
perpétuellement mineure [21] », ou sa méfiance à l’égard des faux-semblants
du langage politique et plus largement du fonctionnement des
institutions démocratiques. Lorsque Machiavel suggère à
Montesquieu : « dans vos sociétés si profondément relâchées, où
l’individu ne vit plus que dans la sphère de son égoïsme et de ses
intérêts matériels, interrogez le plus grand nombre et vous verrez
si de tous côtés on ne vous répond pas : que me fait la politique ?
Que m’importe la liberté ? Est-ce que tous les gouvernements ne sont
pas les mêmes ? Est-ce qu’un gouvernement ne doit pas se
défendre ? » (p. 76), cette invitation à constater « l’inépuisable
lâcheté des peuples » (p. 37) ne s’adresse-t-elle pas aussi à Joly
lui-même ? N’est-elle pas, en quelque sorte, à usage interne, comme
si l’observateur en Joly luttait avec l’homme de principes et
voulait le contraindre à l’auto-ironie ? Comme si, en lui, Machiavel
le réaliste était aux prises avec Montesquieu l’idéaliste, pour
parler par formules.
En tout cas, on
aura noté, du point de vue énonciatif, que la parole de Machiavel
s’ouvre à ce moment-là sur la vox populi (supposée),
dans une interrogation qui, parce qu’elle est formulée comme telle
(« interrogez »), vise aussi le destinataire au second niveau
énonciatif. Ce désenchantement devant le manque de passion
démocratique des citoyens modernes, concentrés sur leurs intérêts
matériels immédiats, dociles et se contentant d’une démocratie de
façade, ce désenchantement s’appuie sur la perception d’une opinion
commune, masquant son désintérêt pour la chose politique derrière
des questions rhétoriques. Mais la citation (fictive) de ces
questions rhétoriques prend, elle, l’allure d’un véritable
questionnement, adressé par Maurice Joly/Machiavel à ses lecteurs,
d’ailleurs dans la tradition tocquevillienne de réflexion sur les
nouvelles formes de servitude [22].
Que nous apprend
le Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu
sur le fonctionnement de l’énonciation dialogique ?
D’abord qu’elle
favorise la réactualisation de la littérature, la capacité de
celle-ci à renouveler ses significations par delà l’horizon
historique immédiat de l’auteur et des premiers lecteurs. En tant
que fait de discours, par son usage du présent et des pronoms des
deux premières personnes, donc, et parce qu’il repose sur un double
niveau énonciatif, comme le théâtre, le dialogue apporte avec
Maurice Joly la preuve de son pouvoir d’interpellation, même si
cette forme est souvent délaissée de nos jours.
Ensuite, le
dialogue s’ouvre sur une pluralité de voix. D’une part, il fait
entendre celles d’au moins deux interlocuteurs, bien sûr, mais
surtout on a vu qu’il est impossible de prétendre que l’une des voix
écrase totalement l’autre [23]. Et à ceux qui
s’agripperaient désespérément à l’idée que le Dialogue
est rédigé au seul bénéfice de Montesquieu, je demanderais de
réfléchir au paradoxe suivant [24] : le Machiavel
de Maurice Joly a tendance à penser en termes transhistoriques,
abstraits (le machiavélisme), alors que Montesquieu part du
présupposé que le despotisme appartient au passé, en Europe du
moins ; mais cette vision historique ne repose que sur une
méconnaissance, celle de l’évolution de la France depuis 1847, bien
connue de Machiavel en revanche, qui, lui, prend en considération la
capacité d’adaptation des régimes politiques à des sociétés
nouvelles, si bien que celui qui pense en termes historiques et
celui qui réfléchit en termes abstraits échangent en quelque sorte
leurs places. Il faut donc se garder de voir dans l’ignorance
historique relative de Montesquieu un simple artifice de
présentation de Maurice Joly, mais y voir plutôt un défi
auto-ironique lancé par Maurice Joly/Machiavel à Montesquieu/Maurice
Joly pour que celui-ci prenne la mesure de ce qui empêche
l’application des « Principes de 1789 » dans la France
contemporaine. D’autre part, il faudrait prendre la mesure du choix
de Montesquieu comme porte-parole (partiel) des idées de l’auteur :
n’y a-t-il pas là un choix finalement peu républicain (Rousseau
aurait pu incarner un point de vue davantage démocratique que ne le
fait Montesquieu) ? Faut-il y lire la marque d’un flou
idéologique [25] ? Ou l’extrême difficulté
pour Maurice Joly à s’engager dans le parti qui a sa préférence,
tant il est prompt à l’(auto-)ironie [26] ?
Enfin, toutes les
questions soulevées par la fiction infernale du
Dialogue n’ont de résonance que parce qu’elles sont
déjà en débat dans le monde réel, qu’elles portent sur le renouveau
du césarisme (Romieu), l’état moral des sociétés industrielles
(Tocqueville) ou même les failles des principes de 1789 (Joseph de
Maistre). C’est en ce sens que je comprends ces mots de Maurice Joly
dans le « Simple avertissement » : « une œuvre comme celle-ci est en
quelque sorte impersonnelle. […] tout le monde l’a conçue, elle est
exécutée, l’auteur s’efface. »
1 | Voir Henri Rollin,
Une mystification mondiale, Paris, Allia, 2000,
p. 127-128. L’édition originale date de 1939. | 2 | Je me réfère à la
réédition du Dialogue chez Allia, 1999. | 3 | Voir à ce sujet la préface de
Michel Bounan (« L’État retors ») à la réédition du
Dialogue déjà citée. | 4 | Hélas oublié dans la réédition
chez Allia. | 5 | Cette expression figure dans le
« Simple avertissement » (p. 4). | 6 | Le passage de L’Esprit des
Lois envisage l’« occasion du renversement des lois
fondamentales ». | 7 | Voir la présentation de l’article d’Hans Speier, « La
vérité aux enfers : Maurice Joly et le despotisme moderne »,
Commentaire, n° 56, 1991-1992, p. 671. | 8 | Comme en témoignent les phrases
liminaires : « Il faut se féliciter de ce que le
Dialogue de Maurice Joly ait été redécouvert et exhumé
en 1948 et non pas au cours des années soixante. Actuellement, en
effet, cette trouvaille risquerait de passer pour une supercherie,
tant les applications qu’on peut faire de passages du texte à la
république gaullienne sont nombreuses. » | 9 | Otrante, n°22, automne 2007, éditions Kimé. Lire
notamment les pages 20-21 de l’article introductif (« Pour une étude
diachronique du dialogue des morts ») et surtout l’article d’Hervé
Dubourjal (« Dialogue aux enfers entre Machiavel et
Montesquieu de Maurice Joly et sa représentation au
théâtre », p. 109-116). | 10 | Hervé Dubourjal,
(« Dialogue aux enfers entre Machiavel et
Montesquieu… », p. 113, note 10. | 11 | Carlo
Ginzburg, « Rappresentare il nemico », in Il filo e le
tracce, Milan, Feltrinelli, 2006, p. 185-204. | 12 | L’édition Allia recense en fin
de volume les différentes éditions du texte, y compris en
traduction. | 13 | Le détail n’a pas échappé à
Jean-François Revel (« sous les yeux d’un Montesquieu horrifié et
ébloui ») (Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel
et Montesquieu, préface de Jean-François Revel, Paris,
Calmann-Lévy, 1968, p. XV). | 14 | De ce point de vue, on peut opposer L’Esprit
des Lois, XVI, 9 (« le gouvernement populaire a toujours été
difficile à établir en Orient. ») et XVII, 5 (« l’esprit de l’Europe
a toujours été contraire à ces mœurs [= de l’Asie] »). | 15 | Auguste Romieu, L’Ère des
Césars, deuxième édition, Paris, Ledoyen, 1850,
p. 29-30. | 16 | Auguste Romieu, Le Spectre rouge de
1852, Paris, Ledoyen, 1851, p. 8. | 17 | Joseph de
Maistre, Considérations sur la France, Paris, À la
Société typographique, 1814, chapitre VI (douzième article),
p. 76. | 18 | Ibid., p. 76-77,
note 3. | 19 | Maurice Joly,
Le Barreau de Paris. Études politiques et littéraires,
Paris, Gosselin, 1863, p. 43-44. | 20 | Carlo Ginzburg, Il filo e le tracce…,
p. 194 : « Si direbbe insomma che Joly abbia proiettato qualcosa di
sé in entrambi gli interlocutori del dialogo. » Ajoutons qu’il
arrive qu’on ait affaire à une intrication des points de vue et cet
exemple tendrait à le prouver : la défiance vis-à-vis des assemblées
constituantes et des constitutions est partagée par Joseph de
Maistre, le Machiavel de Maurice Joly, et son auteur, tout en étant
préfigurée en quelque sorte par le Machiavel historique ; mais
Joseph de Maistre en tire la conséquence d’un respect des lois non
écrites, tandis que le Machiavel du Dialogue, fidèle à
son modèle historique, voit dans cette faiblesse intrinsèque des
constitutions, issues des assemblées, toutes les raisons de s’en
remettre à un Prince ; la position de Maurice Joly étant, dans le
contexte de la citation du Barreau, celle d’une ironie
devant la constitution de 1848 (« M. Dufaure paraît avoir partagé
quelques-unes des illusions de la République ; qui ne les partageait
alors ? ») (Maurice Joly, Dialogue…,
p. 42). | 21 | Corinne Estienne, « Le Dialogue aux enfers
entre Machiavel et Montesquieu » de Maurice Joly, Paris, IEP,
1986, p. 38. | 22 | Alexis de Tocqueville, De la démocratie en
Amérique, (cité par Carlo Ginzburg note 16) : « J’ai toujours
cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je
viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne
l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté,
et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de
la souveraineté du peuple. » | 23 | Claude Lefort (Le Travail de l’œuvre,
Paris, Gallimard, 1972, p. 124-125) conclut pour sa part : « Que
l’écrivain écrive contre Machiavel n’est pas douteux, comme
l’atteste l’avertissement de son ouvrage. Mais il ne l’est pas moins
qu’il prête souvent à son personnage des idées qui sont les siennes
propres et suggèrent au-delà d’une critique du despotisme, celle de
la civilisation moderne en tant que telle. » | 24 | Fort bien observé par Hans Speier
(Commentaire, n° 56, 1991-1992). | 25 | C’est en gros
l’opinion de Corinne Estienne (voir notamment sa page 31). Elle
insiste également sur le sentiment de déclassement de Maurice Joly :
« Impuissant à maîtriser la vie sociale, incapable de s’y inscrire
vraiment, se sentant exclu et désabusé par elle, il se pose en
observateur critique… » (p. 39-40). | 26 | La troisième république le laissera tout aussi
insatisfait de la chose politique et des dirigeants. |
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