Dossier : La Question de la nouveauté


L’Histoire comique de Francion de Charles Sorel.
La nouveauté comme étape
dans la formation du roman moderne

Mathilde Aubague

Université de Bourgogne

mathilde.aubague@gmail.com

Résumé :
L’Histoire comique de Francion de Charles Sorel thématise la nouveauté à l’intérieur du récit comme une rupture éthique et philosophique avec son époque. Ce désir de rupture et de création d’une nouvelle philosophie correspond à des innovations formelles du texte, qui travaillent le genre romanesque, ce qui passe avant tout par un jeu ironique avec le lecteur sur la communication narrative et sur l’instabilité sémantique.

Abstract :
Charles Sorel’s Histoire comique de Francion inscribes novelty as a theme inside the narrative. This novelty takes place as an ethical and philosophical break in the time. The desire of breaking and creating a new philosophy does correspond with formal innovations in the text. Those innovations work round to the Romanesque, as using an ironic play with the reader, based on the narrative communication and the semantic instability.

L’Histoire comique de Francion paraît à Paris chez Pierre Billaine en 1623 sous privilège daté du 5 août 1622, puis deux réécritures successives parachèvent l’œuvre. Le récit, resté ouvert en 1623, est amené à son terme en onze livres en 1626, en douze livres en 1633. Sorel ajoute des récits insérés, allonge et réorganise la matière narrative. Ces réécritures témoignent également d’un travail de polissage attentif aux critères moraux de son époque : des commentaires moralisants sous forme d’interventions d’auteur sont insérés en fin de livres [1], le lexique graveleux est amendé, l’auteur fait référence aux libertins pour s’en distinguer [2]. Les modifications rendent explicite une sensibilité au contexte de durcissement des positions culturelles après le procès de Théophile de Viau en 1623 et l’entrée au pouvoir de Richelieu en avril 1624. Ce durcissement succède à une période de liberté intellectuelle et morale durant laquelle le libertinage érudit était toléré. Ce dernier, comme attitude de liberté d’esprit, pouvait s’exprimer par la grivoiserie (en témoigne selon Michel Jeanneret la vogue des parutions pornographiques [3]), et par l’engouement pour des idées nouvelles, dont l’empirisme et le naturalisme [4].

Le Francion est lié aux conditions de la vie culturelle de son époque. En 1623, ce moment de liberté morale et philosophique autorise la thématisation d’un désir d’innovation et la prise de libertés avec la forme littéraire. Le travail ultérieur de polissage accompli par Sorel obéit probablement à une attitude prudente de conformation, au moins apparente, aux volontés des pouvoirs en place. Le texte s’inscrit dans un contexte historique et répond aux évolutions de ce contexte.

La nouveauté est d’abord thématisée dans le récit : Francion condamne l’époque dans laquelle il vit et affirme le désir de fonder une nouvelle éthique élitiste et satirique. Ensuite, cette volonté d’innovation philosophique et éthique a un corollaire stylistique apparent dans les propos du personnage, qui se réalise sous les yeux du lecteur : le désir de renouvellement thématisé dans la diégèse se manifeste dans une forme innovante. De la part de Sorel, cette forme renvoie à un désir de rupture et à un jeu avec la convention, avec les théories poétiques de son temps. Le texte présente des innovations stylistiques et poétiques, l’œuvre travaille la mixité des formes, jouant de façon ironique avec les attentes du lecteur, et même la justification morale n’est pas homogène. Enfin, la nouveauté s’inscrit en surplomb du récit. L’auteur, refusant de se plier aux conventions génériques, produit un texte qui joue sur l’énonciation et réfléchit sa pratique fictionnelle. Son attribution, et du même coup son sens, sont volontairement ambigus. L’innovation est poétique et générique, et un de ses enjeux est la modernité ; le texte de Sorel se situe dans une lignée de récits qui jouent avec les genres, contribuant à la formation du genre romanesque.

La nouveauté comme thème :
rupture avec le passé et innovation philosophique

Le personnage de Francion condamne la société dans laquelle il vit au nom d’une éthique élitaire et individualiste, prenant la forme du retour souhaité à un « ordre naturel ». Francion est fils d’un noble ruiné, ses sœurs ont épousé des bourgeois, sa famille désire le voir embrasser la carrière du droit, ce qu’il refuse :

Ce fut bien alors, qu’en moy mesme je declamay contre la malice du Siecle, où les Loix naturelles sont corrompuës, et où les esprits les plus genereux sont contraints de prendre des sottes charges, pour troubler leur repos [5].

Cette critique du temps présent au nom des « Lois naturelles » repose sur une forme de naturalisme élitaire. Francion est conscient depuis l’enfance de sa valeur et exerce sur toutes choses son esprit d’examen :

J’avois desja je ne sçay quel instinct qui m’incitoit a hayr les actions basses, les paroles sottes, et les façons niaises de mes compagnons d’escole, qui n’estoient que les enfans des sujets de mon pere [6].

Sa valeur se joue dans l’ordre de la croyance, que Francion démystifie, tandis que les paysans sont crédules, superstitieux :

C’est pour vous dire comme les ames basses se trompent bien souvent, et conçoivent de vaines peurs [7].

Face à l’univers des courtisans, sa critique est tout aussi féroce :

Cet entretien là ne me plaisant pas, je retourne a celuy des autres, qui n’estoit pas de beaucoup meilleur : ils jugent des affaires d’Estat, comme un aveugle des couleurs [8].

Francion revendique à plusieurs reprises sa volonté de rompre avec les faux savoirs et les croyances aliénantes du passé, et de proposer une nouvelle philosophie, dont le contenu reste pourtant vague. D’abord Francion, en réaction aux mauvais savoirs acquis au collège, décide de se former lui-même :

J’employois ce que je pouvois de temps a lire indifferemment toute sorte de livres, où j’apprins plus en trois mois, que je n’avois fait en sept ans au College, a ouyr les grimauderies pedantesques, qui m’avoient de telle maniere perdu le jugement, que je croyois que toutes les fables des Poëtes qu’ils racontoient, fussent des choses veritables […]. Comme ces vieilles erreurs furent chassées de mon entendement, je le remplis d’une meilleure doctrine, et m’estudiay a sçavoir la raison naturelle de toutes choses, et avoir de bons sentimens en toutes occasions, sans m’arrester aux opinions vulgaires [9].

Immédiatement sorti du collège, il fonde sa philosophie sur un naturalisme élitiste et anticonformiste. La formulation évoque trop clairement la libre pensée, et est diluée en 1633 en un savoir général et désintéressé :

Je le remplis d’une meilleure doctrine, et m’estant mis a revoir mes escrits de Philosophie que nostre Regent nous avoit dictez, je les conferay avec les meilleurs autheurs que je pus trouver, si bien que par mon travail je me rendis assez instruit en chaque science, pour un homme qui ne vouloit faire profession d’aucune particulierement [10].

Par la suite, sa philosophie se réalise dans la méditation, démarche épicurienne orientée vers la tranquillitas animi, le repos de l’âme :

En ce temps là j’estudiay a toute reste, mais d’une façon nouvelle, neantmoins la plus belle de toutes ; je ne faisois autre chose que philosopher, et que mediter sur l’estat des humains, sur ce qu’il leur faudroit faire pour vivre en repos, et encore sur un autre poinct bien plus delicat, […] car deslors je trouvay le moyen de les faire vivre comme des Dieux, s’ils vouloient suivre mon Conseil [11].

En 1626 le postulat est euphémisé en « vivre comme des petits Dieux » [12]. Cette philosophie rappelle l’épicurisme de Lucrèce, le naturalisme de Naudé, de La Mothe Le Vayer. Elle fait jouer une série d’indices, de références à des intertextes libertins ou philosophiques qui amènent Michèle Rosellini et Geneviève Salvan à lire derrière cette indétermination une intention herméneutique [13], les indices guidant le lecteur vers la voie d’une connaissance dégagée des fausses croyances. La valeur de Francion se joue justement dans son refus de la croyance mystificatrice.

La nouveauté philosophique assumée par le personnage fonctionne comme critère repérable de l’intertexte libertin que Sorel euphémise sans le supprimer de son texte. Cette philosophie porteuse d’une éthique naturaliste et épicurienne se réalise également dans la satisfaction sensuelle. Francion promeut, face à Agathe qui le félicite de son ouverture à tous les possibles amoureux, une doctrine du plaisir toujours justifiée par la nature d’élite des personnes impliquées :

Ah ! mon enfant, que vous estes d’une bonne et louable humeur ? je voy bien que si tout le monde vous ressembloit, l’on ne sçauroit ce que c’est que de mariage, et l’on n’en observeroit jamais la Loy : vous dites vray, respondit Francion, aussi n’y a t’il rien qui nous apporte tant de maux que ce fascheux lien, et l’honneur, ce cruel Tyran de nos desirs [14].

Francion revendique une liberté amoureuse totale, proposant de façon utopique de supprimer le mariage, au nom du naturalisme. Francion est un héros libertin, qui affirme un désir d’émancipation et de libération de l’individu dans une optique élitiste et sectariste dont le cartouche qui orne la porte de la salle où se déroule le procès de Francion au livre VII, constitue la devise :

Que personne ne prenne la hardiesse d’entrer icy,
s’il n’a l’ame veritablement genereuse,
s’il ne renonce aux opinions du vulgaire,
et s’il n’ayme les plaisirs d’Amour [15].

Cette optique élitiste consiste en une valorisation constante de la noblesse, sommet de la hiérarchie sociale et morale. Une hiérarchie apparaît dans l’opposition réitérée entre les « âmes basses », qui sont celles des paysans, et les « âmes fortes », comme celle de Francion :

C’est a faire aux ames basses, continua t’il, a ne pouvoir de telle sorte commander sur eux mesmes, qu’ils ne sçachent restraindre leurs appetits et leurs envies […]. Si vous me cognoissiez particulierement et si vous sçaviez de quelle sorte un homme doit vivre, vous ne trouveriez rien d’estrange en cela [16].

La valeur individuelle de Francion est constamment rappelée, comme sagesse face à l’inconstance du monde :

Quand je songe aux advantures qui me sont arrivées ce jour cy, je me represente si vivement l’instabilité des choses du monde qu’a peine me puis je tenir d’en rire [17].

Elle se lit aussi dans son calme à l’approche de la mort, exprimé de façon consciente et réflexive :

Je ne sçaurois quitter mon humeur ordinaire, quelque malheur qui m’avienne, dit Francion, et puis je vous asseure que je ne redoute point un passage auquel je me suis dès long temps resolu, puisque tost ou tard il le faut franchir [18].

Francion, dans cette optique élitaire, fonde la compagnie « des braves et généreux », où la valeur morale reposant sur le mérite est censée être supérieure à la valeur sociale :

Nous fismes des loix […] [comme] de mespriser les ames viles de tant de faquins qui sont dans Paris, et qui croyent estre quelque chose a cause de leurs richesses ou de leurs ridicules Offices. Tous ceux qui voulurent garder ces ordonnances la, et quelques autres de pareille estoffe, furent receus au nombre des braves et genereux, (nous nous appellions ainsi), et n’importoit pas d’estre fils de Marchand, ny de Financier, pourveu que l’on blasmast le traffic, et les Finances. Nous ne regardions point a la race, nous ne regardions qu’au merite [19].

Pourtant, ses victimes sont des bourgeois qui sont punis pour avoir voulu se donner les apparences de la noblesse. L’illusion communautaire se désagrège, Francion exploite ses compagnons et les abandonne pour une carrière hypocrite et opportuniste. L’enseignement philosophique de Francion soutenu par cette éthique individualiste passe par la satire et la violence, le personnage devient le champion du rétablissement des valeurs nobiliaires, au mépris de l’humanité, ce qui fait de lui un personnage ambigu :

Mon coustumier exercice estoit de chastier les sottises, de rabbaisser les vanités et de me mocquer de l’ignorance des hommes. Les gens de Justice, de Finance, et de Traficq passoient journellement par mes mains, et vous ne sçauriez imaginer combien je prenois de plaisir a bailler des coups de baston sur le satin noir ; ceux qui se disoient nobles et ne l’estoient pas, ne se trouvoient non plus exempts de ressentir les justes effets de ma colere. Je leur apprenois qu’estre Noble, ce n’est pas sçavoir bien picquer un Cheval, ny manier une espée, ny se pannader avec de riches accoustremens, et que c’est avoir une ame qui resiste a tous les assauts que luy peut livrer [la] fortune, et qui ne mesle rien de bas parmy ses actions. Il me sembloit que comme Hercule, je ne fusse né que pour chasser les monstres de la terre ; toutefois, pour dire la verité, il n’y avoit pas moyen que j’operasse du tout en cela, car il faudroit destruire tous les hommes, qui n’ont plus rien maintenant d’humain que la figure [20].

La condamnation de Francion dépasse la posture du moraliste, « dont l’attitude consiste à se maintenir avant tout à hauteur d’homme » [21], selon Louis Van Delft. Francion se place au-dessus des hommes, sa posture est celle d’un satiriste et d’un législateur.

Cette posture systématique constitue une nouveauté : Francion est le héros de l’individualisme justifié par sa nature, et personne n’échappe à sa condamnation. Son éthique est réactionnaire : s’il affirme que le mérite moral est indépendant du mérite social, le texte démontre l’inverse conférant au regard du héros sur la société une valeur problématique, opposée à l’ordre contemporain et fondée sur une évocation idéalisée et idéologique du passé. Sa critique sociale est violente et remet en cause l’ordre social, nouveauté idéologique qui peut mettre en danger la position de l’auteur.

Une autre nouveauté se joue avec le portrait moral du héros : Francion est porteur de complexité : noble et revendiquant sa noblesse, contrairement aux héros picaresques, il est capable de compromissions pour parvenir, contrairement aux héros romanesques. Son personnage donne sens au récit, dans un trajet unitaire vers le mariage, et s’oppose ainsi aux personnages immoraux comme Till Eulenspiegel, dont les aventures ne sont pas guidées par une fin.

Francion est le héros d’une noblesse en perte de puissance face à la montée d’une société bourgeoise fondée sur l’argent, le travail et le droit. L’histoire du père de Francion souligne la perception d’un changement, d’une perte de pouvoir et de valeur symbolique de la noblesse face au pouvoir grandissant de la chicane :

Mon pere qui eust mieux aymé aller a l’assaut d’une ville qu’a la sollicitation d’un Juge, ou donner trois coups d’espée que d’escrire ou de voir escrire trois lignes de practique, fut le plus empesché du monde [22].

Le père de Francion a conscience que son statut a perdu toute valeur dans la société contemporaine :

Mon pere voyant que mon naturel me portait fort aux lettres, ne m’en voulait pas distraire, parce qu’il sçavoit que de suivre les armes comme luy, c’estoit un tres meschant mestier [23].

Francion découvre avec colère que les statuts de noblesse sont devenus des biens commerciaux :

[J]e suis des plus nobles de la France, et luy n’est fils que d’un vil Marchand. Sa charge l’ennoblit, repliqua le solliciteur : et comment a t’il cette charge ? dis je alors ; par son argent, respondit le solliciteur. Tellement que le plus abject du monde, ce dis je, aura une telle qualité, et se fera ainsi respecter moyennant qu’il ait de l’argent. Ah bon Dieu, quelle villenie : Comment est ce donc que l’on recognoit maintenant la vertu [24].

Il soutient une morale de l’honneur, réactionnaire dans le milieu au sein duquel il évolue :

Mon Dieu, ce dis je en moy mesme, qu’est cecy ? un homme qui se croit des plus braves du monde, veut porter le nom d’une terre, au lieu que la terre devroit porter le sien : Quelle faquinerie ! que ne s’acquiert il plustot un beau tiltre par sa generosité [25] ?

Mais cette morale de l’honneur est compromise dans les propos mêmes du héros par un élan hypocrite et utilitaire, immédiatement après l’instauration de la soi-disant communauté de mérite des « braves et genereux » :

Je ne songeay plus qu’a procurer le contentement de moy seul. Me deliberant de suivre en apparence le trac des autres, je fis provision d’une science trompeuse, pour m’acquerir la bienveillance d’un chacun. Je m’estudiay a faire dire a ma bouche le contraire de ce que pensoit mon cœur […] ; j’avois bien intention de rencontrer quelque grand Seigneur, qui me baillast appointement pour rendre ma fortune mieux asseurée [26].

Ici encore, l’ambiguïté peut faire signe vers une innovation générique, un travail sur la complexité du personnage et de la société qu’il reflète.

La nouveauté est construite en réponse aux insuffisances de l’époque dans laquelle vit le héros. Elle repose sur une éthique individualiste et élitaire, portée par une pensée libertine. Francion incarne de façon exclusive cet idéal de l’union du statut nobiliaire, du mérite et de la raison. L’attitude du héros, qui démystifie les fausses croyances, passe par un langage particulièrement signifiant qui est objet de commentaires dans le récit et support d’un discours métalittéraire. La nouveauté est stylistique et poétique, elle apparaît dans le thème du récit et dans la forme du texte.

La nouveauté comme rupture stylistique et poétique

Francion devenu poète thématise la nouveauté sur le plan de la création littéraire et langagière. Le récit met en abyme un autre genre que celui que nous lisons et inscrit de façon satirique le texte dans son univers historique : « Sorel règle ses comptes avec ses confrères en littérature, ce que prouvent les additions de 1626 qui actualisent la satire en intégrant les événements récents du monde des lettres » [27].

Francion reste le seul capable d’innover, les autres poètes sont incapables de produire des objets de valeur :

Au reste il n’y en avoit pas un qui eust un grand et veritable Genie. Toutes leurs inventions estoient imitées, ou se trouvoient si foibles, qu’elles n’avoient aucun soustien. Ils n’avoient rien, outre la politesse du langage, encore n’y en avoit il pas un qui l’eust parfaitement […] ; et lors qu’ils vouloient composer quelque chose d’eux mesmes, ils faisoient des grotesques ridicules [28].

Francion, en revanche, dont la nature est conforme aux ambitions, est capable de créer des textes efficaces, notamment dès qu’il s’agit de sexualité : il conquiert d’abord Luce en lui décrivant dans une lettre les plaisirs érotiques qu’il peut faire naître en elle [29]. Lors de la fête libertine, il improvise une chanson qui « convi[e] tout le monde aux plaisirs de l’amour » [30], puis, face au personnage de Raymond qui « ne parloit d’autre chose que de foutre » [31], Francion exprime le besoin d’un nouveau langage de l’amour destiné à une élite désignée par sa valeur personnelle :

Il y a bien de l’apparence, que les plus braves hommes quand ils veulent tesmoigner leur galantise, usent en ceste matiere cy, la plus excellente de toutes, des propres termes qui sortent a chasque moment de la bouche des Crocheteux, des Laquais […]. Je desirerois que des hommes comme nous, parlassent d’une autre façon, pour se rendre différents du vulgaire, et qu’ils inventassent quelques noms mignards pour donner aux choses dont ils se plaisent si souvent a discourir [32].

Ce langage nouveau doit permettre aux natures d’élite d’exprimer parfaitement leur plaisir. Il doit également annuler la condamnation morale qui pèse sur la sexualité, et qui est attribuée à la grossièreté du langage qui la désigne. Le désir d’un langage nouveau de l’amour est également désir de liberté morale dans la sexualité, et expression d’une conscience forte que le langage évolue et qu’il véhicule l’idéologie de son temps :

Les femmes principalement approuverent ses raisons, parce qu’elles eussent esté bien ayses qu’il y eut eu des mots nouveaux, pour exprimer les choses qu’elles aymoient le mieux, afin que laissant les anciens, qui suivant les fantaisies du commun ne sont pas honnestes en leur bouche, elles parlassent librement de tout, sans crainte d’en estre blâm[ées] veu que la malice du monde n’auroit pas si tost rendu ce langage odieux.
Francion fut donc supplié de donner des noms de son invention, a toutes les choses qu’il ne trouverroit pas bien nommées [33].

Cependant, ce projet reste utopique, le langage émancipateur n’est jamais créé, et l’itinéraire du héros aboutit à son mariage avec Nays, et à sa réintégration dans l’ordre social conventionnel.

Le texte innove face aux formes littéraires de l’époque. La nouveauté stylistique se situe dans le mélange polyphonique des registres de langue, par lequel Sorel rompt avec l’univers réglé des genres hérités du théâtre et des catégories aristotéliciennes, où le comique ressortit au populaire et l’héroïque à la noblesse. Ceci est autorisé par la forme romanesque parce que, contrairement aux autres genres, elle n’est pas réglementée. L’auteur revendique une représentation des langues populaires au nom de l’agrément et d’une esthétique du naturel et de la naïveté :

Outre cela je sçay bien que dans mon livre on peut trouver la langue Françoise toute entiere, et que je n’ay point oublié les mots dont use le vulgaire, ce qui ne se void pas par tout, car dans les livres serieux l’on n’a pas la liberté de se plaire a cela et cependant ces choses basses sont souvent plus agreables que les plus relevées [34].

Effectivement, le langage populaire est inscrit dans le texte, produisant une dissonance comique :

C’est a cause de vous que j’ay mis une esguillette de var de marr a mon chappiau, car ma couraine m’a dit que c’est une couleur que vous raymez tant, que vous en avez usé trois cotillons [35]…

Le texte forme un ensemble hétérogène et novateur, reposant sur la réutilisation parodique de topiques littéraires. Sorel juxtapose des éléments héroïques et galants, grivois, gaulois, scatologiques [36] avec l’expression d’une éthique sérieuse. Le récit du songe [37] est une pièce hétérogène. Mêlant des éléments burlesques et philosophiques, elle désarçonne le lecteur, le laissant face à sa propre liberté interprétative.

La nouveauté stylistique repose sur un jeu avec la convention. Il s’agit d’une construction ironique et parodique de l’auteur, qui passe par le refus de l’idéalité et de l’exemplarité romanesques traditionnelles. La parodie touche les techniques du roman héroïque telles que l’ouverture in medias res, ou l’usage de tours métaphoriques ou mythologiques, juxtaposés ici avec des éléments grotesques :

Les voiles de la nuict avoient couvert tout l’Orison, lorsqu’un certain vieillard qui s’appelloit Valentin, sortit d’un Chasteau de Bourgongne avec une robbe de chambre [38].

La parodie apparaît dans l’usage exagéré du style galant :

Le cœur me battoit dedans le sein plus fort que cette petite rouë qui marque les minutes dans les montres. Mes yeux estincelloient davantage que l’estoille de Vesper [39].

L’innovation stylistique joue sur la rupture avec la convention et sur une juxtaposition de formes et de registres renvoyant à des genres différents. Elle obéit à une esthétique du mélange, thématisée comme source de plaisir dans la comédie donnée chez Nays [40], et renvoie à la poétique du genre.

La nouveauté comme étape dans la formation du roman moderne

La nouveauté dans l’Histoire comique de Francion apparaît dans l’instabilité qui touche les représentations de la figure d’auteur et le discours sur la fiction dans les péritextes et dans les interventions narratoriales attribuables à une voix auctoriale parce qu’elles désignent un discours sur la poétique dans le cours du récit.

Dans le péritexte de 1623, l’auteur affirme une optique satirique et correctrice, il est conscient, comme son protagoniste, des insuffisances de son époque et de la nécessité de réformer les mœurs :

Jamais je n’eusse fait veoir ceste piece, sans le desir que j’ay de monstrer aux hommes les vices auxquels ils se laissent insensiblement emporter. Neanmoins j’ay peur que cela ne soit inutile : car ils sont si stupides pour la pluspart, qu’ils croiront que tout cecy est fait plus tost pour leur donner du passetemps que pour corriger leurs mauvaises humeurs. […] C’est icy une philosophie qui n’est jamais venuë dans la cervelle de tous nos vieux resveurs [41].

L’auteur adopte un masque, une persona acerbe et insolente, il refuse les lieux communs de la rhétorique de l’exorde et met en avant une conscience élitiste. En 1626, le texte de l’« Advertissement d’importance au lecteur » est rejeté en appendice, à la suite du livre XI. Il est allongé, la dénonciation du siècle y est encore plus cinglante. Le livre s’ouvre sur une virulente épître « aux Grands ». En 1633, l’auteur anonyme disparaît, remplacé par Du Parc, écrivain mort avant 1625. Ce dernier dédie son texte à Francion, le remercie de lui avoir confié son histoire, s’excuse de ses faiblesses de rédacteur. Il mêle les niveaux de réalité. À la suite de cette épître s’inscrit un « Advis au lecteur touchant l’autheur de ce livre » qui semble attribuable à un éditeur, sans que rien ne confirme la localisation de cette voix.

À chaque édition, la figure d’auteur change et le discours préfaciel est redistribué. Pour autant, l’auteur continue de fournir les bases d’une communication narrative et de la fausser conjointement par une série de contradictions. Ainsi, après avoir hautement revendiqué dans l’« Advertissement » de 1623, la valeur satirique de son texte et son détachement à l’égard de la réception qui peut en être faite, il affirme avoir choisi une forme plaisante pour attirer les lecteurs, puis détourne ce dernier aveu en ajoutant qu’il s’est censuré lui-même :

La corruption de ce siecle où l’on empesche que la verité soit ouvertement divulguée me contraint de faire cecy. Je raconte des fables et des songes qui sembleront sans doute pleins de niaiseries a des ignorans, qui ne pourront pas penetrer jusques au fond. Mais quoy que c’en soit, ces resveries la contiennent des choses que jamais personne n’a eu la hardiesse de dire [42].

Le topos horatien d’utile dulci qui justifie sur le plan moral la valeur du récit est donné comme acquis, comme un résultat déjà obtenu, il n’a plus besoin d’être prouvé au lecteur, il perd tout enjeu :

Il m’a falu confesser avec eux que j’avois meslé l’utile avec l’agreable, et qu’en me moquant des vicieux je les avois si bien repris qu’il y avoit quelque esperance que cela leur donneroit du desir de se corriger estans honteux de leurs actions passées [43].

L’auteur joue constamment entre la revendication de moralité et la défense du plaisir ; s’il affirme la supériorité de la polarisation morale, la réalité du texte inverse cette hiérarchie, la part du plaisir est majoritaire, et les commentaires moralisants sont en faible quantité : on reste dans le plaisir de la fiction. Dans l’« Advis au lecteur » de 1633, il se montre conscient du désir de nouveauté de la réception :

Depuis il fit encore deux ou trois Livres, et entr’autres un, Des fideles affections, où son stile commençoit de se changer petit a petit, car en effect mesme il y avoit plusieurs personnes qui se lassoient de la mode ancienne et qui demandoient quelque nouveauté [44].

L’objet nouveau est thématisé comme source de désir : dans le songe où il peut être interprété comme mise en abyme du désir du lecteur (« Ma curiosité n’estant pas encore assouvie, je passay plus outre pour voir quelque chose de nouveau » [45]), et après la fête libertine et la consommation de Laurette, Nays apparaît comme nouvel objet de désir qui justifie la reprise des aventures au livre VII [46].

En dialogue avec d’autres textes, l’Histoire comique de Francion se situe entre continuité et inflexions dans l’évolution formelle des récits européens. Cette évolution passe par l’usage des interventions d’auteur et l’inscription dans le texte d’une communication narrative reposant sur l’ironie et la feintise : pour Fausta Garavini, « le narrateur repousse la convention du roman, jusque dans la convention de l’acte narratif » [47]. D’autres textes jouent avec la convention, ils instaurent dès le péritexte un discours d’auctorialité problématique et construisent un narrateur adoptant un masque d’auteur actif dans le cours du texte, qui interrompt le récit pour le commenter. Rabelais s’exprime à travers la figure d’un narrateur bonimenteur affirmant son autorité sur le récit et Cervantès est représenté dans Don Quichotte sous les traits d’un auteur incapable d’écrire seul sa préface, et qui s’inscrit dans le récit, brouillant les niveaux de réalité et de discours.

Les interventions d’auteur instaurent une communication disjonctive et provocante avec le lecteur : rompant l’illusion référentielle, elles affirment la toute-puissance de l’auteur sur le texte. Ces interventions sont aléatoires, elles ne créent pas un sens fixe. Elles confèrent à l’auteur une place variable et insituable, entre omniscience, témoignage et prise de pouvoir arbitraire sur son texte. Dans ces interventions, l’auteur se moque des conventions, joue sur les attentes du lecteur, affirmant dès l’ouverture du texte au sujet du personnage : « encore ne sçay je pourquoy il n’avoit point ses lunettes, car c’estoit sa coustume de les porter tousjours a son nez ou a sa ceinture » [48].

La posture morale n’est pas constante : lors de la fête libertine, le discours du narrateur oscille entre l’affirmation moralisante « je sçai bien que je ne mets point icy de discours qui ne soient plustost capables de les faire hayr que de les faire aymer, car je proteste que je n’approuve aucunement les actions qui sont contraires a la vertu » [49], et l’affirmation jubilatoire conservée dans les trois versions « Il me seroit difficile de nombrer combien l’on depucela de filles et combien l’on fit de marys cornards » [50].

Les interventions d’auteur provoquent un détachement du lecteur à l’égard du récit, phénomène nouveau, le confort de l’illusion référentielle lui est refusé. Sans cesse confronté au discours de l’auteur, le lecteur est conduit à considérer le texte comme produit d’une création littéraire.

Le texte met en avant ses incohérences que l’on peut lire comme revendications d’une liberté d’auteur. La continuité narrative paraît alors arbitraire, injustifiée sur le plan logique ou sur le plan des habitudes du lecteur. Ces moments de gratuité consistent en des résolutions brusques et déceptives d’événements narratifs longs et compliqués : les difficultés judiciaires du père de Francion sont résolues par le mariage soudain avec la fille de son beau-père [51], et la réception par Francion d’argent de la part de sa mère clôt brutalement une très longue période de souffrances liées à sa pauvreté [52].

Les ambiguïtés morales dont fait preuve le héros constituent aussi des marques de l’arbitraire de l’auteur, elles surprennent le lecteur, forment des moments d’incohérence dans le portrait moral du personnage. La profession d’hypocrisie peut aller dans ce sens, et également l’évocation très bourgeoise de l’intérêt trouvé dans le mariage avec Nays :

[La perspective de perdre Nays] rendit Francion tout chagrin, car il sçavoit bien que c’estoit un bon party pour lui que Nays [53].

Le lecteur est confronté à un texte dont le sens n’est pas fixe et la position auctoriale ambivalente. La modernité se joue autour de l’autoréflexivité du texte, de l’importance accordée à la communication narrative. Elle apparaît dans le refus de l’auteur d’assigner un sens fixe au texte, ce qui aboutit à déléguer constamment au lecteur la responsabilité de l’interprétation ultime.

L’« Advis au lecteur » de 1633 souligne le caractère monstrueux du livre, résultat d’ajouts polygraphiques successifs :

L’on dit que pour ce qu’il y avoit eu des breches en cet original, il y eut quelques gens qui aymerent tellement cet ouvrage qu’ils prirent la peine de le reparer, et d’y inserer quelques Contes de leur invention qui s’y trouverent fort a propos [54].

L’auteur de cet « Advis » annonce ensuite que le texte propose la véritable fin, retrouvée par miracle chez un ami de Du Parc, et, fait curieux, que les éléments apocryphes ont été conservés. Pour justifier cette affirmation, l’auteur se livre à une argumentation acrobatique, tentant de tenir les fils contradictoires d’un texte apocryphe qui serait en même temps l’œuvre véritable d’un seul auteur :

Au reste en ce qui est de ces choses modernes qui ont esté mises icy, parce que l’on les a trouvé fort bien enchassées dedans l’Histoire, et qu’elles estoient trop cognuës pour estre desormais oubliées, il les y a falu laisser : mais neantmoins tout cela est arrengé avec tel ordre, que nous pouvons dire que nous avons maintenant la vraye Histoire de Francion, ayant esté corrigée sur les manuscripts de l’Autheur. Au reste, pour ce qui est de ces choses estrangeres, nous ne disons point si elles sont meilleures ou pires que le principal du livre, car il y a differente espece de beautez. Il faut considerer aussi que cela est en si petite quantité au prix de ce qui a esté fait par Du Parc, que cela n’est pas considerable, et que quand cela seroit dehors, l’Histoire n’en vaudroit guere moins, tellement que l’on ne l’y laisse que pour rendre plus satisfaits les plus curieux qui ne veulent rien perdre de ce qu’ils ont veu une fois dans les livres ; joinct que c’est une maxime qu’en ce qui est des livres de plaisir, il est permis d’y changer plus librement qu’aux autres. […] Chacun doit demeurer dans cette opinion et ne point croire qu’autre que le sieur Du Parc soit Autheur de l’Histoire Comique de Francion toute entiere ; car pourquoy l’attribuera t’on a un autre puisque mesme il ne se trouve personne qui se l’attribuë [55] ?

La contradiction est insoluble et se clôt sur un sophisme : le lecteur est confronté à un dernier texte dont, comme les autres, la paternité est problématique. D’autant que ce même « Advis au lecteur » joue avec l’univers de croyances du lecteur. Ainsi, une affirmation brise la fiction mise en place par l’épître « à Francion » de Du Parc, selon laquelle Francion serait un personnage réel ayant été en relation avec l’auteur, puis la justifie à nouveau, et laisse en définitive planer le doute :

Or nous voyons dans l’unziesme Livre que Francion avouë qu’il a fait un ouvrage qu’il appelle Les jeunes Erreurs. Lequel mesme a esté publié a ce qu’il dit, et neantmoins nous n’avons point sceu qu’il se soit imprimé un tel livre, mais ce n’est aussi qu’une feinte, et Du Parc a pris plaisir de faire dire cela a Francion pour faire songer aux Lecteurs : car ce n’est point là qu’il a apris les Avantures de ce Cavalier, puisqu’il confesse dans son Epistre, qu’il les luy a racontées de sa propre bouche. Toutesfois c’est a sçavoir si ce n’est point encore icy une autre fiction d’esprit, ou si ce Francion c’estoit veritablement quelque gentilhomme amy de Du Parc dont il avoit entrepris d’escrire la vie, et duquel il avoit eu quelques memoires. Mais cela n’importe de rien. Il suffit que nous reconnoissons l’excellence du livre [56].

Le lecteur est confronté en 1633 à un texte qui affirme son caractère insituable et revendique un jeu sur la fiction.

Cet insituable joue, dès la première édition, du mélange entre auteur et personnage : l’« Advertissement » de 1623 met en avant le désir de rupture de l’auteur d’avec les « vieux resveurs » [57], la revendication d’une « philosophie » nouvelle et d’un élitisme, qui correspond presque exactement aux propos de Francion. Dans le récit de 1633, Francion reprend à son compte la totalité des péritextes de l’auteur anonyme, dont l’« Advertissement » :

Je n’ay pas composé moins de trente deux pages d’imprimerie en un jour, et si encore a ce esté avec un esprit incessamment diverty a d’autres pensées auxquelles il ne s’en falloir gueres que je ne me donnasse entierement. Aucunes fois j’estois assoupy et a moitié endormy, et n’avois point d’autre mouvement que celuy de ma main droite [58]…

Francion assume au fil des réécritures les œuvres de l’auteur [59]. Dans un dialogue qui vivifie la reprise textuelle, il annonce la publication d’un « livre sans titre » avec une « Epistre dedicatoire » [60] qui est l’épître « Aux Grands » de 1626. Ce livre sans titre est en fait la version antérieure du texte que nous sommes en train de lire.

L’expérience littéraire de l’auteur est confiée au héros, ce qui inscrit dans le texte l’histoire de sa propre fabrication. Sorel désigne le travail poétique qui nourrit son texte. Il brise l’illusion romanesque, souligne que le roman n’est pas le compte rendu de l’expérience d’individus. Le texte thématise la praxis de la fiction narrative explicitée comme telle, par la mise en abyme de la fiction, la dénonciation de la mauvaise foi de l’auteur, des attentes du public, du pacte de connivence sur lequel repose l’illusion romanesque. Par référence aux procédés de l’énonciation, le discours se révèle comme discours. Ainsi que le souligne Fausta Garavini, il s’agit d’exhiber le système qui régit la construction de l’illusion [61].

Sorel avec l’Histoire comique de Francion met en question le récit, il en révèle la qualité fictive en marquant le lieu de son énonciation et le protocole de sa lecture. Du même coup, il invite le lecteur à chercher le sens fixe au-delà du récit, dans la communication narrative. Il élargit ainsi les potentialités du texte, le roman devient dynamique et s’inscrit dans une lignée de textes qui font du roman un jeu.

Le roman véhicule une documentation critique du réel, la nouveauté est mise en œuvre par la satire. Le désir fondamental de rupture avec un passé et un présent décevants nourrit la quête du héros et semble constituer un moteur de la création de Sorel, tant la dernière version du texte semble unir la posture de l’auteur et celle du personnage. Ce désir de nouveauté passe par le rejet de la convention stylistique et l’adoption d’un style mixte, qui imite les styles littéraires contemporains et qui doit provoquer le plaisir du lecteur ; la nouveauté est thématisée comme objet de désir et de plaisir. Sorel crée un texte qui thématise sa fictionnalité, qui instaure un jeu d’énonciation fondant une nouvelle communication narrative reposant sur la feintise et l’ironie.

L’Histoire comique de Francion a pu apparaître comme une sorte de répertoire de la nouveauté romanesque, comme le prouvent les publications ultérieures qui imitent au moins son titre dans l’espoir de profiter de son succès éditorial [62]. Ces publications sont françaises et étrangères : l’auteur allemand Grimmelshausen s’inspire largement du Francion dans son Abenteuerlicher Simplicius Simplicissimus en 1669. Le travail de Sorel sur le romanesque comme lieu d’énonciation et de réflexivité s’inscrit dans une lignée de textes français et européens qui questionnent le roman.


1

Commentaire ajouté en 1633 à la fin du deuxième livre : « Nous avons veu icy parler Agathe en termes fort libertins ; mais la naïfveté de la Comedie veut cela, afin de bien representer le personnage qu’elle fait. Cela n’est pourtant pas capable de nous porter au vice ; car au contraire cela rend le vice hayssable, le voyant depeint de toutes ses couleurs » (Charles Sorel, Histoire comique de Francion, in Romanciers du XVIIe siècle, A. Adam (éd.), Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1958, p. 1276).

2

Correction : Raymond, lors du repas qui précède la fête libertine, interrompt un convive qui entamait un récit anticlérical : « Si vous en medisiez, vous seriez excommunié, et banny d’un lieu où vous ne vous souciez guiere d’y entrer », ibid., p. 313. Ce propos devient en 1626 : « vous seriez excommunié et l’on vous mettroit au nombre de ces libertins du siecle a qui l’on a tant fait la guerre », ibid., p. 1314.

3

Michel Jeanneret, Éros rebelle : littérature et dissidence à l’âge classique, Paris, Seuil, 2003, p. 23-27.

4

Pour plus de détails sur ce contexte historique et culturel, consulter l’introduction de Fausta Garavini à La Maison des jeux. Science du roman et roman de la science au XVIIe siècle, Paris, Champion, 1998, p. 9-20 ; et Frank Greiner, Véronique Sternberg et Gabriel Conesa, L’Histoire comique de Francion de Charles Sorel, Paris, Sedes, 2000, p. 9-11.

5

Charles Sorel, Histoire comique de Francion, p. 212.

6

Ibid., p. 169.

7

Ibid., p. 167.

8

Ibid., p. 247.

9

Ibid., p. 213-214.

10

Ibid., p. 1282.

11

Ibid., p. 244.

12

Charles Sorel, Histoire comique de Francion, F. Garavini (éd.), Paris, Gallimard (Folio classique), 1996, p. 288 (variante absente de l’édition d’A. Adam).

13

« L’ellipse sur le contenu de cette nouvelle philosophie passe généralement pour une prudence de Sorel. Mais il paraît plus intéressant, et plus conforme à la démarche libertine, de faire l’hypothèse d’une stratégie destinée à inciter le lecteur à formuler lui-même ce message libérateur et à le prendre ainsi à sa charge » (Michèle Rosellini et Geneviève Salvan, Le Francion de Charles Sorel, Neuilly-sur-Seine, Atlande (Clefs concours Lettres XVIIe siècle), 2000, p. 119).

14

Charles Sorel, Histoire comique de Francion (édition A. Adam), p. 315.

15

Ibid., p. 307.

16

Ibid., p. 88-89.

17

Ibid., p. 91.

18

Ibid., p. 306.

19

Ibid., p. 241.

20

Ibid., p. 252.

21

Louis Van Delft, Le Moraliste classique, essai de définition et de typologie, Genève, Droz, 1982, p. 108.

22

Charles Sorel, Histoire comique de Francion (édition A. Adam), p. 156.

23

Ibid., p. 169.

24

Ibid., p. 217.

25

Ibid., p. 246.

26

Ibid., p. 244-245.

27

Michèle Rosellini et Geneviève Salvan, Le Francion de Charles Sorel, p. 148.

28

Charles Sorel, Histoire comique de Francion (édition A. Adam), p. 230.

29

Ibid., p. 265.

30

Ibid., p. 320.

31

Ibid.

32

Ibid., p. 321.

33

Ibid., p. 322.

34

Ibid., p. 1262.

35

Ibid., p. 273.

36

Ibid. Le premier livre s’ouvre sur une parodie de grand style (« Les voiles de la nuict […] » p. 66), et fait se succéder des scènes farcesques gauloises (Valentin frottant son sexe dans l’espoir de lui redonner de la vigueur, p. 67-68), des morceaux galants lors de la rencontre amoureuse de Laurette et Olivier (« Je sçay bien que ma vie et ma mort sont entre vos mains. Faictes moy souffrir tous les suplices dont vous vous adviserez, je suis si prest a les endurer, que si je treuve du pardon en vostre misericorde, j’auray de la peine a m’accoustumer a en gouster les douceurs », p. 76), des éléments de comique grivois (« Ce n’est pas tout, dit Laurette en riant, lorsqu’elle se vit asseurée de sa personne : Il faut voir si elle a entre les jambes la chose qu’elle s’est vantée d’y avoir. En disant cecy, elle luy troussa sa cotte et sa chemise, et luy attacha tout au dessous du col avec une esguillette, de sorte que l’on pouvoit voir sans difficulté ses secrettes parties, qui n’estoient pas a ceste heure là en bon point, comme elles avoient esté auparavant », p. 79). L’importance de ce mélange dans les premières pages du texte montre le souci de Sorel de fournir un texte mixte et novateur, reposant sur la réutilisation parodique de topiques littéraires. Un grand morceau scatologique se situe à la fin de ce livre : « Vous tireriez plutost de la semence d’un baston a goderonner des fraises que de ses pauvres armes mal fourbies. Il n’y a rien que sa porte de derriere qui soit ouverte. Je vous asseure bien qu’elle l’est de telle façon qu’il ne peut retenir une liquide et salle matiere qui en sort a chasque moment. Il a falu qu’il m’ayt prié comme son bon Compere de luy bailler une drogue qui ira refermer les ouvertures […] », p. 89.

37

Ibid., p. 140-154.

38

Ibid., p. 66.

39

Ibid., p. 94.

40

Ibid., p. 456.

41

Ibid., p. 61.

42

Ibid., p. 62.

43

Ibid., p. 1261.

44

Ibid., p. 1268.

45

Ibid., p. 144.

46

Ibid., p. 323-325.

47

Fausta Garavini, La Maison des jeux. Science du…, p. 26.

48

Charles Sorel, Histoire comique de Francion (édition A. Adam), p. 66.

49

Ibid., p. 1313.

50

Ibid., p. 317.

51

Ibid., p. 164.

52

Ibid., p. 233.

53

Ibid., p. 485.

54

Ibid., p. 1268.

55

Ibid., p. 1269-1270.

56

Ibid., p. 1269.

57

Ibid., p. 61.

58

Ibid., p. 1323.

59

Dans l’édition de 1626, Francion affirme : « il y en a un où j’ay descrit quelques divertissements champestres, avec des jeux, et des comedies et autres passe-temps » (ibid., p. 437). Cette description correspond à la matière textuelle de La Maison des jeux, ouvrage réel publié par Sorel en 1642.

60

Ibid., p. 1326.

61

« La caution suprême de la vraisemblance est que le narrateur mette en cause son propre statut d’organisateur et de metteur en scène ; qu’il franchisse la frontière diégétique et annule la limite entre histoire et narration, entre le monde qu’il raconte et le monde dans lequel il raconte. […] À l’illusion représentative qui se fonde sur la dissimulation de l’arbitraire, autrement dit sur la mimesis du référent socio-historique, se substitue la mimesis des conditions mêmes de la production romanesque » (Fausta, Garavini, La Maison des jeux. Science du…, p. 18).

62

Jean Serroy, Roman et réalité : les histoires comiques au XVIIe siècle, Paris, Minard (La Thésothèque), 1981 : Scudéry change en 1632 le titre de la Première journée de Théophile de Viau en Fragments d’une histoire comique, p. 97 ; en 1650 paraît, par référence au Francion, Le Parasite mormon, histoire comique, p. 404 ; Leret publie en 1662 les œuvres de Cyrano de Bergerac et donne le titre d’Histoire comique à L’Autre Monde, ou les États et empires de la Lune, p. 418.