Dossier : La Question de la nouveauté


Le cliché comme économie politique de la nouveauté

Luc Bonenfant

Université du Québec à Montréal

bonenfant.luc@uqam.ca

Résumé :
Les clichés sont si nombreux, dans Gaspard de la Nuit, qu’il serait tentant de réduire le recueil à un « exercice sur la Préface de Cromwell ! » (Jean Richer). Et pourtant, le cliché bertrandien n’est pas qu’un lieu commun : il permet de renouveler le sens esthétique dans la perspective de sa dimension politique. En effet, l’actualisation du passé et de ses symboles alimente le sens éthique du recueil par la rénovation concurrente qui se trouve effectuée de la figure du poète, désormais pensée depuis un anonymat qui lui confère un statut dialogique plein.

Abstract :
Gaspard de la Nuit contains so many stereotypes that it seems that it can be narrowed down to a "mere exercise on Préface de Cromwell". Yet, Bertrand’s use of stereotype cannot be reduced to that of simple commonplaces: stereotypes, in Gaspard, allow for an aesthetical renewal that is readable from a political standpoint. Indeed, the past and its symbols are actualized so that they feed in the ethical dimension of the book while simultaneously renewing the figure of the poet, now understood from an anonymous standpoint which confers it a full dialogical status.

Alors, qu’un bibliophile s’avise d’exhumer cette œuvre moisie et vermoulue, il y lira à la première page ton nom illustre qui n’aura point sauvé le mien de l’oubli.
Aloysius Bertrand, « À M. Victor Hugo », Gaspard de la Nuit.

Les clichés (parfois ironiques comme celui de l’épigraphe ci-dessus) semblent nombreux dans Gaspard de la Nuit et, en cela au moins, le recueil de Bertrand apparaît comme un hapax tant « la poésie serait, depuis le XIXe siècle, l’anticliché par excellence, l’expression originale, insolite, la trouvaille géniale qui, en s’écartant du commun, renouvellerait la perception » [1]. Depuis le thème de l’œuvre inspirée et écrite par le Diable jusqu’au déploiement des figures caricaturales tirées de la Comédie-Italienne, en passant par les alliages entre le sublime et le grotesque : se joue là un ensemble de références qui laissent entendre qu’on aurait toutes les raisons de traquer le cliché pour en déduire que Gaspard est « comme un exercice sur la Préface de Cromwell ! […] Considéré dans son ensemble, [il] constitue, comme un bréviaire, un abrégé du romantisme » [2]. Entendu en son sens usuel d’« idée ou expression toute faite trop souvent utilisée » [3], le cliché se dissémine dans ce recueil, cela dans une sorte de contamination dont l’omniprésence nous oblige à en interroger le sens.

Et si le cliché servait, dans Gaspard de la Nuit, à renouveler le sens de la perception esthétique pour en diriger le sens politique ? Telle est, ici, mon hypothèse, à savoir que les figures surgies du passé – que ce passé soit historique ou symbolique – servent le lieu d’une rénovation qui contribue à alimenter le sens éthique (et partant, politique) du recueil. L’actualisation du passé et de ses symboles a pour effet de poser le texte dans un présent allégorique dont la figure centrale et essentielle serait celle d’un poète anonyme dont l’acte de création se penserait dans l’acte dialogique qu’il met en scène.

Récrire le passé

Dans « À un bibliophile » Bertrand demande : « Pourquoi restaurer les histoires vermoulues et poudreuses du Moyen Âge, lorsque la chevalerie s’en est allée pour toujours, accompagnée des concerts de ses ménestrels, des enchantements de ses fées, et de la gloire de ses preux ? » (GN, 161 [4]). En apparence anodine, la question pose au moins doublement problème. D’abord parce qu’elle renvoie à un imaginaire particulier et précisément daté du Moyen Âge : le ménestrel, la fée et le preux sont autant de personnages fantasmés qu’un certain XIXe siècle aura exacerbés au sein d’un imaginaire chevaleresque où la bravoure pouvait notamment servir de rempart aux excès d’un siècle autrement miné par la modernité alors naissante. Le Moyen Âge dessiné par la strophe initiale de « À un bibliophile » apparaît ainsi presque caricatural tant il est conforme à l’imaginaire médiévalisant du premier romantisme.

Sauf que Bertrand n’est pas dupe : quand il pose sa question, il interroge tout autant la pertinence que le sens de la « restauration » d’un tel imaginaire. L’utilisation du verbe « restaurer » n’est pas neutre quand on considère que le poème se clôt précisément sur un mode verbal qui marque une distinction. Car en écrivant « mes fabels n’auraient pas même le sort de la complainte de Geneviève de Brabant » (GN, 162), le poète pose la condition de l’appropriation qu’il entend mener, soit celle d’un Moyen Âge qui se distinguera de celui des ultras. La restauration menée par Bertrand va plutôt dans le sens d’une disparition, laquelle témoigne d’une propension à l’anonymat conforme à la figure du maçon à laquelle on peut l’identifier. Avant d’aborder cette question, sur laquelle je reviens plus loin, il importe de remarquer que l’abondance de clichés agit comme un signe alors que sa quantité signale précisément que l’imaginaire déployé dans le recueil travaille dans un sens différent de celui de la simple reconduction de lieux communs.

C’est ainsi que l’opposition entre « art divin » et « art satanique » dessinée dans la première préface du recueil [5] renvoie à un complexe rhématique où

loin des pétrifications, le Verbe du Diable a sa logique propre : en perturbant l’énonciation, en lui donnant le prestige noir d’une source satanique, Bertrand attente à la réalité d’un monde stable, de même qu’il subvertit la codification métrique-lyrique dans le creuset du poème en prose. À genre exploratoire, empirique et anti-systémique, auteur insituable, instable et protéiforme [6].

La parole diabolique possède une incidence esthétique qui ne relève plus de la simple question de la damnation : entre le sentiment (Dieu) et l’idée (Satan) se découvre une manière résolument nouvelle de dire et d’écrire [7]. À la dichotomie traditionnelle, Bertrand substitue la labilité des figures qu’il convoque. Il en va de même du Vieux Dijon et du Vieux Paris, de Sainte-Bénigne et de Notre-Dame de Dijon, ou encore de Callot et de Rembrandt, lesquels ne se donnent ainsi jamais dans la transparence immédiate [8]. À cet égard, Melaine Folliard écrit avec raison que « le passé est omniprésent dans Gaspard de la Nuit. Objet de désir et de regret, son exposition est paradoxale : s’il engage parfois un savoir historique, il ressortit très souvent à l’expression d’une érudition littéraire ou d’une matière mythique qui ne s’embarrasse guère de faire coïncider la vraisemblance poétique et la véracité des faits » [9].

Le passé convoqué dans Gaspard de la Nuit n’est pas plus fixe que figé ; son sens reste toujours à faire. Bertrand y dessine par exemple un XVIIe siècle qui est en définitive contemporain des romantiques. L’évocation de Marion de Lorme dans « Le Raffiné » soustrait le poème au seul univers du siècle de Racine pour l’arrimer au monde de 1830 [10]. Dès lors que l’action du poème de Bertrand semble se situer dans un siècle révolu, elle se réactualise pourtant dans la survenance d’une figure désormais romantique parce que vaudevillesque ou dramatique. Rappelant à la fois une époque révolue et celle de la première génération romantique, la figure de Marion de Lorme déplace le passé que l’auteur fait surgir dans le kairos de son inscription romantique.

Le recours au passé, chez Bertrand, témoigne bel et bien d’un mouvement qui prend la forme d’une « déterritorialisation » [11]. La restauration des histoires vermoulues propose en quelque sorte une relance du Signe en lui refusant l’opacité d’un passé qui ne serait autrement saisissable que par l’« habitude profondément enracinée » [12] d’une érudition autosuffisante. Le passé bertrandien est en cela un passé composé d’images proprement romantiques, parce qu’« actuelles » au sens où Stendhal entend le terme dans son Racine et Shakespeare.

« Restaurer » le cliché

De la même manière, le cliché bertrandien récupère le passé vers lequel il se tourne pour en agréger les éléments qui lui sont historiquement constitutifs dans la présence du moment où il s’inscrit.

« La Salamandre » reprend par exemple le mythe devenu topos de la réunion des amants séparés et réunis dans la mort : la salamandre, qui découvre l’agonie de son « beau », décide de se donner la mort : « – “Il est mort ! Et puisqu’il est mort, je veux mourir !” – Les branches de sarment étaient consumées, la flamme se traîna sur la braise en jetant son adieu à la crémaillère, et la salamandre mourut d’inanition » (GN, 138). Tout en convoquant un code courtois qui date au moins de Tristan et Iseult, le texte découvre le sens nouveau de son topos grâce à la figure de la personnification.

Dans ce poème, Bertrand convoque un symbole fort – le grillon comme emblème du bien-être du foyer – auquel il adjoint une figure qui renvoie à un postulat paradoxal, parce que alchimique et chrétien tout à la fois. Il y active un sens allégorique qui déborde le sens symbolique initial des figures convoquées. En effet, si dans la Théorie élémentaire de Paracelse, la salamandre est l’esprit élémentaire du feu dont l’apparence est celle d’une jeune femme, elle est, chez Augustin, une figure servant à évoquer la damnation éternelle. Bertrand, qui a eu accès aux idées de Paracelse [13], a aussi lu Augustin, dont il se rappelle peut-être le passage suivant quand il compose son poème :

Quelle preuve apporterai-je donc, pour convaincre les incrédules que des corps humains animés et vivants peuvent non seulement échapper à la destruction de la mort, mais encore subsister dans les tourments du feu éternel ? Car ils refusent que nous le rapportions à la puissance du Tout-Puissant et ils nous demandent de les persuader par quelque exemple. Leur répondrons-nous qu’il y a des animaux corruptibles, certes, puisque mortels, qui vivent cependant au sein des flammes [14] ?

La salamandre de Bertrand fait résonner une économie particulière et paradoxale de sa figuration en s’inscrivant dans une série d’échos qui sont à la fois chrétiens et impies. Déjà figure déterminante parce qu’elle renverse les présupposés sexués de la relation vassalique, la salamandre se donne donc à lire dans le déplacement de ses présupposés signalétiques. À la fixation de l’ordre symbolique, dont le décodage stéréotypé renvoie au signe en tant que signe, le poète préfère ici la vivacité allégorique, en « raviv[ant] donc la dimension temporelle que le symbole visait à éluder » [15]. Contre la plénitude du lieu commun mis en place par la reproduction symbolique, la figuration allégorique se constitue dans le détournement des codes intertextuels auxquels le poème renvoie, pour engendrer un mouvement qui arrache l’image à sa supposée transparence. C’est pourquoi son inscription, dans le texte de Bertrand, engendre une historicité qui oblige le poème de déborder le sens initial des figures du grillon et de la salamandre. Et en cela au moins, la mémoire symbolique de « La Salamandre » reste vive et organique alors que son sens se déplace depuis des sèmes qui refusent d’emblée les codes institués.

*

De tous les lieux communs contenus dans Gaspard de la Nuit, deux semblent plus déterminants : « d’une part le topos du manuscrit trouvé dont le narrateur ne serait que l’éditeur […] ; d’autre part le topos de la rencontre d’un interlocuteur mystérieux, souvent voyageur, qui alimente une bonne part des récits fantastiques » [16].

Historiquement, le manuscrit trouvé est un thème presque essentiellement romanesque. Aurélie Loiseleur remarque par ailleurs que la poésie romantique a peu ou prou eu recours à ce topos.

Autant, au début du XIXe siècle, le topos du manuscrit trouvé permet de renouveler les protocoles d’écriture et de lecture dans la prose narrative, autant il est très peu exploité dans les grands recueils de poésie des premiers romantiques. Considérant cette différence de traitement, Lieven d’Hulst propose de l’affecter « aux statuts génériques opposés de la poésie et de la prose : tout au long de l’âge classique, la poésie solidement établie au cœur des belles-lettres a pu se passer des stratégies de légitimation qui accompagnaient la lente constitution de la prose romanesque en un genre littéraire doté de structures stables, et aptes à le distinguer assez des autres genres ». Il remarque que ce topos, en poésie, concerne un petit nombre de textes « exopoétiques », et surtout, parmi eux, ceux qui relèvent de la pseudo-traduction, laquelle ouvre la poésie à une altérité générique [17].

S’il y aurait certainement beaucoup à dire sur le lien entre ce topos et l’altérité générique de Gaspard de la Nuit [18], sa nouveauté semble d’abord devoir être pensée en regard du second topos évoqué par Jacques Bony. Car le personnage « mystérieux » rencontré dans Gaspard de la Nuit est aussi un poète miséreux, autre lieu commun propre à l’époque de Bertrand.

Poète indigent « dont l’extérieur n’annonçait que misères et souffrances » (GN, 43), Gaspard porte une redingote râpée, un feutre déformé et une chevelure hirsute qui sont autant de signes ostentatoires de cette conception romantique selon laquelle la création procède de la souffrance [19]. Henri Scepi a montré que ce portrait « semble procéder d’une physiologie de l’artiste bohème ; la caractérisation s’accuse dans le sens de la caricature [où] l’outrance du trait va de pair avec un commentaire explicatif, qu’elle légitime et commande » [20]. Les traits caricaturaux qui servent à l’identifier le transforment en un lieu commun à la fois idéal et idéel de l’artiste souffreteux. Plus encore, sa toux annonce une phtisie presque biographique.

Les contemporains de Bertrand n’ont d’ailleurs pas manqué de dépeindre l’écrivain sous le même jour que son personnage. Depuis Paul de Molènes, qui le compare au prototype du poète ignoré de Chatterton, à Émile Deschamps qui souligne que le poète « est mort après mille vicissitudes », la critique ne cesse de convoquer les thèmes de la misère et de l’oubli pour parler de lui et de son recueil [21]. Par-delà le lieu commun d’époque, l’intérêt de cette exacerbation constante de la misère réside dans ce qu’elle mène finalement à une forme d’anonymat. Car si Gaspard est un « inconnu » [22], Bertrand ne serait quant à lui rien d’autre que la figuration différée de Gilbert. Son existence ne semble envisageable qu’en regard d’un mythe particulier qui fait office de lieu commun du romantisme. Ce topos a très justement pour effet de rayer la personnalité propre de Bertrand et de le transformer en avatar anonyme, soit en allégorie du Poète.

Le topos du nom propre

Certes, c’est bel et bien son vrai prénom que Louis Bertrand utilise pour signer originellement son recueil : dans sa liste des publications sous presse, en 1833, Eugène Renduel annonce la parution prochaine de « Louis BERTRAND, Caspard de la Nuit, 1 vol. in-8 ». Mais pendant toutes les années où il compose son recueil et publie des textes en périodiques, Louis Bertrand a résolument joué avec les possibilités sémantiques et signalétiques du Nom. Ses textes sont parfois signés de ses seules initiales (L.B., L.-B, JLB, même JL Bertrand). Suivant la mode romantique, il a utilisé des pseudonymes de forme médiévale : Ludovic, dès 1833, et Jacques Aloysius, en 1838 [23]. Plus encore, c’est un « Jacques-Ludovic Bertrand » qui figure au registre du 15 mai 1839 de l’hôpital Saint-Antoine et un « Jacob Louis Napoléon Bertrand » à celui du 11 mars 1841 de l’hôpital Necker. L’opération pseudonymique qu’il poursuit s’étend aussi à l’œuvre alors qu’un projet de couverture identifie « Gaspard de la Nuit » comme auteur des Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot [24]. Ce qui désigne donc aujourd’hui pour nous l’auteur fictif du recueil (celui dont le narrateur de la première partie dit qu’il peut aller rôtir en enfer) a pendant un temps désigné la personne même du véritable auteur… Entre les Louis, Ludovic, Aloysius ou Gaspard, Bertrand peut donc signer sans être vu, puisque son nom renvoie toujours déjà ailleurs que vers lui-même.

Conclure avec Sainte-Beuve qu’il s’agit là d’une manière de « se poétiser » [25] n’est cependant pas suffisant. Si Bertrand a mené une « vie romantique » [26] et que toute interprétation biographique de son œuvre consistera à chercher dans les moindres signes un reflet de cette romantisation, il est plus juste de conclure que

Bertrand dépense beaucoup d’énergie et de poésie à se construire une identité, à tel point que cela en devient un thème et une caractéristique majeure de son livre ; non par un moderne souci d’autoréférence ou de spécularité, mais par une volonté de trouver sa place et son rôle dans la société [27].

Et si tant est qu’un pseudonyme constitue une forme particulière de la signature, il convient donc d’interroger ce choix de la part de Bertrand qui consiste à constamment référer à lui-même comme d’un autre, montrant bien que son usage des noms est vif et organique. Comme le précise Béatrice Fraenkel, « le signe signature est de nature hybride : il est tout à la fois signe d’identité et signe de validation ; il réfère à l’individu, comme le nom propre mais de surcroît, en l’apposant, l’individu réalise un acte de langage bien particulier, celui de signer » [28]. Et il semble bien que l’acte de langage produit par la signature bertrandienne constitue un geste cliché qu’il faut lier au topos du manuscrit trouvé pour en comprendre pleinement les implications [29].

Tel qu’on le trouve dans le genre romanesque, ce topos a pour effet de renvoyer le genre dans la sphère discursive large du témoignage. Le manuscrit trouvé fonde en effet un art qui ne manque pas de signaler le caractère exemplaire de ce qui se donne à lire : « Oui, monsieur, je publierai le manuscrit que vous me renvoyez […] mais je le publierai comme une histoire assez vraie de la misère du cœur humain. […] Les circonstances sont bien peu de chose, le caractère est tout » [30], écrit l’éditeur d’Adolphe [31]. Ce faisant, le topos du manuscrit trouvé fonde une autre spécificité, soit celle de l’universalité de son héros, lequel devient une figure prototypée, sorte d’avatar du paroxysme.

Mais le héros du manuscrit trouvé de Gaspard de la Nuit est un poète, et plus encore un poète romantique, lequel est généralement tout sauf un anonyme. Le moment esthétique du romantisme a vu la montée du lyrisme et de l’expression poétique personnelle. Et, « en disant “Je”, le poète retrouve la littérature, ces représentations ; il se découvre comme une limite du monde et des représentations du monde » [32]. Du moment où il dit « Je », le poète se désigne à partir de son Nom, lequel reste l’indice le plus sûr de ce « Je ». En témoigne notamment l’invention concomitante de la figure du Mage qui est, par nature, un être ostentatoire dont la posture est précisément celle de l’individuation. Comme l’écrit Bénichou, « ils [Lamartine, Vigny, Hugo] ne voulurent se distinguer de la foule qu’autant que leur position impliquait à leurs yeux une tâche et une responsabilité particulières » [33]. Seule sa visibilité permettra au Mage de remplir pleinement la « fonction » lui incombant. Le signe servant à le désigner doit conséquemment référer directement à lui. Sa signature sera donc toujours son Nom, en propre. Le Mage ne peut pas se permettre un recours au pseudonyme dans la mesure où le procès sémiotique du pseudonyme ne permet jamais d’assurer l’identité de la personne qu’il désigne [34]. C’est ainsi que Bertrand semble refuser le « Je » romantique et s’en jouer de plus d’une manière. Le recours au pseudonyme [35] signale un travail de déplacement de sa part.

Dans la mesure où elle se construit donc à partir de topoï précis (le manuscrit retrouvé, la figure du poète miséreux) ou contre eux (l’exacerbation lyrique, le Mage), la stratégie pseudonymique de Bertrand fonctionne comme un cliché qui relance le texte dans la perspective plus vaste de son inscription socio-historique. « L’expression automatisée qui reconduit le discours social et la doxa est aussi à l’origine d’un travail textuel qui permet de remettre en question les certitudes de l’idéologie dominante » [36], écrit Ruth Amossy. Il n’est donc guère étonnant que le poète réactive la figure médiévale de Maçon. Comme le montre Nicolas Wanlin, cette figure agit, dans Gaspard de la Nuit, comme une « représentation du poète » [37] dans laquelle Bertrand semble se reconnaître pleinement. L’intérêt de cette figure n’est-il pas justement que le maçon construit tout autant qu’il restaure ? « À l’instar du maçon, le poète peut aussi bien être créateur que continuateur ou encore restaurateur » [38], poursuit Wanlin. Figure anonyme, le maçon fonctionne comme un autoportrait où Bertrand s’autorise d’un relais entre passé et futur via le présent de sa création.

En cela au moins, on peut faire l’hypothèse que les pseudonymes bertrandiens témoignent d’une propension de l’écrivain à se penser anonymement au sein de la foule. Dès lors qu’on accepte la possibilité que Gaspard de la Nuit n’est pas qu’un livre d’art, et que sa portée est tout aussi éthique qu’axiologique [39], voire même qu’il débouche sur une forme de critique sociale [40], on admettra la possibilité que le pseudonyme signale un anonymat qui atteindrait le statut solidaire de la locution dialogique. De fait, le dialogisme « implique une certaine conception de l’homme que l’on pourrait définir comme une anthropologie de l’altérité, c’est-à-dire que l’autre y joue un rôle essentiel dans la constitution du moi » [41] ; il oppose un refus net à la transcendance des voix uniques et individuées.

En tant qu’il est une voix sans corps spécifiquement désigné, le pseudonyme n’est donc qu’un nom parmi les autres. Sa voix n’est ainsi pas plus importante ou productive que celle des autres. Là réside sa solidarité. Choisir de se donner un nom pseudonymique équivaudrait, chez Bertrand, à placer sa voix au niveau de celle des autres, c’est-à-dire à la replacer dans la rumeur perpétuelle de son époque. Dans Gaspard de la Nuit, le lieu commun romantique du héros individué deviendrait donc, par la négation du Nom, le cliché d’une participation active à la démocratie populaire.

Redéfinir le littéraire et ses formes

Cette abrogation du Nom ne surprend aucunement quand on considère la pratique épigraphique particulière de Bertrand, laquelle semble implicitement poser la question d’une redéfinition esthétique – et nominale – de la littérature. Les plus grands – à tout le moins, les plus en vogues – s’y trouvent présentés : Nodier, Scott, Hugo, Gautier, Lamartine ou Chateaubriand sont tour à tour convoqués dans un jeu de déterminations signalétiques qui a pour effet de renvoyer aux œuvres marquantes du romantisme. Dans certains livres, comme « Espagne et Italie » où Lope de Vega et Calderon sont épigraphés, Bertrand renvoie à des classiques qui lui permettent d’en confirmer le réseau thématique. La parole épigraphique de Gaspard de la Nuit s’étend aussi au philosophe et historien Jean Bodin, à l’alchimiste normand Pierre Vicot et à l’apothicaire Nostradamus, qui présentent un XVIe siècle associé à la « science » plutôt qu’à la « littérature » [42]. Quand elles sont littéraires (au sens strict et moderne du terme), les épigraphes ne renvoient pas qu’aux auteurs consacrés : Charles Brugnot est par exemple épigraphé dans deux poèmes, soit « À M. Victor Hugo » et « Ondine ».

Les épigraphes de Gaspard de la Nuit installent donc un réseau particulier du Nom qui a pour effet d’ouvrir le signe usuel du nom d’auteur. Bertrand ne cite toutefois pas que des auteurs dans ses épigraphes, où il fait notamment apparaître des titres d’ouvrages, littéraires (Pantagruel) ou non (Vies des Pères du désert), réels (Woodstock) mais aussi vraisemblablement inventés (Le Jardin des fleurs rares et curieuses). Dans d’autres poèmes, les épigraphes font appel à des genres marginaux, voire illégitimes, sur le plan littéraire : ainsi de la romance espagnole du « Bel Alcade », de la chanson populaire de « La Viole de Gamba » ou de la vieille chanson dans « Les Deux Juifs » et « La Messe de minuit ». Bertrand va même jusqu’à inscrire un proverbe populaire en épigraphe à « La Sérénade » et à « Padre Pugnaccio ».

Une telle abondance d’épigraphes renvoie bel et bien à un lieu commun de l’époque. « Les premières décennies du XIXe siècle semblent en effet avoir été marquées par une véritable prolifération de citations » [43]. Tout autant qu’elle renvoie donc à « une volonté de s’inscrire dans le courant romantique » [44], l’épigraphe marque aussi une généralisation au sein des textes qui, constamment, semblent en user comme d’une marque de reconnaissance ou de caution, de « camaraderie littéraire » [45] ou de filiation.

Mais si tant est que l’épigraphe renvoie généralement au concept de Littérature, entendu comme l’ensemble des textes esthétiques préjugés déterminants pour celui qui les cite, et qu’elle marque donc une forme de garantie, il n’en est peut-être rien pour Bertrand. Les épigraphes de Gaspard de la Nuit donnent à lire une pléthore de noms et de textes qui relèvent d’une conception esthétique élargie où la littérature semble entendue comme une parole parmi les autres alors que le nom des uns y chevauche l’anonymat des autres. La marque la plus probante de ces épigraphes semble plutôt celle d’un dialogue égalitaire, solidaire de l’ouverture sémantique des instances énonciatives qu’elles mettent en place. Car, du fait même de leur nombre et de leur diversité, les épigraphes installent une polyphonie qui a pour effet d’aplanir toute velléité d’autorité quant à la marque du littéraire que l’épigraphe donne généralement à lire. De la même manière qu’il tend à s’effacer derrière un pseudonyme, Bertrand amenuise l’autorité éventuelle des voix qu’il convoque dans le croisement auquel il les soumet. Chaque voix en vaut une autre en ce qu’elle permet d’abord et avant tout d’initier un contact avec le poème qu’elle inaugure. La chanson populaire a ici tout autant à dire au lecteur que les vers de Hugo. Ce sont en somme les mots plutôt que les Noms (ou les titres) qui ont préséance dans la constitution sémantique du recueil. Pour le dire autrement : l’abondance et la diversité des épigraphes dans Gaspard de la Nuit indiquent que chaque mot en vaut bien un autre, peu importe sa provenance.

En reposant sur ce lieu commun de l’usage épigraphique, le recueil nous place face à un idéal : celui d’une parole défaite des hiérarchies instituées, proprement démocratique en ce qu’elle favoriserait l’expression de postures individuelles au sein d’un discours pourtant commun, c’est-à-dire qu’elle préfigure esthétiquement la possibilité de ce que Negri appelle une « coopération non des individus mais des singularités, exploitation de l’ensemble des singularités, des réseaux qui composent l’ensemble et de l’ensemble qui comprend les réseaux, etc. » [46]. La voix des épigraphes ne renvoie plus tant à une intériorité ou à une persona précises qu’à la possibilité même de la prise de la parole dans le contexte nouveau de l’invention esthétique de la démocratie révolutionnaire d’un romantisme désormais marqué par l’altérité concomitante d’une parole toujours déjà donnée dans le réseau pluriel et solidaire où elle s’inscrit.

*

Selon Filip Kekus, la fantaisie bertrandienne « débouche sur une forme de dissidence vis-à-vis des codes en vigueur, esthétiques, mais aussi éthiques, philosophiques, psychiques ou encore socio-politiques » [47]. Il en va de même des nombreux symboles et lieux communs inscrits dans le recueil. Chaque fois, le topos bertrandien semble impliquer sa portée politique en restituant le sens de son cliché au sein d’une parole partagée où se dissout toute forme d’autorité. Défaire le sens figé des symboles équivaut ici à relancer le sens de la parole dans une forme d’anonymat. Telle est notamment l’originalité du cliché chez Bertrand : dans la relance d’un art qui se fonde sur la possibilité d’une expression commune. La redéfinition esthétique permise par le cliché semble avoir valeur sociale chez Bertrand. Il n’est à cet égard pas étonnant que le recueil soit fait de proses.

Écrire en prose, c’est donc peut-être d’abord écrire dans un langage révolutionnaire, parce que partagé par tous. L’écriture en prose déplace un lieu commun en esthétisant une parole présumée plate et sans intérêt pour se positionner contre la poésie. Le cliché n’est-il pas après tout une « image négative » [48], un renversement ?

Écrire en prose c’est aussi bien sûr écrire contre la poésie, et peut-être plus précisément contre la poésie médiévale qui imprègne alors l’imaginaire romantique. L’écrivain anonyme qui utilise la prose renvoie, par le fantasme de la disparition du Nom qu’il met en scène, au concept médiéval du scripteur, forme alors anonyme de l’écrivain. Ce faisant, sa prose fait paradoxalement écho aux vers du troubadour. La prose, on le sait, constitue la seule forme langagière de ceux qui n’ont pas accès à l’écriture. La prose est reproduction de la parole, de l’oralité. Or le troubadour utilise pourtant le vers et les méthodes mnémotechniques appropriées pour dire ses textes. L’oralité que la prose commande renverse ici l’ordre institué de la poésie orale dans la volonté anonyme d’un dire dont la relance proprement romantique l’arrache à l’imaginaire médiéval dont il est pourtant issu.

Bertrand a su rendre fécondes les formules toutes faites : les symboles usés, les lieux communs du passé deviennent chez lui autant d’instruments de la mise à nu de son projet esthétique. En fondant sa poétique sur un double recours temporel – celui d’un mouvement vers le passé (l’historicité du lieu commun) ; celui d’un mouvement vers le futur (la réactivation du sens du cliché) –, Bertrand instaure une représentation cyclique (et moderne) du devenir littéraire au XIXe siècle alors que son usage du cliché constitue un geste littéraire inédit dont la portée éthique montre l’accord profond de son recueil avec le moment historique et politique où il s’inscrit.


1

Jonathan Culler, « Poésie et cliché chez Baudelaire », in Le Cliché, G. Mathis (dir.), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998, p. 205-206.

2

Jean Richer, « Introduction », in Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, Paris, Flammarion, 1972, p. 5 et 12.

3

Le Nouveau Petit Robert I, J. Rey-Debove et A. Rey (dir.), Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, p. 454.

4

Toutes les citations des poèmes de Gaspard de la Nuit sont tirées de l’édition suivante : Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, édition établie et annotée par J.-L. Steinmetz, Paris, Librairie générale française, 2002. Pour des raisons de lisibilité, elles sont simplement suivies de GN et du folio, entre parenthèses dans le corps du texte.

5

« Puisque Dieu et l’amour étaient la première condition de l’art, ce qui dans l’art est sentiment, – Satan pourrait bien être la seconde de ces conditions, ce qui dans l’art est idée » (GN, 54).

6

Aurélie Loiseleur, « Gaspard de la Nuit, personnage de poésie », in Lectures de Gaspard de la Nuit, S. Murphy (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 84.

7

Sur cette question, voir l’article très stimulant de Sandrine Bédouret-Larraburu dans le présent numéro de Questions de style.

8

Sur la référence picturale, je renvoie au livre important de Nicolas Wanlin (Aloysius Bertrand et le sens du pittoresque, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010) qui démontre avec acuité que la référence picturale est axiologique et éthique.

9

Melaine Folliard, « “La vague aurore du clair-obscur”. Le XVIIe siècle d’Aloysius Bertrand », in Lectures de Gaspard de la Nuit, p. 117.

10

S’appuyant sur une épigraphe rayée du manuscrit, qui renvoie à un texte de Nerval paru en 1832, Helen Hart Poggenburg évoque la possibilité que le poème ait été composé après la représentation du drame hugolien à la Porte Saint-Martin (voir Aloysius Bertrand, Œuvres complètes, H. Hart Poggenburg (éd.), Paris, Champion, 2000, p. 310).

11

Sur cette question de la mémoire vive du XVIIe siècle chez Bertrand, voir Melaine Folliard, « “La vague aurore du clair-obscur”. Le XVIIe siècle… ».

12

Stendhal, Racine et Shakespeare. Études sur le romantisme, chronologie et introduction par R. Fayolle, Paris, Flammarion, 1970, p. 54. Stendhal souligne.

13

Sur cette question, voir notamment Jacques-Rémi Dahan, « Ondine, ou la tentation luciférienne », in « Un livre d’art fantasque et vagabond ». Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand, A. Guyaux (dir.), Paris, Éditions Classiques Garnier, 2010, p. 165.

14

Saint Augustin, La Cité de Dieu, in Œuvres, texte de la 4e édition de B. Dombart et A. Kalb, introduction et notes par G. Bardy, traduction française de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer, t. XXI, 1960, p. 371.

15

Patrick Labarthe, Baudelaire et la tradition de l’allégorie, Genève, Droz, 1999, p. 60. Le symbole se définit en effet comme « un geste ou un objet auxquels la tradition culturelle attribue un sens particulier dans le sens d’une isotopie plus générale » (Bernard Dupriez, Gradus, Paris, 10/18, 1984, p. 438). Son ordre discursif est celui de sa construction lexicale. De ce point de vue, le symbole apparaît comme une forme rhétorique sclérosée. L’allégorie, quant à elle, place hors du temps le symbole qu’elle utilise pour se constituer ; elle renvoie à autre chose qu’à son seul signe.

16

Jacques Bony, « Présentation », in Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, J. Bony (éd.), Paris, Flammarion, 2005, p. 39-40.

17

Aurélie Loiseleur, « Gaspard de la Nuit, personnage de poésie », p. 72-73. Elle cite un article de Lieven d’Hulst : « De l’usage d’un topos en poésie : le manuscrit posthume de Joseph Delorme », in Le Topos du manuscrit trouvé, J. Herman et F. Hallyn (dir.), Louvain, Peeters, 1999, p. 363-373.

18

Notamment en regard de la question de la fantaisie. « Naturellement affiliée à l’imagination, [la fantaisie] l’est tout autant à l’imaginaire, et plus largement à tous les phénomènes alternatifs du psychisme » écrit Filip Kekus (« Gaspard de la Nuit et la fantaisie romantique », in « Un livre d’art fantasque et vagabond »…, p. 49). Kekus poursuit : « Sœur du caprice, elle est du côté de la spontanéité capricieuse et des sautes d’humeur. Elle peut qualifier tout ce qui relève de l’affection passagère, de l’irrégulier, du bigarré, du divers ou de l’éphémère » (ibid.). En ce sens au moins, le topos du manuscrit trouvé peut apparaître comme un usage capricieux, irrégulier, qui soutient la forme même du recueil de fantaisies en lui offrant une porte d’entrée particulière.

19

Sur ces enjeux socio-historiques, voir Pascal Brissette, La Malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2005.

20

Henri Scepi, « Art et illusion. Le problème du visible dans Gaspard de la Nuit », in « Un livre d’art fantasque et vagabond »…, p. 60.

21

L’ouvrage collectif dirigé par André Guyaux offre une compilation établie par Aurélia Cervoni, de la fortune critique de Gaspard de la Nuit entre 1843 et 1869. Voir « Un livre d’art fantasque et vagabond »…, p. 277-409. Le frère du poète accréditera cette thèse du génie souffrant et miséreux dans une lettre datée du 15 avril 1886 adressée à Henri Chabeuf : « c’est dans une misérable mansarde de la rue Crébillon, que Louis Bertrand, ses études terminées, déjà tourmenté par la muse, passait ses journées […]. Nerveux à l’excès, doué d’une imagination ardente, d’un caractère bizarre et inégal, […] d’une sensibilité excessive, il ne pouvait supporter la contradiction » (voir Aloysius Bertrand, Œuvres complètes, p. 1002-1003).

22

« Il est manifeste en effet que le portrait de l’inconnu relève de l’art de la vignette » (Henri Scepi, « Art et illusion. Le problème du visible… », p. 60).

23

Ce prénom est celui qui figure sur le registre de l’hôpital Notre-Dame de la Pitié du 18 septembre 1838. Sainte-Beuve retiendra ce prénom, qu’il écrira plutôt « Aloïsius » dans sa préface à la première édition.

24

Aloysius Bertrand, Œuvres complètes, p. 581.

25

« Notice de Sainte-Beuve pour l’édition originale », in Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot (édition J. Bony), p. 348.

26

Selon le titre de l’étude biographique de Cargill Sprietsma : Louis Bertrand dit Aloysius Bertrand (1807‑1841). Une vie romantique. Étude biographique d’après des documents inédits, Paris, Champion, 1926.

27

Nicolas Wanlin, « Portraits du poète en artiste, en bibliophile et en maçon », in Lectures de Gaspard de la Nuit, p. 79.

28

Béatrice Fraenkel, « Faire avec son propre nom : le cas de la signature », in Nom propre et nomination, M. Noailly (dir.), Paris, Klincksieck, 1995, p. 355.

29

On ne saurait voir dans cet acte de langage une stratégie faisant écho à la timidité – presque maladive – de l’individu, et dont ont fait état Sainte-Beuve et David d’Angers ? L’hypothèse reste incomplète dans la mesure où Bertrand aura quand même fait le choix ultime d’inscrire son nom en propre sur le manuscrit qu’il a déposé chez Renduel.

30

Benjamin Constant, Adolphe, Paris, Garnier Frères (Classiques Garnier), 1968, p. 149-150.

31

Depuis Don Quichotte au moins, la véracité attribuée au manuscrit trouvé fonde la moralité du dire du texte.

32

Jean Bessières, La Littérature et sa rhétorique, Paris, PUF, 1999, p. 11.

33

Paul Bénichou, Les Mages romantiques, Paris, Gallimard, 1988, p. 534. Malgré la réserve de l’historien (qu’autant que…), il apparaît clair que la posture du Mage est précisément celle de l’individuation.

34

Un pseudonyme dont la description définie serait identique à celle du Nom propre d’un individu est absolument inutile.

35

Un pseudonyme est une forme nominale qui permet à celui qui l’utilise de garder l’anonymat pour nombre de raisons, politiques ou sociales, allant de la volonté de ne pas s’afficher jusqu’à la tromperie volontaire. Tout autant qu’il peut aussi référer à un ensemble, un faisceau, de descriptions possibles de la personne qu’il désigne, le pseudonyme comporte ceci de particulier que son ensemble de descriptions ne recoupe jamais totalement celui du nom réel de la personne. C’est pourquoi il ne peut jamais s’y substituer totalement et n’en constitue qu’une forme descriptive, une description définie au sens où l’entend Kripke quand il précise que « ce qu’en réalité nous associons au nom, c’est une famille de descriptions. […] Le référent d’un nom est déterminé non par une description unique mais par un faisceau ou une famille de descriptions » (Saul Kripke, La Logique des noms propres, Paris, Éditions de Minuit, 1982, p. 19 ; Kripke souligne).

36

Ruth Amossy, « Du cliché et du stéréotype. Bilan provisoire ou anatomie d’un parcours », in Le Cliché, p. 23.

37

Nicolas Wanlin, « Portraits du poète en artiste, en bibliophile… », p. 90.

38

Ibid.

39

Sur ces questions, voir Nicolas Wanlin, Aloysius Bertrand et le sens du pittoresque.

40

Filip Kekus, dans « Gaspard de la Nuit et la fantaisie… », et Nathalie Vincent-Munnia (« Gaspard de la Nuit : galvaniser le réel, envisager l’art comme fantaisie(s) », in Gaspard de la Nuit. Le Grand Œuvre d’un petit romantique, N. Wanlin (dir.), Paris, Presses universitaires de Paris Sorbonne, 2010, p. 155-171) défendent une position similaire.

41

Laurent Jenny, « Dialogisme et polyphonie », ©2003. Texte électronique disponible à la page suivante : http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/dialogisme/dp110000.html. Jenny souligne.

42

Encore que ces termes ne sont pas étanches au XVIe siècle. Aussi, il faut entendre « science » en son sens le plus large possible de « connaissance ».

43

Rainier Grutman, « L’épigraphe romantique : un procédé et ses paradoxes », Les Cahiers du XIXe siècle, 2, 2007, p. 51.

44

Véronique Dufiez-Sanchez, « Le motif du livre et la “science du poète” dans Gaspard de la Nuit », in Aloysius Bertrand, Dijon, L’Échelle de Jacob (La Toison d’or ; 3), 2003, p. 81.

45

Jacques Bony, « Présentation », p. 43.

46

Toni Negri, « Pour une définition ontologique de la multitude », Multitudes, 9, 2002, p. 37. Negri souligne.

47

Filip Kekus, « Gaspard de la nuit et la fantaisie… », p. 62.

48

Paul Robert, Le Grand Robert de la langue française, A. Rey (dir.), Paris, Le Robert, 1985, p. 206.