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Le cliché comme
économie politique de la nouveauté
Luc Bonenfant
Université du
Québec à Montréal
bonenfant.luc@uqam.ca
Résumé : Les clichés sont si
nombreux, dans Gaspard de la Nuit, qu’il serait tentant
de réduire le recueil à un « exercice sur la Préface de
Cromwell ! » (Jean Richer). Et pourtant, le cliché bertrandien
n’est pas qu’un lieu commun : il permet de renouveler le sens
esthétique dans la perspective de sa dimension politique. En effet,
l’actualisation du passé et de ses symboles alimente le sens éthique
du recueil par la rénovation concurrente qui se trouve effectuée de la
figure du poète, désormais pensée depuis un anonymat qui lui confère
un statut dialogique plein.
Abstract : Gaspard de la
Nuit contains so many stereotypes that it seems that it can be
narrowed down to a "mere exercise on Préface de
Cromwell". Yet, Bertrand’s use of stereotype cannot be reduced
to that of simple commonplaces: stereotypes, in Gaspard,
allow for an aesthetical renewal that is readable from a political
standpoint. Indeed, the past and its symbols are actualized so that
they feed in the ethical dimension of the book while simultaneously
renewing the figure of the poet, now understood from an anonymous
standpoint which confers it a full dialogical status.
Alors, qu’un
bibliophile s’avise d’exhumer cette œuvre moisie et vermoulue, il y
lira à la première page ton nom illustre qui n’aura point sauvé le
mien de l’oubli. Aloysius Bertrand, « À M. Victor Hugo »,
Gaspard de la Nuit.
Les clichés
(parfois ironiques comme celui de l’épigraphe ci-dessus) semblent
nombreux dans Gaspard de la Nuit et, en cela au moins, le
recueil de Bertrand apparaît comme un hapax tant « la poésie serait,
depuis le XIXe siècle,
l’anticliché par excellence, l’expression originale, insolite, la
trouvaille géniale qui, en s’écartant du commun, renouvellerait la
perception » [1]. Depuis le thème de l’œuvre inspirée et écrite par
le Diable jusqu’au déploiement des figures caricaturales tirées de la
Comédie-Italienne, en passant par les alliages entre le sublime et le
grotesque : se joue là un ensemble de références qui laissent entendre
qu’on aurait toutes les raisons de traquer le cliché pour en déduire
que Gaspard est « comme un exercice sur la Préface
de Cromwell ! […] Considéré dans son ensemble, [il] constitue,
comme un bréviaire, un abrégé du romantisme » [2]. Entendu en son sens usuel
d’« idée ou expression toute faite trop souvent utilisée » [3], le cliché se dissémine dans ce recueil,
cela dans une sorte de contamination dont l’omniprésence nous oblige à
en interroger le sens.
Et si le cliché
servait, dans Gaspard de la Nuit, à renouveler le sens de
la perception esthétique pour en diriger le sens politique ? Telle
est, ici, mon hypothèse, à savoir que les figures surgies du passé
– que ce passé soit historique ou symbolique – servent le lieu d’une
rénovation qui contribue à alimenter le sens éthique (et partant,
politique) du recueil. L’actualisation du passé et de ses symboles a
pour effet de poser le texte dans un présent allégorique dont la
figure centrale et essentielle serait celle d’un poète anonyme dont
l’acte de création se penserait dans l’acte dialogique qu’il met en
scène.
Récrire le
passé
Dans « À un
bibliophile » Bertrand demande : « Pourquoi restaurer les histoires
vermoulues et poudreuses du Moyen Âge, lorsque la chevalerie s’en
est allée pour toujours, accompagnée des concerts de ses ménestrels,
des enchantements de ses fées, et de la gloire de ses preux ? »
(GN, 161 [4]). En
apparence anodine, la question pose au moins doublement problème.
D’abord parce qu’elle renvoie à un imaginaire particulier et
précisément daté du Moyen Âge : le ménestrel, la fée et le preux
sont autant de personnages fantasmés qu’un certain XIXe siècle aura exacerbés au sein d’un
imaginaire chevaleresque où la bravoure pouvait notamment servir de
rempart aux excès d’un siècle autrement miné par la modernité alors
naissante. Le Moyen Âge dessiné par la strophe initiale de « À un
bibliophile » apparaît ainsi presque caricatural tant il est
conforme à l’imaginaire médiévalisant du premier romantisme.
Sauf que Bertrand
n’est pas dupe : quand il pose sa question, il interroge tout autant
la pertinence que le sens de la « restauration » d’un tel
imaginaire. L’utilisation du verbe « restaurer » n’est pas neutre
quand on considère que le poème se clôt précisément sur un mode
verbal qui marque une distinction. Car en écrivant « mes fabels
n’auraient pas même le sort de la complainte de
Geneviève de Brabant » (GN, 162), le poète pose la
condition de l’appropriation qu’il entend mener, soit celle d’un
Moyen Âge qui se distinguera de celui des ultras. La restauration
menée par Bertrand va plutôt dans le sens d’une disparition,
laquelle témoigne d’une propension à l’anonymat conforme à la figure
du maçon à laquelle on peut l’identifier. Avant d’aborder cette
question, sur laquelle je reviens plus loin, il importe de remarquer
que l’abondance de clichés agit comme un signe alors que sa quantité
signale précisément que l’imaginaire déployé dans le recueil
travaille dans un sens différent de celui de la simple reconduction
de lieux communs.
C’est ainsi que
l’opposition entre « art divin » et « art satanique » dessinée dans
la première préface du recueil [5] renvoie
à un complexe rhématique où
loin des
pétrifications, le Verbe du Diable a sa logique propre : en
perturbant l’énonciation, en lui donnant le prestige noir d’une
source satanique, Bertrand attente à la réalité d’un monde stable,
de même qu’il subvertit la codification métrique-lyrique dans le
creuset du poème en prose. À genre exploratoire, empirique et
anti-systémique, auteur insituable, instable et protéiforme [6].
La parole
diabolique possède une incidence esthétique qui ne relève plus de la
simple question de la damnation : entre le sentiment (Dieu) et
l’idée (Satan) se découvre une manière résolument nouvelle de dire
et d’écrire [7]. À la dichotomie traditionnelle, Bertrand
substitue la labilité des figures qu’il convoque. Il en va de même
du Vieux Dijon et du Vieux Paris, de Sainte-Bénigne et de Notre-Dame
de Dijon, ou encore de Callot et de Rembrandt, lesquels ne se
donnent ainsi jamais dans la transparence immédiate [8]. À cet égard,
Melaine Folliard écrit avec raison que « le passé est omniprésent
dans Gaspard de la Nuit. Objet de désir et de regret,
son exposition est paradoxale : s’il engage parfois un savoir
historique, il ressortit très souvent à l’expression d’une érudition
littéraire ou d’une matière mythique qui ne s’embarrasse guère de
faire coïncider la vraisemblance poétique et la véracité des
faits » [9].
Le passé convoqué
dans Gaspard de la Nuit n’est pas plus fixe que figé ;
son sens reste toujours à faire. Bertrand y dessine par exemple un
XVIIe siècle qui est
en définitive contemporain des romantiques. L’évocation de Marion de
Lorme dans « Le Raffiné » soustrait le poème au seul univers du
siècle de Racine pour l’arrimer au monde de 1830 [10].
Dès lors que l’action du poème de Bertrand semble se situer dans un
siècle révolu, elle se réactualise pourtant dans la survenance d’une
figure désormais romantique parce que vaudevillesque ou dramatique.
Rappelant à la fois une époque révolue et celle de la
première génération romantique, la figure de Marion de Lorme déplace
le passé que l’auteur fait surgir dans le kairos de son
inscription romantique.
Le recours au
passé, chez Bertrand, témoigne bel et bien d’un mouvement qui prend
la forme d’une « déterritorialisation » [11]. La restauration
des histoires vermoulues propose en quelque sorte une relance du
Signe en lui refusant l’opacité d’un passé qui ne serait autrement
saisissable que par l’« habitude profondément
enracinée » [12] d’une érudition autosuffisante. Le passé
bertrandien est en cela un passé composé d’images proprement
romantiques, parce qu’« actuelles » au sens où Stendhal entend le
terme dans son Racine et Shakespeare.
« Restaurer » le
cliché
De la même
manière, le cliché bertrandien récupère le passé vers lequel il se
tourne pour en agréger les éléments qui lui sont historiquement
constitutifs dans la présence du moment où il s’inscrit.
« La Salamandre »
reprend par exemple le mythe devenu topos de la réunion
des amants séparés et réunis dans la mort : la salamandre, qui
découvre l’agonie de son « beau », décide de se donner la mort : « –
“Il est mort ! Et puisqu’il est mort, je veux mourir !” – Les
branches de sarment étaient consumées, la flamme se traîna sur la
braise en jetant son adieu à la crémaillère, et la salamandre mourut
d’inanition » (GN, 138). Tout en convoquant un code
courtois qui date au moins de Tristan et Iseult, le
texte découvre le sens nouveau de son topos grâce à la
figure de la personnification.
Dans ce poème,
Bertrand convoque un symbole fort – le grillon comme emblème du
bien-être du foyer – auquel il adjoint une figure qui renvoie à un
postulat paradoxal, parce que alchimique et chrétien tout à la fois.
Il y active un sens allégorique qui déborde le sens symbolique
initial des figures convoquées. En effet, si dans la Théorie
élémentaire de Paracelse, la salamandre est l’esprit
élémentaire du feu dont l’apparence est celle d’une jeune femme,
elle est, chez Augustin, une figure servant à évoquer la damnation
éternelle. Bertrand, qui a eu accès aux idées de Paracelse [13], a aussi lu Augustin, dont il se rappelle peut-être
le passage suivant quand il compose son poème :
Quelle preuve
apporterai-je donc, pour convaincre les incrédules que des corps
humains animés et vivants peuvent non seulement échapper à la
destruction de la mort, mais encore subsister dans les tourments du
feu éternel ? Car ils refusent que nous le rapportions à la
puissance du Tout-Puissant et ils nous demandent de les persuader
par quelque exemple. Leur répondrons-nous qu’il y a des animaux
corruptibles, certes, puisque mortels, qui vivent cependant au sein
des flammes [14] ?
La salamandre de
Bertrand fait résonner une économie particulière et paradoxale de sa
figuration en s’inscrivant dans une série d’échos qui sont à la fois
chrétiens et impies. Déjà figure déterminante parce qu’elle renverse
les présupposés sexués de la relation vassalique, la salamandre se
donne donc à lire dans le déplacement de ses présupposés
signalétiques. À la fixation de l’ordre symbolique, dont le décodage
stéréotypé renvoie au signe en tant que
signe, le poète préfère ici la vivacité allégorique, en
« raviv[ant] donc la dimension temporelle que le symbole visait à
éluder » [15]. Contre la plénitude du lieu
commun mis en place par la reproduction symbolique, la figuration
allégorique se constitue dans le détournement des codes
intertextuels auxquels le poème renvoie, pour engendrer un mouvement
qui arrache l’image à sa supposée transparence. C’est pourquoi son
inscription, dans le texte de Bertrand, engendre une historicité qui
oblige le poème de déborder le sens initial des figures du grillon
et de la salamandre. Et en cela au moins, la mémoire symbolique de
« La Salamandre » reste vive et organique alors que son sens se
déplace depuis des sèmes qui refusent d’emblée les codes
institués.
*
De tous les
lieux communs contenus dans Gaspard de la Nuit, deux
semblent plus déterminants : « d’une part le topos du
manuscrit trouvé dont le narrateur ne serait que l’éditeur […] ;
d’autre part le topos de la rencontre d’un
interlocuteur mystérieux, souvent voyageur, qui alimente une bonne
part des récits fantastiques » [16].
Historiquement,
le manuscrit trouvé est un thème presque essentiellement
romanesque. Aurélie Loiseleur remarque par ailleurs que la poésie
romantique a peu ou prou eu recours à ce topos.
Autant, au
début du XIXe siècle, le topos du
manuscrit trouvé permet de renouveler les protocoles d’écriture et
de lecture dans la prose narrative, autant il est très peu
exploité dans les grands recueils de poésie des premiers
romantiques. Considérant cette différence de traitement, Lieven
d’Hulst propose de l’affecter « aux statuts génériques opposés de
la poésie et de la prose : tout au long de l’âge classique, la
poésie solidement établie au cœur des belles-lettres a pu se
passer des stratégies de légitimation qui accompagnaient la lente
constitution de la prose romanesque en un genre littéraire doté de
structures stables, et aptes à le distinguer assez des autres
genres ». Il remarque que ce topos, en poésie,
concerne un petit nombre de textes « exopoétiques », et surtout,
parmi eux, ceux qui relèvent de la pseudo-traduction, laquelle
ouvre la poésie à une altérité générique [17].
S’il y aurait
certainement beaucoup à dire sur le lien entre ce topos
et l’altérité générique de Gaspard de la
Nuit [18], sa nouveauté semble d’abord devoir être
pensée en regard du second topos évoqué par Jacques
Bony. Car le personnage « mystérieux » rencontré dans
Gaspard de la Nuit est aussi un poète miséreux, autre
lieu commun propre à l’époque de Bertrand.
Poète indigent
« dont l’extérieur n’annonçait que misères et souffrances »
(GN, 43), Gaspard porte une redingote râpée, un
feutre déformé et une chevelure hirsute qui sont autant de signes
ostentatoires de cette conception romantique selon laquelle la
création procède de la souffrance [19]. Henri Scepi a montré que ce portrait
« semble procéder d’une physiologie de l’artiste bohème ; la
caractérisation s’accuse dans le sens de la caricature [où]
l’outrance du trait va de pair avec un commentaire explicatif,
qu’elle légitime et commande » [20]. Les
traits caricaturaux qui servent à l’identifier le transforment en
un lieu commun à la fois idéal et idéel de l’artiste souffreteux.
Plus encore, sa toux annonce une phtisie presque biographique.
Les
contemporains de Bertrand n’ont d’ailleurs pas manqué de dépeindre
l’écrivain sous le même jour que son personnage. Depuis Paul de
Molènes, qui le compare au prototype du poète ignoré de
Chatterton, à Émile Deschamps qui souligne que le
poète « est mort après mille vicissitudes », la critique ne cesse
de convoquer les thèmes de la misère et de l’oubli pour parler de
lui et de son recueil [21]. Par-delà le lieu commun
d’époque, l’intérêt de cette exacerbation constante de la misère
réside dans ce qu’elle mène finalement à une forme d’anonymat. Car
si Gaspard est un « inconnu » [22], Bertrand ne
serait quant à lui rien d’autre que la figuration différée de
Gilbert. Son existence ne semble envisageable qu’en regard d’un
mythe particulier qui fait office de lieu commun du romantisme. Ce
topos a très justement pour effet de rayer la
personnalité propre de Bertrand et de le transformer en avatar
anonyme, soit en allégorie du Poète.
Le
topos du nom propre
Certes, c’est bel
et bien son vrai prénom que Louis Bertrand utilise pour signer
originellement son recueil : dans sa liste des publications sous
presse, en 1833, Eugène Renduel annonce la parution prochaine de
« Louis BERTRAND, Caspard de la
Nuit, 1 vol. in-8 ». Mais pendant toutes les années où il
compose son recueil et publie des textes en périodiques, Louis
Bertrand a résolument joué avec les possibilités sémantiques et
signalétiques du Nom. Ses textes sont parfois signés de ses seules
initiales (L.B., L.-B, JLB, même JL Bertrand). Suivant la mode
romantique, il a utilisé des pseudonymes de forme médiévale :
Ludovic, dès 1833, et Jacques Aloysius, en 1838 [23].
Plus encore, c’est un « Jacques-Ludovic Bertrand » qui figure au
registre du 15 mai 1839 de l’hôpital Saint-Antoine et un « Jacob
Louis Napoléon Bertrand » à celui du 11 mars 1841 de l’hôpital
Necker. L’opération pseudonymique qu’il poursuit s’étend aussi à
l’œuvre alors qu’un projet de couverture identifie « Gaspard de la
Nuit » comme auteur des Fantaisies à la manière
de Rembrandt et de Callot [24]. Ce qui désigne donc aujourd’hui
pour nous l’auteur fictif du recueil (celui dont le narrateur de la
première partie dit qu’il peut aller rôtir en enfer) a pendant un
temps désigné la personne même du véritable auteur… Entre les Louis,
Ludovic, Aloysius ou Gaspard, Bertrand peut donc signer sans être
vu, puisque son nom renvoie toujours déjà ailleurs que vers
lui-même.
Conclure avec
Sainte-Beuve qu’il s’agit là d’une manière de « se poétiser » [25] n’est cependant pas suffisant. Si
Bertrand a mené une « vie romantique » [26] et que toute
interprétation biographique de son œuvre consistera à chercher dans
les moindres signes un reflet de cette romantisation, il est plus
juste de conclure que
Bertrand dépense
beaucoup d’énergie et de poésie à se construire une identité, à tel
point que cela en devient un thème et une caractéristique majeure de
son livre ; non par un moderne souci d’autoréférence ou de
spécularité, mais par une volonté de trouver sa place et son rôle
dans la société [27].
Et si tant est
qu’un pseudonyme constitue une forme particulière de la signature,
il convient donc d’interroger ce choix de la part de Bertrand qui
consiste à constamment référer à lui-même comme d’un autre, montrant
bien que son usage des noms est vif et organique. Comme le précise
Béatrice Fraenkel, « le signe signature est de nature hybride : il
est tout à la fois signe d’identité et signe de validation ; il
réfère à l’individu, comme le nom propre mais de surcroît, en
l’apposant, l’individu réalise un acte de langage bien particulier,
celui de signer » [28]. Et il semble bien que l’acte de
langage produit par la signature bertrandienne constitue un geste
cliché qu’il faut lier au topos du manuscrit trouvé
pour en comprendre pleinement les implications [29].
Tel qu’on le
trouve dans le genre romanesque, ce topos a pour effet
de renvoyer le genre dans la sphère discursive large du témoignage.
Le manuscrit trouvé fonde en effet un art qui ne manque pas de
signaler le caractère exemplaire de ce qui se donne à lire : « Oui,
monsieur, je publierai le manuscrit que vous me renvoyez […] mais je
le publierai comme une histoire assez vraie de la misère du cœur
humain. […] Les circonstances sont bien peu de chose, le caractère
est tout » [30], écrit l’éditeur
d’Adolphe [31]. Ce faisant, le topos du manuscrit trouvé
fonde une autre spécificité, soit celle de l’universalité de son
héros, lequel devient une figure prototypée, sorte d’avatar du
paroxysme.
Mais le héros du
manuscrit trouvé de Gaspard de la Nuit est un poète, et
plus encore un poète romantique, lequel est généralement tout sauf
un anonyme. Le moment esthétique du romantisme a vu la montée du
lyrisme et de l’expression poétique personnelle. Et, « en disant
“Je”, le poète retrouve la littérature, ces représentations ; il se
découvre comme une limite du monde et des représentations du
monde » [32]. Du moment où il dit « Je », le poète se désigne à
partir de son Nom, lequel reste l’indice le plus sûr de ce « Je ».
En témoigne notamment l’invention concomitante de la figure du Mage
qui est, par nature, un être ostentatoire dont la posture est
précisément celle de l’individuation. Comme l’écrit Bénichou, « ils
[Lamartine, Vigny, Hugo] ne voulurent se distinguer de la foule
qu’autant que leur position impliquait à leurs yeux une tâche et une
responsabilité particulières » [33]. Seule sa
visibilité permettra au Mage de remplir pleinement la « fonction »
lui incombant. Le signe servant à le désigner doit conséquemment
référer directement à lui. Sa signature sera donc toujours son Nom,
en propre. Le Mage ne peut pas se permettre un recours au pseudonyme
dans la mesure où le procès sémiotique du pseudonyme ne permet
jamais d’assurer l’identité de la personne qu’il désigne [34]. C’est ainsi que Bertrand
semble refuser le « Je » romantique et s’en jouer de plus d’une
manière. Le recours au pseudonyme [35] signale un travail de déplacement de sa part.
Dans la mesure où
elle se construit donc à partir de topoï précis (le
manuscrit retrouvé, la figure du poète miséreux) ou contre eux
(l’exacerbation lyrique, le Mage), la stratégie pseudonymique de
Bertrand fonctionne comme un cliché qui relance le texte dans la
perspective plus vaste de son inscription socio-historique.
« L’expression automatisée qui reconduit le discours social et la
doxa est aussi à l’origine d’un travail textuel qui
permet de remettre en question les certitudes de l’idéologie
dominante » [36], écrit Ruth
Amossy. Il n’est donc guère étonnant que le poète réactive la figure
médiévale de Maçon. Comme le montre Nicolas Wanlin, cette figure
agit, dans Gaspard de la Nuit, comme une
« représentation du poète » [37] dans laquelle Bertrand semble se
reconnaître pleinement. L’intérêt de cette figure n’est-il pas
justement que le maçon construit tout autant qu’il restaure ? « À
l’instar du maçon, le poète peut aussi bien être créateur que
continuateur ou encore restaurateur » [38], poursuit Wanlin. Figure
anonyme, le maçon fonctionne comme un autoportrait où Bertrand
s’autorise d’un relais entre passé et futur via le présent de sa
création.
En cela au moins,
on peut faire l’hypothèse que les pseudonymes bertrandiens
témoignent d’une propension de l’écrivain à se penser anonymement au
sein de la foule. Dès lors qu’on accepte la possibilité que
Gaspard de la Nuit n’est pas qu’un livre d’art, et que
sa portée est tout aussi éthique qu’axiologique [39], voire même qu’il débouche sur une forme
de critique sociale [40], on
admettra la possibilité que le pseudonyme signale un anonymat qui
atteindrait le statut solidaire de la locution dialogique. De fait,
le dialogisme « implique une certaine conception de l’homme que l’on
pourrait définir comme une anthropologie de l’altérité,
c’est-à-dire que l’autre y joue un rôle essentiel dans la
constitution du moi » [41] ; il oppose un refus net à la transcendance
des voix uniques et individuées.
En tant qu’il est
une voix sans corps spécifiquement désigné, le pseudonyme n’est donc
qu’un nom parmi les autres. Sa voix n’est ainsi pas
plus importante ou productive que celle des autres. Là réside sa
solidarité. Choisir de se donner un nom pseudonymique équivaudrait,
chez Bertrand, à placer sa voix au niveau de celle des autres,
c’est-à-dire à la replacer dans la rumeur perpétuelle de son époque.
Dans Gaspard de la Nuit, le lieu commun romantique du
héros individué deviendrait donc, par la négation du Nom, le cliché
d’une participation active à la démocratie populaire.
Redéfinir le
littéraire et ses formes
Cette abrogation
du Nom ne surprend aucunement quand on considère la pratique
épigraphique particulière de Bertrand, laquelle semble implicitement
poser la question d’une redéfinition esthétique – et nominale – de
la littérature. Les plus grands – à tout le moins, les plus en
vogues – s’y trouvent présentés : Nodier, Scott, Hugo, Gautier,
Lamartine ou Chateaubriand sont tour à tour convoqués dans un jeu de
déterminations signalétiques qui a pour effet de renvoyer aux œuvres
marquantes du romantisme. Dans certains livres, comme « Espagne et
Italie » où Lope de Vega et Calderon sont épigraphés, Bertrand
renvoie à des classiques qui lui permettent d’en confirmer le réseau
thématique. La parole épigraphique de Gaspard de la Nuit
s’étend aussi au philosophe et historien Jean Bodin, à
l’alchimiste normand Pierre Vicot et à l’apothicaire Nostradamus,
qui présentent un XVIe siècle associé à la « science »
plutôt qu’à la « littérature » [42]. Quand elles sont littéraires (au sens
strict et moderne du terme), les épigraphes ne renvoient pas qu’aux
auteurs consacrés : Charles Brugnot est par exemple épigraphé dans
deux poèmes, soit « À M. Victor Hugo » et « Ondine ».
Les épigraphes de
Gaspard de la Nuit installent donc un réseau
particulier du Nom qui a pour effet d’ouvrir le signe usuel du nom
d’auteur. Bertrand ne cite toutefois pas que des auteurs dans ses
épigraphes, où il fait notamment apparaître des titres d’ouvrages,
littéraires (Pantagruel) ou non (Vies des Pères
du désert), réels (Woodstock) mais aussi
vraisemblablement inventés (Le Jardin des fleurs rares et
curieuses). Dans d’autres poèmes, les épigraphes font appel à
des genres marginaux, voire illégitimes, sur le plan littéraire :
ainsi de la romance espagnole du « Bel Alcade », de la
chanson populaire de « La Viole de Gamba » ou de la
vieille chanson dans « Les Deux Juifs » et « La Messe
de minuit ». Bertrand va même jusqu’à inscrire un proverbe
populaire en épigraphe à « La Sérénade » et à « Padre
Pugnaccio ».
Une telle
abondance d’épigraphes renvoie bel et bien à un lieu commun de
l’époque. « Les premières décennies du XIXe siècle semblent en effet avoir été
marquées par une véritable prolifération de citations » [43]. Tout autant qu’elle renvoie donc à « une
volonté de s’inscrire dans le courant romantique » [44], l’épigraphe
marque aussi une généralisation au sein des textes qui, constamment,
semblent en user comme d’une marque de reconnaissance ou de caution,
de « camaraderie littéraire » [45] ou de
filiation.
Mais si tant est
que l’épigraphe renvoie généralement au concept de Littérature,
entendu comme l’ensemble des textes esthétiques préjugés
déterminants pour celui qui les cite, et qu’elle marque donc une
forme de garantie, il n’en est peut-être rien pour Bertrand. Les
épigraphes de Gaspard de la Nuit donnent à lire une
pléthore de noms et de textes qui relèvent d’une conception
esthétique élargie où la littérature semble entendue
comme une parole parmi les autres alors que le nom des
uns y chevauche l’anonymat des autres. La marque la plus probante de
ces épigraphes semble plutôt celle d’un dialogue égalitaire,
solidaire de l’ouverture sémantique des instances énonciatives
qu’elles mettent en place. Car, du fait même de leur nombre et de
leur diversité, les épigraphes installent une polyphonie qui a pour
effet d’aplanir toute velléité d’autorité quant à la marque du
littéraire que l’épigraphe donne généralement à lire. De la même
manière qu’il tend à s’effacer derrière un pseudonyme, Bertrand
amenuise l’autorité éventuelle des voix qu’il convoque dans le
croisement auquel il les soumet. Chaque voix en vaut une autre en ce
qu’elle permet d’abord et avant tout d’initier un contact avec le
poème qu’elle inaugure. La chanson populaire a ici tout autant à
dire au lecteur que les vers de Hugo. Ce sont en somme les
mots plutôt que les Noms (ou les
titres) qui ont préséance dans la constitution
sémantique du recueil. Pour le dire autrement : l’abondance et la
diversité des épigraphes dans Gaspard de la Nuit
indiquent que chaque mot en vaut bien un autre, peu importe
sa provenance.
En reposant sur
ce lieu commun de l’usage épigraphique, le recueil nous place face à
un idéal : celui d’une parole défaite des hiérarchies instituées,
proprement démocratique en ce qu’elle favoriserait l’expression de
postures individuelles au sein d’un discours pourtant commun,
c’est-à-dire qu’elle préfigure esthétiquement la possibilité de ce
que Negri appelle une « coopération non des individus mais des
singularités, exploitation de l’ensemble des singularités,
des réseaux qui composent l’ensemble et de l’ensemble qui comprend
les réseaux, etc. » [46]. La
voix des épigraphes ne renvoie plus tant à une intériorité ou à une
persona précises qu’à la possibilité même de la prise
de la parole dans le contexte nouveau de l’invention esthétique de
la démocratie révolutionnaire d’un romantisme désormais marqué par
l’altérité concomitante d’une parole toujours déjà donnée dans le
réseau pluriel et solidaire où elle s’inscrit.
*
Selon Filip
Kekus, la fantaisie bertrandienne « débouche sur une forme de
dissidence vis-à-vis des codes en vigueur, esthétiques, mais aussi
éthiques, philosophiques, psychiques ou encore
socio-politiques » [47]. Il en va de même des nombreux symboles et lieux
communs inscrits dans le recueil. Chaque fois, le
topos bertrandien semble impliquer sa portée
politique en restituant le sens de son cliché au sein d’une parole
partagée où se dissout toute forme d’autorité. Défaire le sens
figé des symboles équivaut ici à relancer le sens de la parole
dans une forme d’anonymat. Telle est notamment l’originalité du
cliché chez Bertrand : dans la relance d’un art qui se fonde sur
la possibilité d’une expression commune. La redéfinition
esthétique permise par le cliché semble avoir valeur sociale chez
Bertrand. Il n’est à cet égard pas étonnant que le recueil soit
fait de proses.
Écrire en
prose, c’est donc peut-être d’abord écrire dans un langage
révolutionnaire, parce que partagé par tous.
L’écriture en prose déplace un lieu commun en esthétisant une
parole présumée plate et sans intérêt pour se positionner contre
la poésie. Le cliché n’est-il pas après tout une « image
négative » [48], un
renversement ?
Écrire en prose
c’est aussi bien sûr écrire contre la poésie, et
peut-être plus précisément contre la poésie médiévale qui imprègne
alors l’imaginaire romantique. L’écrivain anonyme qui utilise la
prose renvoie, par le fantasme de la disparition du Nom qu’il met
en scène, au concept médiéval du scripteur, forme alors anonyme de
l’écrivain. Ce faisant, sa prose fait paradoxalement écho aux vers
du troubadour. La prose, on le sait, constitue la seule forme
langagière de ceux qui n’ont pas accès à l’écriture. La prose est
reproduction de la parole, de l’oralité. Or le troubadour utilise
pourtant le vers et les méthodes mnémotechniques appropriées pour
dire ses textes. L’oralité que la prose commande
renverse ici l’ordre institué de la poésie orale dans la volonté
anonyme d’un dire dont la relance proprement romantique l’arrache
à l’imaginaire médiéval dont il est pourtant issu.
Bertrand a su
rendre fécondes les formules toutes faites : les symboles usés,
les lieux communs du passé deviennent chez lui autant
d’instruments de la mise à nu de son projet esthétique. En fondant
sa poétique sur un double recours temporel – celui d’un mouvement
vers le passé (l’historicité du lieu commun) ; celui d’un
mouvement vers le futur (la réactivation du sens du cliché) –,
Bertrand instaure une représentation cyclique (et moderne) du
devenir littéraire au XIXe siècle alors que son usage du
cliché constitue un geste littéraire inédit dont la portée éthique
montre l’accord profond de son recueil avec le moment historique
et politique où il s’inscrit.
1 | Jonathan Culler,
« Poésie et cliché chez Baudelaire », in Le Cliché,
G. Mathis (dir.), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998,
p. 205-206. | 2 | Jean Richer, « Introduction »,
in Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit.
Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, Paris,
Flammarion, 1972, p. 5 et 12. | 3 | Le Nouveau Petit Robert
I, J. Rey-Debove et A. Rey (dir.), Paris, Dictionnaires Le
Robert, 1993, p. 454. | 4 | Toutes les citations des poèmes de Gaspard de la
Nuit sont tirées de l’édition suivante : Aloysius Bertrand,
Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de
Callot, édition établie et annotée par J.-L. Steinmetz,
Paris, Librairie générale française, 2002. Pour des raisons de
lisibilité, elles sont simplement suivies de GN et du
folio, entre parenthèses dans le corps du texte. | 5 | « Puisque Dieu et l’amour étaient la première
condition de l’art, ce qui dans l’art est sentiment, – Satan pourrait bien être la seconde de ces conditions, ce qui dans
l’art est idée » (GN, 54). | 6 | Aurélie Loiseleur, « Gaspard de
la Nuit, personnage de poésie », in Lectures de Gaspard
de la Nuit, S. Murphy (dir.), Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2010, p. 84. | 7 | Sur cette
question, voir l’article très stimulant de Sandrine
Bédouret-Larraburu dans le présent numéro de Questions de
style. | 8 | Sur la référence picturale, je
renvoie au livre important de Nicolas Wanlin (Aloysius
Bertrand et le sens du pittoresque, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2010) qui démontre avec acuité que la
référence picturale est axiologique et éthique. | 9 | Melaine Folliard,
« “La vague aurore du clair-obscur”. Le XVIIe siècle d’Aloysius Bertrand », in
Lectures de Gaspard de la Nuit, p. 117. | 10 | S’appuyant sur une épigraphe
rayée du manuscrit, qui renvoie à un texte de Nerval paru en 1832,
Helen Hart Poggenburg évoque la possibilité que le poème ait été
composé après la représentation du drame hugolien à la Porte
Saint-Martin (voir Aloysius Bertrand, Œuvres complètes,
H. Hart Poggenburg (éd.), Paris, Champion, 2000, p. 310). | 11 | Sur cette question de la mémoire vive du XVIIe siècle chez Bertrand,
voir Melaine Folliard, « “La vague aurore du clair-obscur”. Le
XVIIe siècle… ». | 12 | Stendhal, Racine et Shakespeare.
Études sur le romantisme, chronologie et
introduction par R. Fayolle, Paris, Flammarion, 1970, p. 54.
Stendhal souligne. | 13 | Sur cette question, voir
notamment Jacques-Rémi Dahan, « Ondine, ou la tentation
luciférienne », in « Un livre d’art fantasque et vagabond ».
Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand,
A. Guyaux (dir.), Paris, Éditions Classiques Garnier, 2010,
p. 165. | 14 | Saint
Augustin, La Cité de Dieu, in Œuvres,
texte de la 4e
édition de B. Dombart et A. Kalb, introduction et notes par G.
Bardy, traduction française de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer,
t. XXI, 1960, p. 371. | 15 | Patrick Labarthe,
Baudelaire et la tradition de l’allégorie, Genève,
Droz, 1999, p. 60. Le symbole se définit en effet comme « un geste
ou un objet auxquels la tradition culturelle attribue un sens
particulier dans le sens d’une isotopie plus générale » (Bernard
Dupriez, Gradus, Paris, 10/18, 1984, p. 438). Son ordre
discursif est celui de sa construction lexicale. De ce point de vue,
le symbole apparaît comme une forme rhétorique sclérosée.
L’allégorie, quant à elle, place hors du temps le
symbole qu’elle utilise pour se constituer ; elle renvoie à autre
chose qu’à son seul signe. | 16 | Jacques Bony, « Présentation », in
Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit. Fantaisies à la
manière de Rembrandt et de Callot, J. Bony (éd.), Paris,
Flammarion, 2005, p. 39-40. | 17 | Aurélie Loiseleur, « Gaspard
de la Nuit, personnage de poésie », p. 72-73. Elle cite un article
de Lieven d’Hulst : « De l’usage d’un topos en
poésie : le manuscrit posthume de Joseph Delorme », in
Le Topos du manuscrit trouvé, J. Herman
et F. Hallyn (dir.), Louvain, Peeters, 1999,
p. 363-373. | 18 | Notamment en
regard de la question de la fantaisie. « Naturellement affiliée à
l’imagination, [la fantaisie] l’est tout autant à l’imaginaire, et
plus largement à tous les phénomènes alternatifs du psychisme »
écrit Filip Kekus (« Gaspard de la Nuit et la
fantaisie romantique », in « Un livre d’art fantasque et
vagabond »…, p. 49). Kekus poursuit : « Sœur du caprice,
elle est du côté de la spontanéité capricieuse et des sautes
d’humeur. Elle peut qualifier tout ce qui relève de l’affection
passagère, de l’irrégulier, du bigarré, du divers ou de
l’éphémère » (ibid.). En ce sens au moins, le
topos du manuscrit trouvé peut apparaître comme un
usage capricieux, irrégulier, qui soutient la forme même du
recueil de fantaisies en lui offrant une porte d’entrée
particulière. | 19 | Sur ces enjeux socio-historiques, voir Pascal
Brissette, La Malédiction littéraire. Du poète crotté au
génie malheureux, Montréal, Presses de l’Université de
Montréal, 2005. | 20 | Henri Scepi, « Art et illusion. Le problème du
visible dans Gaspard de la Nuit », in « Un
livre d’art fantasque et vagabond »…, p. 60. | 21 | L’ouvrage collectif dirigé par André Guyaux offre
une compilation établie par Aurélia Cervoni, de la fortune
critique de Gaspard de la Nuit entre 1843 et 1869.
Voir « Un livre d’art fantasque et vagabond »…,
p. 277-409. Le frère du poète accréditera cette thèse du génie
souffrant et miséreux dans une lettre datée du 15 avril 1886
adressée à Henri Chabeuf : « c’est dans une misérable mansarde de
la rue Crébillon, que Louis Bertrand, ses études terminées, déjà
tourmenté par la muse, passait ses journées […]. Nerveux à
l’excès, doué d’une imagination ardente, d’un caractère bizarre et
inégal, […] d’une sensibilité excessive, il ne pouvait supporter
la contradiction » (voir Aloysius Bertrand, Œuvres
complètes, p. 1002-1003). | 22 | « Il est manifeste en effet que le portrait de
l’inconnu relève de l’art de la vignette » (Henri Scepi, « Art et
illusion. Le problème du visible… », p. 60). | 23 | Ce prénom est celui qui figure
sur le registre de l’hôpital Notre-Dame de la Pitié du
18 septembre 1838. Sainte-Beuve retiendra ce prénom, qu’il écrira
plutôt « Aloïsius » dans sa préface à la première édition. | 24 | Aloysius Bertrand, Œuvres
complètes, p. 581. | 25 | « Notice de Sainte-Beuve pour
l’édition originale », in Aloysius Bertrand, Gaspard de la
Nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot
(édition J. Bony), p. 348. | 26 | Selon le titre de l’étude biographique de Cargill
Sprietsma : Louis Bertrand dit Aloysius Bertrand (1807‑1841).
Une vie romantique. Étude biographique d’après des documents
inédits, Paris, Champion, 1926. | 27 | Nicolas
Wanlin, « Portraits du poète en artiste, en bibliophile et en
maçon », in Lectures de Gaspard de la Nuit,
p. 79. | 28 | Béatrice
Fraenkel, « Faire avec son propre nom : le cas de la signature », in
Nom propre et nomination, M. Noailly (dir.), Paris,
Klincksieck, 1995, p. 355. | 29 | On ne saurait voir dans cet
acte de langage une stratégie faisant écho à la timidité – presque
maladive – de l’individu, et dont ont fait état Sainte-Beuve et
David d’Angers ? L’hypothèse reste incomplète dans la mesure où
Bertrand aura quand même fait le choix ultime d’inscrire son nom en
propre sur le manuscrit qu’il a déposé chez Renduel. | 30 | Benjamin
Constant, Adolphe, Paris, Garnier Frères (Classiques
Garnier), 1968, p. 149-150. | 31 | Depuis Don Quichotte au moins, la
véracité attribuée au manuscrit trouvé fonde la moralité du dire du
texte. | 32 | Jean Bessières,
La Littérature et sa rhétorique, Paris, PUF, 1999,
p. 11. | 33 | Paul Bénichou, Les Mages romantiques,
Paris, Gallimard, 1988, p. 534. Malgré la réserve de l’historien
(qu’autant que…), il apparaît clair que la posture du
Mage est précisément celle de l’individuation. | 34 | Un pseudonyme dont la
description définie serait identique à celle du Nom propre d’un
individu est absolument inutile. | 35 | Un pseudonyme est une forme nominale qui permet à
celui qui l’utilise de garder l’anonymat pour nombre de raisons,
politiques ou sociales, allant de la volonté de ne pas s’afficher
jusqu’à la tromperie volontaire. Tout autant qu’il peut aussi
référer à un ensemble, un faisceau, de descriptions possibles de la
personne qu’il désigne, le pseudonyme comporte ceci de particulier
que son ensemble de descriptions ne recoupe jamais totalement celui
du nom réel de la personne. C’est pourquoi il ne peut jamais s’y
substituer totalement et n’en constitue qu’une forme descriptive,
une description définie au sens où l’entend Kripke quand il précise
que « ce qu’en réalité nous associons au nom, c’est une
famille de descriptions. […] Le référent d’un nom est
déterminé non par une description unique mais par un faisceau ou une
famille de descriptions » (Saul Kripke, La Logique des noms
propres, Paris, Éditions de Minuit, 1982, p. 19 ; Kripke
souligne). | 36 | Ruth Amossy,
« Du cliché et du stéréotype. Bilan provisoire ou anatomie d’un
parcours », in Le Cliché, p. 23. | 37 | Nicolas Wanlin, « Portraits du poète en artiste, en
bibliophile… », p. 90. | 38 | Ibid. | 39 | Sur ces questions, voir Nicolas
Wanlin, Aloysius Bertrand et le sens du
pittoresque. | 40 | Filip
Kekus, dans « Gaspard de la Nuit et la fantaisie… », et
Nathalie Vincent-Munnia (« Gaspard de la Nuit :
galvaniser le réel, envisager l’art comme fantaisie(s) », in Gaspard
de la Nuit. Le Grand Œuvre d’un petit romantique,
N. Wanlin (dir.), Paris, Presses universitaires de Paris Sorbonne,
2010, p. 155-171) défendent une position similaire. | 41 | Laurent Jenny, « Dialogisme et polyphonie », ©2003.
Texte électronique disponible à la page suivante :
http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/dialogisme/dp110000.html.
Jenny souligne. | 42 | Encore que ces termes ne sont pas étanches au XVIe siècle. Aussi, il faut
entendre « science » en son sens le plus large possible de
« connaissance ». | 43 | Rainier Grutman, « L’épigraphe
romantique : un procédé et ses paradoxes », Les Cahiers du
XIXe siècle, 2,
2007, p. 51. | 44 | Véronique Dufiez-Sanchez, « Le
motif du livre et la “science du poète” dans Gaspard de la
Nuit », in Aloysius Bertrand, Dijon, L’Échelle
de Jacob (La Toison d’or ; 3), 2003, p. 81. | 45 | Jacques Bony, « Présentation », p. 43. | 46 | Toni
Negri, « Pour une définition ontologique de la multitude »,
Multitudes, 9, 2002, p. 37. Negri souligne. | 47 | Filip
Kekus, « Gaspard de la nuit et la fantaisie… »,
p. 62. | 48 | Paul Robert,
Le Grand Robert de la langue française, A. Rey
(dir.), Paris, Le Robert, 1985, p. 206. |
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