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« Croyez le, si
voulez : si ne voulez, allez y veoir » : réalisme sceptique et
poétique de l’incongru dans le Quart Livre de
Rabelais
Raphaël
Cappellen
Université de
Tours, CESR
Résumé : Cet
article analyse la présence problématique dans le Quart
Livre de Rabelais de deux procédés d’écriture « réalistes » :
les énoncés de véridiction et les comparaisons, en particulier dans le
chapitre XXXVIII du roman. Le texte impose au lecteur une double
attitude contradictoire entre croyance joyeuse dans l’illusion de la
fiction et incrédulité sceptique.
Abstract: This
paper analyzes the problematical presence of two realistic devices of
writing in Rabelais’s Fourth Book: the assertions of the
fiction’s truth and the comparisons, particularly in the
chapter XXXVIII of the novel. The text requires the reader to have a
conflicting position between belief in fiction’s illusion and
sceptical incredulity.
L’œuvre de Rabelais
présente une antinomie féconde : le réalisme, si on
l’entend au sens de recherche d’une illusion référentielle étendue
visant à la transcription fidèle de la vie réelle au sein du monde
fictif, y est parfaitement absent, alors que la ou les
réalité(s) y sont omniprésentes par des biais divers. Les
realia apparaissent de manière directe : références
claires au contexte d’écriture, noms de personnages et toponymes
réels, anecdotes à caractère autobiographique – autant que l’on puisse
en juger –, usages lexicaux et syntaxiques relevant parfois d’une
certaine forme d’oralité, souvent théâtrale mais aussi plus proche de
ce que Bakhtine appelait « le vocabulaire de la place publique » [1], notamment de nombreux
dialectalismes ou sociolectes comme le lexique des marins dans
l’épisode de la tempête du Quart Livre. Mais ces
realia ne permettent pas de créer un effet réaliste
puisqu’ils ne sont présents que par bribes éparses au sein d’un monde
fictif de fantaisie ou bien créent un effet de trop-plein et
d’incohérence nuisant au réalisme. Pour le premier cas, il suffit de
penser aux toponymes tourangeaux comme points d’ancrage de la fiction
dans les premiers romans et qui contrastent parfaitement avec la
parodie d’épopée que représente le récit : dans le Tiers
Livre, une sibylle virgilienne se trouve transplantée en plein
chinonnais, « à Panzoust prés le Croulay » (XVI, p. 645) [2], et montre son cul
avant de disparaître [3] ; dans Gargantua, la célèbre guerre
picrocholine se passe autour de la Devinière, querelle de hameaux
détonnant avec la bataille épique narrée puisqu’un géant comme
Gargantua pourrait en deux pas couvrir le minuscule terrain des
opérations. À l’inverse, le trop-plein de realia interdit
l’effet réaliste : l’épisode de la tempête du Quart Livre
regorge de termes maritimes – certains très rares – au point d’en
devenir incompréhensible même pour le lecteur de l’époque, le mélange
des différents dialectes marins, du ponant et du levant, ressemblant
davantage à un lexique nautique qu’à un possible dialogue de manœuvre
en pleine tempête [4]. D’une certaine manière, la
cornucopie d’effets de réel ponctuels interdit l’effet réaliste
d’ensemble, ubi uber ibi tuber.
La réalité peut
aussi se lire dans la fiction de manière indirecte, la fiction voilant
certaines réalités dont l’herméneute éclairé aurait pour tâche
d’assurer le dévoilement. Dès la fin du XVIe siècle, les lecteurs rabelaisiens se
délectaient de lectures à clé [5],
cherchaient à reconnaître les personnages réels derrière les êtres de
fiction. Pour eux, Gargantua était François Ier. Derrière le masque de la fantaisie
imaginaire se donneraient donc à lire les réalités du temps. La
possibilité est d’autant plus nette que le Quart Livre
est, des romans rabelaisiens, le plus inscrit au sein des
troubles de son époque et qu’il n’y a parfois pas à chercher très loin
pour voir quelles sont les cibles visées par le discours romanesque.
« Voilà […] parlé en terrible Allegorie » (XVI, p. 987), le
commentaire d’Epistemon vaut pour de nombreux objets, êtres,
événements fictifs rapportés par le roman. Les référents fictifs
seraient ainsi plus ou moins retors, alternant entre clarté
référentielle et obligation pour le lecteur de pratiquer un décryptage
parfois acrobatique pour reconnaître la réalité derrière la fiction.
Que l’on prenne pour exemple la topographie de l’île de Ganabin prise
en charge par le discours direct de Pantagruel et complétée par
Xenomanes, topographie à la signification en apparence limitée :
[Pantagruel] ce
hault rochier à deux crouppes bien ressemblant au mons Parnasse, en
Phocide […]. [Xenomanes] Y est toutesfoys vers ceste crouppe dextre la
plus belle fontaine du monde, et autour une bien grande forest. Vos
chormes y pourront faire aiguade et lignade. (LXVI, p. 1205)
Les deux croupes de
cette île d’hypocrites et de voleurs ont particulièrement motivé les
identifications de l’île, à la Conciergerie et au Châtelet pour
Verdun-Léon Saulnier [6], lieux de
la répression politique et religieuse ; à la topographie romaine et
son Capitole bifrons, selon Gérard Defaux [7],
Rabelais réglant ainsi ses comptes une dernière fois avec l’Église
romaine ; enfin, plus récemment et plaisamment, à un blason du corps
féminin, réalité certes moins politique mais encore plus probante si
l’on compare le passage, comme le fait Gilles Polizzi [8], avec le Blason du cul d’Eustorg de
Beaulieu, et en acceptant de se représenter les deux croupes, la belle
fontaine et la grande forêt qui l’entoure pour ce qu’elles sont en
tant que métaphores érotiques. Inutile d’ajouter que ces
identifications de la topographie engagent des lectures bien
différentes de l’épisode et de ses coups de canon particulièrement
polysémiques dans lesquels, pour mentionner une dernière lecture,
Olivier Pot [9] a pu voir, comparaison avec le « mons Parnasse »
devenu « Antiparnasse » à l’appui, une parodie du langage poétique des
Odes de Ronsard.
Une telle diversité
d’approches pourrait paraître bien peu pertinente si elle n’était une
constante des romans rabelaisiens et de la manière dont un monde
fictif nouveau est tissé à partir d’une « marqueterie » [10] hétéroclite de référents
réels – les « basses fosses de la Concierg[er]ie », la topographie
bien connue et à laquelle Rabelais avait lui-même travaillé de
Rome [11] – et
d’objets imaginaires issus d’une tradition textuelle – les métaphores
de la lyrique érotique associant la superlative « plus belle fontaine
du monde » au sexe féminin, la « grande forest » aux poils
pubiens [12]. Ganabin est donc à la fois île politique,
religieuse, des « voleurs et larrons », tout en étant île féminine,
sur laquelle Panurge ne veut significativement pas descendre, tandis
que frère Jean souhaite y aller « tous jours » [13].
Ressort ainsi une
poétique de l’incongru, c’est-à-dire une représentation qui se
construit à partir d’éléments difficilement conciliables et qui impose
au lecteur une posture elle-même contradictoire entre approche
réaliste et purement fictive. Il faut noter qu’il y a quatre
occurrences du terme incongru dans l’œuvre
rabelaisienne : une dans le Tiers Livre dans la liste des
couillons (XXVIII, p. 721) et trois dans le Quart Livre
(prologue, p. 897 ; XLIV, p. 1103 et LXVII, p. 1213). Ces trois
dernières pourraient être glosées par « illogique » ou « mal à
propos », expression avec laquelle l’occurrence du chapitre XLIV forme
un binôme synonymique. Dans ce dernier passage, le terme
d’incongru est employé à propos d’une comparaison mal
venue, impropriété logique justifiée par frère Jean par une croyance
populaire. Le sens est en tout cas toujours négatif, en particulier
dans son emploi du Tiers Livre, assez énigmatique mais
qu’il nous faut comprendre en le rapprochant des termes qui
l’entourent et qui pourraient désigner une construction lâche, faible,
défaillante : « fené », « esgrené », « esrené », « de faillance »,
« forbeu » ; outre l’équivoque nécessaire rapprochant Panurge du
con de la grue qu’il est vraisemblablement
destiné à épouser selon frère Jean [14].
Nous allons aborder
cette esthétique à partir de deux procédés majeurs qui insinuent
l’incongruité au cœur de la représentation rabelaisienne : les
comparaisons et les énoncés de véridiction.
Comparaison et
scepticisme de la représentation
Les comparaisons
prolifèrent dans le Quart Livre, notamment parce qu’il
s’agit d’un stylème privilégié de l’écriture du voyage ou de
l’écriture polygraphique. À défaut de pouvoir rendre compte de la
diversité des effets permis par cette figure [15], nous
nous centrerons sur un principe récurrent : les effets de décalage
et l’invitation au scepticisme qu’engage cette figure.
Cette figure est
constitutive de la description de l’inconnu : le nouveau ne peut
s’écrire que par analogie avec l’ancien, le connu. Dans le
Brief récit de Cartier, les comparaisons témoignent
d’un besoin constant de voir en transparence l’ancien dans le
nouveau, de réduire les différences irréductibles et d’attribuer à
la nouveauté les modes de pensée de sa propre culture [16]. La
comparaison dans le Quart Livre n’aide pas tant à
représenter des objets fictifs qu’à diffracter le regard du lecteur,
à détourner son attention de l’objet textuel. Voyons la description
de la statue Manduce qui se trouve en tête de la
procession des Gastrolastres :
Nous consyderans
le minoys et les gestes de ces poiltrons magnigoules Gastrolatres,
comme tous estonnez, ouysmes un son de campane notable, auquel tous
se rangerent comme en bataille, chascun par son office, degré, et
antiquité. Ainsi vindrent devers messere Gaster, suyvans un gras,
jeune, puissant Ventru, lequel sus un long baston bien doré portoit
une statue de boys mal taillée et lourdement paincte, telle que la
descrivent Plaute, Juvenal, et Pomp. Festus. A Lion, au carneval, on
l’appelle Maschecroutte : ilz la nommoient Manduce. C’estoit une
effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, et terrible aux petitz
enfans, ayant les oeilz plus grands que le ventre, et la teste plus
grosse que tout le reste du corps, avecques amples, larges, et
horrificques maschoueres bien endentelées tant au dessus comme au
dessoubs : les quelles avecques l’engin d’une petite chorde cachee
dedans le baston doré l’on faisoit l’une contre l’aultre
terrificquement clicquetter, comme à Metz l’on faict du Dragon de
sainct Clemens. (LIX, p. 1169)
C’est un rite
nouveau que le narrateur et les pantagruélistes considèrent. Il est
étrange, à la fois visuel et auditif, mais l’étonnement ne dure pas.
Tout le premier paragraphe rabaisse la procession mystique au connu
des défilés de carnaval. Le nom de Manduce ôtait déjà
toute sacralité à la statue, puisqu’il s’agit, dans le théâtre
romain, d’un masque ou d’une marionnette grotesques. La description
se veut similaire à celles de Plaute, Juvenal et Pompeius Festus. La
réalité antique est elle-même ramenée à une réalité du monde
contemporain, correspondant au Machecroute du carnaval lyonnais et
faisant le bruit du dragon de Saint-Clément des fêtes messines. Si
les verba diffèrent, la res, elle, est la
même : nulle magie dans cette procession mais un simple artifice
théâtral connu depuis l’Antiquité, tout juste bon à produire quelque
effet pour effrayer les crédules « petitz enfans ». La comparaison
anatomise la procession, la ramenant à la banale réalité du
spectacle de rue pour mieux la vider de sa substance, de la même
manière que la liste de comparants de l’anatomie de Quaresmeprenant
lui interdisait toute incarnation [17]. La comparaison ne
fonctionne pas : alors qu’elle visait à décrire le nouveau en
s’appuyant sur le connu, elle les confond brutalement, Manduce
n’est pas analogique à Machecroute, elle est
Machecroute. Le comportement de vénération des
Gastrolastres semble alors incongru, deux mondes contradictoires se
font face : celui du lecteur et des compagnons de Pantagruel
transplantés en pleine cérémonie grotesque de carnaval, celui du
Gastrolastre empreint de vénération envers l’idole du ventre.
Les comparaisons
logiques qui cautionnent la vérité de la fiction à partir des
certitudes supposées du lecteur permettent de remettre en cause les
croyances superstitieuses, fabuleuses. Au chapitre XXXIV se trouve
intercalée une longue digression inattendue entre le moment où
Pantagruel décide de montrer « ce qu’il sçavoit faire » contre le
Physétère et le moment où il s’empare d’immenses javelots de la
taille des poutres soutenant un pont pour darder en forme de Y le
corps de la baleine. Par le style énumératif, la digression prend la
forme générique de la compilation : « vous dictez », « vous nous
racontez », « vous nous dictez », « vous faictez pareillement
narré ». Plusieurs anecdotes antiques sont rapportées et actualisées
dans la parole fictive du narrataire pour l’inciter à croire à la
possibilité de l’exploit réalisé par Pantagruel. Si tout le monde
prend l’habileté de Commode à l’arc pour un fait avéré [18], alors il n’y a pas
lieu de douter de la même adresse de Pantagruel au jet de poutres.
Il n’est aucunement incongru de voir Pantagruel prendre dans la main
de gigantesques javelots, c’est au contraire parfaitement logique
car proportionnel à sa taille, or l’incongruité repose dans l’écart
entre la précision millimétrique de son lancer et la taille du
javelot. Pantagruel est ainsi capable des adynata
suivants : « il ouvroit les huytres en escalle sans toucher les
bords : il esmouchoit une bougie sans l’extaindre : frappoit les
Pies par l’œil […] tournoit les feuilletz du breviaire de frere Jan,
l’un apres l’aultre, sans rien dessirer » (XXXIV, p. 1061). Le même
type de raisonnement est à l’œuvre au chapitre LXII (p. 1187), avec
la liste des « attendu que » [19]. Gaster a pu inventer une manière
d’arrêter les boulets de canon et de les retourner à l’envoyeur
comme un boomerang. Le cas n’est pas si irréaliste si on le compare
à d’autres merveilles naturelles causées par le mécanisme des
sympathies et des antipathies, dûment répertoriées depuis les
naturalistes de l’Antiquité – Pline et Théophraste en tête – et
reprises par les compilateurs de la Renaissance, le plus souvent de
manière très neutre. L’analogie logique sert à justifier l’outrance
de la réalisation fictionnelle dont l’incongruité déteint sur les
termes censés être « réalistes » de la comparaison. Tout en les
réalisant, la fiction rabelaisienne rend ainsi certaines certitudes
contemporaines à leur statut d’adynata ou invite
a minima à les évaluer de manière critique.
Il est nécessaire
de voir qu’il est souvent difficile de démêler le sérieux de
l’ironie sceptique pour nombre de croyances rapportées dans les
ouvrages érudits à l’époque de Rabelais. Si l’on reprend la
mécanique des sympathies et des antipathies naturelles évoquée à
propos de Gaster, elle est au fondement d’une certaine pensée de la
nature à la Renaissance ; Érasme en donne une longue liste
d’exemples mi-sérieux, mi-amusés, dans un de ses colloques, intitulé
Amicitia. La fiction rabelaisienne invite, elle, au
regard sceptique sur ces croyances, et pratique la parodie des
compilations savantes, qui à ne faire que compiler, mélangent sans
le moindre discernement lointaines superstitions dignes des
meilleures fictions et phénomènes scientifiques avérés. Rabelais
utilise les réalisations permises par la fiction comme un ensemble
de raisonnements par l’absurde mis en acte : que donne la logique
des sympathies et des antipathies poussée à son extrême ?
L’attraction possible des moines en cuisine, appelés par « quelque
vertus latente, et proprieté specificque absconse dedans les
marmites » (XI) ; le bâillement qui se répand par « naturelle
sympathie » sur le bateau à la suite de Rhizotome (LXIII) ; le temps
qui se hausse « par occulte sympathie de Nature » avec les
pantagruélistes qui haussent et vident leurs verres de vin (LXV) ;
voire la réaction par antipathie d’Édouard V, qui devant les
armoiries peintes de France rend « les boyaulx du ventre par le
fondement », la peur provoquant le relâchement du sphincter. Cette
dernière explication, médicale, n’est pas sans rappeler celle
d’Érasme au sujet de la réaction du singe qui, attaché devant une
tortue, se conchie, naturelle antipathie opposant les deux
espèces [20]. La liste est
hétéroclite, mêle phénomènes étonnants mais explicables et
incongruités seulement permises par la fantaisie fictionnelle.
Les énoncés de
véridiction
Les énoncés
véridictifs qui scandent les romans rabelaisiens, et tout
particulièrement le Quart Livre, sont un des procédés
les plus voyants liés à l’ethos du narrateur témoin.
Ils appartiennent à deux traditions littéraires : l’une attirée par
un souci de « réalisme », l’autre purement fictive et parodique.
La tradition
fictive est bien évidemment celle de Lucien de Samosate et sa
revendication de l’écriture fictionnelle en tant que mensonge,
parodie des fictions inventées par des historiens, philosophes, qui
ont « cru pouvoir écrire ce qui n’est pas vrai sans qu’on s’en
aperçût » [21]. L’irréalisme de la fiction lucianesque
provient d’une lacune personnelle, celle de la banalité de la vie
réelle, qui ne saurait être racontée, à laquelle il est nécessaire
de substituer les mirabilia de la fiction : « Puisque
je n’avais rien de vrai à raconter – car je n’avais jamais rien vécu
d’intéressant –, je me suis adonné au mensonge avec des sentiments
bien plus nobles que les autres » [22]. Cette tradition
lucianesque est à la Renaissance un stéréotype de la fiction
comique, dont on retrouve des traces fréquentes dans les principaux
hypotextes de Rabelais, que ce soit chez Folengo ou dans Le
Disciple de Pantagruel. Rabelais se place ici dans les pas de
Lucien pour se moquer de la prétention réaliste des auteurs de
littératures géographiques, zoologiques, polygraphiques en somme,
qui ne cessent de prétendre cautionner le réalisme de leurs
descriptions par des énoncés véridictifs attestant qu’ils ont été
les témoins oculaires des éléments décrits et renvoyant lorsque cela
est possible aux textes faisant autorité en la matière. « Il est
escript. Il est vray. Je l’ay veu. Je vous certifie » (LVII,
p. 1161), telle est la réponse du narrateur lorsqu’il évoque les
prodiges réalisés par Gaster. Ce jeu satirique ayant déjà été
maintes fois commenté [23], nous serons bref et ne nous intéresserons qu’à un type
d’énoncé véridictif : les adresses directes au lecteur contenant le
verbe « croire ».
Dans le
Quart Livre, ce modalisateur épistémique récurrent est
la plupart du temps utilisé pour construire la possible réalité
d’une entité. À plusieurs endroits, l’adresse au lecteur par
l’impératif « croyez » est surtout motivée pour accompagner un effet
d’emphase et conférer une valeur superlative aux événements de la
fiction : « Croyez qu’en Avignon, on temps de carneval les
bacheliers oncques ne jouerent à la Raphe plus melodieusement, que
feut joué sus Chiquanous » (XIV, p. 975) ; « Croyez que la
repaissaille feut copieuse et les beuvettes numereuses » (LI,
p. 1131) ; « Croyez que nous y eusmez du passetemps beaucoup » (LVI,
p. 1157) ; « Croyez qu’il y eut beau tintamarre » (LXVI, p. 1209).
Plus intéressantes sont les occurrences qui cherchent à jouer
pleinement sur « l’univers de croyance » du lecteur, à tenter, pour
reprendre la terminologie de Robert Martin, de faire passer les
entités du monde fictif de l’univers virtuel à l’univers actuel des
croyances du récepteur [24]. Le
court chapitre XXXVIII, passage essentiel à l’épisode des Andouilles
de l’île Farouche, comprenant leur description, nous servira
d’exemple paradigmatique.
« Que sont
Andouilles ? Andouilles. »
Les Andouilles
constituent un des monstres les plus complexes du roman puisque leur
réalité et leur signification ne cessent d’échapper au lecteur par
une succession de transformations. Plus cette créature fictive est
décrite, moins elle semble accessible. Xenomanes la définit par une
tautologie à valeur de maxime : « Andouilles sont Andouilles »
(XXXVI, p. 1067). Le référent « Andouilles » appartient-il à la
classe des êtres andouilliques au sens propre – un aliment – ou
figuré – un sexe, l’analogie est ancienne et remonte au moins au
Roman de Renart ? Ou bien ont-elles toutes les
caractéristiques morales de la classe fictive andouillique, dont la
propriété est d’être « tousjours doubles et traistresses » ?
Xenomanes postule une évidence, une clarté, que le texte ne va avoir
de cesse de contredire.
L’approche d’une
armée d’Andouilles est d’emblée vue comme une énigme que seule la
comparaison avec la conduite politique du monde réel peut éclairer.
S’opposent les démonstrations d’Epistemon qui assimile cette
approche à l’accueil honorifique des entrées royales [25] et de Pantagruel, beaucoup plus
prudent, à la manière de Charles VI qui refusait d’entrer dans
Paris, en usant de comparaisons illustrant les conduites traîtresses
« soubs couleur de charesse et amitié » : les histoires exemplaires
de Caracalla, des enfants de Jacob, de Gallien, d’Antoine et
Artavasde ; « mille aultres pareilles histoires trouvons nous par
les antiques monumens ». La résolution du conseil de guerre est pour
le moins normande, puisqu’elle ne choisit ni la voie d’Epistemon, ni
celle de Pantagruel : « en tout evenement ilz se tiendroient sus
leurs guardes » (XXXVII, p. 1071). S’ensuit une longue digression
sur la divination par le nom, achevée par un retour à la situation
narrative : les Pantagruéliens sont prêts au combat mais ne savent
toujours pas à quoi s’en tenir, Pantagruel « encores ne povoit il
croire que les Andouilles feussent si traistresses ». Le chapitre
XXXVIII correspond à une seconde digression, dans laquelle toute la
verve du narrateur-bonimenteur se fait sentir.
Il s’ouvre et se
referme par des adresses à l’auditoire : « Vous truphez icy
Beuveurs » ; « Cessez pourtant icy plus vous trupher ». Ces deux
phrases dessinent la figure d’un narrataire incrédule, celui qui
veut visiter Lusignan, Vouvant, avant d’avoir bu, alors que le pacte
de lecture est très clair, il faut être « apres boyre » pour pouvoir
croire que Mélusine en est bien la fondatrice. Le narrateur reprend
le stéréotype lucianesque [26] en passant en revue toutes les possibilités de
véridiction : l’expérience personnelle et oculaire – « je sçay bien
ce que je veidz » et sa variante de défi imposé au lecteur « allez y
veoir », « visitez » –, le témoignage oral – « maintient on »,
« tesmoings vieulx de renom […] les quelz vous jureront » –, les
dénégations – « que je ne mens », « si ces discours ne satisfont à
l’incrédulité de vos seigneuries ». Le topos
lucianesque inviterait alors, selon Nicolas Le Cadet, à
« souligner la dimension fictionnelle du texte et [à] susciter le
jugement critique du lecteur » [27]. Ces énoncés obéissent en effet à
un « art de la distanciation » [28] ; cependant, le mouvement imposé au lecteur
nous semble plus acrobatique. Nous pourrions donner une autre valeur
à ces énoncés, celle d’une défense du jeu fictif par la
superposition permise par le verbe croire entre deux
univers de croyance : celui du réel, dans lequel une peuplade
andouillique est fictionnelle donc mensongère, celui de la fiction,
dans lequel cette créature qui s’avoue fictionnelle est vraie [29]. La tension entre ces deux pôles
participe pleinement de l’efficacité recherchée par le texte
rabelaisien, de sa fonction à la fois morale – inviter le lecteur à
la méfiance, au regard critique – et « thérapeutique » – rendre le
lecteur joyeux avec les enjeux que cela implique dans l’épître
liminaire [30]. Ces
protestations de véracité sont l’envers de la protestation du « plus
hault sens » du prologue de Gargantua, car le combat
pour l’autonomisation romanesque dans les années d’écriture des
romans rabelaisiens est double : il doit défendre son utilité, son
sérieux mais aussi son droit fondamental au mensonge fictif face aux
critiques des « Maniacles Pistoletz », « Demoniacles Calvins » et
« enraigez Putherbes » (XXXII, p. 1053). D’une certaine manière, les
énoncés lucianesques tels qu’ils sont repris dans les fictions
rabelaisiennes obéissent à la même logique que ce que Jean
Starobinski appelait concernant l’ironie voltairienne, la « loi du
fusil à deux coups » [31]. Les énoncés de ce
chapitre se présentent tel un traité du bon usage de la fiction et
de la crédulité. C’est ici une invite à voir la réalité sous un
autre angle, une manière par l’incongru de susciter la surprise,
essentielle à l’esthétique romanesque, et à la démarche de
questionnement du sens : les rapprochements incongrus doivent, dans
un premier temps, être crus pour que le lecteur soit étonné,
l’étonnement ayant à la Renaissance valeur philosophique [32].
La parole du
bonimenteur fait montre de toute sa virtuosité par le recours
stylistique à l’accumulatio – le bonimenteur est le roi
du défilé verbal – et à la valorisation des Andouilles, qui
contrairement à la pensée commune « ne sont à mespriser entre les
humains ». On n’a sans doute pas assez fait attention au fait que ce
chapitre se donne à lire dès la litote du titre comme un éloge
paradoxal, une declamatio qui convie le lecteur à un
récit des origines, tout comme Pantagruel et
Gargantua s’étaient ouverts sur des généalogies. Le chapitre
se présente dans ses premières lignes comme une description de
voyageur témoin explicitant ce qu’il a vu, a contrario
il compose, à la manière de Jean Lemaire de Belges, une
« Illustration de Farouche et Singularités des Andouilles ». Ce ne
sont pas les Andouilles de l’île Farouche qu’il décrit en
synchronie, mais l’éminence d’une espèce disséminée hors de son
cadre spatial et temporel, une généalogie éclatée de l’espèce
andouillique et, par parentés diverses, de l’espèce humaine.
Défilent ainsi les origines mythologiques avec les Géants antiques,
chrétiennes avec le récit du serpent tentateur de la Genèse, un
peuple archaïque avec les Himantopodes, une origine lexicale,
étymologique, valant bien certaines étymologies fantaisistes
d’Annius de Viterbe : les « Souisses Saulcisses ». Toutes les autres
figures tournent autour de l’idée d’invention, de fécondation, de
création : Erichtonius anticipant Gaster, est l’inventeur des
« coches, lectieres, et charriotz », quant à la nymphe Ora, elle est
évoquée en tant que mère. Autre fondatrice mythique, celle du
terroir poitevin, progressivement associée au folklore breton au
XVIe siècle :
Mélusine. Dans ses Annales d’Aquitaine, Jean Bouchet,
ami de Rabelais, se moquait de ceux qui pouvaient croire à la
légende mélusinienne [33], tout en participant à la suite de Lemaire de
Belges à la création d’une généalogie fabuleuse qui faisait des
Poitevins les descendants d’un fils d’Hercule et d’une femme
serpent [34] ; or Mélusine était, selon la même
mythologie humaniste, elle aussi devenue fille d’Hercule [35].
Fondatrice,
l’andouille est pleinement liée à la procréation, à une image du
sexe et à la transgression du tabou sexuel [36]. L’assimilation du serpent
« qui tenta Eve » au sexe d’Adam était déjà faite depuis Henri
Corneille Agrippa assurément [37], Rabelais l’assimile au « bon messer
Priapus ». Cette identification est parfaitement cohérente avec les
figures mythologiques dont nous venons de parler, elles aussi liées
au sexe : Erichtonius a inventé les coches, litières et chariots
pour cacher ses jambes d’andouilles, autrement dit, le coche est
comparable à la braguette de Panurge à cette différence que le
mirifique attribut panurgien visait à cacher pour mieux montrer le
sexe ; la nymphe Ora couche avec Hercule ; quant à Mélusine, elle
« avoit alleures braves et guallantes », et n’est femme que
« jusques aux boursavitz ». Soulignons que la scène de Mélusine au
bain, une des plus fascinantes de la légende, avait pu être
interprétée par Jean Bouchet comme une scène où Raymondin n’aurait
pas nécessairement trouvé la fée en train de faire « ses sortileges
et incantacions » mais tout aussi bien « en adultere » [38].
Ultime
transformation du signifiant Andouille au chapitre
XLII : ce sont des captifs indigènes ramenés à Paris, la coutume
était habituelle comme l’indique Gérard Defaux [39]. L’infante des Andouilles est alors complètement
anthropomorphisée puisqu’elle « feut mariée en bon et riche lieu, et
feist plusieurs beaulx enfans ». Par anamorphose, l’être fictif
devient une réalité connue du lecteur : ces indigènes renvoyés par
bateau pour repaître la curiosité de la Cour par un exotisme à peu
de frais, et qui pour la plupart ne parvenaient jamais à
s’acclimater lorsqu’ils réussissaient à survivre à la traversée. Peu
de temps avant la parution du Quart Livre, avait eu
lieu l’entrée royale d’Henri II à Rouen en 1550, publiée en 1551, et
pour laquelle avait été créé un village de Brésiliens sur une place
de la cité rouennaise. Y étaient présents Brésiliens et marins
grimés en indigènes représentant les principaux actes de leur vie
telle qu’on se la représentait, combats y compris. Le rédacteur de
l’entrée royale, témoin peu objectif, insiste sur l’efficacité de
l’illusion théâtrale de cette fête brésilienne et garantit que la
gravure représentant la fête dans l’édition de 1551 est « le certain
simulachre de la verité » [40]. Cette planche composée de
scènes diverses témoigne d’un éclatement du sens dans la
représentation de l’autre. Sur une même gravure se trouvent
juxtaposées scènes de la vie quotidienne et de bataille. C’est aussi
dans cet imaginaire d’un exotisme reconstitué, théâtralisé, qu’il
convient de situer l’épisode parodique des Andouilles.
Alors que le
référent andouillique avait été à l’origine identifié par la
focalisation de Pantagruel qui le comparait avec les « Escurieux,
Belettes, Martres, ou Hermines » (XXXV, p. 1063), cet être fictif
subit donc par différentes métalepses une succession de
transformations. Si l’on fait un rapide bilan : que signifie
Andouille dans ces chapitres ? Un mets se mariant fort
bien avec la moutarde, un petit animal velu ressemblant à une
belette, un serpent (un être hybride mi-homme, mi-serpent ?), un
sexe, un indigène, être aux réalités multiples donc, composé d’une
multitude de strates allant de la parodie de généalogie, au chapitre
XXXVIII, au travestissement de l’épopée ou du roman de chevalerie
dans les chapitres qui suivent [41].
Cet épisode, par l’incongruité polysémique du référent andouillique,
qui cumule des signifiés différents, peut donc être interprété comme
un pur jeu de parodie littéraire, un épisode aux connotations
politiques et / ou religieuses [42], sans qu’une lecture totalisante soit réellement
possible. À la pluralité de cet être fictif, proprement
irreprésentable, répond la pluralité du sens.
Le numéro de
prestidigitation du chapitre XXXVIII se referme sur une conclusion à
double entente : « croyez qu’il n’est rien si vray que l’Evangile »
(p. 1079). La formule dénonce l’ensemble du chapitre comme pure
fantaisie mensongère, mise en opposition avec la vérité de
l’évangile, mais elle peut aussi apparaître comme le point culminant
de la parade verbale du bonimenteur, qui fait de son propos parole
d’évangile en confondant le credo évangélique avec le
credo de la fiction. Ce n’est sans doute pas la moindre
des audaces rabelaisiennes que de mettre en avant ce que peuvent
avoir de commun le texte évangélique et la littérature de fiction,
requérant chacun leur part de crédulité et d’incrédulité comme voies
d’accès au « vray ».
Conclusion
Au sein de la
fiction rabelaisienne se côtoient transformations de la réalité,
poétisation grotesque en quelque sorte lorsqu’il s’agit de
reconnaître dans l’espèce humaine les traces de l’espèce
andouillique, et croyance dans le prodige [43], mais aussi scepticisme
réaliste, cherchant à contredire, par les possibilités ouvertes par
la fiction, les légendes qui encombraient certaines réalités du
temps. Le passage de l’une à l’autre de ces postures requiert une
grande souplesse de la part de l’herméneute soumis au « sens agile »
prôné par André Tournon. À travers les comparaisons et les énoncés
de véridiction, c’est un pacte de lecture qui se dessine : il faut
croire le bonimenteur pour profiter des transformations joyeuses
qu’il peut opérer sur un objet, tout en n’étant pas abusé par son
ostentation verbale. Le Quart Livre ne pouvait donc se
terminer que sur une ultime transformation, panurgienne celle-là :
sa merde est, « croy[t]-[il] », safran d’Hibernie. Panurge détourne
verbalement le regard de ceux qui l’écoutent, les fait entrer dans
son univers de croyance. En bonimenteur virtuose, il transforme la
réalité, tout comme peut le faire le narrateur. La mauvaise foi du
personnage peut bien se moquer de la réalité de ses chausses, le
lecteur, lui, est parti quêter le safran là où on ne l’attendait
pas, en Hibernie [44].
1 | Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de
François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la
Renaissance, trad. du russe par Andrée Robel, Paris, Gallimard
(Tel), 1990, p. 148-197. Ce vocabulaire participe selon lui d’un
« réalisme grotesque » ; nous entendons cependant l’expression dans un
sens plus large, Bakhtine ramenant trop rapidement la place publique à
un imaginaire de la fête, de la contestation et à une opposition très
souvent inopérante chez Rabelais entre culture populaire
et savante. | 2 | Toutes les références de pages du
texte rabelaisien, que l’on fera précéder du numéro de chapitre en
chiffres romains, renverront à l’édition choisie pour l’agrégation :
François Rabelais, Les Cinq Livres, Gérard Defaux, Jean
Céard et Michel Simonin (éd.), Paris, Librairie générale française (La Pochothèque. Classiques modernes), 1994. | 3 | Il
existe au Croulay, au lieu-dit du « Bois Girault », un abri
troglodytique désormais appelé « La grotte de la Sibylle ». Faut-il
parler de réalisme du texte ou de « textualisation » du
réel ? | 4 | Voir sur ce
passage Marie-Luce Demonet, « Rabelais, marin d’eau douce ? », in
Actes de la journée d’étude de Tours sur le « Quart Livre » de
Rabelais, Genève, Droz, 2012, à paraître, la captation vidéo de
la communication est en ligne sur le site du CESR. Le vocabulaire du
levant domine en 1548 : les ajouts de 1552 relèvent surtout du lexique
de la marine atlantique mais pas exclusivement puisque des termes
méditerranéens sont aussi insérés. | 5 | Voir Marcel de Grève, L’Interprétation de Rabelais
au XVIe siècle,
Genève, Droz, 1961 et « Les érudits du XVIIe siècle en quête de la clef de
Rabelais », Études rabelaisiennes, t. V, n° 65, 1964, p. 41-63, repris dans
La Réception de Rabelais en Europe du XVIe au XVIIIe siècle,
Claude de Grève et Jean Céard (éd.), Paris, Champion, 2009. | 6 | Verdun-Léon Saulnier, « Pantagruel au large de Ganabin
ou la peur de Panurge », Bibliothèque d’Humanisme et
Renaissance, n° 16, 1954, p. 58-81. | 7 | Gérard Defaux, « Rabelais au large de Ganabin : de la
“fiction en archipel” au “symbolisme polémique” », in Rabelais
pour le XXIe siècle,
Michel Simonin (dir.), Genève, Droz, 1998, p. 213-239. | 8 | Gilles Polizzi, « Le lieu du sens.
Les réécritures de la scène initiatique dans la fiction
rabelaisienne », in Rabelais et la question du sens,
Marie-Luce Demonet et Jean Céard (dir.), Genève, Droz, 2011,
p. 253-270. | 9 | Olivier Pot,
« Ronsard et Panurge à Ganabin », Études rabelaisiennes,
t. XXII, n° 228, 1988,
p. 7-26. | 10 | Le terme montaignien
(Essais, III, 9) convient très bien à l’hybridité
narrative des romans rabelaisiens. | 11 | Il a finalement
abandonné ce projet après la découverte de la Topographia
de Marliani, qu’il édite chez Gryphe, imprimeur lyonnais chez
qui il a joué le rôle d’éditeur à de nombreuses reprises. | 12 | Voir Gilles Polizzi,
« Le lieu du sens. Les réécritures… », p. 267-268. Son interprétation
permet aussi de redonner sens à la graphie originelle de
« con-ciergie », sans avoir à en modifier la lettre pour obtenir
« concierg[er]ie » comme le font Saulnier dans son article et Defaux
dans son édition. | 13 | Frère Jean avait fait montre de
la même insistance auprès d’Homenaz pour « saigner droict » (LIV,
p. 1149) « deux ou troys chartées » de pucelles papimanes. | 14 | Le sens de femme légère pour grue
est attesté depuis 1415 selon le Trésor de la langue
française. | 15 | Voir la tentative de synthèse
d’Olivier Halévy, Rabelais, « Quart
Livre », Neuilly, Atlande, 2011, p. 229-238. | 16 | Voir André Berthiaume, « De
quelques analogies dans les récits de voyage de Jacques Cartier »,
CAIEF, n° 27, 1975, p. 13-26. | 17 | Voir Dominique Brancher, « Un monstre de langage :
l’anatomie de Quaresmeprenant », Versants, vol. 56, 1,
2009, p. 115-137. Elle parle de « cette anatomie exorbitante, où les
formes parodiées du rapport d’autopsie sont arrachées à leur
ambition de décrire les realia, l’intériorité dérobée
du petit monde, pour construire une identité impossible » (p. 115).
L’anatomie de Quaresmeprenant répond aussi au désir ludique de faire
échouer la rhétorique descriptive. | 18 | À titre de comparaison, voir la
compilation de Ravisius Textor, qui énumère trente-sept « Sagittarii
et jaculatores peritissimi » et indique notamment les exploits de
Commode ou des Parthes sans la moindre nuance de scepticisme
vis-à-vis de ce qui est rapporté (Officina, Paris,
Regnault Chaudière, 1532, f. 157-158). | 19 | Ou bien au chapitre XVII, avec la liste des « plus
esbahir ne vous fault » incitant à croire au catalogue des morts
extraordinaires par analogie avec la mort tout aussi incongrue de
Bringuenarilles, « estranglé mangeant un coing de beurre frays à la
gueule d’un four chauld ». | 20 | Érasme,
Colloques, trad. du latin par Étienne Wolff, Paris,
Imprimerie nationale, 1992, t. II, p. 355. | 21 | Lucien de
Samosate, Histoires vraies, Jacques Bompaire (trad.),
in Œuvres complètes, Paris, Les Belles Lettres, 2003,
t. II, p. 58. | 22 | Ibid. | 23 | Voir
Paul J. Smith, Voyage et écriture : étude sur le « Quart
Livre » de Rabelais, Genève, Droz, 1987, p. 21-42 ; Nicolas
Le Cadet, L’Évangélisme fictionnel. Les « Livres »
rabelaisiens, le « Cymbalum Mundi »,
« L’Heptaméron » (1532-1552), Paris,
Classiques Garnier, 2010, p. 198-213 ; et Nicolas Correard, « Les
“Histoires vraies” du “Lucien français” : de la poétique de
l’incrédulité au regard moraliste du Quart Livre »,
Le Verger – bouquet 1, janvier 2012,
p. 7 sq., en ligne à l’adresse suivante :
http://www.cornucopia16.com/a-le-verger-revue-en-ligne/le-verger-bouquet-i-rabelais-gargantua-le-quart-livre/janv-2012-nicolas-correard/.
| 24 | Robert Martin, Pour une logique du sens,
Paris, PUF, 1992, p. 40 : « On appellera univers
virtuel d’un locuteur donné à un moment déterminé du temps
l’ensemble des propositions par lui décidables, c’est-à-dire dont il
est en mesure de spécifier les conditions de vérité. On appellera
univers actuel d’un locuteur donné à un moment
déterminé du temps l’ensemble des propositions auxquelles ce
locuteur attribue effectivement une valeur de vérité ». | 25 | Quart Livre,
p. 1067 : « comme sont les nobles roys de France par les bonnes
villes du royaulme repceuz et salüez à leurs premieres entrées aprés
leur sacre, et nouvel advenement à la courone ». Voir aussi le
raisonnement inductif, qui procède de l’observation : « L’ordre
qu’elles tenoient, leur fier marcher et faces asceurées nous
faisoient croire que ce n’estoient Friquenelles, mais vieilles
Andouilles de guerre ». | 26 | La tournure « Croyez le, si voulez : si ne voulez,
allez y veoir » se trouve ainsi dans Histoires vraies,
I, 26 : « Et si l’on ne croit pas qu’il en est ainsi, on saura, si
par aventure on parvient soi-même là-bas, que je dis vrai », presque
traduite aussi dans Le Disciple de Pantagruel (Guy
Demerson et Christiane Lauvergnat-Gagnière (éd.), Paris, Nizet,
1982, p. 55) : « comme vous pouvez ymaginer, ou y allez voir, si ne
m’en voulés croire, car je vous asseure que je n’en mentz d’ung seul
mot ». | 27 | Nicolas Le Cadet, L’Évangélisme
fictionnel…, p. 210. | 28 | Nicolas Correard, « Les “Histoires vraies” du “Lucien
français”… ». | 29 | Comme le dit Robert Martin,
Pour une logique du sens, p. 284 : « L’auteur ne
cherche pas à imposer comme réel ce qu’il imagine. Il cède la parole
à un narrateur, lieu d’une image d’univers où se trouve prise en
charge la vérité de ce qui est dit : du même coup disparaît le
paradoxe de la fiction ». | 30 | La farce
médicale de cette épître est essentielle pour comprendre les enjeux
comiques du roman. Le lecteur est comme le malade, il doit croire
dans l’habit du narrateur, même si ce n’est que pure apparence. Tout
comme Julia qui s’habille de manière différente pour son père et son
mari (Épître, p. 875), le texte rabelaisien n’a pas les mêmes atours
s’il s’adresse à un lecteur crédule ou incrédule. | 31 | Jean
Starobinski, Le Remède dans le mal : critique et
légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris,
Gallimard, 1989, p. 123-124 : « Alors un jeu ? Certes. Mais un jeu
où, à travers la parodie, aucune des situations évoquées n’est en
dehors de la réalité du moment présent ». | 32 | Sur ce point essentiel à
l’esthétique de l’incongru, voir Ariane Bayle, Romans à
l’encan : de l’art du boniment dans la littérature du XVIe siècle,
Genève, Droz, 2009, p. 365. Elle mentionne notamment l’influence du
Théétète de Platon. | 33 | Jean
Bouchet, Annales d’Aquitaine, Poitiers, Jacques
Bouchet, 1535, f. 68 : « Et à la verité, c’est ung songe que dudict
Romant de Meluzine, et ne pourroit estre soustenu ainsi qu’il est
escript ». Sur cette intégration de la fée Mélusine dans la culture
et particulièrement les fictions humanistes, voir l’article
d’Alexandra Hoernel, « La fiction et le mythe, lectures humanistes
du récit mélusinien (1517-1560) », in 550 ans de Mélusine
allemande – Coudrette et Thüring von Ringoltingen, André
Schnyder et Jean-Claude Mühlethaler (dir.), Berne, Peter Lang, 2008,
p. 161-181. | 34 | Ibid., f. 3 : « Il est a conjecturer que
les Poictevins sont yssus d’une des compaignées des Scithes qu’on
appelloit Agathyrses. […] Hercules trouva en ceste region une vierge
de nature humaine, et serpentine, car par le hault avoyt corps de
femme jusques au dessous de sa nature genitalle. Et par le bas
estoit serpent. […] Hercules […] la cogneut
charnellement ». | 35 | Élie Vinet, Discours non
plus melancoliques que divers […], Poitiers, Enguilbert de
Marnef, 1556, f. 15. | 36 | Les Andouilles au chapitre
XXXIX seront dites « paillardes ». | 37 | Voir la note 9, p. 1076 des Cinq
Livres. | 38 | Jean Bouchet, Annales
d’Aquitaine, f. 68 v. Bouchet ne choisit pas entre les deux
possibilités : « dont je ne veulx l’un ne l’autre
assurer ». | 39 | Voir la note 9,
p. 1092 des Cinq Livres. | 40 | C’est la deduction du somptueux ordre plaisantz
spectacles et magnifiques theatres dresses, et exhibes
par les citoiens de Rouen […] A la sacree Majesté du
Treschristian Roy de France, Henry Second leur
souverain Seigneur […], Rouen, Robert Le Hoy-Robert et Jehan
dictz Du Gord, 1551, f. K 4 r. | 41 | Voir notamment Dorothée Lintner, « Le combat dans le
Quart Livre : renouvellement d’une topique épique chez
Rabelais », Camenae, 4, juin 2008, en ligne à l’adresse
suivante :
http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/DLintner_Rabelais.pdf. | 42 | Nous ne rappelons pas le détail des différentes
identifications marquantes données de ces polysémiques andouilles et
du pourceau ailé – les protestants suisses, le pourceau Luther, la
critique de l’eucharistie, plus récemment la politique
franco-anglaise, proposée par Paul J. Smith. Nous renvoyons à son
article qui fait le point sur le spectre interprétatif de
l’épisode : « “Les âmes anglaises sont andouillettes”. Nouvelles
perspectives sur l’épisode des Andouilles (Quart Livre,
ch. 35-42) », in Rabelais et la question du sens,
p. 99-111. | 43 | Le passage le plus marquant est sans doute celui de
la mort du seigneur de Langey. | 44 | Sur cet
objet inattendu, dont on se demande encore s’il faut le prendre
comme une réalité ou non, voir en particulier Myriam
Marrache-Gouraud, « Hors toute intimidation »,
Panurge ou la parole singulière, Genève, Droz, 2003,
p. 233-236. |
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