Projet d’un règlement sur les bénéfices
Introduction, établissement, présentation et annotation du texte par Carole Dornier
L’abbé de Saint-Pierre a initié une réflexion sur les revenus ecclésiastiques dès 1704, dans le Mémoire au sujet des bénéfices possédés par les religieux bénédictins de la Congrégation de Saint Maur1 . Ayant reçu en commende l’abbaye de Tiron, il évalue les richesses des abbayes bénédictines et rejoint les critiques de Boisguilbert, de Bélesbat et de Vauban sur l’origine et l’usage des biens de l’église2 . Comme abbé commendataire, l’auteur ne remet cependant pas en cause les bénéfices dont jouit la noblesse et réserve sa sévérité aux réguliers : les couvents immobilisent des terres qui ne donnent pas de revenu imposable ; des laïcs sont démunis par les dons de testateurs en faveur des établissements religieux ; le zèle des religieux pour leur congrégation est dévoyé en une avidité qui conduit à l’accumulation des prieurés et des bénéfices. Trente ans plus tard, dans le tome VII des Ouvrages politiques, consacré au « gouvernement intérieur de l’État », il proposera, comme élément d’un programme politique d’ensemble, une manière de distribuer les bénéfices pour l’utilité de l’Église et de l’État3 .
§ 2Le Projet d’un règlement sur les bénéfices de 1741 relève d’une perspective à la fois économique et juridique. L’auteur y propose de faire fructifier le revenu de ces bénéfices à chaque mutation de titulaire mais aussi d’éviter que les héritiers du dernier titulaire ne se voient réclamer des frais de réparation couverts par le dispositif imaginé. La question des réparations des abbayes, prieurés, églises et bâtiments réguliers était matière à litiges entre les congrégations et les abbés commendataires, entre héritiers et nouveaux titulaires et donnait lieu à des procès, les réparations à faire étant considérées comme une dette du défunt4 . Cet écrit s’inscrit donc à la fois dans le prolongement des projets de l’abbé de Saint-Pierre concernant l’utilisation des biens ecclésiastiques et le rôle de l’État dans l’emploi des richesses de l’Église, puisqu’il imagine une façon d’augmenter ces biens, mais aussi dans l’esprit du Mémoire pour diminuer le nombre des procès5 .
§ 3L’auteur avait envisagé dans le prolongement de ses Observations sur le célibat un édit supprimant la transmission des bénéfices par résignations, coadjuctoreries ou survivances6 , dans une logique conduisant également à la suppression de la vénalité des offices et à l’attribution des charges par scrutin, pour lutter contre l’incompétence et la faveur7 .
§ 4Ce projet de 1741, loin de mettre en cause le caractère patrimonial des bénéfices, envisage au contraire d’en assurer la pérennité. Leur augmentation permettrait un meilleur financement des œuvres qui y sont attachées (hôpitaux, collèges…) mais aussi éviterait « les procès et les procès-verbaux de commissaires et d’experts qui inquiètent et qui accablent les familles les plus considérables de l’État » (Bénéfices, § 38). En attendant la mise en œuvre de son Nouveau plan de gouvernement des États souverains qui généraliserait le choix des titulaires d’offices et de bénéfices selon le mérite et la compétence, l’abbé de Saint-Pierre, dans ce petit projet assez technique, tente d’aménager les dispositifs existants, dont il est aussi bénéficiaire.
Note sur l’établissement du texte
Manuscrit
Projet pour former un règlement général qui puisse d’un côté pourvoir à une augmentation modique de chaque bénéfice à chaque mutation de titulaire, qui de l’autre empêche les successeurs de demander des réparations ordinaires aux héritiers du dernier titulaire et qui assure les réparations extraordinaires des églises et lieux réguliers renversés par accident ou par vétusté, BPU Neuchâtel, ms. R181, p. 1-8. Non daté. (A)
Imprimé
Projet d’un règlement sur les bénéfices, in Ouvrages de morale et de politique, Rotterdam, J. D. Beman, 1741, t. XVI, p. 104-110. Texte légèrement différent du manuscrit, sans la seconde partie. (B)
Le texte proposé est celui de l’imprimé (B), suivi de la seconde partie du règlement qui provient du manuscrit (A) dont nous donnons les variantes pour la première partie.